dimanche 24 février 2019

Novembre 1932, Roger Vailland au Portugal


Sur les traces de Roger Vailland à… Azunamento

C’est une chose de lire des articles de presse d’un grand reporter (et par la suite écrivain) dans un recueil les réunissant, une autre de les consulter tels quels… Ceux de Vailland à Lisbonne pour Paris-Soir, en novembre 1932, réservent quelques surprises…

En novembre 1932, venant d’Espagne, Roger Vailland dicte ou envoie depuis Lisbonne quatre articles à Paris-Soir… J’ai pris plaisir à les retranscrire et en monter les visuels dans un fichier PDF que vous trouverez en ligne… Mais ils m’ont ménagé des interrogations…
         Je suis quasiment certain de pouvoir retrouver le terme technique désignant le pataques produit sur Linotype de la ligne qui suit :
« je me suis aperçu qu’on est davantage au courant, à Lisbonne, des mouvements littéraires ou artistiques français les p_sulerdcésdréd_nééyssrn_j_sdrétu_sdr (sic)
plus récents qu’on ne l’est à Lille ou à Bordeaux. » (voir le commentaire ci-dessous).
         J’ai eu beau me creuser la cervelle, imaginer qu’il s’agissait des plus… je ne saurais dire (marquants ?), mais ce n’est pas si important. Glissons, comme les doigts sur un clavier de Linotype qu’il suffit d’effleurer pour composer.
         En revanche, la mention de la localité d’Azunamento, cité andalouse, m’a causé quelques soucis – qui perdurent – et remémoré un épisode des plus ardus.
         La translittération, dont Serge Aslanoff est l’un des plus éminents spécialistes pour la langue russe, peut dérouter les traducteurs. J’avais dû traduire vers le français, pour Patek Philippe Magazine, un article de je ne sais plus quel auteur levantin, transcrit en anglais par une ou un collègue… Il traitait de la ligne de chemin de fer – confiée aux soins d’ingénieurs allemands – partant de la Turquie pour rejoindre Bagdad en Irak (la Bagdadbahn de 1903 et années suivantes) puis le Koweït. Je butais sur la mention d’une gare dans une localité d’Anatolie dont le nom me laissa perplexe… La littérature sur le sujet (thèses de géopolitique, de polémologie, &c., documents sur le génocide arménien, guides touristiques d’époque impossibles à retrouver) est abondante mais nulle carte du tracé exact de la ligne, rien permettant de retrouver le toponyme actuel… Finalement, depuis son université de Tel-Aviv, le fils de Serge Aslanoff me confirma mon hasardeuse intuition… Il s’agissait de l’ancienne appellation arménienne, fort mal translittérée (voire affublée d’une coquille).
         La, j’ai bien cherché, je n’ai pas retrouvé Azunamento (si ce n’est, en tant que nom commun, dans un document officiel brésilien mal numérisé). Aucune ville frontalière du Portugal, aucune ciudad comportant des minaretes et mezquitas et desservie par un bac dans la provincia de Huelva (qui compte, de Aroche à San Silvestre de Guzman, 11 localités frontalières, dont aucune n’aurait eu pour nom antérieur quelque chose d’approchant).
         En revanche l’avocat Manuel Paula Ventura a bel et bien existé ; il avait porté secours à des personnes ayant (mal) fabriqué des bombes, et il fut contraint de fuir en Espagne – avec son épouse, Francisca Alves – où il mourut, à Huelva, comme le rapporta ABC dans son édition du dimanche 4 août 1935, soit moins de trois ans après sa rencontre avec Roger Vailland. Une rue d’Olhão  (Portugal) porte son nom. Mais Huelva est assez distante d’Ayamonte, ville frontalière…
J’en suis à me demander si Vailland, ayant vu une large inscription Ayutamiento au fronton de la mairie de la ville en question, ne se serait pas mélangé les pinceaux, comme on dit… Il se peut que Vailland ait emprunté la partie andalouse de la ruta de al-Mutamid, mais Huelva (qui ne compta qu’une mosquée transformée en église) ne peut être cette Azunamento (« ville blanche et hérissée de minarets comme une cité maure »). Jusqu’à mieux informé (et toute suggestion est bienvenue), le mystère reste entier…

vendredi 22 février 2019

Médialogie sauvagonne : Schneidermann et déformation pédagogique


Daniel Schneidermann sur Roger Vailland :
un discours approximatif

C’est l’écueil de l’oral, d’un enseignement du journalisme poussant à la synthèse en « contractant » l’analyse, de l’approximation pédagogique et de la tendance à se servir de références présumées « parler à tous ». Sur Roger Vailland, Daniel Schneidermann s’enferre en entretien, moins en écrivain. Mais ses excuses sont recevables.

Daniel Schneidermann résume : « En 1933, Vailland faisait un reportage sur le boycott des commerces juifs. Devant les devantures de boutiques, les choses avaient l’air de se passer plutôt tranquillement, les clients entrant dans les magasins malgré les piquets de garde des SA. Aveuglé par la scénette qu’il avait sous les yeux [un jeune nazi rougissant devant l'effronterie d'une jeune fille entrant dans un magasin], il a perdu de vue la dimension inouïe d’un boycott des commerces juifs systématique, encouragé par l’État. ». (Stratégies).

