samedi 16 mars 2019

La grande dame anglaise vue par Roger Vailland


Un papier de « Georges Omer » pas si anodin

Au départ, je glisse dessus… Allez, encore un « article de genre » (à présent, à divers sens du terme, mais padamalgam, éviter l’anachronisme) de Vailland. Court… Furtif, même. Pas tout à fait anodin, mais… Et puis, la curiosité… Et si cette « grande dame anglaise » fut Nancy Cunard ?
Deux quasi-stéréotypes d’époque imbriqués  : le rastaquouère, et la riche anglaise.
Aussi elle-même interlope (équivoque, voire de nationalités et cultures entrecroisées, cosmopolite au sens que le communisme pudibond stigmatisait, si j’étends un sens dérivé au-delà des trois-quatre de divers dictionnaires) que son, ses amants. Et puis, François Buot risque l’hypothèse que celle qu’esquisse Vailland serait Nancy Cunard. Une éditrice qui me fait songer, en un autre domaine, au mouvement Arts & Crafts (chacun ses dadas) ; me remémore la librairie Shakespeare & Company (celle de Whitman où mon pote, le révérend Billy Hults, washbord player extraordinaire, obtenait le gîte à Paris – Cannon Beach ; The Upper Left Edge ; et la congrégation du Buddha réincarné en last cowboy, &c. – bon, plus fiscaliste que théiste, Billy, mais c’est une autre histoire…), &c. Du coup, et « en même temps », je relis Vailland/Omer, et me dis, comme Daniel Schneidermann, mais en total décalé, non pas « j’aurais pu l’écrire aussi », mais qu’est-ce que j’aurais aimé aussi bien la, les décrire.
         C’est qu’après le journalisme débridé, il a bien fallu me convertir au coincé. Là, je reviens de la soutenance de thèse d’Annette Gardet sur la Comédie de Reims. Et tout à trac, Denis Guénoun nous raconte que, de mémoire (la mienne), Touchard ou un ponte du ministère le nomme à Reims parce qu’il l’estimait plus « ficelle » (singulier, pluriel ? Tiens, j’aurais dû lui faire préciser comment il l’avait entendu) que son plus renommé concurrent d’alors. Belle expression, qui s’applique à merveille à Vailland journaliste. Qui sait en rallonger certaines, en raccourcir d’autres, jongle, fait sauter son diabolo, avec une économie de gestes (ici, mots, phrases, signes, lignes…), conciliant ce qu’attend Lazareff et le lectorat, et ce qu’il a envie de transmettre.
         Vailland et Nancy se poivraient tant le gosier que le nez (ou les veines) à cette époque. La grande dame anglaise, c’est elle, mais aussi tant d’autres. Ils fréquentaient nombre de lieux où ils se croisent, côtoient. Peut-être pas au Rendez-vous des mariniers (j’ai traqué Vailland quai d’Anjou, en vain, mais qui sait…) ; la différence d’âge ne le retient pas mais… Elle préfère de plus durs, plus tatoués. Non, je m’égare, j’extrapole. Aucune idée s’il prit un râteau. Ou non.
         Qu’importe. Mais c’est beaucoup plus drôle de l’imaginer soit snobé, soit réalisant que s’il s’accrochait, il allait mentalement dérouiller, et se préservant. Bien sûr, pas davantage que Régine Deforges mélangeant les années, les personnages, étirant ou rétrécissant l’espace-temps, il ne faut laisser brider l’imaginaire par la chronologie, la géographie, mais n’embrayez pas là-dessus…
         Fausse piste, a priori. Mais toutes les impasses et culs-de-sac doivent être suivis jusqu’aux murs, quitte à réaliser qu’aucune balise, aucune fiente ou tracée, ne vous met sur la voie de la vraie. Et ce fut farce de s’égarer sans pouvoir traquer efficacement « la grande dame anglaise », en beagle heureux de baguenauder. D’où le retour au plausible : portrait composite. Comme fut sans doute quadruple la vulve d’Irène (Aragon). Tiens, cela m’entraîne vers les mises en jambes d’Éric Poindron (pour ateliers d’écriture), Denis Guénoun et Mai, Juin, Juillet (euh, non, gourance, ce doit être Le Banquet de Platon, et ce n’est pas la faute à Voltaire, ni à Rousseau, mais à Henriot, Nicolas-Simon, de la maison de C/c-hampagne, non Georges ou Philippe, autres Rémois – dont les cols furent sablés ; celui de Philippe « sulfaté ») et La Foire aux cochons (album BD de Ptiluc).
         Et une quarantaine de lignes de Vailland/Omer vous vaut cette logorrhée ? Eh bien, chapeau l’artiste. Imagines-tu, jeune, mûr, chevronné plumitif, que ce qui n’est guère davantage qu’un billet de toi te vaille cette postérité ? Va voir ce fichier PDF, « Roger Vailland et la colonie “britannique” de Paris », et imagines, poursuis…

dimanche 10 mars 2019

Paris secret, monde interdit…

À la recherche du Mondo prohibito (film de Fabrizio Gabella)

