mercredi 20 mars 2019

Le cas hors de Roger Vailland : clos Troteligotte

Roger Vailland-Emmanuel Rybinski ? Aucun rapport

Voilà des semaines que je bassine visiteuses et visiteurs à propos de Roger Vailland. Moi aussi, je me lasse. Interlude : Juste après la pluie, Thomas Vinau…
Thomas Vinau, né en 1978, n’a pas connu Roger Vailland. Émilie et Emmanuel Rybinski, dit·e·s les Sorcièr·e·s de Cahors, non plus. Trop jeunes aussi. Ouf. Lit-on Vailland au Cap Blanc, à Villesèque ? Vailland et Gurdjieff (ah ben, non, c’est de Paul Gégauff qu’il s’agit) se poivraient-ils le nez au Cahors ? Aucune importance…
Belle découverte à La Curieuse Compagnie, cave à boire et manger (un bar à vins-mâchon parisien de la rue de l’Échiquier, dans le Sentier turc ou La Petite Turquie parisienne). Le K-Or. Un fluide non glacial (mais qui m’évoque les diminutifs de Fluide Glacial, le mensuel). Comme tout ce que sélectionne le taulier, ex-sommelier, cela glisse. C’est un surfeur au palais céleste, ce mec.
Et puis, au dos du col, cette étiquette. Avec ce qui suit :
Pour y voir plus clair, je ferme les yeux
pour me relever je me couche
pour arriver plus vite je ralentis
pour échanger je donne
pour parler je me tais
pour apprendre je pratique
pour avancer je m’arrête
pour construire je détruis
pour savoir j’oublie
pour tenir je relâche.
C’est de Thomas Vinau. Aux éditions Alma (donc extrait soit de Juste après la pluie, soit de Bric à brac hopperien). Thomas Vinau a aussi publié aux éditions La Boucherie littéraire, qui m’en rappellent une autre, du côté de Pleurs, humaine… Aussi au Castor Astral (mais son L’Âne de Richard Brautigan le fut Au Soir et Matin ; je connaissais ceux de Stevenson et d’Éric Poindron, tiens, en voici un troisième…). Brautigan, Peter Fonda, Jane Fonda et Élizabeth Vailland… Vailland, sors de mon corps ! Jésus revient parmi les tiens, réincarne-moi en baudet…
Vailland l’infréquentable (Jehan Van Langhenhoven), Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Lawrence Ferlinghetti… Associations d’idées brumeuses. Kessel, Cendrars, Vailland, de Monfreid, supplantés par la Beat Generation : je prends aussi, sur le pouce, le chemin de l’Orient, trop secoué par la route pour devenir yabi-yum. C’est ainsi que je rentre des lointains pour me raccrocher au journalisme, pour croûter, certes, mais contrairement à un autre, j’y crois…
Où errais-je, à quel sous-sol ? Ah oui, Vinau « slow fooder ». D’un côté, cet autre consistant à parer des pinards d’une aura poétique me fait sourire, narquois. De l’autre, un Pierre Perret, un Ricet Barrier, un Gérard Blanchard, sobres, je n’imagine même pas. William Sheller, à la rigueur.
Déjà, au Horseman’s (Ali), au Quid (Rony, du Rexy), devenus La Curieuse Compagnie, pas mal d’écrivains (ou poètes) que j’ai pu connaître sans deviner ce qu’ils deviendraient, ont copieusement éclusé. Ne rien exagérer, relire les Croquis de mémoire de Jean Cau sur le mythifié Saint-Germain-des-Prés. Ne pas faire non plus du K-Or un cas d’or. D’argent peut-être. Bien bronzé. N’empêche, au lieu d’avoir du félin Geluck en façade, je préférerais des Vinau au dos des flacons. Les deux sont conciliables. Un chat devant, un chas poétique derrière. Un chai, un matou, une fenêtre. Meurtrière de rien. Urbi et orbi proclamant que l’une des deux espèces fut chantée par Omar Khayyâm. « Buveur d’eau ne fut jamais artiste ». Bien sûr, c’est faux. Mais alors qu’on retouche les photos de Gainsbourg et de Prévert afin d’estomper qu’ils fumaient, je vois dans cette étiquette un rappel salutaire. Un bon et joyeux compagnonnage.

