dimanche 15 septembre 2019

Brexit : Boris Johnson ou le Démesuré Duplice

Le Bojo, ou le nain Hulk, va serrer la ceinture 


Sérieusement, bien malin qui peut prédire ce que dira le Bojo demain lundi après avoir rencontré Michel Barnier et Jean-Claude Juncker. Tout va très bien, tout va très bien, Madame Sa Majesté, et pour que je n’ai pas à le déplorer, il faut que je vous taise ces tout petits riens qui pourraient vous défriser…


Pas de couleuvre au menu du déjeuner de Jean-Claude Juncker et de Boris Johnson ce lundi à Luxembourg. Mais des escargots d’abord. Bourguignons ? Tout un symbole. Bon, la Bourgogne, ce n’est pas l’Alsace-Lorraine des Brits, mais luma, petit-gris ou cagouille riment avec (cuisses de) grenouille. J’avais été surpris de constater que les Écossais ne mangeaient pas les abondants bigorneaux de leurs plages et criques. L’Anglais s’est mis aux escargots, un peu par attrait de l’originalité, mais ils restent associés à la cuisine française.
Ensuite, saumon. Norvégien ? Pas si discrète allusion au statut de membre associé de la Norvège ?
Puis, fromages. Il ne manquerait plus qu’un plateau de 28 fromages, avec un français qui s'étale et pue, un bleu européen bien fait, un edam hollandais jaune (étoilé ?), un cascaval, un parmigiano, &c., et pour l’Allemagne un emmentaler helvète (mais Allgäuer, ce qui ferait coup double, la Suisse étant comme la Norvège associée). Et juste un tout rikiki bout de cheddar à l’écart.
Virevoltant Bojo
Mais des couleuvres, Boris Johnson a dû en avaler ce samedi-dimanche… On lui rappelle fréquemment qu’il avait approuvé le Withdrawal, le plan de retrait de Theresa May… Plus vachard encore, David Cameron, son pénultième prédécesseur, qui sort son bouquin très attendu au moment où l’on passera les plats luxembourgeois, lui a décoché un coup de pied.
Non seulement le Bojo ne croyait pas à la viabilité du Brexit, mais il penchait pour un second referendum, lequel, après avoir bien fait mijoter l’opinion dans les affres des défavorables conséquences inéluctables, annulerait le premier. Quand même plus élégant que la magouille sur le traité de Maëstricht en France, mais déjà gonflé (j’y reviendrai infra). Et énorme raffinement de duplicité.
Pour installer ses pénates sur Downing Street, il a d’abord fait campagne pour la rupture, promettant monts et merveilles sanitaires, châteaux de stilton et pork pies vendus aux États-Unis (pour l’Espagne, des rock cakes, transitant par le Rocher, Gib’ ? ; non, là, il n’a pas osé), et flots de bières artisanales britanniques débités dans tous les bars de la planète. En cas de second referendum, il mettait un bémol, mais si le résultat confirmait celui du premier, il serait resté du bon côté, et s’il l’infirmait, il se serait campé en colosse capable de mieux renégocier les rapports et contributions du Royaume-Uni avec et à Bruxelles. Ce, fort d’un nouveau faible… écart de voix pour ou contre.
Libérée, délivrée… par le chef d’escadrille
Là, avant de se rendre sur le continent, il a comparé le Royaume-Uni à un Hulk menotté. L’Union européenne, c’est le policier du Monopoly qui vous enferme à vie. Mais Hulk brise toujours ses menottes sans que la moindre perle de sueur lui glisse du front. Il se la joue Géant Vert non-transgénique… Le bon docteur Robert Banner se fait passer les pinces au Parlement, on lui promet des fers à Bruxelles, hop, il se transforme en Incroyable Hulk. « Hulk s’est toujours échappé, peu importe combien il est étroitement ligoté… ».
Tant pis si rat et rates quittent son navire… Il y eut un député conservateur qui rejoignit les bancs des libéraux démocrates en plein débat parlementaire. Un autre a suivi, non des moindres, l’ex-secrétaire d’État à l’enseignement supérieur. Il y avait déjà eu Sarah Wollaston, une autre, et un « défectionnaire mystère » de plus est annoncé par les LibDem. Ce qui ferait six conservateurs tournant casaque en l’an de disgrâce 2019. Et quasiment deux par trimestre vers la mi-octobre, soit depuis que le Bojo est devenu Premier ministre… Car il s’en trouvera bien une ou un autre d’ici-là à quitter le parti Tory.
Le voilà qu’il proclame qu’il veut un accord avec Bruxelles et le fait répéter par sa ministre de l’Intérieur. Soit en fait qu’il arrachera fastoche un hyper-deal avant le 31 octobre. Vers cinq heures du mat’, sans frisson de sa part, mais claquements de dents des 27 ? « L’précipice on s’en fout, chacun fait, fait fait c’qui lui plaît, plaît, plaît », chantaient Grégory Ken et Valli Kligerman (Chagrin d’amour). Ils feront c’qui me chante, assure-t-il.