Un peu de détente… Toujours sur les traces de Roger Vailland (et pseudonymes consorts), je retrouve qu’il fut l’inspirateur du film de Fabrizio Gabella, Questo mondo proibito (1963, sorti sous le titre Ce monde interdit en juin 1964). Un docu-fiction dirait-on aujourd’ hui, dont le prototype français reste le film Paris secret…
Paris Secret, vagues souvenirs… Des filles nues, des adorateurs du nombril réunis en cercle, des trav’ (Chez Michou ?), du vaudou… Je ne sais trop si ce film d’Édouard Logereau fut ou non interdit aux moins de… mais je sais que je parvins à m’introduire dans la salle. Circa… l’été 1965. J’avais donc dans les 14 ans. Est-ce grâce au « Grand Ségalou », mon pote d’alors, perdu de vue de longue date, avec lequel j’interprétais Toto, le personnage de Fernand Raynaud (« Ouin, c’est l’morceau que j’voulais »), sur la scène de la salle du patronage Saint-Paul, à Angers, que j’ai pu voir ce film. Proche du « Chez Laurette » de Delpech, et de la caserne des pompiers, cette salle. « Chez Laurette », j’y jouais au billard électrique, pas encore électronique, pour 20 ronds la partie (avec cinq boules alors). J’ai oublié l’enseigne réelle, qui a dû changer depuis…
         Magique, faire le gus en Toto. Dans les « loges » de la salle Saint-Laud, l’une des Collégiennes de la chanson, en soutien-gorge ! Était-ce Marie-Annick Rétif ? Aucune idée. C’était avant le « Il fait trop beau pour travailler », des Parisiennes, du temps de Juanito et de Marie Laforêt et ses « yeux d’or ». Mais pas loin…
         Ah oui, le père du « Grand Ségalou » gérait deux salles de cinématographie : Le Beaurepaire, et peut-être Le Français, rue de la gare (oui, ce devait être Le Français). Donc, les jeudis aprèms, on allait gratis au cinoche… Voir Maciste et les Trois Mousquetaires, ou des trucs du même style.
         Souvenir très, très précis sur Paris Secret. Printemps 1969, baraquement préfab’ de la fac de Droit nantaise. Assis au fond, près d’une jeune mère de famille et de la fenêtre. On cause Piaget (je m’étais aussi inscrit en socio…) en loucedé. Le chargé de travaux dirigés (costume noir, cravate idem, chemise blanche, comme tous mes péteux de condisciples ou presque) nous parle des de France (le patronyme est-il partie intégrante de la personnalité juridique ?), et de… Paris secret. Car l’une des jeunes actrices, 17 ans, donc mineure, se fit, paraît-il, prélever son tatouage sur « les lombes », une petite tour Eiffel, qui fut vendu aux enchères lors du raout de lancement du film. J’éclate de rire. Tout le monde se retourne ; le chargé de TD est le seul à sourire. Cela décida de la fin de mes études de droit (plus tard, devenu chroniqueur judiciaire, j’eus de furtifs regrets).
         Le synopsis de Paris secret se trouve sur le site d’Unifrance. Allez voir… Pissotant… 25 épisodes hilarants. Aucun souvenir de « M. Rousseau fabrique un sous-marin pour boire son pastis sous la Seine ». Cela ne m’évoque plus que l’insubmersible de Merklen, « Lucifugus », dans une courette intérieure de sa Boucherie humaine, de Pleurs (et Chauvier enflammant ses pets au briquet, et Chouf, Frédéric Chef, impavide).
         Je n’imagine même pas comment Roger Vailland put inspirer ce Questo Mundo proibito, dont les principales séquences s’énoncent ainsi :
         • Pubblicita, oppio dei popoli ;
         • Le Bal negre ;
         • Il segno del rettile (le songe du reptile) ;
         • La galerie sadiste ;
         • Il ghetto del terzo sesso ;
         • L’industria dell’erostismo ;
         • La psicologia dell’erotismo ;
         • Anatomia del sex-appeal ;
         • A twist for a virgin ;
         • I sogni e la spicanalis ;
         • La vita moderna.
Et “vietato al minori di 18 anni”, s’il vous plait…
         Au générique, Monique Watteau (Monique Dubois), qui fut la compagne de Yul Brynner de 1961 à 1967. Yul Brynner, Eddie Constantine, Paul Meurice (Le Monocle…). Regina Saiffert. Films Marceau-Cocinor. Au scénario, Christiane Rochefort. Des scènes tournées pour être montrées sur un écran de Scopitone ou de Cinebox (jukebox diffusant aussi des séquences filmées en 16 mm). Quelle épique époque !
         J’admets qu’il y a mieux à revoir. Par exemple, les films exceptionnels de l’ami disparu Claude Faraldo : Bof… Anatomie d’un livreur (« Je vis à tes crochets, j’ai tué ta mère, j’ai couché avec ta femme… Ne m’appelle plus papa, appelle-moi Paulo ») ; Themroc, avec Piccoli en nouvel homme des cavernes se dégustant une « hirondelle » (un flic à ciré et capuche) ; avec les cartouches comme « Secrétaire hautaine et galbée ». Pur bonheur ! Mais si vous retrouvez où voir Paris secret ou Ce monde interdit, faites-moi signe. Je suis preneur.