Suède – 1940 – Roger Vailland ; Hedin le suprématiste

Quand Roger Vailland faisait la pub de Sven Hedin

Évidemment, non : Vailland ne faisait pas la réclame de Sven Hedin, « zélateur enthousiaste de Hitler ». Mais comme aurait pu pointer Godwin, d’un index accusateur, ce retour sur la Suède fascisante de 1940 évoque à présent l’actuelle Scandinavie(le Svenskarnas parti, le Svenska motståndsrörelsen suédois, Breivik, le FpU – Parti du progrès – en Norvège).
La Scandinavie, foyer d’un renouveau fasciste ? Car de longue tradition… En témoigne Sven Hedin. Que Roger Vailland décrirait complaisamment sous pseudonyme d’Étienne Merpin. Complaisamment ? Pas si sûr. CQFD. Ce que je m’efforce maladroitement de démontrer. J’imagine un Roger Vailland entre deux eaux, ce que rien ne permet d’affirmer, si ce n’est des remarques ultérieures, quand Vailland rejoint Lyon. Le futur Résistant, le futur communiste, séduit antérieurement par le fascisme, ou plutôt certains de ses aspects ? Dissipons l’hypothèse. Oui, Vailland, lecteur de Gobineau (il préfacera une réédition des Pléiades en 1960), en reste quelque peu marqué, et cela fut remarqué lorsqu’il publie La Réunion en décembre 1964. Lire ainsi « Svein Hedin, explorateur suédois » serait outrancier. Certes, sa prise de distance n’est pas très fortement marquée. Plutôt allusive, paraissant désinvolte, discrètement ironique, si ce n’est sarcastique. Ce que relèvera Tamara Balachova, classée parmi « les érudits de l’Institut de littérature mondiale (…) avec une ironie qui lui est propre » (revue Europe, nº 712, août 1988). Suède 1940 paraît peu avant la bataille de Narvik (avril-juin 1940). La Suède n’a pas déjà autorisé les troupes et l’artillerie allemandes à transiter par son territoire (les chemins de fer suédois les acheminent vers la Norvège), facilitant la reprise de Narvik début juin. Elle a certes commencé à exporter massivement du minerai et des pièces industrielles vers l’Allemagne, mais elle restera neutre. Vailland veut et peut donc croire que l’influence intellectuelle française et britannique l’emportera sur l’allemande.
À la retranscription du texte de Vailland sur Hedin, j’ai ajouté celle de la chronique de Noël Sabord, critique littéraire très en vue à l’époque : « Parfois, seulement, un trait d’ironie pointe et pique au bon endroit. ». Remarque qui peut s’appliquer à nombre d’écrits, journalistiques ou romanesques, ultérieurs.
Mais, comme le remarquera Jean-Pierre Tusseau dans son Roger Vailland : un écrivain au service du peuple, « la guerre et l’armistice semblent laisser Vailland indifférent jusqu’à la désintoxication de 1942 qui prélude à son en engagement dans la Résistance. ». Alcools et stupéfiants influent aussi sans doute, la perception des enjeux et événements est brouillée. Y compris lorsqu’il traite de la Suède. Et peut-être, pour d’autres raisons, pour les Suédois d’alors de même… Carl-Henning Wijkmark, traducteur suédois de Vailland, avec Le Mur noir (éds Cénomane), en rend compte. Son héros, Léon, se dissimule. Ce que fit peut-être Vailland, affichant un détachement de façade, cultivant l’ambiguïté, ou accordant encore moins d’importance à ce qu’il peut dire qu’à ce qu’il peut écrire.
Et puis, il y a l’envers du décor… En 1937, Sven Hedin ne publia pas la version allemande de son livre L’Allemagne et la paix car la censure nazie voulait qu’il se censure, en particulier à propos des révocations d’universitaires juifs. Les nazis le font en quelque sorte chanter en s’en prenant, en 1938, à son ami israélite Alfred Philippson, fils de rabbin, universitaire, interdit d’enseignement en 1933. S’il y avait un reproche à faire à Vailland, ce serait peut-être d’avoir peu nuancé son portrait d’Hedin. Oui, mais, ce dernier, auquel Vailland n’a semble-t-il pas sollicité un entretien (il travaille sur archives), faisait-il état publiquement, en 1939-1940, de ses démarches passées et présentes en faveur de tel ou tel auprès des nazis ? Autant reprocher à Vailland de n’avoir pas signalé que Volkswagen baptisa l’un de ses fourgons LT « Sven Hedin » (un camping-car) en… 1976.
Ce n’est pas entre les lignes qu’on lit que Vailland campe Hedin en Tartarin, en fier aventurier devenu rodomont ; c’est patent. Lorsque Sven Anders von Hedin (il fut l’ultime anobli de la couronne suédoise) meurt, en 1952, la postérité retient ses livres d’explorateur, guère son Peuple en armes (Ein Volk in Waffen) de 1915, ses multiples prises de position germanophiles (que la Britannica mentionne au passage, sans s’y attarder), et il ne vaut sans doute plus qu’une notule nécrologique dans la presse française (sauf erreur : je n’ai pas cherché à vérifier). Le Larousse ne retient que ses expéditions en Asie. Ses liens avec la Deutsches Ahnenerbe Verein, dès 1935, sont certes documentés dans le livre de Peter Levanda (L’Alliance infernale/Unholy Alliance) sur l’occultisme nazi — l’Anhnenerbe sera rapidement incorporée à la SS. Elle réunit, entre autres, Richard Walther Darré, le théoricien du Blut un Boden (le sang et le sol), et Himmler, chantres « de la race nordique ». Un Darré qui, en 1940, promet aux Anglais l’esclavage, l’extermination « des vieux et des faibles », et l’insémination par des mâles allemands sélectionnés « des jeunes femmes de type nordique ». Les enfants non conformes issus de ces unions forcées seront stérilisés.
En 1940, Hedin a en Suède le statut d’une gloire du (dé)passé, on lui prête peu d’attention. Tandis qu’en Allemagne il reste vénéré. Il est convié à prendre la parole lors des JO de Berlin. Ce qui peut flatter sa vanité. 
Par la suite, il sera en quelque sorte réhabilité, son biographe, Eric Wennerholm, arguant qu’il ne savait rien du sort réservé aux Juifs en Allemagne. Rutger Essén, Anthony Brandt, reprendront l’antienne à leur propre compte et il faudra attendre 2016 pour que Sarah K. Danielsson (The Explorer’s Roadmap to National-Socialism : Sven Hedin, Geography and the Path to Genocide, Rootledge ed.) établisse qu’Hedin n’ignorait rien, ce que Julien Benda (La Trahison des clercs, réédition revue et augmentée de 1946) avait su déceler. Julien Benda s’exprimait déjà sur Hedin (qui stoppe la mise en vente de son livre L’Invincible Allemagne) dans Le Figaro (« Petites misères des gens de lettres », 28 décembre 1918).
Ce qui peut surprendre (mais la pagination étant limitée, cela s’explique), c’est que l’ex-Phrère de Daumal et Gilbert-Lecomte n’ait pas fait allusion aux relations d’Heden avec Friedrich Hielscher, fondateur d’un culte panthéiste (distinct de celui prôné par la SA ; Hielscher se détacha du nazisme, est arrêté par la Gestapo en septembre 1944). Selon Pierre Lunel (Les Magiciens fous d’Hitler, Edi8 éd, 2015), Hitler « dévore » Hedin en 1925 : « La passion d’Orient est alors à son comble, dopée par une littérature ésotérique enfiévrée de mystères indiens ». Mais les portraits de Suède 1940 sont des formats courts, et il n’est pas sûr que la documentation en possession de Vailland ait pu le porter à s’interroger sur cet aspect de son personnage. Et puis, Le Grand Jeu est déjà loin derrière lui, et il n’est pas certain qu’Hedin ait adhéré à la « bible » d’Hielscher (ses douze messagères et messagers divins se nomment Wode, Frigga, Freya, Loki, Sigyn, &c.). Hedin n’ignorait sans doute rien de l’antisémitisme de la Thule Gesellschaft dont il s’accommodait depuis les années 1920. Si Vailland ne le souligne pas (pas plus qu’il ne commente le profil d’Hedin, dont le nez doit lui en rappeler d’autres), c’est que la cause est entendue implicitement. Si l’opinion ne sait trop encore ce qui se trame dans les camps de concentration, elle sait pertinemment ce qu’il en est de l’antisémitisme hitlérien depuis 1933. 
Cela n'entraîne nullement que Vailland néglige cet aspect du nazisme.

