Du contrat de l’institutrice de 1923 et autres « clichés » commodes
Récemment (entrée Facebook datée du 1er septembre), je tombe de nouveau sur le fameux visuel Contrat de l’institutrice,
1923. Un faux ? Un habile plaidoyer pour inciter à autoriser les
fonctionnaires musulmanes à porter le voile ? N’extrapolons pas trop…
Pour qui aurait échappé à cette tarte à la crème qu’est ce Contrat
de l’institutrice, 1923, autant en retranscrire l’essentiel…
Contrat de l’institutrice, 1923
En vertu de la présente entente entre Mademoiselle ___,
institutrice, et le Conseil de l’école ___ (…) Mademoiselle ___ se conformera
aux conditions suivantes :
1-Ne pas se marier ;
2-Ne pas fréquenter d’hommes ;
3-Ne pas sortir de la maison entre 8 h du soir et 6 h du
matin (…) ;
4-Ne pas traîner dans les bars laitiers du centre-ville ;
5-Ne quitter la ville sans avoir reçu la permission (…) ;
6-Ne pas fumer de cigarettes ;
7-Ne pas boire de bière, de whisky ou de vin (…) ;
8-Ne pas monter dans une voiture (…) avec un homme autre que
son frère ou son père ;
&c.
La suite portant sur la tenue vestimentaire, les tâches
quotidiennes ou hebdomadaires relatives à la préparation ou remise en état de
la salle de classe…
Tout d’abord, est-ce un faux ? Radio Canada, ayant
consulté le site Hoaxbuster, conclut qu’il s’agit d’un canular… Ah bon ?
Ayant eu entre les mains l’original, l’avoir communiqué aux experts d’Adobe,
Monotype, Microsoft Typography, et à des consultants spécialisés en papeterie ?
Lesquels détermineraient la provenance du papier et si, oui ou non, la
composition fut effectuée au plomb ou en utilisant une police numérique (et exactement
laquelle) ?
Ce que je constate, c’est que « bar laitier »,
traduisant tant diary bar que milk bar ou ice-cream parlour,
correspond à un « petit commerce (…) de produits laitiers (…)
à base de glace alimentaire » (Thésaurus de l’activité
gouvernementale ; Grand dictionnaire terminologique : mise
à jour 2016). Mais, en juin 2011, l’Office québécois de la langue française en
déconseillait l’emploi (au profit de « comptoir de crème glacée »).
La locution ne serait apparue que vers la fin du siècle dernier, voire le début
du présent millénaire. On la retrouve au Tchad ou au Cameroun pour désigner des
débits de lait (plus ou moins frais), fixes ou ambulants, vers 1990. En
Afrique, la « molle à l’érable » (glace au sirop…) se vendrait plutôt
chez un glacier. Je n’ai pu déterminer quand Le Bobil (ex-Le Robil en 1946) du
boulevard Hamel de Saguenay (« plus vieux bar laitier de Québec »,
selon Le Quotidien) s’est ainsi qualifié, mais je note que Le Petit
Robert (édition québécoise) a attendu 2013 pour admettre cette entrée. Faux
document, donc, celui daté de 1913.
Le faussaire (ou galéjeur) se serait inspiré soit du
règlement de la Westwood Hills California Christian Church de 1915, soit d’un
document de 1872 (ou d’autres, bien antérieurs, et d’origines anglophones).
L’un de ces documents stipulait (adaptation libre de l’anglais)
que les instituteurs pouvaient s’accorder un soir par semaine (ou deux s’ils
fréquentaient une église assidûment) pour se trouver une épouse, tandis que les
institutrices se fiançant ou se mariant seront démises de leurs fonctions, donc
limogées. Il était proscrit aux enseignant·e·s de fumer, boire des alcools, de
fréquenter des salles de billard ou des débits de boisson (et pour les hommes,
les barbiers). Après dix heures de travail (enseignement, tenue des locaux,
préparation des cours et corrections des devoirs), il était recommandé de lire
la Bible ou « d’autres bons livres ».
Pro-voile ?
Quelles furent les intentions du ou de la faussaire ?
Rien en tout cas ne permet d’affirmer que la résurgence de la diffusion de ce
document controuvé découlerait de la polémique opposant Henri Peña-Ruiz
(soutenu par les groupes Esprit laïque, Riposte laïque, &c.) à une partie
des adhérents ou suiveurs de La France insoumise.