samedi 9 mars 2019

Quand Roger Vailland se réfugiait dans les salles obscures


Vailland : jeune homme des cinémas « permanents » du Sébasto

Allez, j’extrapole… Je vois dans Georges Omar ce jeune homme, Roger Vailland, en proie à des angoisses (dues aussi aux stupéfiants) se réfugiant dans les cinémas permanents des boulevards Sébastopol et Saint-Martin…
C’est mon quartier… J’allais parfois à L’Albatros de Jean-Pierre Mocky dont je connaissais le projectionniste (L’Albatros, c’est Le Brady, boulevard de Strasbourg). Roger Vailland fréquentait d’autres salles et en restituait les ambiances pour Cinémonde. J’ai donc réuni trois de ses articles cinématographiques dans un document PDF... Assortis sans doute de commentaires ahurissants, purement hypothétiques. Pas seulement, car ils sont en partie documentés, remémorant les cinoches de quartiers qui ont trop bien ou trop mal changé, c’est selon… les avis qui se succédèrent, se succèdent et se succéderont.
Se rappeler la littérature d’hier ou d’avant-hier (Michel Picard l’a exprimé bien mieux que moi), c’est ce reprojeter dans son passé, et jusqu’à un certain âge, préfigurer son avenir. Ce que fit Vailland, en lisant, mais aussi en allant voir des films. Je laisse à d’autres, véritables spécialistes (serait-ce un appel du pied à Guy Scarpetta ? Je ne l’imagine pas enseignant à Reims et ne se penchant pas un peu sur les scénarios de Vailland…), le soin de disserter des rapports de Vailland avec le cinéma. Ce fut fait, cela se refera.
J’essaye de le voir tant par le petit que par le gros bout de la lorgnette… Déformant. With a narrow view ; no mas allà de mi narices ; mit tunnelvisie hebbenBah. Il fut, reste, sera bien écrit d’autres inepties sur Roger Vailland. Il ne m’objectera aucun droit de réponse, et tout autre est nul et non avenu (quoique… il se peut qu’il y en soit de recevables, que je ne tairai pas).
1929, pas encore né. 1964, l’ami Ségalou (le grand Ségalou) avait pour père l’exploitant de deux salles angevines. L’une près de la gare, l’autre dans la Doutre. Aussi, le jeudi, avec l’ami Chabasse et d’autres, on voyait des westerns, des Maciste, gratos. Émois. Je ne sais si un Vailland trentenaire ressentait quelque chose de similaire devant un grand écran. Pour nous, encore mioches, le cinoche, le parlant, c’était de consommation courante. Pour Vailland en 1929, itou. Mais pas vraiment le même. Pourtant… Peut-être se retrouvait-il dans cet enfant du premier rang qui « n’avait pas même pensé à ôter son capuchon ».
Connaissez-vous l’histoire de ce Mexicain au large sombrero et aux longs pistoleros qui prend place au premier rang ? Toute la salle, d’abord inquiète, puis s’enhardissant, réclame, dès les premières images du film, qu’il se décoiffe. « Señor, por favor, el sombrero ! ». Et alors, il se lève, se retourne, et profère : « À la demande générale, je vais vous chanter El Sombrero ! ». C’est un peu comme la blague du type qui demande un whisky dans un speakeasy et voit un chimp se rincer les testicules dans son verre. La chute : le pianiste lui dit « fredonne-la, cela va me revenir ». Cryptique, n’est-il point ? Cela me vaut un flop à chaque fois. Eh bien, mes divagations sur Vailland m’en vaudront un autre. Mais j’me comprends. Et peut-être qu’on s’comprend, lui et moi. Et puis, quel mal y aurait-il à c’que j’me l’imagine ?

vendredi 8 mars 2019

Étienne Merpin/Roger Vailland : souvenirs d’Abyssinie

Roger Vailland snobé par le ras Hailou Tecla Haimanot

Cet Aïlou auquel Roger Vailland, signant Étienne Merpin dans Paris-Soir, rend visite en sa demeure de la capitale de l’Éthiopie est alors le leul (prince, titre supérieur à celui de ras) de la province de Godjam. En 1940, Aïlou est assigné à résidence et Vailland le considère hors-jeu ; la suite lui donna tort…
Robert François, Étienne Merpin, Georges Omer, autant de pseudonymes de Roger Vailland journaliste avant son passage à la littérature. Avec ce portrait du présumé « dernier des “rois nègres” », Vailland/Merpin ne fait pas dans le subtil. Il est possible que, pour préparer son reportage sur le couronnement du Négus, le jeune Vailland ait lu le comte Arthur de Gobineau (lequel évoqua Gondar, capitale du royaume éthiopien d’Amahara). Lorsqu’il dépeint Aïlou de mémoire, dix ans plus tard, il se peut qu’il ait lu les carnets africains de Michel Leiris (qui séjourna à Gondar). Il se souvient d’un roitelet richissime plus soucieux de l’éblouir que de lui livrer ses pensées sur ce qu’implique l’accession au pouvoir du Négus pour le pouvoir féodal qu’il détient.
         En 1940, Vailland ne pouvait prévoir que, selon les Italiens, Aïlou ambitionna l’année suivante de devenir Négus avec leur appui, avant de se retourner contre eux, ce qu’il finit par faire. Empochant à chaque retournement de copieuses prébendes… Il eut été possible, si cela avait été le cas, qu’il en aurait dressé un tout autre portrait. Mais il s’en tient à ce qu’il avait ressenti, sans trop s’interroger… Il est vrai qu’il a d’autres préoccupations puisque, parallèlement, sous le même nom de Merpin, Vailland/Robert François va publier son Suède 1940, une suite de portraits d’éminents Suédois qu’il traite avec fort peu de désinvolture. Il peut sembler que, de 23 à 33 ans, le regard que Vailland porte sur l'Afrique n'ait guère évolué. La guerre, d'autres voyages lointains, modifieront ses perspectives sur les pays de l'ex-monde colonisé ou se dégageant de l'emprise des puissances occidentales. Il n'en est pas encore là, comme en témoigne cette esquisse simplificatrice d'un grand seigneur féodal africain...
P.-S. – Sur cette photo du couronnement du Négus, il se pourrait que le dignitaire l'accompagnant eut été Aïlou/Hailou Tecla Haimanot (ou Tekle Aymanot). Il correspond à l'homme que décrit sommairement Roger Vailland (un « Hercule »).