dimanche 17 mars 2019

Roger Vailland, laïcard intransigeant ?


Roger Vailland, libertin, libre-penseur militant


Que Roger Vailland se soit affirmé libertin et libre penseur ne fait pas le moindre doute. Sa défense et illustration de la laïcité correspond aussi à la position du Parti communiste sur l’église catholique. Mais il fut sans doute aussi assez penseur libre pour ne systématiquement « bouffer du curé ».
Libre penseur, Vailland, assurément… Ses prises de position ne laissent aucune place au doute. Toutefois, dans ses romans, nul Ludovic comme dans La Ceinture du ciel, de Roger Ikor (ce Ludovic nomme L’Athée son bateau de plaisance… mais cependant il ne rompt pas avec le père Jean, abbé fort tolérant à l’égard des mécréants). Et si Philippe Roth pu dire à Rita Braver, de CBS, « je trouve les religieux immondes », Vailland s’abstint, semble-t-il, de tous les mettre dans le même sac lesté de parpaings.
En revanche, même si je n’ai pas demandé à la Libre-Pensée s’il en fut ou non adhérent, son appartenance à des mouvements laïcards n’est pas si évidente, ni revendiquée. Mais j’ai pu mal chercher. Certes, André Thérive, dans La Revue des Deux Mondes (novembre 1964), remarque « En somme, le romancier de La Truite est une réincarnation de Mirbeau (…) le dessein satirique de M. Roger Vaillant (sic) entraîne bien plus de grossièretés et d’obscénités qu’on n’en voyait dans Le Journal d’une femme de chambre ou dans Sébastien Roch. ». Mais dans ce même roman, David Nott (« La Truite ou la symphonie des aveux»), relève que dans une note, Vailland avait songé à convertir son personnage, Rambert. Mais ce Rambert n’est pas l’auteur…
         Le seul élément qui m’a fait me questionner est rapporté par Jacques Chessex dans L’Éternel sentit une odeur agréable (voir, sur le sujet, « Roger Vailland personnage de roman », de Jean Sénégas). L’épisode est connu : Vailland consent à ce qu’une « équipe paroissiale » interprète sa pièce, Héloïse et Abélard. Ce, semble-t-il, avec l’assentiment aussi d’un évêque qu’il aurait fréquenté aux temps de la Résistance. C’est fort peu.
         Cette fort légère interrogation m’a au moins porté à retrouver quelques textes auxquels je ne pouvais que m’attendre, et à en trouver d’autres, inattendus, comme cet entretien entre Christian Cottet-Emard et Jean Tardieu, à Meillonnas, chez Michel Cornaton (Le Croquant, nº 57-58, juin 2008). Étaient présents aussi Fabienne et Michel Cornation, Renée et Paul Gravillon, Sylvette Germain et la chatte Crapouille. C’était en 1991. Michel Cornaton « habitait la maison où vécut Roger Vailland ». Aussi ce passage de La Crosse en l’air de Jacques Prévert (« pas libre penseur, athée, il y a une nuance », dit Le Veilleur). Nuance non dirimante, à mon humble avis. Et quelques à-côtés (il semble que Robert Guédiguian et Frank Le Wita présentèrent un scénario adapté « d’un récit de Roger Vailland », qui fut refusé et n’obtint pas l’avance sur recettes). Baguenauder « avec » Vailland (comme Toulouse-la-Rose en finit « avec » Debord – Pour en finir avec Guy Debord livre épuisé – et non contre), réserve toujours de multiples surprises. Parfois, on emprunte de nouveau les mêmes sentes, cheminant diversement, cette fois plus attentif à un détail qui vous avait auparavant échappé. Et cela incite à faire des pas de côté (vers celui du chansonnier belge Léo Campion et de l’écrivain Marcel Sel dont je ne sais si l’indice de Jaccard détermine s’ils ont la moindre chose en commun avec Roger Vailland, mais peu importe : Marcel Sel, qui fut aussi Marcel Quaybir… Merpin/Vailland apprécierait sans doute : un tel écrivain ne peut être totalement mauvais).
         On croise des inconnus (de soi-même, pas forcément anonymes pour toutes et tous), comme José Pierre, qui qualifie Le Surréalisme contre la Révolution de « fielleuse brochure ». D’une hauteur, on embrasse d’un même regard, au loin, la place Roger-Vailland d’Aulnay-sous-Bois et la rue de la Libre-Pensée de Romainville (bon, là, légère exagération…).
         La moisson d’indices ne recèle le plus souvent aucune pépite. Toutefois, cela peut survenir. Ainsi de ce texte de Gilbert Mury, spécialiste des questions religieuses au PCF, subtil « casuiste » marxiste (l’oxymore n’est pas si fort ; là, c’est pour le plaisir de l’allitération), revisitant autrement qu’Alain (Georges) Leduc la querelle entre Vailland et Martin-Chauffier. Cela peut suffire à se féliciter de la randonnée… Et console de n’avoir, passant par le site de la Fédération nationale de la Libre-Pensée, sous la mention « Résultats pour la recherche “Vailland” » que ce piteux résultat « Aucun résultat trouvé ! ».