         Bon, on ne va pas lui ressortir La Face cachée de Reporters Sans Frontières (éds Aden, Bruxelles), de Maxime Vivas (prix Roger Vailland 1997), auteur déclarant à Le Grand Soir : « À Daniel Schneidermann de dire pourquoi il fait la sourde oreille aux multiples demandes qui lui ont été faites de me donner aussi la parole quand il traite du cas RSF. ». Ah ben, si, je viens de le faire… Mais aucune autre semi-perfidie dans ce qui va suivre, d’une part, et de l’autre, alors que les réseaux sociaux bruissent d’invectives, de développements s’appuyant sur des citations tronquées, &c., il conviendrait de vérifier si, depuis l’entretien de Maxime Vivas avec une personne du « Journal militant d’information alternative », Arrêt sur images n’a pas au moins mentionné ce livre…
         Il se trouve que le propos de Daniel Schneidermann s’adressant à Amaury de Rochegonde, de Stratégies, m’a fait bondir. Puis j’ai pris du recul… J’ai consulté ce qu’avait écrit Schneidermann dans Berlin 1933 (Le Seuil), dont le bandeau racoleur interpelle : « Pourquoi n’ont-ils rien dit ? ». D’une part, entre autres, un Xavier de Hauteclocque, pour Gringoire, avait su dénoncer la terreur nazie en octobre 1933, ce qui lui vaudra d’être liquidé en février 1935. Alors que, pourtant, Gringoire… J’en profite pour signaler l’album BD La Tragédie brune (de Thomas Cadène et Christophe Gaultier, Les Arènes BD éd.). D’autre part, si, traitant de Mussolini, puis d’Hitler, nombre des confrères disparus, dont Roger Vailland, n’ont guère fait preuve d’indignation immédiate (litote), il y a quelque désinvolture à prendre ainsi en otage l’envoyé spécial de Paris-Soir pour appuyer sa démonstration. On ne prête qu’aux riches, aux « pipeules », et à l’entendre, Schneidermann fait preuve de peu de scrupules… Berlin, 1933 est sous-titré : la presse internationale face à Hitler. Et il est juste d’estimer, après l’avoir lu, que, grosso modo, il n’a pas foncièrement tort, et même souvent abondamment raison. Sauf que, sur Vailland, en toute bonne foi, il s’égare quelque peu, tire la ficelle de la déformation pédagogique…
         À le lire, cependant, c’est différent. Largement plus nuancé. Je résume : « Si je suis honnête, je dois reconnaître que ce reportage de Vailland, j’aurais pu l’écrire ». J’abrège puisque le document « Médialogie sauvage :Roger Vailland et Daniel Schneidermann» fournit de quoi se faire une plus juste opinion.
         Ce qui amène à s’interroger : « Schneiderman pratique la déformation pédagogique » est un titre plus incitatif que « pratique l’approximation pédagogique ». Ah, il déforme, il ment, l’infâme ? Que nenni, pas plus que ces profs énonçant que la planète est ronde (l’imparfaite rotondité de la Terre, l’emplacement du Pôle Nord, &c., seront abordés par la suite).
         Sauf que… Schneidermann, avec des scrupules qui l’honorent, se fourvoie quelque peu. Si, comme je le présume, il n’a lu l’article de Roger Vailland envoyé spécial à Francfort que dans une compilation de retranscriptions ultérieures, eh bien, moi aussi, sous les mêmes conditions, je pourrais reprendre à mon compte, honnêtement, que je dois reconnaître que ce qu’il en rédige, j’aurais pu tout aussi (mal) l’écrire.
         Ce « mal » n’a rien de polémique. L’interprétation de Schneidermann n’est pas si mauvaise. Simplement, il saisit au vol un texte sans trop se préoccuper du contexte. Dans les agences de presse, revenait parfois un débat : faut-il laisser se brûler un seul en poste dans un pays étranger, accepter qu’il offre le prétexte à se faire expulser (et ne pouvoir être remplacé), en dénonçant trop crûment une dictature (de nos jours, africaine ou asiatique principalement) ?
         Ensuite, et c’est le plus important, la correspondance téléphonique de Vailland depuis Francfort s’insère – au milieu en mise en pages de une puis de tourne – entre d’autres. Celles de Robert Lorette (depuis Berlin) et Jean Marèze (depuis la frontière ouest allemande). Qui connaît la presse de l’intérieur peut avancer qu’ils avaient reçu pour consigne de s’en tenir aux « choses vues », tout en se répartissant la tâche. À Vailland la couleur locale, à Marèze les entretiens avec les Juifs fuyant les nazis, à Lorette le soin d’évoquer les implications du boycott, notamment sur le plan international.
         C’est semble-t-il ce qui a pu échapper à Schneidermann et il serait outrancier de lui en tenir rigueur, de monter en épingle un grief déplacé. Le reproche d’avoir fait elliptique en entretien est un peu plus fondé. Mais ce n’est ici nullement une mise en accusation, une sommation de rendre des comptes, une (vaine) mise en demeure de rectifier adressée à son éditeur.
         Il importe nonobstant de tamponner cette petite tache sur le revers du col de Vailland journaliste. Non pas mû par une sorte de confraternité-grégarité posthume. Si on veut chercher des poux dans la tête de Vailland, on en trouvera dans la presse communiste de l’époque postérieure, celle d’après la Libération. Encore que… C’est là aussi une exagération : convaincu de la justesse de la ligne du Parti communiste, Vailland se révéla teigneux avec modération.
         Pas davantage qu’on ne doit placer sur le même plan la contribution de Vailland à la revue Le Grand Jeu (en ne se méprenant pas sur le titre « La bestialité de Montherlant ») et ses multiples articles dans la presse à fort tirage (L’Humanité incluse alors), il ne faut pas sombrer dans l’amalgame. Vailland représentatif d’une presse timorée, si ce n’est complaisante à l’égard des dictatures fascistes des années 1930 ? C’est aller trop vite en besogne, s’emparer de la réputation ultérieure de l’écrivain pour faire un exemple. Qu’on se rassure, Schneidermann n’a pas maltraité son otage, qu’il relâche rapidement… en lui concédant des excuses.
P.-S. – L’intégralité de l’article de Vailland dicté depuis Francfort se trouve en ligne, et Google Livres publie de larges extraits du livre Berlin, 1933. Très bonne lecture. Et sur Vailland et Schneidermann, la conclusion aurait pu être : « Say anything you want about me as long as you spell my name right… » (aurais-je laissé passer un « Vaillant » ? Ouf, non.).

jeudi 21 février 2019

Quand le Grand Jeu (Roger Vailland et alii) pensaient percer…

Le Grand Jeu, « fanzine » d’hier devenu revue culte ?