mercredi 6 mars 2019

Robert Vailland/Roger François ? Leni Stolt et son double…


Quand Vailland fait de Leni Stolt un singulier symbole

L’un des plus célèbres articles de Robert François (Roger Vailland) reste sans doute celui qu’il consacre à une jeune fille allemande, Leni Stolt. Fantasmée peut-être, mais si vivante, si représentative d’une époque…
J’ai rarement aussi raté une mise en page, celle de ce PDF retranscrivant l’article de Robert François/Roger Vailland sur Leni Stolt. Au moins me suis-je rattrapé aux branches, aux brindilles ou drageons, tendrons et scions, plutôt, et la transcription de l’article reste correcte… Leni Stolt ? La vraie ? Énigme… Helena Stolt, fille de… Mais de qui au juste ? Duelliste à Heidelberg (1931), suicidée ou exécutée par… son fiancé britannique ou la Gestato à Londres (1939). À quel âge exactement ? Jeune. 22 ans. Trop jeune. Morte au trop jeune âge… Celui des promesses d’avenir brisées.
      Je laisse aux historiennes et historiens le soin de faire le départage du réel et de la fiction. Elle n’a pas laissé de journal, Leni. Scotland Yard n’a pas retrouvé la moindre lettre d’adieux. Sans doute maintes, maintes confidences éparses, véridiques ou fantasmées, que celles et ceux les ayant recueillies, trépassés, n’ont pas consignées mais qui ont contribué à son éphémère légende.
   Je vous laisse aussi comparer la version Robert François avec celle de Camille David, correspondant de Ce Soir, en poste à Londres... Pas d'évocation d'un duel à Heidelberg dans l'article de Camille David téléphoné le 16 janvier 1939. D'un paragraphe à l'autre, les circonstances de l'exécution du père de Leni, « député au Reichstag », emprisonné puis fusillé, ou brutalisé puis assassiné, varient. Pas d'amant nommé si ce n'est un bourgeois marié d'un quartier nord de Londres... Le passé de « Leny » semble avoir été reconstitué d'après les récits de ses amis du Pheasantry Club, un pub de King Street, dans Chelsea, quartier où elle loue une petite chambre. Si elle dispose d'un appareil photographique, c'est qu'elle a suivi des cours avant d'être embauchée par une agence ou « une maison londonienne » (peut-être un couturier) qui lui faire suivre une tournée en Europe. Elle disposait sans doute à l'époque du « passeport Nansen », celui des réfugiés et apatrides, et elle n'aurait sans doute pas été reconduite en Allemagne.
         Mais comment se détacher de Leni après avoir lu ce que Vailland en fit ?
Lisez « Vie et mort de Leni Stolt – Mademoiselle Scandale du IIIe Reich » et vous en deviendrez aussi persuadés…

dimanche 3 mars 2019

Des mots d’Octave Mirbeau en voie d’obsolescence


Lexicologie sauvage : Octave Mirbeau, vocables oubliés

Histoire de délaisser un peu Roger Vailland (se ménager des alternances, des respirations, n’est jamais vain), un texte sur le vocabulaire d’Octave Mirbeau…
Avant d’aborder les vocables de Roger Vailland possiblement en passe de ne plus être employés dans la conversation courante, je m’étais intéressé à ceux, répertoriés dans la dernière édition électronique du dictionnaire Le Grand Robert, risquant d’être expurgées des parutions suivantes.
         Certes, un Grand Robert, c’est du copieux, du lourd (sept-huit gros volumes pour mes éditions bleue et verte), mais en dictionnairique, il faut quand même faire du ménage. Et je ne sais ce qu’il adviendra, d’amphibologique à vileté (pour youpin, sans doute, d’aucunes et divers autres s’en délecteront encore trop longtemps…), de divers mots employés par Octave Mirbeau.
         J’en ai répertorié une bonne vingtaine figurant dans le corpus des citations que consigne ce dictionnaire. Glissant au passage un baby (non de ouiski, un nourrisson, que je n’imaginais pas si facilement passé dans la langue de l’avant-dernier siècle). Vous trouverez donc ce texte, « Mirbeau dans Le Grand Bob » en PDF. J’avais déjà fait état du texte de l’académicienne Dominique Bona s’inquiétant de la difficulté, pour de jeunes enfants, de lire encore la comtesse de Ségur. Et Mirbeau, Vailland, dans peut-être moins de deux décennies ? Lectures réservées aux étudiantes et étudiants en licence de Lettres ? En éditions abondamment annotées, multipliant les notes de bas de page ?
         Allez savoir, prévoir…
     J’ai aussi cru comprendre que la Société Octave Mirbeau connaissait quelques soubresauts internes. Je ne sais si c’est à elle que l’on doit que Marie Laranjeira (que je salue amicalement au passage), assurant la notoriété d’une conférence sur Claude Monet (au Négresco de Nice, en mars 2015) citait Mirbeau. Peut-être, peut-être pas… Mais Marie, alors de l’agence de communication Virgules, n’aurait sans doute pas choisi une citation de Mirbeau si son souvenir s’était estompé. En com’, années 2000, on s’assure qu’une référence n’est plus déjà devenue obscure. Et si le nom d’Octave Mirbeau dit encore « quelque chose » à beaucoup, c’est à la Société qu'on le doit. Ah oui, relire Mirbeau, c'est encore humer du Roquefort™. Puissant, Mirbeau, pugnace. Allez (re)voir, (re)lire.