samedi 16 mars 2019

La grande dame anglaise vue par Roger Vailland


Un papier de « Georges Omer » pas si anodin

Au départ, je glisse dessus… Allez, encore un « article de genre » (à présent, à divers sens du terme, mais padamalgam, éviter l’anachronisme) de Vailland. Court… Furtif, même. Pas tout à fait anodin, mais… Et puis, la curiosité… Et si cette « grande dame anglaise » fut Nancy Cunard ?
Deux quasi-stéréotypes d’époque imbriqués  : le rastaquouère, et la riche anglaise.
Aussi elle-même interlope (équivoque, voire de nationalités et cultures entrecroisées, cosmopolite au sens que le communisme pudibond stigmatisait, si j’étends un sens dérivé au-delà des trois-quatre de divers dictionnaires) que son, ses amants. Et puis, François Buot risque l’hypothèse que celle qu’esquisse Vailland serait Nancy Cunard. Une éditrice qui me fait songer, en un autre domaine, au mouvement Arts & Crafts (chacun ses dadas) ; me remémore la librairie Shakespeare & Company (celle de Whitman où mon pote, le révérend Billy Hults, washbord player extraordinaire, obtenait le gîte à Paris – Cannon Beach ; The Upper Left Edge ; et la congrégation du Buddha réincarné en last cowboy, &c. – bon, plus fiscaliste que théiste, Billy, mais c’est une autre histoire…), &c. Du coup, et « en même temps », je relis Vailland/Omer, et me dis, comme Daniel Schneidermann, mais en total décalé, non pas « j’aurais pu l’écrire aussi », mais qu’est-ce que j’aurais aimé aussi bien la, les décrire.
         C’est qu’après le journalisme débridé, il a bien fallu me convertir au coincé. Là, je reviens de la soutenance de thèse d’Annette Gardet sur la Comédie de Reims. Et tout à trac, Denis Guénoun nous raconte que, de mémoire (la mienne), Touchard ou un ponte du ministère le nomme à Reims parce qu’il l’estimait plus « ficelle » (singulier, pluriel ? Tiens, j’aurais dû lui faire préciser comment il l’avait entendu) que son plus renommé concurrent d’alors. Belle expression, qui s’applique à merveille à Vailland journaliste. Qui sait en rallonger certaines, en raccourcir d’autres, jongle, fait sauter son diabolo, avec une économie de gestes (ici, mots, phrases, signes, lignes…), conciliant ce qu’attend Lazareff et le lectorat, et ce qu’il a envie de transmettre.
         Vailland et Nancy se poivraient tant le gosier que le nez (ou les veines) à cette époque. La grande dame anglaise, c’est elle, mais aussi tant d’autres. Ils fréquentaient nombre de lieux où ils se croisent, côtoient. Peut-être pas au Rendez-vous des mariniers (j’ai traqué Vailland quai d’Anjou, en vain, mais qui sait…) ; la différence d’âge ne le retient pas mais… Elle préfère de plus durs, plus tatoués. Non, je m’égare, j’extrapole. Aucune idée s’il prit un râteau. Ou non.
         Qu’importe. Mais c’est beaucoup plus drôle de l’imaginer soit snobé, soit réalisant que s’il s’accrochait, il allait mentalement dérouiller, et se préservant. Bien sûr, pas davantage que Régine Deforges mélangeant les années, les personnages, étirant ou rétrécissant l’espace-temps, il ne faut laisser brider l’imaginaire par la chronologie, la géographie, mais n’embrayez pas là-dessus…
         Fausse piste, a priori. Mais toutes les impasses et culs-de-sac doivent être suivis jusqu’aux murs, quitte à réaliser qu’aucune balise, aucune fiente ou tracée, ne vous met sur la voie de la vraie. Et ce fut farce de s’égarer sans pouvoir traquer efficacement « la grande dame anglaise », en beagle heureux de baguenauder. D’où le retour au plausible : portrait composite. Comme fut sans doute quadruple la vulve d’Irène (Aragon). Tiens, cela m’entraîne vers les mises en jambes d’Éric Poindron (pour ateliers d’écriture), Denis Guénoun et Mai, Juin, Juillet (euh, non, gourance, ce doit être Le Banquet de Platon, et ce n’est pas la faute à Voltaire, ni à Rousseau, mais à Henriot, Nicolas-Simon, de la maison de C/c-hampagne, non Georges ou Philippe, autres Rémois – dont les cols furent sablés ; celui de Philippe « sulfaté ») et La Foire aux cochons (album BD de Ptiluc).
         Et une quarantaine de lignes de Vailland/Omer vous vaut cette logorrhée ? Eh bien, chapeau l’artiste. Imagines-tu, jeune, mûr, chevronné plumitif, que ce qui n’est guère davantage qu’un billet de toi te vaille cette postérité ? Va voir ce fichier PDF, « Roger Vailland et la colonie “britannique” de Paris », et imagines, poursuis…

dimanche 10 mars 2019

Paris secret, monde interdit…

À la recherche du Mondo prohibito (film de Fabrizio Gabella)