Il poste aussi un clip de lui dans un avion et annonce « Fasten your seabelts (…)This is your captain speaking ». Il y a un pilote dans l’avion grand-breton du Magical Flying Mistery Tour. Ce fut du Donald Trump dans le texte, avec tout plein de great, big, wonderful, amazing, fantastic, mais en beaucoup plus long, sans le moindre pataquès (pas comme le Donald qui multiplie les impairs de langage). Le naturel reprenant toutefois le dessus, il a employé un mot « franglais » comme « métaphore » par deux fois (« là, vraiment, on va décoller (…) pas mal cette métaphore »). 6,6 min de vrai, total bonheur en altitude.
Sauf qu’il avait oublié de passer la ceinture de sécurité de son siège passager et que, s’il se transformait en Hulk il lui faudrait défoncer la porte de la cabine (et risquer de casser le manche à balai).
L’opposition veut la lui boucler, mais ne s’accorde pas sur la manœuvre. D’abord le museler puis le ceinturer ou le ceinturer puis le museler ? Comme ils causent toutes et tous à la fois, j’ai du mal à comprendre. Emporter les élections et former un gouvernement d’union nationale ? Révoquer l’article 50 ? Nouveau referendum avant les législatives, après ? C’est un peu le Bojo aux commandes en survol, et plusieurs Haddock à la barre (les uns ayant dormi barbe au-dessus, les autres en dessous du drap aux couleurs du Disunity Jack).
Le Donald vient à la rescousse du Bojo : il fait fuiter que si le travailliste Corbyn devenait ministre d’un gouvernement d’unité chaotique, il se ferait l’indic des Russes et qu’il faudrait éjecter le Royaume-Uni de l’Otan. The Nato, tu l’aimes ou tu le quittes.
Voter avec les pieds
Sur la page d’accueil de l’Evening Standard, j’ai bien aimé la publicité de la Nouvelle Aquitaine : « Votre avenir se joue maintenant ! » (en français). Apparentement terrible (c’est en fait une réclame pour les jeunes voulant étudier dans cette région, non une invitation lancée aux Brexpats en puissance).
Brexpat est entré dans le dictionnaire MacMilland vers février 2019. Nous avions détesté la May, nous abhorrons le Bojo, qu’ils disent depuis le continent, le nôtre et d’autres. Mercredi dernier, 23 Britanniques ont obtenu la nationalité française à… Limoges. Et Le Populaire du Centre n’indique pas le nombre de dossiers en instance. En 2018, ils furent 435 pour le seul Luxembourg, une dizaine de mieux qu’en 2017, et plus de 200 dossiers restent en instance. On en était à déjà plus de 6 000 en France sur 2017 et 2018. Et nous faisons petite joueuse derrière l’Allemagne, voire la Belgique (environ 4 000 prévus pour début novembre depuis janvier dernier).
Macron ou Castaner n’ont pas exigé des préfets qu’ils accélèrent les procédures (c’est même le contraire pour les cartes de séjour ; les préfectures ont du mal à faire face et tempèrent, font traîner, voire dissuadent, indiquent les sites des Brexpats de France). On va se faire larguer par le Bénélux. Voire la Scandinavie (dont les écoliers parlent tôt un anglais presque parfait).
Je n’ai pu savoir ce que faisait — ou glandait — la préfecture du Bas-Rhin (des fonctionnaires européens britanniques sont en poste à Strasbourg et s’ils ne deviennent pas français ou allemands, ce sera la porte).
Oui, mais comme la Marine (Le Pen) amalgame Afghans et Gallois, Congolais et Écossais quand elle brandit ou vocifère les chiffres des nouvelles cartes de séjour et naturalisations, on se montre frileux.
Mais il n’y a pas que des British pur jus qui rejoignent le continent. Les Polonais qui fuient l’île ne retournent pas forcément en Pologne, les Roumains en Roumanie, &c. Quoi qu’ils en disent, les fonctionnaires anglais du Home Office font le tri, et poussent vers la Manche les commerçants, les moins qualifiés des citoyens européens installés, même de longue date, en Angleterre (Écossais et Gallois sont plus accommodants pour délivrer des titres de séjour).
Bojo sait qu’avec un Brexit dur ou sans accord, il lui faudra serrer la ceinture de ses compatriotes, et pour emporter les élections pas trop de justesse, il conviendra de faire valoir discrètement que des Européens superflus prennent le large (quitte à perdre des plombiers qualifiés, remplacés par des apprentis anglais ne sachant pas trop comment convertir les diamètres des écrous importés s’ils ne sont pas aussi gravés en inches).
Bah, il s’en moque : la prochaine fois, il coiffera une casquette de la RAF pour un nouveau clip s’adressant « au peuple ». Il retournera, tel un Jacques Chirac, tâter le cul des vaches écossaises et galloises. Gare au coup de sabot si la bête n’a pas été à moitié endormie en prévision de son numéro en bottes de caoutchouc.
L’objectif n’est pas de réussir le, un Brexit, mais de retenir les électeurs conservateurs prêts à virer Brexit Party. Lequel présente des candidats ne mâchant pas leurs mots, qualifiant de crétins, attardés, débiles mentaux, sacs de merde (sack of sh**) l’adversaire (ainsi James Heartfield, qui affrontera Jeremy Corbin à Islington North). Bojo, oublie “metaphore” la prochaine fois. Emploie British Home fries et non plus French fries. Remember, real men don’t it (ne pas prononcer eat) broccoli. Et vas-y Punch, file sa rouste à Judy (Punch étant un Gnafron à long bâton, Judy son épouse) et à ce Rital de Scaramouche.
Fais ton zigoto, mais évite d'endosser le costume de Kermit la grenouille, c'est trop connoté.

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