Roger Vailland, reportages en Espagne


Roger Vailland en Espagne : mantilles, manzanilles & séguedilles

Avant d’arpenter les rues chaudes de Lisbonne (précédents articles ici), Roger Vailland avait fait de même à Madrid, et surtout Séville. Ce fut début novembre 1932. S’il n’évite pas divers poncifs, Vailland apporte un éclairage original, voire prémonitoire, sur la période de la Seconde République espagnole.
Chez Vailland, l’Espagnole est aussi… tartignolle. Quelque peu figée de réminiscences littéraires. Les yeux des Andalouses, les jambes nerveuses des Ibères, &c. S’intéressant bien plus aux mœurs qu’à l’actualité politique, qu’il laisse à l’arrière-plan, et sans doute à ses confrères envoyés spéciaux, comme lui, à la suite d’Édouard Herriot en visite officielle, il n’en restitue pas moins le climat.
         Les reportages à Madrid (ici la Castille) et Séville (l’Andalousie là) ont été retranscrits séparément. C’est assez logique… À Séville, Vailland a beaucoup plus les coudées franches, ses deux articles ne s’insèrent pas aux côtés de ceux des deux autres envoyés spéciaux de Paris-Soir. Cela étant, sans doute cornaqué, à Madrid, il a le flair de s’intéresser à la troupe ambulante de théâtre universitaire, La Barraca, qui joue en alternance un répertoire classique et d’avant-garde dans les bourgs éloignés de la capitale.
         Si l’idéal d’un théâtre populaire ambulant fut longuement évoqué par Catulle Mendès en 1905, concrétisé par Firmin Gémier avec le Théâtre national ambulant (1911), prédécesseur du TNP puis des Tréteaux de France, La Barraca, de par sa programmation et ses modes de fonctionnement, évoque très fort, en 1932, ce que seront les troupes nationales de la décentralisation théâtrale française d’après la Libération. Gaffe à l’anachronisme : créée en novembre 1931, soutenue par le ministère de la Culture et de l’Information publique, la troupe se disperse en 1936, et reconstituée en 1937, ses activités restent épisodiques au cours de la Guerre civile. André Malraux n’a sans doute pas croisé ses camions…
         Comme à son habitude, Vailland s’intéresse aux étudiantes, exclusivement ou presque. Le garçon qu’il mentionne brièvement aurait pu pourtant être Federico Garcia Lorca. Mais il est vrai que son renom en France, au début des années 1930, reste faible, et que ses Noces de sang ne seront créées qu’en 1933. Mais le texte parut en 1931 et il n’est pas impossible que sa Novia (la fiancée) ait pu inspirer à Vailland sa conception de la mentalité des jeunes Andalouses.
         Si Vailland évoque ses contacts avec des « personnalités » (masculines), la seule qu’il met en valeur est la féministe Clara Campoamor, l’une de la demi-douzaine des députées de la Seconde République. Car, « bien que féministe, Mme Clara Campoamor est une femme », aux yeux verts, aux belles mains, aux lèvres minces, &c. C’est tout juste s’il ne s’attarde pas sur ses jambes.
         Un étonnement : à Madrid, si les trois envoyés spéciaux se répartissent vaguement les rôles et les angles abordés, J.-J. Tharaud (les frères Tharaud), Élie Richard et Vailland se rendent séparément à l’Ateneo, le club intellectuel madrilène. C'est là que Vailland se fait présenter Pepita, la jeune communiste…
         Si Vailland s’intéresse surtout aux (jeunes) femmes, et ne rechigne pas à glisser des clichés, ses confrères ne restent guère en retrait. Élie Richard qualifie une fille de général de « pure Castillane », dépeint ainsi une jeune fille : « jambes nues, d’un bronze embué, velouté (…) Elle est belle, bien vêtue, 15 ans, femme. ».
         Encore une fois, un article de presse ne peut être estimé per se, sans tenter de prendre en compte ses conditions de production, son contexte (y compris spatial, dans la mise en pages), la ligne éditoriale du titre (Lazareff veut qu’on s’intéresse autant aux réfrigérateurs des ménagères de New-York qu’aux questions diplomatiques), et un certain « mimétisme » d’époque (le style de Colette, chroniqueuse judiciaire, diffère peu de celui de Robert François – Vailland – en compte rendu de procès d’assises).
         Sur la page 3 de l’édition du 1er novembre, les trois reportages couvrent cinq colonnes sur sept, les deux de droite étant dévolues à des publicités. Dont pour deux stylos. Le Gold Starry « ininflammable » et le Kaolo (« avec la plume Kaolithe, plus douce que la plume en or [qui] permet 3 et 4 copies avec carbone »). La plume du Vailland d’alors ? Gold Starry ou Kaolo ? Son style est aussi celui d’une époque.
P.-S. – Ne pas se méprendre, le Cortès de Vailland est ultérieur... Mais peut-être que les reportages en Espagne et au Portugal (et à Lisbonne, la rencontre avec l'amiral...) influeront sur l'imaginaire de Vailand. 

vendredi 1 mars 2019

Roger Vailland nez à nez avec Thomas Mann (février 1933)