Un peu de détente… Toujours sur les traces de Roger Vailland (et pseudonymes consorts), je retrouve qu’il fut l’inspirateur du film de Fabrizio Gabella, Questo mondo proibito (1963, sorti sous le titre Ce monde interdit en juin 1964). Un docu-fiction dirait-on aujourd’ hui, dont le prototype français reste le film Paris secret…
Paris Secret, vagues souvenirs… Des filles nues, des adorateurs du nombril réunis en cercle, des trav’ (Chez Michou ?), du vaudou… Je ne sais trop si ce film d’Édouard Logereau fut ou non interdit aux moins de… mais je sais que je parvins à m’introduire dans la salle. Circa… l’été 1965. J’avais donc dans les 14 ans. Est-ce grâce au « Grand Ségalou », mon pote d’alors, perdu de vue de longue date, avec lequel j’interprétais Toto, le personnage de Fernand Raynaud (« Ouin, c’est l’morceau que j’voulais »), sur la scène de la salle du patronage Saint-Paul, à Angers, que j’ai pu voir ce film. Proche du « Chez Laurette » de Delpech, et de la caserne des pompiers, cette salle. « Chez Laurette », j’y jouais au billard électrique, pas encore électronique, pour 20 ronds la partie (avec cinq boules alors). J’ai oublié l’enseigne réelle, qui a dû changer depuis…
         Magique, faire le gus en Toto. Dans les « loges » de la salle Saint-Laud, l’une des Collégiennes de la chanson, en soutien-gorge ! Était-ce Marie-Annick Rétif ? Aucune idée. C’était avant le « Il fait trop beau pour travailler », des Parisiennes, du temps de Juanito et de Marie Laforêt et ses « yeux d’or ». Mais pas loin…
         Ah oui, le père du « Grand Ségalou » gérait deux salles de cinématographie : Le Beaurepaire, et peut-être Le Français, rue de la gare (oui, ce devait être Le Français). Donc, les jeudis aprèms, on allait gratis au cinoche… Voir Maciste et les Trois Mousquetaires, ou des trucs du même style.
         Souvenir très, très précis sur Paris Secret. Printemps 1969, baraquement préfab’ de la fac de Droit nantaise. Assis au fond, près d’une jeune mère de famille et de la fenêtre. On cause Piaget (je m’étais aussi inscrit en socio…) en loucedé. Le chargé de travaux dirigés (costume noir, cravate idem, chemise blanche, comme tous mes péteux de condisciples ou presque) nous parle des de France (le patronyme est-il partie intégrante de la personnalité juridique ?), et de… Paris secret. Car l’une des jeunes actrices, 17 ans, donc mineure, se fit, paraît-il, prélever son tatouage sur « les lombes », une petite tour Eiffel, qui fut vendu aux enchères lors du raout de lancement du film. J’éclate de rire. Tout le monde se retourne ; le chargé de TD est le seul à sourire. Cela décida de la fin de mes études de droit (plus tard, devenu chroniqueur judiciaire, j’eus de furtifs regrets).
         Le synopsis de Paris secret se trouve sur le site d’Unifrance. Allez voir… Pissotant… 25 épisodes hilarants. Aucun souvenir de « M. Rousseau fabrique un sous-marin pour boire son pastis sous la Seine ». Cela ne m’évoque plus que l’insubmersible de Merklen, « Lucifugus », dans une courette intérieure de sa Boucherie humaine, de Pleurs (et Chauvier enflammant ses pets au briquet, et Chouf, Frédéric Chef, impavide).
         Je n’imagine même pas comment Roger Vailland put inspirer ce Questo Mundo proibito, dont les principales séquences s’énoncent ainsi :
         • Pubblicita, oppio dei popoli ;
         • Le Bal negre ;
         • Il segno del rettile (le songe du reptile) ;
         • La galerie sadiste ;
         • Il ghetto del terzo sesso ;
         • L’industria dell’erostismo ;
         • La psicologia dell’erotismo ;
         • Anatomia del sex-appeal ;
         • A twist for a virgin ;
         • I sogni e la spicanalis ;
         • La vita moderna.
Et “vietato al minori di 18 anni”, s’il vous plait…
         Au générique, Monique Watteau (Monique Dubois), qui fut la compagne de Yul Brynner de 1961 à 1967. Yul Brynner, Eddie Constantine, Paul Meurice (Le Monocle…). Regina Saiffert. Films Marceau-Cocinor. Au scénario, Christiane Rochefort. Des scènes tournées pour être montrées sur un écran de Scopitone ou de Cinebox (jukebox diffusant aussi des séquences filmées en 16 mm). Quelle épique époque !
         J’admets qu’il y a mieux à revoir. Par exemple, les films exceptionnels de l’ami disparu Claude Faraldo : Bof… Anatomie d’un livreur (« Je vis à tes crochets, j’ai tué ta mère, j’ai couché avec ta femme… Ne m’appelle plus papa, appelle-moi Paulo ») ; Themroc, avec Piccoli en nouvel homme des cavernes se dégustant une « hirondelle » (un flic à ciré et capuche) ; avec les cartouches comme « Secrétaire hautaine et galbée ». Pur bonheur ! Mais si vous retrouvez où voir Paris secret ou Ce monde interdit, faites-moi signe. Je suis preneur.