Avec le numéro deux de la revue Le Grand Jeu, les « phrères simplistes » espéraient une renommée internationale. Rien de moins. Il leur fallait donc sortir un numéro de bonne tenue, et soutenue par les moyens classiques de l’édition…
En témoigne cette publicité pleine page parue dans la revue Les Cahiers du Sud, qui avait alors une large diffusion. Mais le coup manqua, faute à – peut-être – la concurrence d’autres revues éphémères, lancées aussi par de très jeunes auteurs, toutes aussi « révolutionnaires » et « innovantes » (disait-on plutôt novatrices à l’époque, 1929 ?) se disputant le même public, lequel s’en lassa ?
         Tout littéraire féru de ce qui marqua le siècle dernier n’ignore rien, ou peu, du Grand Jeu. Sa postérité a sans doute fortement dépassé sa renommée dans les années 1930. Laquelle fut forte… dans le cénacle de diverses chapelles, dont celle(s) des (ex-)surréalistes. Mais jamais au point de se faire une vraie place au soleil, et si, tardivement, un troisième numéro parut, les textes du quatrième restèrent dans des cartons.
Je ne peux m’empêcher de songer à l’actuel graphzine Couverture, porté par Jean-Jacques Tachdjian, lequel, pourtant, par le relais des réseaux sociaux, bénéficie sans doute d’une notoriété supérieure à celle du Grand Jeu d’alors (quoique la « grande presse » en fit au moins état, ce qui n’est guère le lot de Couverture). Les deux « supports » ne sont guère comparables : l’un (Grand Jeu) comportant des tirages de tête adressés à des « personnalités », l’autre (Couverture) se voulant au plus proche du prix coûtant et ayant renoncé par avance à séduire celles et ceux « qui font l’opinion » (et bien sûr le premier donnant la primeur aux textes, le second à l’illustration).
         Avantage pour le dernier en date (cinquième numéro, contre trois), mais dans les ventes aux enchères, le prédécesseur atteint des cotes que les détenteurs d’un numéro de Couverture ne peuvent espérer de sitôt (mes oreilles sifflent : Tachdjian est total rétif devant l’art spéculatif).
         Les archives de Michel Random ont fini dispersées par Artcurial. Des dessins de Vailland ont trouvé preneur à l’Hôtel Drouot. Peut-être pour finir dans des coffres. Denis Moscovici (qui fait dans la finance) est l’un des collectionneurs bibliophiles amateurs du Grand Jeu depuis 1992 et il se plaint de l’inflation des prix des documents, autographes et autres, des membres du mouvement.
         J’espère que « Jiji » Tachdjian trouvera sa Madame Firmat, tenancière d’un modeste café du 19, rue Bardinet (xive arr. de Paris) qui recueillit Roger Gilbert-Lecomte en 1943. Je ne sais trop pourquoi, à Avrillé, près d’Angers, dans le quartier de l’Adézière, se trouve depuis 1982 une rue René Daumal, qui finit en impasse. Je ne serais pas étonné qu’une rue Jean-Jacques Tachdjian l’honore un jour, à Lille ou dans une localité périphérique.
         Mais risquer de tels hasardeux rapprochements n’a guère de sens. D’autant que les différences sont flagrantes entre qui n’a jamais vraiment été tenté par Paris ni recherché à se faire connaître, sinon du grand public, du moins de celui censé « compter », et ces « phrères » et consorts très insérés en divers milieux parisiens et pour certains d’entre eux soucieux d’asseoir leur réputation. Dans des lettres, Gilbert-Lecomte reproche à Daumal de ne pas savoir assurer efficacement la notoriété de la revue, assure que, s’il n’était pas retenu à l’étranger, il ferait plus et mieux en matière de publicité.
         Il est impossible d’estimer (sauf à se plonger dans des archives comptables sans doute disparues) si l’encart pour Le Grand Jeu dans Les Cahiers du Sud bénéficia d’une très forte ristourne. Antan et naguère comme à présent, des magazines, des publications, cassent les prix à l’approche du bouclage : mieux vaut un ou deux placards bradés que laisser entrevoir que les annonceurs ne se pressent guère à passer des ordres. Cela ne semble pas le cas des Cahiers du Sud qui bénéficient de clients d’un tout autre niveau (automobiles Voisin, maisons d’édition parisiennes ayant pignon sur rue, revues longuement établies).
         Sur cet encart, un détail retient l’attention : le prix du numéro est identique pour la France, la Belgique et le Luxembourg (passe encore), mais aussi pour la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie, la Roumanie, la Pologne et la Tchécoslovaquie… C’est deux francs de plus pour tous les autres pays… C’est à croire qu’il est fait une fleur aux amis d’amis et connaissances de certains collaborateurs ou proches de la revue (voire à leur parentèle…). Solomon Bouli (Monny de Boully) est Serbe ainsi que Dida de Mayo, Sima Tchèque, Nezval (Vitezslav Nezval) de même, Antoine Mayo de père grec, des proches (Claude Sernet et Benjamin Fondane) sont roumains. Certes, ces pays sont francophiles et la revue tchèque ReD a porté attention au premier numéro du Grand Jeu. Soutient de la revue, Léon Pierre-Quint est très lié à La Revue européenne, et il a sans doute des contacts cosmopolites. Mais sans doute autant en Espagne ou Italie que dans les pays d’Europe centrale.
         Consacrer l’essentiel de ce numéro à Rimbaud ne constitue plus guère une forte audace. Paul Claudel a préfacé un recueil de poèmes pour le Mercure de France en 1912, les surréalistes s’y réfèrent dans la revue Littérature (mai 1922, juin 1924). Alfred Jarry, Antonin Artaud en ont fait l’éloge. On peut donc supputer que ce choix n’ait pas tout à fait été exempt d’opportunité commerciale. Il se peut aussi qu’il ait été estimé que l’étude d’André Rolland de Renéville, Rimbaud le Voyant, publié par l’éditeur Au sans pareil en avril, ait fourni l’ossature de ce dossier central. Et ce peut-être dans la perspective d’un renfort mutuel (la revue popularisant l’auteur et le livre, le livre contribuant à susciter l’intérêt pour la revue).
         Bref, outre le fait qu’il ne s’agit pas d’une publication ronéotypée, il ne faut pas assimiler la revue à ce qu’on appelle communément aujourd’hui, depuis la fin du siècle dernier, un fanzine… Léon Pierre-Quint, conseiller occulte des jeunes fondateurs, n’était pas tout à fait un éditeur « alternatif », et l’ambition était bien de se faire connaître au-delà d’un cercle restreint. L’assimilation abusive tient surtout au ton du premier numéro, au fait que la parution fut rare et éphémère, à l’addiction aux drogues de nombre de protagonistes, à leur jeunesse… Aussi sans doute à l’intérêt porté aux sagesses orientales un demi-siècle avant l’émergence du mouvement hippy.
         Comme l’a relevé Anne-Marie Havard (« Le Grand Jeu, entre illusio et lucidité », Contextes nº 9, 2011), les jeunes membres du mouvement sont conscients de leur capacité d’intégration dans le champ littéraire. En 1929, Gilbert-Lecomte publie d’ailleurs à Bruxelles le texte de l’une de ses conférences, « Les chapelles littéraires modernes ». Anne-Marie Havard estime que « les Rémois (…) jouent donc, sur-jouent même, à la fin des années 1ç20, les règles du jeu littéraire. ». Même s’ils ne les jouent pas « jusqu’au bout ». Vailland s’étant éloigné, ne se consacrant plus qu’au journalisme, Gilbert-Lecomte ne prend pas sur lui : il cède trop à son naturel indolent pour redresser la barre, fédérer. Quant à Daumal, il déserte, se replie sur lui-même, en quête de spiritualité.
         Même si ce second numéro avait été véritable succès commercial, les liens distendus entre les trois fondateurs ne leur auraient sans doute pas permis de recréer une sorte de ligne éditoriale cohérente. Dans une contribution (« Aux frontières du surréalisme : le Grand Jeu », Mélusine, nº 3, « Marges non-frontières », L'Âge d’Homme éd.), Viviane Couillard estime que « le Grand Jeu dans toute son exigence et sa pureté (…) ne s’est vraiment joué qu’à l’époque du Simplisme. ». C’est aussi l’un des éléments contribuant à la perception postérieure de la revue : près de 80 ans plus tard, les mouvements simpliste et du Grand Jeu se sont amalgamés dans les mémoires de qui ne s’y est pas intéressé de près. Les jeunes adultes parisiens restent perçus tels les adolescents rémois qu’ils ne sont plus.
P.-S. – pour qui s’intéresserait davantage à ce numéro, le document PDF « Le Grand Jeu, revue internationale et « luxueuse », fournit des indications complémentaires…

lundi 18 février 2019

Macron Lajoie, le tout, tout, tout dernier livre de Charly


Emmanuel Macron dévêtu pour quatre saisons par Charly (Charles Duchêne)

Surprise ! Parti ! Après ce Macron Lajoie (JBDiffusion éd.), vingtième essai-pamphlet politique de Charly, le voilà qu’il nous jure ses grands dieux qu’on ne l’y reprendra plus…

