dimanche 17 février 2019

Le regard froid de Roger Vailland vu par Thérive et Bertherat


Roger Vailland « libertin » ? C’est à (re)voir…

Trioliste, certes… Libertin, c’est moins sûr, quoi qu’il ait pu en dire et écrire, si ce n’est au sens philosophique du terme… N’en déplaise à divers auteurs qui qualifieront d’inepties ce qui suit, Roger Vailland fut aussi un « aligné », ne dénonçant jamais frontalement, si ce n’est de manière ô combien précautionneuse et détournée, contournée, les Jeannette Vermeersch et autres thuriféraires de la morale bourgeoise du Parti communiste.

En revanche, oui, il tenta de rester un esprit libre… Mais on le vit de même décalquer la ligne officielle du Parti communiste à propos de Pierre-Mendès France, et d’autres sujets.
      Comme un pétri de catholicisme, ce qu’il fut sans doute comme tant d’autres au temps de sa prime jeunesse, Roger Vailland avait sans doute intégré une notion du « respect humain » qu’il interprétait à sa manière changeante. Peut-être jouait-il en son for intérieur un complexe double jeu. Certes, dès Drôle de jeu, comme le relève Jean-Pierre Tusseau dans son Roger Vailland : un écrivain au service du peuple, le personnage de Rodrigue, « le pur, le petit jésuite du communisme, enfermé dans ses certitudes par peur de la vie, nous est dépeint sans tendresse. ». De Rodrigue, Vailland-Marat dit : « Je n’aime pas qu’on entre dans le communisme comme on entre dans les ordres. ». S’il vécut tôt et finit en libre penseur (sa mise en terre en témoigna), et désabusé par les crimes staliniens (mais en revanche, il s’exprima bien peu sur les exactions de prétendus FTP de l’ultime seconde[1], adhérents du PCF, contre les femmes, les adolescents et les enfants en bas-âge liquidés, tout comme les Résistants opposants à la ligne du parti ou les anarchistes espagnols non conformes), Roger Vailland n’en resta pas moins pour une longue période l’un des plus ardents laudateurs du stalinisme. Ce que résume ainsi Jean-Pierre Tusseau : le bolchevik triompha du libertin ; avant que le naturel, ou plutôt une introspection rétrospective, ne reprenne le dessus.
En 1963, quand André Thérive présente Le Regard froid dans La Revue des deux mondes, il conclut « Tout ceci est littérature ». Soit en quelque sorte, une pose, une posture, voire une autojustification. Thérive voit en Vailland davantage un jouisseur « immoraliste » (« terme mis à la mode par André Gide il y a plus de cinquante ans »). C’est bien sûr ce « mis à la mode » qui retient l’attention. De Vailland « écrivain très distingué et romancier de grand mérite », il décèle principalement, dans ce Regard froid, l’expression d’un « amour-propre ».
      C’est fort discutable, vaut d’être disputé, et dans la revue Esprit il est relevé que s’il se constate en littérature et dans le cinéma de l’époque « un engouement pour le libertinage », Vailland « veut déboucher sur d’autres perspectives et peut-être n’est-il que le cheval de Troie d’un auteur désireux de nous faire entendre une musique beaucoup plus radicale. ». Yves Bertherat voit dans ce recueil d’essai l’expression d’un « idéal du moi que nous portons tous ».
Ces deux textes, réunis en un document PDF, et rapidement commentés, sont consultables en ligne. Ils témoignent d’une partie de la réception par la critique d’un Regard froid lors de sa parution.
(visuels : en h. à d., André Thérive ; et ci-dessus, Yves Bertherat)




[1] Sur la question, un exemple plus que probant, L’Honneur perdu d’un résistant – un épisode trouble de l'épuration, de Jean-Pierre Perrin et Rémy Lainé, sur Maurice Giboulet (en accès libre sur Gallica), et bien sûr, les livres de Philippe Gourdrel, La Grande Débâcle de la collaboration (Cherche-Midi éd.), et L’Épuration sauvage (éds Perrin).

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