samedi 9 mars 2019

Quand Roger Vailland se réfugiait dans les salles obscures


Vailland : jeune homme des cinémas « permanents » du Sébasto

Allez, j’extrapole… Je vois dans Georges Omar ce jeune homme, Roger Vailland, en proie à des angoisses (dues aussi aux stupéfiants) se réfugiant dans les cinémas permanents des boulevards Sébastopol et Saint-Martin…
C’est mon quartier… J’allais parfois à L’Albatros de Jean-Pierre Mocky dont je connaissais le projectionniste (L’Albatros, c’est Le Brady, boulevard de Strasbourg). Roger Vailland fréquentait d’autres salles et en restituait les ambiances pour Cinémonde. J’ai donc réuni trois de ses articles cinématographiques dans un document PDF... Assortis sans doute de commentaires ahurissants, purement hypothétiques. Pas seulement, car ils sont en partie documentés, remémorant les cinoches de quartiers qui ont trop bien ou trop mal changé, c’est selon… les avis qui se succédèrent, se succèdent et se succéderont.
Se rappeler la littérature d’hier ou d’avant-hier (Michel Picard l’a exprimé bien mieux que moi), c’est ce reprojeter dans son passé, et jusqu’à un certain âge, préfigurer son avenir. Ce que fit Vailland, en lisant, mais aussi en allant voir des films. Je laisse à d’autres, véritables spécialistes (serait-ce un appel du pied à Guy Scarpetta ? Je ne l’imagine pas enseignant à Reims et ne se penchant pas un peu sur les scénarios de Vailland…), le soin de disserter des rapports de Vailland avec le cinéma. Ce fut fait, cela se refera.
J’essaye de le voir tant par le petit que par le gros bout de la lorgnette… Déformant. With a narrow view ; no mas allà de mi narices ; mit tunnelvisie hebbenBah. Il fut, reste, sera bien écrit d’autres inepties sur Roger Vailland. Il ne m’objectera aucun droit de réponse, et tout autre est nul et non avenu (quoique… il se peut qu’il y en soit de recevables, que je ne tairai pas).
1929, pas encore né. 1964, l’ami Ségalou (le grand Ségalou) avait pour père l’exploitant de deux salles angevines. L’une près de la gare, l’autre dans la Doutre. Aussi, le jeudi, avec l’ami Chabasse et d’autres, on voyait des westerns, des Maciste, gratos. Émois. Je ne sais si un Vailland trentenaire ressentait quelque chose de similaire devant un grand écran. Pour nous, encore mioches, le cinoche, le parlant, c’était de consommation courante. Pour Vailland en 1929, itou. Mais pas vraiment le même. Pourtant… Peut-être se retrouvait-il dans cet enfant du premier rang qui « n’avait pas même pensé à ôter son capuchon ».
Connaissez-vous l’histoire de ce Mexicain au large sombrero et aux longs pistoleros qui prend place au premier rang ? Toute la salle, d’abord inquiète, puis s’enhardissant, réclame, dès les premières images du film, qu’il se décoiffe. « Señor, por favor, el sombrero ! ». Et alors, il se lève, se retourne, et profère : « À la demande générale, je vais vous chanter El Sombrero ! ». C’est un peu comme la blague du type qui demande un whisky dans un speakeasy et voit un chimp se rincer les testicules dans son verre. La chute : le pianiste lui dit « fredonne-la, cela va me revenir ». Cryptique, n’est-il point ? Cela me vaut un flop à chaque fois. Eh bien, mes divagations sur Vailland m’en vaudront un autre. Mais j’me comprends. Et peut-être qu’on s’comprend, lui et moi. Et puis, quel mal y aurait-il à c’que j’me l’imagine ?

vendredi 8 mars 2019

Étienne Merpin/Roger Vailland : souvenirs d’Abyssinie

Roger Vailland snobé par le ras Hailou Tecla Haimanot

Cet Aïlou auquel Roger Vailland, signant Étienne Merpin dans Paris-Soir, rend visite en sa demeure de la capitale de l’Éthiopie est alors le leul (prince, titre supérieur à celui de ras) de la province de Godjam. En 1940, Aïlou est assigné à résidence et Vailland le considère hors-jeu ; la suite lui donna tort…
Robert François, Étienne Merpin, Georges Omer, autant de pseudonymes de Roger Vailland journaliste avant son passage à la littérature. Avec ce portrait du présumé « dernier des “rois nègres” », Vailland/Merpin ne fait pas dans le subtil. Il est possible que, pour préparer son reportage sur le couronnement du Négus, le jeune Vailland ait lu le comte Arthur de Gobineau (lequel évoqua Gondar, capitale du royaume éthiopien d’Amahara). Lorsqu’il dépeint Aïlou de mémoire, dix ans plus tard, il se peut qu’il ait lu les carnets africains de Michel Leiris (qui séjourna à Gondar). Il se souvient d’un roitelet richissime plus soucieux de l’éblouir que de lui livrer ses pensées sur ce qu’implique l’accession au pouvoir du Négus pour le pouvoir féodal qu’il détient.
         En 1940, Vailland ne pouvait prévoir que, selon les Italiens, Aïlou ambitionna l’année suivante de devenir Négus avec leur appui, avant de se retourner contre eux, ce qu’il finit par faire. Empochant à chaque retournement de copieuses prébendes… Il eut été possible, si cela avait été le cas, qu’il en aurait dressé un tout autre portrait. Mais il s’en tient à ce qu’il avait ressenti, sans trop s’interroger… Il est vrai qu’il a d’autres préoccupations puisque, parallèlement, sous le même nom de Merpin, Vailland/Robert François va publier son Suède 1940, une suite de portraits d’éminents Suédois qu’il traite avec fort peu de désinvolture. Il peut sembler que, de 23 à 33 ans, le regard que Vailland porte sur l'Afrique n'ait guère évolué. La guerre, d'autres voyages lointains, modifieront ses perspectives sur les pays de l'ex-monde colonisé ou se dégageant de l'emprise des puissances occidentales. Il n'en est pas encore là, comme en témoigne cette esquisse simplificatrice d'un grand seigneur féodal africain...
P.-S. – Sur cette photo du couronnement du Négus, il se pourrait que le dignitaire l'accompagnant eut été Aïlou/Hailou Tecla Haimanot (ou Tekle Aymanot). Il correspond à l'homme que décrit sommairement Roger Vailland (un « Hercule »).

