vendredi 20 septembre 2019

Enseignes : à l'article du mot unique...

Bouffe que tu bouffe à Bafre (la eaterie tendance)

Tiens donc, les enseignes de bars (à cocktails surtout), les restaurants-concepts, se doteraient massivement d'enseignes élidant tout article et se contentant d'un mot isolé... Genre Brexin (je viens de l'inventer, mais c'est plus fort que moi : à force de traiter du Brexit qui semble à présent faire volte-face, je n'ai pu m'en empêcher), au lieu de Le ou La Brexin, d'un Chez Brexin, de la trop commune appellation précédée d'un À la, Au(x), ou je ne sais plus trop quoi...
J'aimais bien les enseignes à l'ancienne... Genre À l'Équipement de la pensée (librairie devenue Mona Lisait, puis Boulinier à Paris) ou Au profit du travailleur (vêtements de travail, Belfort). Ou des Le ou Au Pas Sage (bar, cour des Petites-Écuries, Paris, devenu Jésus Paradis, du prénom de sa patronne et peut-être d'une rue proche, puis Tuk Tuk).
Question enseignes inventives, voyez merlan ou diminutif (mais dites à présent artiste capilliculteur ; merlan, c'est parce qu'ils se la jouaient Black Face à l'envers, dérivé du blanc de leurs perruques de perruquiers-barbiers). Je ne sais plus si c'est Fluide Glacial ou un autre mensuel bédéphile dont le courrier des lecteurs s'est fait une spécialité de les recenser. Bidonnant. Vaudrait un maousse album illustré, avec cartes pour les situer et créer des parcours thématiques.
Toujours est-il que j'ai détesté la période « rie » (La Meublerie) et « thèque » (style La Chocolathèque) et autres rallonges qui ne me reviennent plus à l'esprit. Si vous en trouvez encore c'est que la boutique a été créée ou reprise circa 1970-1980 ou que la patronne, le tenancier sont soit des nostalgiques, soit des attardés, soit des feignants (ayant conservé l'ancienne enseigne au lieu de Allitération, pour un commerce de matelas, par exemple).
Tout cela pour vous dire que Télérama et le site Slate nous font tout un plat de l'enseigne de bistrot à tartines à mot unique. Ce serait « la grosse tendance du moment », selon Jean-Laurent Cassely,  tandis qu'Esterelle Payany remarque, sans le déplorer, que La Strasbourgeoise deviendra Batifol, et Chez Jenny, Bouillon République.
Flo rallonge 
Bon, l'enseigne à mot unique, ce n'est quand même pas si nouveau, et question bouillon, Julien est redevenu Bouillon Julien. Mais c'était souvent dû à... quoi ? Un  processus de suppression de quoi au juste ? Il me semble qu'il y aurait un mot pour ces prépositions et articles minces ou maigres, et je suis bien en peine de m'en souvenir ou de néologiser. Bref, Bofinger, Floderer, et autres brasseurs, ont fait dans le mot unique, voire mieux en abrégeant leur patronyme (Flo est d'ailleurs redevenu Floderer, du nom de son fondateur, sous l'égide de Jean-Noël Dron, à l'été 2018).
Au Rendez-vous des Tant Danseurs sera peut-être la future enseigne d'un bistrot sis à proximité d'un conservatoire : plus ça va, plus ça change, et retour... Donc Rétro reviendra peut-être Chez Rétro, ou Au Rétro, genre note vintage qui refera la distinction (Bourdieu, revient, ils sont devenus... précieux).
À l'enseigne Back to the Future (Au Retour vers le futur), il y aura du monde... 
Tenez, histoire de faire un clin d'œil ironique à toutes les enseignes de pubs aux dénominations ronflantes du passé (style Aux Armes des Chevaliers, et autres équivalents en anglais), la chaîne Scottish & Newcastle avait lancé des Rat and Parrot. Je connaissais celui de West Hampstead. Et bien maintenant, ce serait « daté ». Comme l'a indiqué le chef de la division je ne sais quoi du groupe Punch, successeur de Scottish and Newcastle, « le concept était absolument adapté aux années 1990, mais avec l'essor des concepts davantage féminins, plus orientés restauration... » (''more female-friendly, food-led concepts...''), eh bien, cela devient connoté ringard, comme tout ce qui paraît bath un temps semble surfait celui d'après. Le Wimpy (le restaurant rapide à la Fram'cheese, la franchise Borel) fit beaucoup de petits, d'émules... Mais l'air du temps, Nina, fit que le vent tourna.
Je ne sais plus quel indépendant concoctant des pan-bagnats à la viande de bœuf  (des hamburgers si vous préférez) avait eu la brillante idée de se doter d'une enseigne en français assortie de la mention « maison fondée au siècle dernier ». Ce devait être vers 2001, je ne sais plus où... Côté rue Oberkampf (lieu de raouts noctambules à présent déclassé par le quartier de la porte Saint-Denis, Tenth Side District ou borrough, dont l'attrait s'étiolera sans doute bientôt). 