Ce serait donc le tout, tout, tout dernier opus de Charly. Là, on a envie de se teindre en blond·e pour rejoindre le chœur scandant « laissez-lui une chance, laissez-lui une chance ! » (retrouvez la blague sur divers sites humoristiques…). Perso, je n’en crois pas un mot : ce sera plus fort que lui, il récidivera (finaude allusion subreptice à son Il présidera, sorti en 2005, premier de la série). Avant de parvenir au grand âge atteint par Aznavour, il nous réitérera ses adieux. Cabotin, va, chemine, trottine, et pêche et repèche encore !
         Quand même, ils sont forts, Charly et Delambre, le dessinateur du Canard enchaîné. Après la première de couverture, dès le bas de la page 12, on trouve cet aphorisme de Confucius : « Le bonheur ne se trouve pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir. ». Rassurez-vous, la langue de Charly n’est pas celle de Lao Tseu et consorts. C’est sur le mode conversationnel, entrecoupé de brèves de comptoir, que Charly nous démolit Emmanuel Macron. Comme toujours avec lui, c’est soigneusement documenté, ciselé (hormis un « j’entends les cris de vierge effaroucgée (sic) de l’Élysée ; la coquille ayant été corrigée à la main sur mon exemplaire, ce qui est dommage, car ce sibyllin néologisme est savoureux).
         Mais commençons par le milieu, situé aux trois-quarts (vers la page 120). L’un des tics sympathiques de Charly est que son grand (nerf trisplanchnique, qui se titille via les narines, ce pour éviter la répétition) a le chic pour dénicher de bonnes adresses de restaurants. Donc, se glisse dans chaque bouquin un chapitre consacré à la bagnole (radars, limitations de vitesse, macroéconomie de l’automobile…) et aux étapes casse-graine. Celles qui proposent des plats du jour goûteux, copieux, à 8-11 euros. Là, mentionnons La Renaissance des Halles (Saint-Quentin), La Cigale (Nantes), L’Ardoise (Abbeville), La Graineterie (Amiens), &c. Cela vous indique aussi « d’où cause » le Charly sillonnant la France pour rejoindre de petits salons du Livre depuis l’ancienne gare où il réside et élève des poules améliorant le chiche ordinaire. Ex-habitué des très bonnes tables, tombé dans la dèche, récent retraité limite impécunieux, s’il traite des Gilets jaunes, ce n’est guère de plus haut que celles et ceux auxquels il ne reste qu’entre plus ou moins vingt euros à la fin du mois. Je glisse au passage qu’avec mes potes à la ramasse financière, obligés de résider à l’étranger ou en caravane délabrée, les autres, qui manifestent en jeans Diesel, veulent pouvoir acquérir une télé et une tire plus spacieuses que celles du voisin, nous gonflent quelque peu. Quand Charly en traite loyalement, ce n’est pas de celles et ceux-ci dont il se soucie…
         Il y parvient – à s’en préoccuper – sans chuter dans les pires égarements des ras-du-front (padamalgam’ ici) désinformateurs qui se comptent hélas un peu trop en leurs rangs. Mettons que, sur les journalistes, par exemple, il sait (aussi un peu de l’intérieur, il fut pigiste à l’occasion antan), en honnête homme lucide, faire la part du grain et de l’i-vrai(e) – avec un i privatif. Cependant, sur Macron, oh-là-là, c’est volées de bois verts (au pluriel) sur râclées de verges humides (sans jeu de mot déplacé sur les prétendues tendances du président, jusqu’à nouvel ordre infondées). Imprécateur, soit, avec quelques mots plus hauts que l’autre (René-Victor Pilhes), mais précis, pertinent, multiples exemples scrupuleusement vérifiés à l’appui. « J’ai bien vu, bien relu. J’ai bien cherché, je n’ai vu… [diverses promesses électorales se concrétiser] ». C’est San Tommaso mettant les doigts dans les plaies du nouveau quinquennat avec la gouaille d’un San Antonio, dare-dare. De quoi dessiller les mirettes des incrédules, rendre la vue au laser aux mal-voyants encore abusés par le capillaire (sanguin) « social » d’un président qui ne pulse que fortement pincé au forceps (c’est une image ; mieux vaut avoir recours à d’autre instrument).
         En connaisseur de la langue française et un peu d’autres, glissant çà et là une locution latine qu’il explicite, Charly résume : la macronnie ambitionne « de nous convertir au grec. ». Nous z’autres ; quant « à eux, à eux, à eux » (chanson communarde ?), entonnant « le youppie tralalère des traders », ils multiplient les grosses astuces que Charly dénonce savamment. Cela, avec une verve désabusée qui me remémore le Jean Yanne, complice de Siné, au micro d’Europe 1, du temps, je crois de Les Routiers sont sympa (de Max Meunier, sur RTL). Mais en plus désincaustiqué (ou moins incaustiqué, selon les chapitres ou les pages).
        
N’empêche, si je ne crois absolument pas que ce Macron Lajoie sera l’ultime de Charly, je lui trouve comme une tonalité testamentaire. Car il aborde un peu tout les sujets (laïcité, technologie envahissante, écologie poudre au yeux, fuite du temps…) comme s’il n’allait plus les prolonger.
         Un sur lequel il ne reviendra pas, c’est Méluche. Un Mélanchon qui, « en matière d’Europe, danse la samba » (un en avant, l’autre en arrière, sur l’air du sans-pas de Gotainer). Il lui suggère de passer élégamment la main… Ce ne sera pas, pour Charly, afin de palper d’autres fesses de sitôt… S’il pressent bien quelques émergeants, c’est sans trop d’enthousiasme…
         Bon, ce n’est pas tout cela, mais je dois filer écouter Bruno Daraquy évoquer Gaston Couté (trop tard pour vous en faire part avec une avance raisonnable, mais Daraguy remettra cela : cherchez). Ah si, j’allais oublier.
Comme précédemment, Delambre cloute ces 180 pages de ses caricatures (une douzaine de respirations), et Tym, autre dessinateur, ponctue par deux fois. Et c’est au prix de dix euros le tout. Et attention, tout cela muni d’un ISBN (979-10-93509-07-6) à 13 chiffres à la douzaine, frais comme chez le marchand de primeurs…

dimanche 17 février 2019

Le regard froid de Roger Vailland vu par Thérive et Bertherat


Roger Vailland « libertin » ? C’est à (re)voir…

Trioliste, certes… Libertin, c’est moins sûr, quoi qu’il ait pu en dire et écrire, si ce n’est au sens philosophique du terme… N’en déplaise à divers auteurs qui qualifieront d’inepties ce qui suit, Roger Vailland fut aussi un « aligné », ne dénonçant jamais frontalement, si ce n’est de manière ô combien précautionneuse et détournée, contournée, les Jeannette Vermeersch et autres thuriféraires de la morale bourgeoise du Parti communiste.

