mardi 10 décembre 2019

Présidentielles algériennes : le boycott des Algériens de France


Les hirakistes bloquent les points de vote en IdF

« Vendus ! » ; « Pas de vote » : le consulat de Créteil et d’autres points de vote des Algérien·ne·s d’Île-de-France ont été bloqués par des groupes tentant de dissuader de se rendre aux urnes. D'autres blocages, en France et à l'étranger, devraient être constatés demain et jeudi. 
L’élection d’un candidat à la présidence de la république algérienne sera très vraisemblablement marquée par un taux record d’abstention. Et c’est sans doute déjà le cas à travers la diaspora algérienne, appelée à se prononcer depuis hier.
Le mouvement populaire algérien, le hirak, réclamait l’annulation des élections présidentielles qui tournent effectivement à la mascarade : les candidats, considérés par le hirak être des faux nez du pouvoir militaire, font mollement campagne, évitant de paraître dans les grandes villes. Et, sauf erreur, n’ont pas trop tenté de s’aventurer hors des frontières pour aller à la rencontre de l’électorat de la diaspora, particulièrement important en France et au Bénélux.
Pour cause. Samir Ghelaoui, de El Watan, a constaté qu’une « caravane de sensibilisation contre l’élection » avait parcouru l’Île-de-France. Un canvassing particulièrement efficace car de rares personnes se sont rendues « au compte-gouttes » dans les points de vote.
Elles ont cependant, si elles n’avaient pas rebroussé chemin, pu voter. Mais au risque non seulement de voir conspuées mais aussi photographiées et filmées en vue d’une diffusion de leurs visages sur des réseaux sociaux. Outre brandir des pancartes, les hirakistes ont crié des slogans tels que « Vendus, honte à vous ! » ou, ce qui peut sembler insolite à l’observateur peu au fait de l’opinion algérienne, « harkis, enfants de harkis ». On entendit même des « pouvoir assassin, Macron complice ».
On ne voit pas trop des filles ou fils de harkis voudraient conforter les actuels dirigeants algériens, mais… le hirak se revendique des fondamentaux de la guerre pour l’indépendance que le clanisme des Bouteflika et des hauts gradés aurait trahis. Le surnom de chiyatine (favorable à ces élections) est devenu synonyme de traître. Cela va loin. Déjà, dans El Manchar, en mars, on pouvait lire que même si Abdelaaziz était mort, les chiyatines « seraient prêts à voter pour lui ». Et qu’ils doivent se cacher pour effectuer achats dans des établissements ou commerces considérés dirigés ou tenus par d’autres chiyatines. Ce site, qui peut évoquer celui du Gorafi, n’en reflète pas moins la sensibilité hirakienne.
Quant à la référence à Emmanuel Macron, elle s’explique par le fait que, même si le pouvoir se sert de l’ingérence étrangère (entendez, française) — une manifestation pro-élection à Alger l’invoquait encore lundi — pour dénoncer un hirak noyauté par une puissance (devinez laquelle), une grande partie de la rue algérienne est persuadée que « la France » soutient les généraux. La preuve ? Elle se tait. Et si « la France » disait quoi que ce soit qui n’équivaudrait pas à une nette prise de position pour le hirak, voire tant bien même, la suspicion persisterait.
La presse française s’est peu penchée sur le hirak en France et c’est un ami algérien qui m'a appris que, chaque semaine, place de la République à Paris, des manifestations étaient organisées (et que les lieux étaient ensuite nettoyés par les manifestant·e·s).
Je ne sais si, devant les consulats, le cachir (saucisson rouge d’apparence proche d’un cervelas rectiligne), devenu symbole de la chitta (soumission à tout pouvoir), était brandis ou projetés. C’est devenu, depuis 2014 (année du quatrième mandat de Bouteflika), une sorte d’emblème de l’achat des voix. Exemple d’emploi dans le langage courant des hirakistes : « mangeurs de cachir, sachez que nous sommes l’avenir ».
Toujours El Manchar : « Azzedine Mihoubi a été désigné le pion favori du système ». Mais Abdelkader Bengrina (islamiste devenu ministre du Tourisme après la décennie 1990), qui, selon El Watan, « lorgne l’électorat confrérique » (musulman malekite), conserverait ses chances. Tout candidat (ils sont cinq, et d’autres sources donnaient Ali Benflis ou Abdemadjid Tebboune favoris) sera considéré être un fantoche du général Gaïd Salah dont le retrait de la vie publique est exigé. Il semble qu’un procès pour « intelligence avec un État étranger » visant un collaborateur d’Ali Benflis, et impliquant le candidat pour la détention d’un compte bancaire en France, ait été instrumentalisé pour décourager son électorat.
Lequel Ahmed Gaïd Salah s’est félicité du patriotisme « de notre communauté à l’étranger » qui se serait acquittée de son devoir électoral. Ce qui, pour les hirakistes est soit un ahurissant déni de réalité, soit le présage que les chiffres seront massivement truqués. Pour Hacène Hirèche, correspondant du Matin, il s’agit de mensonges éhontés qui « confirment la vraie et sombre face du régime ».