Il me semble que la première fois que j'ai été surpris par ce mot unique au panneau d'un restaurant, c'était non loin, rue des Petites-Écuries, chez Pierre Jancou. J'avais chopé en ligne une invective du dit Jancou à l'endroit de je ne sais plus quel redchef ou directeur d'un magazine qui comptait se faire inviter gratos par l’amphitryon alors en très grande vogue. Dare-dare, je file voir Jancou recueillir ses plus amples protestations. Et je titre : « Écornifleur et bienvenu chez Pierre Jancou » (sur Come4News). Ah oui, l'écornifleur (outre moi-même qui fut rincé gratis, merci M'sieur Jancou), ce fut l'éconduit Jean-Paul Lubot, de Marie-Claire. Vivant, c'était donc 2012. Précurseur (du mot unique) ? Je ne sais... Dans le coin, sûrement.
Le choix de Jancou découla-t-il déjà d'un monstre graphique ?
J'explique. D'un pré-projet visuel.
Le confrère de Slate rapporte judicieusement les propos de Romain Tellier, cofondateur de Gramme (cantine du Marais) : « Avoir un seul mot est aussi plus facile à travailler pour un logo et plus généralement pour la communication visuelle que de s'appeler, par exemple, Le Café de la gare. ». Ne dites plus S.N.C.F, mais dites OUIgo. 
Cela se discute...
Prout, plus Prout-Prout 
Dans mes souvenirs, un fameux canular. Des typographes (ici, créateurs de caractères) prônant l'ultime, indépassable police de signalétique. Conçue à partir d'une batterie de tests à différentes distances et vitesses, auprès de mal-voyants et autres bigleux. C'était je crois, à l'ATypI-Roma et nous eussions cru que tous les chemins menant à Rome ou Pétaouchnok-sur-Gange allaient être balisés de panneaux et pancartes ayant recours à ce lettrage. Un peu comme si la toute-toute meilleure police d'apprentissage de l'écriture ou pour dyslexiques allait supplanter toute concurrente.
Ah-ha, il ne faut pas s'arrêter là... « A » et non plus « À A », B et non plus Le B, C au lieu de Chez C (arrêtez-moi tout de suite, voire immédiatement). Mettons que j'ouvre un (ou une ?) boulom (« boulange-ouskon-mange »), la Sarl À l'Émoticon blanc. O suffirait, non ? Une lettre de très belle eau, ne pouvant être confondue avec un zéro. Z pour Au Signe de Zorro (sans doute à conditions de verser des droits à la Johnston McCulley Foundation).
Ce qui est sûr, c'est qu'avant que le bouiboui pas chérot du coin de la rue adopte la fameuse tendance et ne fasse pas grimper ses prix du jambon-beurre ou du menu entrée-plat du jour-dessert ou fromage à moins-plus dix euros, dès que j'apercevrai une telle enseigne, je passerai mon chemin. Pas envie d'une addition salée pour un trois-fois rein péteux à croquer en compagnie de prout-prout-ma-chère déguisés en geeks ou modeuses.  
Aux Dames de France (ex-grand magasin de fringues et autres) a disparu, Le Grand Bon Marché (devenu le très mal nommé mais toujours si « bien » fréquenté) a subsisté. Quelques autres homonymes aussi.
Quant à la suppression similaire la plus répandue, à mon humble avis, elle remonte à l'utilmus sæculum. De Spar, abréviation, (ou acronyme ? J'hésite) de Door Eendrachtig Samenwerken Profiteren Allen Reglmatig, coopérative épicière mode rémoise, fut fondée en 1932 et devint Spar dès 1940. Avant d'être revendue et renommée Au Mini-Profit ? Et Elf Aux Bons Carbus pas chers ? Plus cela change...
Je ne sais plus quel grand créateur de caractères américain débuta dessinateur d'étiquettes de prix dans un supermarché... Il fut un temps où les peintres en lettres d'enseignes étaient rétribués au caractère réalisé, à la pige... Le lettreur, même littérateur lettriste inspiré, gagnait peu. Là, cela deviendrait plutôt l'inverse. Pour faire court, il faut un directeur artistique, un concepteur-rédacteur, un directeur de la typographie, et le plus souvent, un sous-traitant indépendant, lui payé au lance-pierre, pour interpréter les briefs et exécuter au final. Tout cela pour ça... Faut se presser l'agrume pour accoucher d'un Citron (l'enseigne de Simon Porte Jacquemus et Ramon Mac-Crohon au premier étage des Galeries Lafayette des Champs ; noms à rallonge, courte appellation, et prix coton pour une soupe au pistou).
Bientôt, Alpha (ou plutôt Alf), resto-concept ne servant qu'une déclinaison démultipliée de pâtes alphabet ? Avec mini-semi de lettres au Carambar pour dessert ? Gare à l'addition... Moins t'en as au-dessus du porche et dans l'assiette, plus tu casques.
Alors que... À Clichy-la-Garenne, un Au Chameau savoyard. Couscous ou fondue, boulaouane ou fendant, j'y vais. Mais Jygo, sans agneau, je fuis.
   

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