En revanche, oui, il tenta de rester un esprit libre… Mais on le vit de même décalquer la ligne officielle du Parti communiste à propos de Pierre-Mendès France, et d’autres sujets.
      Comme un pétri de catholicisme, ce qu’il fut sans doute comme tant d’autres au temps de sa prime jeunesse, Roger Vailland avait sans doute intégré une notion du « respect humain » qu’il interprétait à sa manière changeante. Peut-être jouait-il en son for intérieur un complexe double jeu. Certes, dès Drôle de jeu, comme le relève Jean-Pierre Tusseau dans son Roger Vailland : un écrivain au service du peuple, le personnage de Rodrigue, « le pur, le petit jésuite du communisme, enfermé dans ses certitudes par peur de la vie, nous est dépeint sans tendresse. ». De Rodrigue, Vailland-Marat dit : « Je n’aime pas qu’on entre dans le communisme comme on entre dans les ordres. ». S’il vécut tôt et finit en libre penseur (sa mise en terre en témoigna), et désabusé par les crimes staliniens (mais en revanche, il s’exprima bien peu sur les exactions de prétendus FTP de l’ultime seconde[1], adhérents du PCF, contre les femmes, les adolescents et les enfants en bas-âge liquidés, tout comme les Résistants opposants à la ligne du parti ou les anarchistes espagnols non conformes), Roger Vailland n’en resta pas moins pour une longue période l’un des plus ardents laudateurs du stalinisme. Ce que résume ainsi Jean-Pierre Tusseau : le bolchevik triompha du libertin ; avant que le naturel, ou plutôt une introspection rétrospective, ne reprenne le dessus.
En 1963, quand André Thérive présente Le Regard froid dans La Revue des deux mondes, il conclut « Tout ceci est littérature ». Soit en quelque sorte, une pose, une posture, voire une autojustification. Thérive voit en Vailland davantage un jouisseur « immoraliste » (« terme mis à la mode par André Gide il y a plus de cinquante ans »). C’est bien sûr ce « mis à la mode » qui retient l’attention. De Vailland « écrivain très distingué et romancier de grand mérite », il décèle principalement, dans ce Regard froid, l’expression d’un « amour-propre ».
      C’est fort discutable, vaut d’être disputé, et dans la revue Esprit il est relevé que s’il se constate en littérature et dans le cinéma de l’époque « un engouement pour le libertinage », Vailland « veut déboucher sur d’autres perspectives et peut-être n’est-il que le cheval de Troie d’un auteur désireux de nous faire entendre une musique beaucoup plus radicale. ». Yves Bertherat voit dans ce recueil d’essai l’expression d’un « idéal du moi que nous portons tous ».
Ces deux textes, réunis en un document PDF, et rapidement commentés, sont consultables en ligne. Ils témoignent d’une partie de la réception par la critique d’un Regard froid lors de sa parution.
(visuels : en h. à d., André Thérive ; et ci-dessus, Yves Bertherat)




[1] Sur la question, un exemple plus que probant, L’Honneur perdu d’un résistant – un épisode trouble de l'épuration, de Jean-Pierre Perrin et Rémy Lainé, sur Maurice Giboulet (en accès libre sur Gallica), et bien sûr, les livres de Philippe Gourdrel, La Grande Débâcle de la collaboration (Cherche-Midi éd.), et L’Épuration sauvage (éds Perrin).

jeudi 14 février 2019

Le sociologue Jean-Claude Kaufmann se dédouble dans Le Monde

Valentine et Valentin Kaufmann indiscernables tels des saints…

Après Marcel Aymé (Les Sabines), Claire Wolniewicz (Ubiquité), voire Alphonse Allais (Deux et deux font cinq), Le Monde s’est lancé dans l’ésotérisme en réussissant à dédoubler le sociologue Jean-Claude Kaufmann.
Et voilà que Le Monde « écrit pour Google » en usant de la grosse ficelle de la redondance des mots-clefs… Dans la rubrique « Opinions », le site du quotidien de référence/révérence (daté 12 fév. dernier) a confié une tribune intitulée « La Saint-Valentin fut longtemps une fête des célibataires et de la rencontre » à deux sociologues : Jean-Claude Kaufmann et Jean-Claude Kaufmann. Mieux que les Dupont et Dupond d’Hergé, deux pour le prix d’un, rigoureusement identiques.
         La page d’accueil indique qu’un quidam (Jean-Claude Kaufmann), et un sociologue (Jean-Claude Kaufmann) ont co-signé la dite tribune. Cliquer révèle que Jean-Claude Kaufmann 1 (sociologue) et Jean-Claude Kaufmann 2 (sociologue, en gras) nous expliquent que la fête de la Saint-Valentin est bimillénaire (ah bon ? Le premier Kaufmann se réfère peut-être à Valentin de Rome, le second à celui de Réthie, et en additionnant leurs antériorités respectives, à quelques siècles près, cette approximation se conçoit… enfin, grosso modo).
         Il est vrai que Wikipedia nous indique que ces Valentin « seraient en fait une même personne ». C’est peut-être pourquoi, dans le châpo de la tribune, la ou le sec’ de rédac’ énonce : « Dans une tribune au Monde, le sociologue Jean-Claude Kaufmann revient sur l’histoire méconnue de la fête des amoureux de février. ». Les deux ne font donc bien qu’un. C’est fusionnel, la Saint-Valentin !
         C’est plutôt vers avril que les Romains célébraient Vénus, mais admettons qu’une fête des amoureux ait pu l’être avant même que Jésus Christ et Marie-Madeleine l’aient (rien n’est moins sûr, la photographie n’existait pas et nous ne disposons pas de documents visuels affirmeraient les « Décodeurs » du Monde) mise à profit, mais plus tard selon le calendrier hébraïque (voir infra).
         Toujours est-il que, sans doute, l’aspect fête des couples légitimes ou non aurait pu prendre son essor en Europe vers les années 1950. L’auteur de Quand Je est un autre (Armand Colin éd.) et de Saint-Valentin mon amour (éds Les Liens qui libèrent) était tout indiqué pour évoquer – en duo – cette aubaine pour fleuristes et marchands de cartes de vœux. On ne sait si la ou les amoureuses du sociologue sont adeptes du triolisme, mais Le Monde leur a offert l’occasion de recevoir deux fois leurs hommages (ceux du Je et de l’autre). Si les deux Kaufmann sont pluriamoureux, leurs budgets jumelés doivent être copieux.
         On comprend fort bien d’ailleurs que pour se démultiplier (sur France Info, TV5, NRJ, &c.), on fasse mieux à deux…
         Pour Myriam Lebret, de L’Yonne républicaine, la dizaine de saints dénommés Valentin ne font plus qu’un : « Il y a eu plusieurs saints Valentin et ils n’étaient pas patron (sic) des amoureux ». Pour Cathy Lafon, de Sud-Ouest, les dix de L’Yonne n’étaient plus que sept : « pas moins de sept saints de l’église chrétienne répondent à ce nom ! ». Vérité en deçà, mensonge au-delà (de la rivière yonnaise). L’un des Kaufmann (mais lequel ?), pour ChEEk Magazine, fait une moyenne : « certaines sources disent huit, d’autres disent même plus. ». La maladie des vignes serait devenue, selon lui, maladie d’amour (enfin, à Saint-Valentin, dans l’Indre). Il nous précise aussi qu’en Angleterre « chacun devenait valentin et valentine et avait alors une double identité » (même source) et que « en tant que valentin, on avait beaucoup plus de libertés sexuelles que durant la vie habituelle ». Et en qualité de valentine ? Espérons que J.-C.-Valentin et J.-C. Valentine en profitent ! Qu’en pense Marie-Hélène Bourcier ? Finaude (éléphantesque) transition pour « élargir le débat » car M.-H. Bourcier voudrait que Valentin et Valentine Kaufmann partagent des ouécés à « genre neutre ».
         Depuis que la sociologie s’est intéressée aux lieux d’aisance (Harvey Molotch et Laura Norén), ou de commodités (Roger-Henri Guerrand), de nécessités (Sian James et Morna E. Gregory), et que les feuillées ont généré de multiples bonnes feuilles et pages et nourri leurs auteur·e·s (pour le Maroc médiéval, ils s’étaient mis à quatre : J.-P. Van Staëvel, Marie-Pierre Ruras, Admed Saleh Ettahir et Abdallah Fili – Tu quoque fili…), le moindre fait de la vie quotidienne (Dis-moi comment du fais – toilettes : histoire(s) & sociologie, Simone Scoatarin) – et je vous passe Norbert Elias (1897-1990), auteur de La Civilisation des mœurs, Claude Maillard (Les Précieux Édicules), et d’autres – fait l’objet d’une publication.
         Pour en revenir à la fête de ce 14 février, Jean-Claude Bologne, historien, auteur d’Histoire du couple (Perrin) et Histoire du coup de foudre (Albin Michel), fait remonter les origines françaises à Charles d’Orléans, fils de Valentine Visconti.
         Dans la presse et l’édition déchaînées, on trouve à boire et à manger…
       Il est quand même dommage que, pour Le Monde, Kaufmann et son jumeau n’aient pu dialoguer, l’un soutenant que l’estivale Tou Beav (ou Tu B’Av) biblique était à l’origine de la pré-printanière Saint-Valentin, et l’autre se récriant. Le premier soutenant que le monde islamique bannit cette fête, le second pointant qu’elle est désormais célébrée en… Afghanistan. Bah, d’ici quelques années, l’hivernale chinoise Fête des célibataires supplantera peut-être les autres…
         Comment conclure ? Par, allez, cette citation de la chute d’Olivier Perrin, dans Le Temps (Genève) : « La Saint-Valentin (…) c’est surtout tellement inutile. Aussi inutile que cet article. ». Pirouette, cacahuète, terminé ; mais sur un autre sujet, je vais récidiver