Avant son reportage en Allemagne, Vailland s’informe auprès de Thomas Mann

Non, Thomas Mann et Roger Vailland n’ont pas échangé des salutations esquimaudes à Paris, en février 1933. Mais Vailland, au nez d’oiseau de proie, ne s’intéressa sans doute pas qu’à celui de Thomas Mann…
On m’accordera l’indulgence, sans doute peu plénière, si, sur ce blogue-notes, je tente de vous distraire avec des anecdo(c)tes (prétentieuses, en cuistre). D'où ce titre et ce chapô irrévérencieux. À quoi s’intéresse d’abord Roger Vailland rencontrant Thomas Mann pour Paris-Soir le 18 février 1933 ? Au nez du Prix Nobel de littérature. Pas que, sans doute… Et nul autre (doute) ​: même s’il ignorait que, quelques jours plus tard, il devrait se rendre à Francfort constater la mise en œuvre du boycott des commerces juifs par les nazis, Vailland s’enquiert très probablement de la situation en Allemagne. Mais les lignes sont comptées : même dans les années 1930, le reporter sait la tâche et les contraintes de mise en page lui étant assignées. Par conséquent, le sujet, lors de la rencontre avec Thomas Mann à Paris, n’est qu’esquissé, allusif.
Thomas Mann vient de rédiger son discours, Souffrances et grandeur de Richard Wagner, prononcé le 11 février 1933 à l’université de Munich. C’est le cinquantième anniversaire de la mort du compositeur et le Prix Nobel est convié dans diverses villes à le « célébrer ». Il vient donc à Paris. Pressent déjà la réaction des Müncher Neueste Nachricten qui publieront, le 16 avril, une pétition réunissant les signatures de Richard Strauss, Hans Pfitznert et Hans Knappertsbusch, car Hitler vient de prendre le pouvoir et Mann critique le populisme et la démocratie de masse et le Kolossal Wagner. Il espère encore rentrer en Allemagne mais prendra rapidement la tangente vers la Suisse et ses enfants, Erika et Klaus, qui fondent à Zurich le cabaret Pfeffermühle.
         D’un côté, il n’était pas tendre pour Wagner, de l’autre, il en fait un chantre avant l’heure de la Kultubolchevist honnie dans l’Allemagne hitlérienne.
         Vailland rate-t-il le coche ? Rien dans son article de Paris-Soir n’allude à cette problématique sur Wagner. Il faut vraiment lire entre les lignes (ce que tentera Daniel Schneidermann, maladroitement, dans Berlin 1933, à propos du reportage ultérieur de Vailland à Francfort).
         Le nez sur celui de Mann (et dans le guidon du genre journalistique préconisé, au niveau des pâquerettes des rubriques mondaines de Lazareff), Roger Vailland n’élude pas tout à fait ce qui se joue à Rome et à Berlin. Un article de presse est toujours pris pour ce qu’il en paraît, publié, figé… Le carnet de notes du journaliste finit le plus souvent poubellisé (un sujet chasse l’autre, il faut faire de la place, déchirer des pages pour retrouver rapidement les plus récentes).
         Vailland aurait sans doute pu livrer une autre contribution, plus étayée, à un autre titre… Mais le temps lui est compté. Demain, une autre « actu » vous mobilise. Les conditions de production d’un Vailland ne sont certes pas les seules à prendre en compte pour appréhender ses écrits journalistiques, mais souffrez que je tente de les mettre en exergue : ce n’est pas le nez au milieu de la figure, mais l’arrière-plan, les coulisses, les ficelles du métier (qui a évolué), qui importent. J’adorerais faire une critique féroce (c’est beaucoup plus aisé d’éreinter...) de cet article « À l’heure actuelle, nous dit Thomas Mann, le penseur ne peut pas se désintéresser des problèmes politiques », mais à double-entendre. Ce qui ne créerait plus qu’un malentendu : déjà, Vailland avait compris à quel point le lectorat y était si peu perméable. Alors, l’ayant reniflé, il s’étend sur le nez de Thomas Mann.