Hacène Hirèche, devant le consulat du boulevard de Charonne, a vu conspuer « les rares brebis galeuses arrivées têtes baissées et accompagnées de CRS pour voter comme au temps de la colonisation. ». On ne se souvient pas vraiment que la colonisation ait contribué à faire élire, en juin 1946, Ferhat Abbas, député de Sétif (il devint par la suite le premier président de l’Algérie), mais glissons…
Ouverts depuis le 7 dernier, les bureaux de vote à l’étranger ne fermeront que dimanche prochain. Difficile donc de se prononcer sur la participation finale. Mais on relève qu’à Toulouse, une manifestante ayant prétendu vouloir voter afin de filmer à l’intérieur du consulat, s’est vue arracher son téléphone qui fut brisé : on se doute qu’en cas d’affluence, la réaction consulaire aurait pu être différente. Par ailleurs, Dzair Daily fait état d’un blocage total du consulat de Lausanne et évoque une participation globale de la diaspora de l’ordre de… 1 %.
En fait, le pouvoir algérien, faute de museler toute la presse, veut contrôler des médias aux ordres. Le très populaire journaliste Mahrez Rabia vient d’être remercié de la chaîne Canal Algérie en raison de son surpoids. Divers de ses confrères de la Radio nationale ont été limogés, ont démissionné, ou dénoncent encore les pressions qu’ils subissent.
Pour le hirak, la France serait redevenue le pays de la wilaya 7. C’est du moins le sens d’un éditorial du Matin « L’honneur rapatrié, le déshonneur exporté ». Les Algériens de France sont les dignes héritiers de leurs aînés et « rapatrient leur honneur (…) savourent la fierté d’être algériens ». Soit. Cet éditorial est illustré d’un visuel insolite : un drapeau algérien, une pancarte brandie « vote de la trahison, 57 ans, basta ». 57 ans… Allusion au MNA de Messali Hadj ? Qui dut, en janvier 1961, laisser la primauté des opérations au FLN ? Ou coquille (Ben Bella fut renversé en juin 1965) ?
On ne doute pas que la société civile algérienne compte nombre d’intellectuel·le·s, de syndicalistes, de diplômé·e·s compétent·e·s. Mais il est difficile de distinguer un fédérateur entouré d’une équipe pouvant assurer la relève.
De plus, même s’il pouvait sembler plus soucieux de publicité personnelle que d’obtenir un mandat électif, Rachid Nekkaz, homme d’affaires et activiste ayant dénoncé la loi sur les hydrocarbures en appelant le peuple en armes à exécuter des députés, ou s’étant proposé de porter plainte contre Gaïd Salah, vient d’être accusé « d’atteinte à l’unité nationale » et placé en détention. D’autres figures populaires sont aussi empêchées de s’exprimer par le pouvoir.
Si une pétition adressée au gouvernement afin d’éviter « tout dérapage » a été signée par 19 personnalités nationales considérant qu’il ne faut pas que le hirak se focalise sur ces élections et qu’il sera capable d’outrepasser leur suite « grâce à sa conscience et son civisme », on ne distingue pas vraiment quoi d’autre les rassemblera.
Pour calmer l’opinion, des anciens ministres et des oligarques, ou encore le directeur de la Banque nationale viennent d’être condamnés à des peines allant de trois à 15 ans. Le seul acquitté restera en prison (A. Zaalane, ex-ministre des TP et Transports), en l’attente d’un autre jugement.
Madani Mezrag, ex-dirigeant de l’Armée islamique du salut, a incité à la participation ou à voter blanc. Le Mouvement de la société pour la paix, présidé par Abderrazak Makri ne soutiendra aucun candidat et doute de la transparence des opérations de vote. Mais les religieux s’inquiètent des protestations étudiantes, de la progression des mariages civils (ou du concubinage), et du sentiment séculariste. La « révolution du sourire » les fait grimacer. Ils pourraient être tentés de se rallier, sans trop l’afficher, au vainqueur de l’élection, mieux susceptible d’être garant de leur emprise. L’écrivain Adda Fellahi, ex-conseiller auprès des Affaires religieuses, appelle à la participation et s’inquiète d’une radicalisation croissante du hirak. L’influence des évangélistes en Kabylie suscite aussi des interrogations. L'alliance du sabre et du goupillon semble en passe d'être reconduite.
Reste à savoir si les méthodes employées par les Algériens de l’étranger seront reprises en Algérie ce 12 décembre… Et si des barrages pacifiques, néanmoins dissuasifs, ne seront pas dispersés de manière musclée. Enfin, en cas de participation ridiculement basse (ou paraissant outrageusement gonflée), il semble difficile de présager des lendemains.
Qui seront de toute façon difficile alors que le dinar est en passe de passer au-dessus de la barre des 200 contre un euro…

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