Il paraîtrait que se présenter soit idoine (je, moi, Jef Tombeur)


Moi, je, ma vie, mon œuvre, l’adoration de mon nombril…

Tiens, voilà que Philippe Mellet, collaborateur éminent de la revue Les Amis de l’Ardenne, me demande quelques lignes sur ma pomme… L’occasion de tenter de me présenter à vous, lectrices et lecteurs connu·e·s et inconnu·e·s…
Ceci n'est plus Jef Tombeur,
mais il y avait comme une ressemblance jadis.
Et zut, on bavardait avec un confrère de Chauvier (pas l’anthropologue ; ah, ben, si, re-zut, le Chauvier est devenu docteur en anthropo, et il ne m’en avait rien dit), de France Culture. Lequel confrère, ami commun avec Éric Poindron, me disait en substance : « certain que ta biographie trouverait un éditeur ». Flatteur, va…
         Et puis, Philippe Mellet m’envoie un courriel incluant cette demande : « Pourrais-tu me transmettre quelques lignes biographiques qui figureront sous ta contribution ? ».
         Duraille. Réponse : faites as you will.
         Je vous copie-colle ma non-exhaustive éventuelle contribution aux Amis de l’Ardenne
         Pas envie d’ouvrir et de fermer les guilles, cela donne donc cela :
Question bio :
Jef Tombeur tâte du journalisme à Londres vers la fin des années 1960 (Black DwarfInternational Times ; beaucoup plus tard, il fera un stage chez The Independent) ; voyage intensivement (en auto-stop : Europe, Asie, Amérique du Nord...) ; reprend des études d'anglais, abandonne vite le Centre universitaire d'enseignement du journalisme de Strasbourg et collabore à Uss'm Follik, à l'Agence de Presse Libération, Politique-Hebdo... Vend Le Monde à la criée, et obtient la convoitée qualification de « cycliste » (livreur...) à l'Agence France Presse. Journaliste municipal à Belfort, bifurque vers la presse régionale (L'Alsace-Le Pays de Franche-Comté, Le Courrier de l'OuestL'Union...). Entre-temps, il traduit depuis l'anglais (articles, documents techniques, littérature, sciences humaines). Redémarrage parisien avec la défunte Agence centrale de presse, des magazines d'informatique graphique (PixelCréation numériqueCreanum...) ; tente en vain d'obtenir le Capes (décroche un DESS de traduction, un DÉA de civilisations anglophones pour tuer le temps). Rechute down & out : il refait des tas de petits boulots, genre retour case départ sans caisse de compensation (hors passage à l'Encyclopædia Universalis en CDD). Frôlant le grand âge, songe à solliciter la carte de journaliste honoraire (pour les retraités chenus), mais rien ne le presse. Dadas : contribuer aux sites consacrés à Octave Mirbeau et Roger Vailland, re-voyager, bukowskies(ti/qui)ver, promener le chien d'une voisine, alimenter le blogue-notes jtombeur.blogspot.com. Même non-imposable, finirait bien Breton de la diaspora à Bouillon (Ardennes belges). Féru de et congru en typographie (plomb, numérique, autre) au temps jadis qu'il n'en peut plus.
Bon, je sais... je sais... trop long... Possibilités : couper, condenser, caser un pavé en corps 5, interligné 6. Pourquoi pas ? Le c. 5 est accessible aux jeunes pas trop bigleux, et je pourrais tenter de me faire parrainer par des fabricants de loupes pour les autres... 
Version ultra-courte : Jef Tombeur fut journaliste à L'Union, viré par le tandem Hersant-Bozo pour avoir mis publiquement torse-à-poil Dominique Raffin, alors faisant indûment fonction de redchef-adjoint. Vit à Paris quand il n'erre à l'étranger. Vaguement traçable via jtombeur.blogspot.com...
Version minimaliste letteratura povere : Lancer la requête "Jef Tombeur" ou 'Jef Tombeur' (mode expression exacte) : il remontera bien quelque chose. Voir aussi jtombeur.blogspot.com pour se faire une idée de l'individu.

