Roger Vailland « libertin » ? C’est à (re)voir…
Trioliste,
certes… Libertin, c’est moins sûr, quoi qu’il ait pu en dire et écrire, si ce n’est
au sens philosophique du terme… N’en déplaise à divers auteurs qui qualifieront
d’inepties ce qui suit, Roger Vailland fut aussi un « aligné », ne
dénonçant jamais frontalement, si ce n’est de manière ô combien précautionneuse
et détournée, contournée, les Jeannette Vermeersch et autres thuriféraires de
la morale bourgeoise du Parti communiste.
En revanche, oui, il tenta de rester un esprit libre… Mais on
le vit de même décalquer la ligne officielle du Parti communiste à propos de
Pierre-Mendès France, et d’autres sujets.
Comme
un pétri de catholicisme, ce qu’il fut sans doute comme tant d’autres au temps
de sa prime jeunesse, Roger Vailland avait sans doute intégré une notion du
« respect humain » qu’il interprétait à sa manière changeante. Peut-être
jouait-il en son for intérieur un complexe double jeu. Certes, dès Drôle de jeu, comme le relève
Jean-Pierre Tusseau dans son Roger
Vailland : un écrivain au service du peuple, le personnage de Rodrigue,
« le pur, le petit jésuite du communisme,
enfermé dans ses certitudes par peur de la vie, nous est dépeint sans tendresse. ».
De Rodrigue, Vailland-Marat dit : « Je n’aime pas qu’on entre dans le communisme comme on entre dans les
ordres. ». S’il vécut tôt et finit en libre penseur (sa mise en terre
en témoigna), et désabusé par les crimes staliniens (mais en revanche, il s’exprima
bien peu sur les exactions de prétendus FTP de l’ultime seconde[1],
adhérents du PCF, contre les femmes, les adolescents et les enfants en bas-âge
liquidés, tout comme les Résistants opposants à la ligne du parti ou les
anarchistes espagnols non conformes), Roger Vailland n’en resta pas moins pour
une longue période l’un des plus ardents laudateurs du stalinisme. Ce que
résume ainsi Jean-Pierre Tusseau : le bolchevik triompha du libertin ;
avant que le naturel, ou plutôt une introspection rétrospective, ne reprenne le
dessus.
En
1963, quand André Thérive présente Le
Regard froid dans La Revue des deux
mondes, il conclut « Tout ceci
est littérature ». Soit en quelque sorte, une pose, une posture, voire
une autojustification. Thérive voit en Vailland davantage un jouisseur « immoraliste » (« terme mis à la mode par André Gide il
y a plus de cinquante ans »). C’est bien sûr ce « mis à la mode » qui retient l’attention.
De Vailland « écrivain très
distingué et romancier de grand mérite », il décèle principalement, dans ce Regard froid, l’expression d’un
« amour-propre ».
C’est
fort discutable, vaut d’être disputé, et dans la revue Esprit il est relevé que s’il se constate en littérature et dans le
cinéma de l’époque « un engouement
pour le libertinage », Vailland « veut déboucher sur d’autres perspectives et peut-être n’est-il que le
cheval de Troie d’un auteur désireux de nous faire entendre une musique
beaucoup plus radicale. ». Yves Bertherat voit dans ce recueil d’essai
l’expression d’un « idéal du moi que
nous portons tous ».
Ces deux textes, réunis
en un document PDF, et rapidement commentés, sont consultables en ligne.
Ils témoignent d’une partie de la réception par la critique d’un Regard froid lors de sa parution.
(visuels : en h. à d., André Thérive ; et ci-dessus, Yves Bertherat)
(visuels : en h. à d., André Thérive ; et ci-dessus, Yves Bertherat)
[1] Sur la
question, un exemple plus que probant, L’Honneur
perdu d’un résistant – un épisode trouble de l'épuration, de Jean-Pierre
Perrin et Rémy Lainé, sur Maurice Giboulet (en accès
libre sur Gallica), et bien sûr, les livres de Philippe Gourdrel, La Grande Débâcle de la collaboration
(Cherche-Midi éd.), et L’Épuration
sauvage (éds Perrin).
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