jeudi 14 février 2019

Le sociologue Jean-Claude Kaufmann se dédouble dans Le Monde

Valentine et Valentin Kaufmann indiscernables tels des saints…

Après Marcel Aymé (Les Sabines), Claire Wolniewicz (Ubiquité), voire Alphonse Allais (Deux et deux font cinq), Le Monde s’est lancé dans l’ésotérisme en réussissant à dédoubler le sociologue Jean-Claude Kaufmann.
Et voilà que Le Monde « écrit pour Google » en usant de la grosse ficelle de la redondance des mots-clefs… Dans la rubrique « Opinions », le site du quotidien de référence/révérence (daté 12 fév. dernier) a confié une tribune intitulée « La Saint-Valentin fut longtemps une fête des célibataires et de la rencontre » à deux sociologues : Jean-Claude Kaufmann et Jean-Claude Kaufmann. Mieux que les Dupont et Dupond d’Hergé, deux pour le prix d’un, rigoureusement identiques.
         La page d’accueil indique qu’un quidam (Jean-Claude Kaufmann), et un sociologue (Jean-Claude Kaufmann) ont co-signé la dite tribune. Cliquer révèle que Jean-Claude Kaufmann 1 (sociologue) et Jean-Claude Kaufmann 2 (sociologue, en gras) nous expliquent que la fête de la Saint-Valentin est bimillénaire (ah bon ? Le premier Kaufmann se réfère peut-être à Valentin de Rome, le second à celui de Réthie, et en additionnant leurs antériorités respectives, à quelques siècles près, cette approximation se conçoit… enfin, grosso modo).
         Il est vrai que Wikipedia nous indique que ces Valentin « seraient en fait une même personne ». C’est peut-être pourquoi, dans le châpo de la tribune, la ou le sec’ de rédac’ énonce : « Dans une tribune au Monde, le sociologue Jean-Claude Kaufmann revient sur l’histoire méconnue de la fête des amoureux de février. ». Les deux ne font donc bien qu’un. C’est fusionnel, la Saint-Valentin !
         C’est plutôt vers avril que les Romains célébraient Vénus, mais admettons qu’une fête des amoureux ait pu l’être avant même que Jésus Christ et Marie-Madeleine l’aient (rien n’est moins sûr, la photographie n’existait pas et nous ne disposons pas de documents visuels affirmeraient les « Décodeurs » du Monde) mise à profit, mais plus tard selon le calendrier hébraïque (voir infra).
         Toujours est-il que, sans doute, l’aspect fête des couples légitimes ou non aurait pu prendre son essor en Europe vers les années 1950. L’auteur de Quand Je est un autre (Armand Colin éd.) et de Saint-Valentin mon amour (éds Les Liens qui libèrent) était tout indiqué pour évoquer – en duo – cette aubaine pour fleuristes et marchands de cartes de vœux. On ne sait si la ou les amoureuses du sociologue sont adeptes du triolisme, mais Le Monde leur a offert l’occasion de recevoir deux fois leurs hommages (ceux du Je et de l’autre). Si les deux Kaufmann sont pluriamoureux, leurs budgets jumelés doivent être copieux.
         On comprend fort bien d’ailleurs que pour se démultiplier (sur France Info, TV5, NRJ, &c.), on fasse mieux à deux…
         Pour Myriam Lebret, de L’Yonne républicaine, la dizaine de saints dénommés Valentin ne font plus qu’un : « Il y a eu plusieurs saints Valentin et ils n’étaient pas patron (sic) des amoureux ». Pour Cathy Lafon, de Sud-Ouest, les dix de L’Yonne n’étaient plus que sept : « pas moins de sept saints de l’église chrétienne répondent à ce nom ! ». Vérité en deçà, mensonge au-delà (de la rivière yonnaise). L’un des Kaufmann (mais lequel ?), pour ChEEk Magazine, fait une moyenne : « certaines sources disent huit, d’autres disent même plus. ». La maladie des vignes serait devenue, selon lui, maladie d’amour (enfin, à Saint-Valentin, dans l’Indre). Il nous précise aussi qu’en Angleterre « chacun devenait valentin et valentine et avait alors une double identité » (même source) et que « en tant que valentin, on avait beaucoup plus de libertés sexuelles que durant la vie habituelle ». Et en qualité de valentine ? Espérons que J.-C.-Valentin et J.-C. Valentine en profitent ! Qu’en pense Marie-Hélène Bourcier ? Finaude (éléphantesque) transition pour « élargir le débat » car M.-H. Bourcier voudrait que Valentin et Valentine Kaufmann partagent des ouécés à « genre neutre ».
         Depuis que la sociologie s’est intéressée aux lieux d’aisance (Harvey Molotch et Laura Norén), ou de commodités (Roger-Henri Guerrand), de nécessités (Sian James et Morna E. Gregory), et que les feuillées ont généré de multiples bonnes feuilles et pages et nourri leurs auteur·e·s (pour le Maroc médiéval, ils s’étaient mis à quatre : J.-P. Van Staëvel, Marie-Pierre Ruras, Admed Saleh Ettahir et Abdallah Fili – Tu quoque fili…), le moindre fait de la vie quotidienne (Dis-moi comment du fais – toilettes : histoire(s) & sociologie, Simone Scoatarin) – et je vous passe Norbert Elias (1897-1990), auteur de La Civilisation des mœurs, Claude Maillard (Les Précieux Édicules), et d’autres – fait l’objet d’une publication.
         Pour en revenir à la fête de ce 14 février, Jean-Claude Bologne, historien, auteur d’Histoire du couple (Perrin) et Histoire du coup de foudre (Albin Michel), fait remonter les origines françaises à Charles d’Orléans, fils de Valentine Visconti.
         Dans la presse et l’édition déchaînées, on trouve à boire et à manger…
       Il est quand même dommage que, pour Le Monde, Kaufmann et son jumeau n’aient pu dialoguer, l’un soutenant que l’estivale Tou Beav (ou Tu B’Av) biblique était à l’origine de la pré-printanière Saint-Valentin, et l’autre se récriant. Le premier soutenant que le monde islamique bannit cette fête, le second pointant qu’elle est désormais célébrée en… Afghanistan. Bah, d’ici quelques années, l’hivernale chinoise Fête des célibataires supplantera peut-être les autres…
         Comment conclure ? Par, allez, cette citation de la chute d’Olivier Perrin, dans Le Temps (Genève) : « La Saint-Valentin (…) c’est surtout tellement inutile. Aussi inutile que cet article. ». Pirouette, cacahuète, terminé ; mais sur un autre sujet, je vais récidiver

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