Fin de copié-collé. Bien sûr, ce n’est pas du Cendrars affabulateur, mais… En fait, l’International Times, je le vendais dans la rue, et à l’exception d’une ultra-courte brève, je n’ai rien pondu dans le Black Dwarf. J’y étais surtout vendeur du côté de Piccadilly Circus et gardien de nuit (bouclé par Tariq Ali dans le local après le raout de fin de bouclage du Journal de Che Guevara et obligé de sortir par la fenêtre de l’escalier, puis en passant par une salle de cinéma pornographique : c’était dans Soho).
         Le reste, je le certifie authentique. Sauf que… Franchement, plutôt Cadix et sa belle-aux-yeux-de-velours que Bouillon et les belles des bars montants. Je me souviens d’un jeune gars en colonie de vacances qui me confiait à propos d’une pré-adolescente : « je l’aimais d’un amour sincère  ».
         Je ne m’adule pas, mû par un tel sentiment, mais en me rasant (à l’occasion), je parviens à me supporter. Eh, c’est presque confortable, cosy comme elles et ils disent. Désolé si j’en insupporte d’autres (ce que je tente fréquemment, mais sans méchanceté). Of the importance of being earnest… D’écrire qu’il est – et furent et seront – des êtres tellement plus importants (voire cruciaux) que soi. S’exhiber (à loilpé, par deux fois, dans un bar de Montbéliard d’abord ; ensuite, Gilles Grandpierre me le jure-crache et conserve d’autres photos, de Reims, et là sans prétention artistique), peu me chaud (sauf pour la déconne… mais ça « c’était avant »). N’empêche. J’ai signalé par ailleurs (je ne sais même plus où) l’Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobriographique (APA). C’est à la médiathèque d’Ambérieux-en-Bugey.
         J’aimerais bien y retrouver les pages de Stan (ex-contrebandier maritime de tabac, actuel capitaine de plaisance, auteur de textes inédits exceptionnels, dont je me reproche d’avoir oublié le patronyme), de ses potes, d’Henri (qui vit au Burkina), de Philippe Milner (colocataire rue du Delta), de tant et tant d’autres (« Madame Annie », qui se reconnaîtra peut-être ; Michel Kélif, qui vit à présent près de Rio ; Gérard le ramoneur ; Zaz ; Tatiana Olegovna Sokolova ; Emilia Sur ; Danièle Vaudrey… Non, ne croyez pas que c’est du dropping names pour fabriquer des mots-clefs). Mon gros regret, c’est de n’avoir pas (déjà, cela viendra peut-être), bossé avec Mylène Juste sur son autobiographie. Un « cas », Mylène (pseudo pour le tapin et le Strass). On d’vait l’faire, et puis, la militance a pris l’dessus.
         Autre regret : n’avoir pas même tenté d’aider un prospecteur de métaux en Guyane de rédiger ses mémoires. J’ai oublié son nom, à mon grand dam. Il me sollicitait : je n’ai pas estimé qu’il trouverait un éditeur. Le genre de gars à se recoudre une plaie sur non pas une île, mais un promontoire immergé sur lequel il reste bloqué par l’Amazone en crue. Faut le faire : à l’aiguille courbe pour les voiles…
         Pour le bouquin, excellent, de Jean-Guy Rens sur le Zaïre, j’ai mouillé la chemise en vain. C’est pourquoi, quand Aïssa Lacheb m’a confié le manuscrit de son Plaidoyer pour les justes (écrit en taule, depuis titre du Diable Vauvert éd.), je n’ai que trop mollement tenté d’en parler « autour de moi ».
Mon existence n’est pas « ratée », juste raturée, biffée à maintes reprises. Ben, c’est mieux qu’un blanchiment quasi-constant, monocorde et monotone, non ?
         Je repense à tous les personnages de Roger Vailland qui n’ont laissé de traces que dans les livres du Roger. Que n’ont-elles et ils communiqué, elles et eux-mêmes, leurs témoignages ! Finalement, rien que pour les gosses, je vais peut-être m’y atteler (à un succinct descriptif de mes tribulations). D’ac’, je vais cesser de tirer à la ligne, mais (peut-être, non assurément) à suivre.

mercredi 13 février 2019

Jésuites & éducation « genrée »

La revue jésuite Projet aborde les questions du genre dans l'éducation... 

La revue Projet de février 2019 a pour principal titre « L’éducation a-t-elle un genre ? ». La réponse est peut-être que l’éducation catholique aborde la question de manière bon chic, bon genre… Mais pas tout à fait comme on pouvait s’y attendre.

Le nº 368 de la revue Projet, supervisée par les jésuites, consacre son dossier principal à la question de l’enseignement du genre dans les établissements scolaires ; en particulier – cela va de soi – dans les écoles chrétiennes.
         Cette revue d’excellente tenue prend ainsi un risque sans doute soigneusement mesuré, soupesé. Car la question du genre a soulevé un, des tollés dans certains milieux catholiques ou, plus largement, confessionnels. C’est donc abordé – pure supposition, je n’ai pas lu l’ensemble de la revue, mais son site offre l’accès libre à un large choix de contenus du numéro en cours et des précédents – en marchant de la pointe des pieds sur des œufs. Et tout à fait intelligemment si j’en juge par ce que j’ai pu consulter…
         Certes, on s’en doutait, nulle apologie des homosexualités, de la bisexualité, &c. Mais si les termes ne sont pas employés, en tout cas dans ce que j’ai pu lire, la réalité n’est pas tout à fait évacuée. Il est ainsi fait état des 0,5 à 1,7 % des personnes au sexe biologique mal défini…
         Mon intérêt pour les luttes féministes (articles dans Politique-Hebdo, Libération…) est fort loin derrière moi et ma participation aux enseignements universitaires d’études féministes (parfois rebaptisées improprement études de/du genre… qui les englobent partiellement mais en élargissent le cadre), c’était au siècle dernier. Mais j’ai des restes.
         Très franchement, même en tentant de pinailler (de bonne foi), je n’ai pas grand’ chose à redire sur la contribution de Bruno Saintôt « Qu’est-ce que le genre ? – petit précis d’une notion large ». C’est en fait une rétrospective de l’utilisation de la notion de genre. Vrai : « le pluriel est nécessaire » lorsqu’il est question des théories du genre.
         Je ne sais si Peggy Sastre s’est vue proposer une tribune pour ce numéro, mais je doute fort que la conception in-vitro soit prônée. Mais Marie Duru-Bellat, qui aborde « la tyrannie du genre », et les « stéréotypes de genre », et la non-mixité dans l’éducation, l’écriture inclusive (pour les consœurs et confrères, signalons sa note de bas de page sur le point médian), &c., le fait avec bon sens. Du moins, notamment, si ses arguments sur l’écriture inclusive peuvent être discutés (« cela rend l’identité genrée obsédante »), ils méritent qu’on s’y attarde. Cela étant, la définir « chercheur » et non « chercheuse » ne me semble pas idoine, mais je n’y vois pas une muette « note de la claviste » (au bon temps de Libération, les clavistes mettaient leur grain de sel à la suite des articles). Marie Duru-Bellat est une docteure (dottoressa en italien – j’employai doctoresse antan pour les docteures en médecine et je ne vois pas pourquoi cela serait incongru) ès sociologie et honoris causa de l’université de Genève. Ne chipotons pas, pas d’amalgame ici, ni de procès d’intention…
         Au final, si le sujet vous intéresse, que vous n’en savez que fort peu et voulez bien l’aborder sans idées préconçues et préjugés, ce dossier de Projet est bienvenu. Voyez aussi, sur le site, celui intitulé « Sommes-nous libres de (ne pas) consommer ? ». Sur ce site de Projet, vous trouverez aussi chaussure à votre pied (contribution de Xavier Ricard Lanata : « Trouver chaussure à son pied » du numéro intitulé à la Magritte « Ceci n’est pas un numéro sur la chaussure »). Évidemment, si vous devez interpréter un travesti, comme dans le film Profumo di donna (de Dino Risi), n’y cherchez pas les bonnes adresses d’escarpins pointure 46. La revue Projet est très peu fournie en publicités ou carnet de bonnes adresses. Mais celle de son site est très recommandable.