mercredi 27 février 2019

Facebook plus pudibond que Paris-Match

Violette Nozière à loilpé défrise Facebook

Petit billet d'humeur... Ma précédente contribution portant sur Roger Vailland rencontrant des connaissances de Violette Nozière au Quartier Latin était illustrée d'une photo d'archives montrant cette dernière les seins à l'air... J'aurais dû m'en douter, Facebook à censuré.
Bref, ayant soumis derechef le visuel à je ne sais quel algorithme de reconnaissance des formes de Facebook, j'obtempère, modifie l'image (une couverture de magazine montrant Violette Nozière de profil dans sa cellule se substitue donc à la précédente). J'aurais pu aussi, comme le pratique systématiquement le Daily Mail, flouter l'aréole et le téton incriminants... Le même quotidien n'en rate cependant pas moins le moindre fait-divers quelque peu salace (en gonflant, par le titre et le style de l'article ou de l'écho, sa faible portée au besoin).
     Mais rien n'y fera... FB ne conserve que la trace de la version initiale : obsédé, va. Impossible donc de signaler le texte sur Facebook. Primat de l'image...
    C'est une censure quelque peu discutable... Situer le cas Nozière en publiant une image d'archives pour laquelle elle posa nue (à 17 ans) me semblait adéquat. Éclairait davantage la teneur des témoignages recueillis par Vailland auprès des connaissances de la parricide au Quartier Latin. Tandis que le nouveau visuel (qui présente certes un intéressant traitement typographique de la couverture de Police Magazine) n'illustre que la portée que prit « l'affaire Nozière » en 1933.
     La photo dénudée illustrait la chronique d'un dénommé Romi – sans doute Robert Miquel, à moins qu'il ne s'agisse de Gilles Martin-Chauffier  – pour Paris-Match (29 août 1991). La rubrique s'intitule « Les femmes de notre siècle ». Cela donne « Pour la première fois, une criminelle donne des états d'âme à la société » ; avec deux « chapos » : « À force de rêver palaces, Bugatti et grands couturiers, elle avait fini par ne plus supporter la médiocrité familiale. Devenue "femme" à 16 ans, Violette crut que seul un parricide la libérerait définitivement. La froideur et l'inconscience de cette meurtrière de 18 ans fascina la France. Écrivains, poètes et peintres se mobilisèrent et firent de cette petite ambitieuse criminelle un symbole. Condamnée à mort à 19 ans, graciée (avant d'être touchée par la Grâce), libérée puis réhabilitée, elle devint, dans l'indifférence générale, l'épouse respectable, conforme aux vœux de sa propre mère. ».
   Le second est en fait une légende déportée sous le titre : « Violette était fière de cette photo "coquine" (...) où elle posait nue, cadeau vivant pour Noël de riche. ».
     Le texte contextualise bien ce qu'ont dit et purent penser les trois interlocutrices de Vailland de cette « copine » de condition inférieure, qui voulut passer pour de leur monde... « Violette Nozière n'est pas contente. Ses parents l'agacent. Ils n'habitent pas avenue Georges-Mandel (...) ne l'envoient pas en classe à Sainte-Marie de Passy. C'est impardonnable. D'autant qu'ils sont enchantés de leur petit appartement, rue de Madagascar, derrière Bercy, près de Charenton. Comme si cette atmosphère toile cirée-soupe aux choux pouvait convenir à leur petite chérie. (...) elle déguerpit. Car, pour une lycéenne, elle court beaucoup à  travers la ville. Sans que ses parents, qui la prennent pour l'élève modèle du lycée Fénelon, s'en émeuvent. Dès 16 ans, elle perd sa virginité (...) avec un petit camarade de passage. Auquel succède toute une escouade d'autres petits amis. Violette n'est pas pingre : n'ayant pas d'argent à offrir, elle se donne (...) ce qui l'amène à quelques acrobaties d'alcôve, car elle a raconté à ses copains du boulevard Saint-Michel que c'était son père, ingénieur, et sa mère, directrice chez Paquin (le couturier), qui lui remplissaient les poches. ».
    En réalité, elle a de forts besoins car, comme beaucoup de jeunes gens de ces milieux, elle s'adonne à la drogue, comme Vailland lui-même. En conséquence, elle michetonne, recherche les messieurs généreux...
    Il a été prêté à Flaubert la fameuse phrase « Madame Bovary, c'est moi ». Vailland n'allait pas s'assimiler à la Visirova ou à Leïla la Stamboulioute. Mais on se demande si le portrait en miroir qu'il dépeint de Violette, à travers les témoignages de ses propres fréquentations, ne lui inspire pas cette réflexion : j'aurais pu être Violette. Il provient d'un milieu à peine plus aisé (Baptiste Nozière fut promu par la compagnie Paris-Lyon-Marseille, Vailland père resta géomètre) et la différence avec elle, c'est qu'il ne déserta pas son lycée rémois, poursuivit ses études à Paris. Violette présente plus de similitudes avec l'ami Pierre Minet, qui déserte Reims pour la capitale à 16 ans. Lequel, comme elle, finira « ordinaire », ainsi qu'il le regrette dans La Défaite (1947).
    Vailland n'allait pas, dans Paris-Soir, heurter les sensibilités du lectorat en faisant de la parricide une héroïne. Ce qu'elle devient pour les surréalistes... Elle avait laissé supposer que son père fut incestueux, ce qui pouvait induire que sa mère en était la passive complice (Violette les empoisonna tous deux). Le cofondateur du Grand Jeu dans lequel était paru ce « Nous défendons Sacco et Vanzetti, mais nous préférons Landru » aurait pu faire de Violette une figure mythologique, comme surenchérirent les surréalistes (« embrasseuse d'aubes » ; « belle comme un nénuphar sur un tas de charbon » ; « nymphe baroque » ; « métisse de la lumière et de l'ombre »). Certains supputèrent même que la mère de Violette, qui réchappa du poison, eut agi par vengeance. Vailland n'incarnera pas à leurs yeux, cette fois, comme l'écrivit Péret, « ceux qui font uriner leur plume sur le papier de journal » ; il s'abstiendra de creuser le sillon et d'exploiter le filon. Il y avait pourtant de quoi en faire un feuilleton. Avec des Jean Dabin (amant de Violette, camelot du roi-maquereau, comme l'écrira André Breton), le vicomte de Pinguet, et divers personnages hauts en couleur... En 1953, il en était encore question avec le témoignage d'un commerçant, Émile Cottet, à France-Soir. Dix ans plus tard (1963), Violette Nozière fut réhabilitée par la cour d'appel de Rouen. Elle était devenue veuve, avait recueilli sa mère, et bénéficié des graces de trois chefs d'État (Albert Lebrun, Philippe Pétain, Charles de Gaulle).
     Pourtant, Vailland, en ses Écrits intimes, avance « La truite, c'est moi-même ». La Truite, ou Frédérique, est inspirée par une jeune prostituée lyonnaise... Peut-être aussi par la Violette de 1933. Car Violette, pendant au moins deux années, devient aussi familière à qui lit la presse que le sera Christine Villemin, la mère du « petit Grégory », en 1984-1985. Il est douteux que Vailland n'y ait nullement songé à nouveau en campant sa Frédérique de La Truite. Il est du moins permis de supposer qu'en 1964, il gardait son visage, son allure, en mémoire...

mardi 26 février 2019

Roger Vailland au Quartier Latin


Quand Vailland rata de peu Violette Nozière (qu’il aurait pu lever rive gauche ; suivi d’oiseuses considérations…)