mercredi 6 mars 2019

Robert Vailland/Roger François ? Leni Stolt et son double…


Quand Vailland fait de Leni Stolt un singulier symbole

L’un des plus célèbres articles de Robert François (Roger Vailland) reste sans doute celui qu’il consacre à une jeune fille allemande, Leni Stolt. Fantasmée peut-être, mais si vivante, si représentative d’une époque…
J’ai rarement aussi raté une mise en page, celle de ce PDF retranscrivant l’article de Robert François/Roger Vailland sur Leni Stolt. Au moins me suis-je rattrapé aux branches, aux brindilles ou drageons, tendrons et scions, plutôt, et la transcription de l’article reste correcte… Leni Stolt ? La vraie ? Énigme… Helena Stolt, fille de… Mais de qui au juste ? Duelliste à Heidelberg (1931), suicidée ou exécutée par… son fiancé britannique ou la Gestato à Londres (1939). À quel âge exactement ? Jeune. 22 ans. Trop jeune. Morte au trop jeune âge… Celui des promesses d’avenir brisées.
      Je laisse aux historiennes et historiens le soin de faire le départage du réel et de la fiction. Elle n’a pas laissé de journal, Leni. Scotland Yard n’a pas retrouvé la moindre lettre d’adieux. Sans doute maintes, maintes confidences éparses, véridiques ou fantasmées, que celles et ceux les ayant recueillies, trépassés, n’ont pas consignées mais qui ont contribué à son éphémère légende.
   Je vous laisse aussi comparer la version Robert François avec celle de Camille David, correspondant de Ce Soir, en poste à Londres... Pas d'évocation d'un duel à Heidelberg dans l'article de Camille David téléphoné le 16 janvier 1939. D'un paragraphe à l'autre, les circonstances de l'exécution du père de Leni, « député au Reichstag », emprisonné puis fusillé, ou brutalisé puis assassiné, varient. Pas d'amant nommé si ce n'est un bourgeois marié d'un quartier nord de Londres... Le passé de « Leny » semble avoir été reconstitué d'après les récits de ses amis du Pheasantry Club, un pub de King Street, dans Chelsea, quartier où elle loue une petite chambre. Si elle dispose d'un appareil photographique, c'est qu'elle a suivi des cours avant d'être embauchée par une agence ou « une maison londonienne » (peut-être un couturier) qui lui faire suivre une tournée en Europe. Elle disposait sans doute à l'époque du « passeport Nansen », celui des réfugiés et apatrides, et elle n'aurait sans doute pas été reconduite en Allemagne.
         Mais comment se détacher de Leni après avoir lu ce que Vailland en fit ?
Lisez « Vie et mort de Leni Stolt – Mademoiselle Scandale du IIIe Reich » et vous en deviendrez aussi persuadés…

dimanche 3 mars 2019

Des mots d’Octave Mirbeau en voie d’obsolescence


Lexicologie sauvage : Octave Mirbeau, vocables oubliés

Histoire de délaisser un peu Roger Vailland (se ménager des alternances, des respirations, n’est jamais vain), un texte sur le vocabulaire d’Octave Mirbeau…
Avant d’aborder les vocables de Roger Vailland possiblement en passe de ne plus être employés dans la conversation courante, je m’étais intéressé à ceux, répertoriés dans la dernière édition électronique du dictionnaire Le Grand Robert, risquant d’être expurgées des parutions suivantes.
         Certes, un Grand Robert, c’est du copieux, du lourd (sept-huit gros volumes pour mes éditions bleue et verte), mais en dictionnairique, il faut quand même faire du ménage. Et je ne sais ce qu’il adviendra, d’amphibologique à vileté (pour youpin, sans doute, d’aucunes et divers autres s’en délecteront encore trop longtemps…), de divers mots employés par Octave Mirbeau.
         J’en ai répertorié une bonne vingtaine figurant dans le corpus des citations que consigne ce dictionnaire. Glissant au passage un baby (non de ouiski, un nourrisson, que je n’imaginais pas si facilement passé dans la langue de l’avant-dernier siècle). Vous trouverez donc ce texte, « Mirbeau dans Le Grand Bob » en PDF. J’avais déjà fait état du texte de l’académicienne Dominique Bona s’inquiétant de la difficulté, pour de jeunes enfants, de lire encore la comtesse de Ségur. Et Mirbeau, Vailland, dans peut-être moins de deux décennies ? Lectures réservées aux étudiantes et étudiants en licence de Lettres ? En éditions abondamment annotées, multipliant les notes de bas de page ?
         Allez savoir, prévoir…
     J’ai aussi cru comprendre que la Société Octave Mirbeau connaissait quelques soubresauts internes. Je ne sais si c’est à elle que l’on doit que Marie Laranjeira (que je salue amicalement au passage), assurant la notoriété d’une conférence sur Claude Monet (au Négresco de Nice, en mars 2015) citait Mirbeau. Peut-être, peut-être pas… Mais Marie, alors de l’agence de communication Virgules, n’aurait sans doute pas choisi une citation de Mirbeau si son souvenir s’était estompé. En com’, années 2000, on s’assure qu’une référence n’est plus déjà devenue obscure. Et si le nom d’Octave Mirbeau dit encore « quelque chose » à beaucoup, c’est à la Société qu'on le doit. Ah oui, relire Mirbeau, c'est encore humer du Roquefort™. Puissant, Mirbeau, pugnace. Allez (re)voir, (re)lire.