Typographie : insérer l’espace fine/étroite insécable…

Tête à glyphe, tête à gifle… Le cas de la fine insécable
C’est fou à quel point l’accumulation des contributions sur le même sujet rend difficile la recherche, via un moteur, de la page fournissant la bonne réponse… Pour une question technique typographique, Google, par exemple, va parfois remonter en premier des pages aux contenus déjà obsolètes, mais qui restent très fréquentées. Je viens d’en faire l’expérience avec la requête « espace fine insécable ».
Mon problème était le suivant… La plupart du temps, je saisis les textes destinés à ce blogue-notes sous MSWord (parfois, mais j’en ai de plus en plus la flemme, sous Adobe InDesign). Pratique, sauf que… Les espaces insécables (et tout autant les insécables fines, dénommées insécables étroites en terminologie Unicode) sautent à leur arrivée sous Blogspot. Blogger les débarque. Ou plutôt châtre leur insécabilité. Non exquise excsise (pour plagier Gainsbarre).
         Dans un premier temps, pour y remédier, je clique sur l’icône de l’émoticon/e (émoji) de l’interface d’affichage des caractères spéciaux de Blogger… Mais je n’arrive pas à localiser l’espace insécable.
         Dans un second, je lance diverses requêtes via Google, ce qui fait remonter des pages relatives à l’insertion d’espaces sous WordPress (java et péhâchepé de pages) et quelques-unes se rapportant à Blogger… Verdict : impossible d’insérer une espace fine/étroite insécable… Maintes pages « impertinentes » remontent ce constat.
         Faux. Cela, « c’était avant… ».
Finalement, j’ai fini par la dénicher, la bougre, la finaude (voir l’illustration). Pour Blogger, elle se dénomme Narrow No-Break Space (alias non-breaking en sabir plus usuel). Il sera fastidieux de l’insérer ainsi, mais en attendant…
Je poserai ensuite la question aux abonné·e·s de la Liste typographique francophone (Thierry Bouche, Jacques André…), et ils m’indiqueront (peut-être… ou pas) comment affecter un raccourci clavier à cette fameuse espace. Si possible compatible avec les claviers non-étendus (dépourvus de pavé numérique).
         Restera à tester si les diverses méthodes préconisées pour en générer sous MSWord « passeront la rampe » sous Blogger. En gros, le plus simple est d’effectuer un « Remplacer » et de d’affecter à toutes les insécables l’espacement/approche de valeur inférieure (étroitiser à 40 ou 50 %, à votre goût). Car l’interface d’accès aux glyphes de MSWord ne m’a pas révélé de solution (même en scrutant les emplacements de l’une des toutes dernières polices de Microsoft Typography, la Verdana Pro).
         Bon, je ne vais pas m’étendre, ni y revenir ici. M’enfin, si vous estimez nécessaire d’ajouter votre grain de sel, laissez donc ci-dessous un commentaire en rapport… Pour le moment, je m’en retourne à des occupations plus courantes (ménage, Candy Crush, textes sur Roger Vailland, courses, répondre au téléphone…). Quoique… Pour qui n’y connaît rien, furtif rappel : les insécables s’imposent en typographie française avant certains caractères (et après les guilles doubles chevrons ouvrantes). Enfin, pour qui aime lire et écrire… Pour les un·e·s et les autres, « vous pouvez reprendre une activité normale » comme l’énonçait le Poivre d’Arvor (le vrai, méfiez-vous des imitations) des « Guignols de l’info ».
P.-S. – Pour mieux localiser l'U+202F via l'insertion de caractères spéciaux sous Blogger, après l'avoir trouvée, affichez donc les caractères récents (ce qui vaut aussi pour les numeros (masc. de numeras), ou symboles zéro, lesquels, au pluriel, gagnent à être remplacés par os – non point 117 ni 2116 – en exposant, et même de nombreux autres caractères...).

mardi 12 février 2019

Roger Vailland et Léon Pierre-Quint...


Roger Vailland et Léon Pierre-Quint : une histoire qui reste à défricher…

L’une de mes fugitives préoccupations (majeure, inférieure ou mitigée), c’est l’historiographie. Soit ce que les générations successives retiennent des précédentes, trient, mettent en valeur et mineure. Exemple : pourquoi Roger Vailland (sur)passe au premier plan et relègue un Léon Pierre-Quint au second, troisième, nième ?

Léon Pierre-Quint
Plus on s’intéresse à un personnage (en l’occurrence, Roger Vailland), davantage on s’aperçoit de ce qu’il devait à des personnages considérés à présent « secondaires », voire accessoires. Tout dépend évidemment de l’angle de départ : intéressez-vous à Daumal ou Gilbert-Lecompte, et plus Léon Pierre-Quint retrouve une place « centrale ». A posteriori
Je ne vais pas vous barber avec Léon Pierre-Quint, juste éveiller votre attention en vous signalant ce texte « Léon Pierre-Quint, compagnon “de route” (et d’excès ?) de Roger Vailland ». Titre incitatif, disait-on – dit-on encore ? je ne sais. C’est parti du feuilletage d’un livre de Bruno Taravant (dit Bayon), Les Animals (Grasset). Je vous laisse chercher (ou vous remémorer). Redémarré avec la retrouvaille d’un long article de Daniel Rondeau (frère de l’ami Gérard), dans Le Nouvel Observateur, sur Vailland. Nourri d’interrogations sur Arthur Adamov et Boëglin (pas Bruno, son père ; lointain confrère de L’Union). Envie de fait-diversier de trouver des fils, des nœuds, des carrefours et bifurcations. De transmettre : non pas du mâché tout cru, mais d’inciter à s’interroger, se documenter, imaginer… Se construire. 
                                                                                                                            
La définition du journaliste, c’est quoi  ? Quelqu’un conscient de son ignorance, de sa balourdise, s’efforçant d’en sortir soi-même pour tenter de porter d’autres à faire de même. À le prolonger. Et le nourrir à son tour…
Je crois que ce fut aussi la modeste ambition d’un Léon Pierre-Quint, d’un Roger Vailland. J’aime caser cette sorte de maxime : l’expérience est une lanterne dans le dos permettant de mesurer le chemin parcouru. Sauf que… Sans nostalgie, camarades, presque rien de fécond (sauf exception) ne fut suscité, créé, sans l’impulsion donnée par l’émulation de ce qui a précédé. D’où la question : comment « être » (se faire) Roger Vailland à présent ? Certes pas à l’identique. Et donc, pour ce faire, comment ne pas remonter le temps, au moins jusqu’à Léon Pierre-Quint ? À suivre donc, et perfectionner, en remettant l’ouvrage sur le métier. Sinon, comment espérer passer le relais ?