C’est un article de Roger Vailland qui, pour qui connaît sa biographie, en dit plutôt long sur lui-même et ses fréquentations de la fin des années 1920 (et suivantes) à Paris… Dans ce « En parcourant le Quartier Latin et en parlant avec celles qui ont connu Violette Nozières », même si, pour une fois, il se met peu en scène, Vailland aborde aussi des sujets qui lui sont personnels…
Mais que laissèrent donc passer les titreurs de Paris-Soir ? Avaient-ils besoin de gonfler ce titre pour équilibrer l’ensemble de la page ? Toujours est-il qu’un « En parcourant le Quartier Latin et en parlant avec celles qui ont connu Violette Nozières» (accessible en ligne) vous ferait recaler aux concours d’entrée des écoles de journalisme… « Au Quartier Latin avec des amies de Violette Nozières » (quitte à puiser dans la casse des caractères de corps supérieur, car s’il y avait des Linotype, les titreuses étaient plus rares), voire le peu commode, à la rigueur : « Les Germanopratines se remémorent Violette Nozières », voire… « la fleur des catacombes » (Breton, André). Mieux, non ? J’admets, peu importe.
         D’une part, il est patent que cet article (le sien…) puise en des angles abordés antérieurement (notamment en des articles rédigés en Espagne, au Portugal, province…). D’autre part, Vailland, qui suivit une cure de désintoxication à Clichy, et qui traîne encore, en noctambule, sait de quoi « causent » Marie-Anne, Jane et Nosfera. Peut-être de même que, alors qu’en 1928 il remportait quelques succès féminins auprès de grisettes, gigolettes, et autres « filles du peuple », en 1933, il a noté que les étudiants lui envient ses coups d’un soir de la sorte, lui qui est à présent beaucoup mieux rétribué.
         Marie-Anne, Jane, Nosfera… Filles de… Vailland a pu aussi les connaître pour avoir fréquenté leurs parents ou parce qu’il leur fut présenté par elles-mêmes. Trois jeunes filles à la fois fictives (préserver leur anonymat oblige à brouiller les pistes) et si réelles, si authentiques. Total genuine.
         Comme le seront, le furent, les personnages de ses romans. Sans doute composites (Vailland a pu connaître un coureur cycliste amateur, un ouvrier sur presse ayant eu la main écrasée, un désireux de sortir de sa condition, et n’en faire qu’un). Vailland romancier est à rechercher dans le Vailland journaliste antérieur… Daniel Rondeau, qui évoqua si bien Vailland, fut un établi (jeune intello bossant en usine). Il lui en subsiste diverses sensibilités.
         Nous avons à présent, pour accéder à la profession, la voie royale : généralement Sciences Po, une bonne école spécialisée ensuite, le carnet d’adresse (au sing.) des parents. Devenue quasi-exclusive. Mais comment parler avec justesse des Gilets jaunes, même si la précarité de la pige vous rapproche, sans les avoir jamais côtoyés dans « la vraie vie » ?
         Je me souviens de ces OS aux mains cerclées de bracelets de cuir reliés à des chaînettes pour ramener d’une saccade les bras en arrière et retirer les mains de l’emboutisseuse (les hommes étaient affectés à d’autres presses) ; mes collègues des Forges de Strasbourg que, ahuri, je découvris ô combien « à la chaîne ». Cela étant, ce n’est pas ce qui fait naître le talent, le sens aigu de l’observation, et nombre de consœurs et confrères n’étant jamais passés par là font mieux que d’autres, pétris, talés, si ce n’est meurtris, d’expériences diverses. Nul besoin non plus d’être passé par la composition froide, puis la chaude, pour produire de fort belles pages.
         C’est bête. Il est fort possible que Vailland croisât Violette Nozière à Saint-Germain sans lui prêter attention. Damned, quel titre : « Ma nuit avec l’Ange noir ». Ce sera « Pierre-François, joueur de jazz, nous conte son aventure avec Violette » (article de Marc Roussel). En fait, non… Je ne le pressens pas concéder ainsi au sensationnel, plutôt rédiger subtil en songeant que ce qu’il écrit influera sur le ressenti des jurés de la cour d’assises.
Roger et Violette ; Michèle, ma belle, « si bien ensemble » (Lennon, McCartney) ? « Pourtant les gens m’ont dit/De me méfier de toi/Car tu n’es pas ce que je crois » (version Robert Demontigny). And I will write the only words I know they’ll understand. Ce fut Boule, et non Violette. Ni mieux, ni pis.
Je sais combien tout cela peut paraître cryptique à d’aucunes et d’autres. Survient un temps ou seule l’envie d’écrire pour une Élizabeth (non pas Lisana, défunte, une autre ; la trouver sur roger-vailland.com), un Philippe Lacoche, des inconnues, des anonymes – et soi-même, accessoirement – subsiste. Comme le répétait la marionnette des Guignols de l’Info : « excusez-moi, je n’ai pu m’en empêcher ». Cela tient presque du soliloque (ou remâchage sénil ?).
         Michel Picard, féru de Vailland, m’expliqua de vive voix comment la lecture du genre romanesque fait ressurgir le passé et se projeter. Lire, relire Roger Vailland, c’est se retrouver, s’envisager. Ce qu’il fit peut-être avec Suétone (meilleur romanceur que romancier). Jalonner, baliser l’œuvre, sans suggérer des sentes de traverses, non pas en les fléchant, juste en indiquant qu’elles sont multiples, serait vain. Je ne vous en propose pas moins, à la manière d’un Éric Poindron, de muser sur le thème Vailland in bed with Nozières. Lui confie-t-elle ses différends avec ses parents, l’incite-t-il à une meilleure conciliation, lui fournit-il le poison (ou l’adresse d’un confidentiel herboriste-apothicaire de douteuse réputation) ? Laissez flotter votre imaginaire...
       Donner à lire, et à voir, les articles de Vailland me semble indispensable pour donner envie de le (re)lire. C’est pourquoi… Attendez-vous donc à savoir que le reportage de Vailland en Espagne sera le prochain volet à paraître ici. (À suivre).