Pour mémoire, le philosophe avait employé le terme d’islamophobe
(il aurait mieux été inspiré d’utiliser religiophobe, mais, bon…), soulevant un
tollé. Ce alors que son emploi d’athéophobe n’inspirait pas la moindre diatribe
et que sa phrase avait été tronquée (il considérait en fait qu’être « phile »
ou « phobe » se concevait, mais qu’on n’aurait pas le droit « de
rejeter des hommes ou des femmes parce qu’ils sont musulmans ou catholiques ou
athées »). Ou polythéiste nazi ? Allez, padamalgam… et ne chutons
pas en des travers outranciers qu'il faut laisser à d'autres.
N’empêche que si je ne peux présumer des intentions de qui
reprend cette diffusion (pour des raisons qui peuvent aller du simple
étonnement à la volonté de dénoncer la religiosité perdurant et la prégnance d’un
christianisme se prétendant, selon certains, seul garant des bonnes mœurs dans
notre société, ou la culture patriarchale, en passant par la facétie ressentie
en lisant un texte cocasse et de vouloir la partager), je m’interroge.
Glissement donc, de ma part, du factuel à l’expression d’une
opinion.
Je ressens la montée en puissance des communautarismes,
mettons liant culturel et cultuel. Cultuel au sens large lorsque je constate
que des végans adeptes du wiccanisme (néopaganistes) en viendraient (conditionnel,
pure supputation) à se livrer à des fumigations et autres rites devant des
boucheries ou des abattoirs, autour de zoos ou des étals de marchands de
volailles vivantes sur des marchés.
Le voile musulman, donc… Comparable au fichu ou au chapeau
de la femme « comme il faut » des débuts du siècle dernier, bonne pratiquante
ou non.
C’est quelque peu oublier que si « les filles en cheveux »,
comme plus tard les garçonnes, étaient montrées du doigt ou affrontaient des
regards réprobateurs, elles n’étaient pas harcelées. L’expression « fille en
cheveux » remonte d’ailleurs au Code des Lombards qui prévoyait que des
femmes pouvaient hériter de biens et qu’une veuve « reprenait son droit
de fille en cheveux » (L’Investigateur, 1846, et écrits
antérieurs). Tandis qu’en septembre 2019, un candidat d’Ennahdha considère que s’il
est favorable à ce que les femmes puissent hériter, il ne veut pas l’imposer :
« laisser les gens choisir, c’est plus judicieux » (Hatem
Bouliabar, chaîne Elhiwarettounsi ; ces «gens» ne sont pas ceux de Mélenchon, mais si la gente féminine veut renoncer à hériter, alors...). Les Lombards, ou Langobards, c’est vers l’an 500.
Alors, laisser du temps au temps ? Mais au profit de
qui ? De gens de bonne espérance ?
Ou d’électoralistes se prétendant de gauche, de droite, de plus
à dextre ou senestre, voire d’un centre frileux (Julien Denormandie, ministre
de la Ville, considérant qu’Henri Peña-Ruiz s’exprima maladroitement et donna « le sentiment que c’est normal d’être islamophobe » – tweet
du 28 août dernier) ? Et surtout soucieux de se concilier des électorats
communautaristes ?
Ma religiophobie ne me porte pas à prêcher l’hostilité, la
défiance systématique. On trouve partout (ou presque) des femmes et des hommes
de bonnes volontés, ce qui ne les empêche pas de se fourvoyer (ou de le
prétendre ? : zut, je m’étais promis de taire le nom de Yann Moix)…
Allez, retour à 1923… Zinaïda Kokorina devient pilote de
bombardier dans l’aviation soviétique ; Marie Marvingt, pionnière de l’aviation
sanitaire, est nommée déléguée de la Ligue aéronautique française ; Bessie
Coleman, Afro-Américaine, écrase son Curtiss Jenny (biplan monomoteur) à Santa
Monica ; Amelia Earhart obtient son brevet de pilote… 2019, Yasmeen Al
Maimani, une Saoudienne, devient commandante de bord en second de Nesma Airways
et pose aux commandes avec son supérieur (qui n’est pas un parent), sans voile
sur la tête. La photo n’est pas truquée. Et elle n’a pas à faire le ménage de
la cabine aux escales…
Les temps s’accélèrent parfois.
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