Roger Vailland, reportages en Espagne


Roger Vailland en Espagne : mantilles, manzanilles & séguedilles

Avant d’arpenter les rues chaudes de Lisbonne (précédents articles ici), Roger Vailland avait fait de même à Madrid, et surtout Séville. Ce fut début novembre 1932. S’il n’évite pas divers poncifs, Vailland apporte un éclairage original, voire prémonitoire, sur la période de la Seconde République espagnole.
Chez Vailland, l’Espagnole est aussi… tartignolle. Quelque peu figée de réminiscences littéraires. Les yeux des Andalouses, les jambes nerveuses des Ibères, &c. S’intéressant bien plus aux mœurs qu’à l’actualité politique, qu’il laisse à l’arrière-plan, et sans doute à ses confrères envoyés spéciaux, comme lui, à la suite d’Édouard Herriot en visite officielle, il n’en restitue pas moins le climat.
         Les reportages à Madrid (ici la Castille) et Séville (l’Andalousie là) ont été retranscrits séparément. C’est assez logique… À Séville, Vailland a beaucoup plus les coudées franches, ses deux articles ne s’insèrent pas aux côtés de ceux des deux autres envoyés spéciaux de Paris-Soir. Cela étant, sans doute cornaqué, à Madrid, il a le flair de s’intéresser à la troupe ambulante de théâtre universitaire, La Barraca, qui joue en alternance un répertoire classique et d’avant-garde dans les bourgs éloignés de la capitale.
         Si l’idéal d’un théâtre populaire ambulant fut longuement évoqué par Catulle Mendès en 1905, concrétisé par Firmin Gémier avec le Théâtre national ambulant (1911), prédécesseur du TNP puis des Tréteaux de France, La Barraca, de par sa programmation et ses modes de fonctionnement, évoque très fort, en 1932, ce que seront les troupes nationales de la décentralisation théâtrale française d’après la Libération. Gaffe à l’anachronisme : créée en novembre 1931, soutenue par le ministère de la Culture et de l’Information publique, la troupe se disperse en 1936, et reconstituée en 1937, ses activités restent épisodiques au cours de la Guerre civile. André Malraux n’a sans doute pas croisé ses camions…
         Comme à son habitude, Vailland s’intéresse aux étudiantes, exclusivement ou presque. Le garçon qu’il mentionne brièvement aurait pu pourtant être Federico Garcia Lorca. Mais il est vrai que son renom en France, au début des années 1930, reste faible, et que ses Noces de sang ne seront créées qu’en 1933. Mais le texte parut en 1931 et il n’est pas impossible que sa Novia (la fiancée) ait pu inspirer à Vailland sa conception de la mentalité des jeunes Andalouses.
         Si Vailland évoque ses contacts avec des « personnalités » (masculines), la seule qu’il met en valeur est la féministe Clara Campoamor, l’une de la demi-douzaine des députées de la Seconde République. Car, « bien que féministe, Mme Clara Campoamor est une femme », aux yeux verts, aux belles mains, aux lèvres minces, &c. C’est tout juste s’il ne s’attarde pas sur ses jambes.
         Un étonnement : à Madrid, si les trois envoyés spéciaux se répartissent vaguement les rôles et les angles abordés, J.-J. Tharaud (les frères Tharaud), Élie Richard et Vailland se rendent séparément à l’Ateneo, le club intellectuel madrilène. C'est là que Vailland se fait présenter Pepita, la jeune communiste…
         Si Vailland s’intéresse surtout aux (jeunes) femmes, et ne rechigne pas à glisser des clichés, ses confrères ne restent guère en retrait. Élie Richard qualifie une fille de général de « pure Castillane », dépeint ainsi une jeune fille : « jambes nues, d’un bronze embué, velouté (…) Elle est belle, bien vêtue, 15 ans, femme. ».
         Encore une fois, un article de presse ne peut être estimé per se, sans tenter de prendre en compte ses conditions de production, son contexte (y compris spatial, dans la mise en pages), la ligne éditoriale du titre (Lazareff veut qu’on s’intéresse autant aux réfrigérateurs des ménagères de New-York qu’aux questions diplomatiques), et un certain « mimétisme » d’époque (le style de Colette, chroniqueuse judiciaire, diffère peu de celui de Robert François – Vailland – en compte rendu de procès d’assises).
         Sur la page 3 de l’édition du 1er novembre, les trois reportages couvrent cinq colonnes sur sept, les deux de droite étant dévolues à des publicités. Dont pour deux stylos. Le Gold Starry « ininflammable » et le Kaolo (« avec la plume Kaolithe, plus douce que la plume en or [qui] permet 3 et 4 copies avec carbone »). La plume du Vailland d’alors ? Gold Starry ou Kaolo ? Son style est aussi celui d’une époque.
P.-S. – Ne pas se méprendre, le Cortès de Vailland est ultérieur... Mais peut-être que les reportages en Espagne et au Portugal (et à Lisbonne, la rencontre avec l'amiral...) influeront sur l'imaginaire de Vailand.