mardi 3 septembre 2019

Médialogie : contrat de l’institutrice, laïcité et miscellanées

Du contrat de l’institutrice de 1923 et autres « clichés » commodes

Récemment (entrée Facebook datée du 1er septembre), je tombe de nouveau sur le fameux visuel Contrat de l’institutrice, 1923. Un faux ? Un habile plaidoyer pour inciter à autoriser les fonctionnaires musulmanes à porter le voile ? N’extrapolons pas trop…
Pour qui aurait échappé à cette tarte à la crème qu’est ce Contrat de l’institutrice, 1923, autant en retranscrire l’essentiel…
Contrat de l’institutrice, 1923
En vertu de la présente entente entre Mademoiselle ___, institutrice, et le Conseil de l’école ___ (…) Mademoiselle ___ se conformera aux conditions suivantes :
1-Ne pas se marier ;
2-Ne pas fréquenter d’hommes ;
3-Ne pas sortir de la maison entre 8 h du soir et 6 h du matin (…) ;
4-Ne pas traîner dans les bars laitiers du centre-ville ;
5-Ne quitter la ville sans avoir reçu la permission (…) ;
6-Ne pas fumer de cigarettes ;
7-Ne pas boire de bière, de whisky ou de vin (…) ;
8-Ne pas monter dans une voiture (…) avec un homme autre que son frère ou son père ;
&c.
La suite portant sur la tenue vestimentaire, les tâches quotidiennes ou hebdomadaires relatives à la préparation ou remise en état de la salle de classe…
Tout d’abord, est-ce un faux ? Radio Canada, ayant consulté le site Hoaxbuster, conclut qu’il s’agit d’un canular… Ah bon ? Ayant eu entre les mains l’original, l’avoir communiqué aux experts d’Adobe, Monotype, Microsoft Typography, et à des consultants spécialisés en papeterie ? Lesquels détermineraient la provenance du papier et si, oui ou non, la composition fut effectuée au plomb ou en utilisant une police numérique (et exactement laquelle) ?
Ce que je constate, c’est que « bar laitier », traduisant tant diary bar que milk bar ou ice-cream parlour, correspond à un « petit commerce (…) de produits laitiers (…) à base de glace alimentaire » (Thésaurus de l’activité gouvernementale ; Grand dictionnaire terminologique : mise à jour 2016). Mais, en juin 2011, l’Office québécois de la langue française en déconseillait l’emploi (au profit de « comptoir de crème glacée »). La locution ne serait apparue que vers la fin du siècle dernier, voire le début du présent millénaire. On la retrouve au Tchad ou au Cameroun pour désigner des débits de lait (plus ou moins frais), fixes ou ambulants, vers 1990. En Afrique, la « molle à l’érable » (glace au sirop…) se vendrait plutôt chez un glacier. Je n’ai pu déterminer quand Le Bobil (ex-Le Robil en 1946) du boulevard Hamel de Saguenay (« plus vieux bar laitier de Québec », selon Le Quotidien) s’est ainsi qualifié, mais je note que Le Petit Robert (édition québécoise) a attendu 2013 pour admettre cette entrée. Faux document, donc, celui daté de 1913.
Le faussaire (ou galéjeur) se serait inspiré soit du règlement de la Westwood Hills California Christian Church de 1915, soit d’un document de 1872 (ou d’autres, bien antérieurs, et d’origines anglophones).
L’un de ces documents stipulait (adaptation libre de l’anglais) que les instituteurs pouvaient s’accorder un soir par semaine (ou deux s’ils fréquentaient une église assidûment) pour se trouver une épouse, tandis que les institutrices se fiançant ou se mariant seront démises de leurs fonctions, donc limogées. Il était proscrit aux enseignant·e·s de fumer, boire des alcools, de fréquenter des salles de billard ou des débits de boisson (et pour les hommes, les barbiers). Après dix heures de travail (enseignement, tenue des locaux, préparation des cours et corrections des devoirs), il était recommandé de lire la Bible ou « d’autres bons livres ».
Pro-voile ?
Quelles furent les intentions du ou de la faussaire ? Rien en tout cas ne permet d’affirmer que la résurgence de la diffusion de ce document controuvé découlerait de la polémique opposant Henri Peña-Ruiz (soutenu par les groupes Esprit laïque, Riposte laïque, &c.) à une partie des adhérents ou suiveurs de La France insoumise.
Pour mémoire, le philosophe avait employé le terme d’islamophobe (il aurait mieux été inspiré d’utiliser religiophobe, mais, bon…), soulevant un tollé. Ce alors que son emploi d’athéophobe n’inspirait pas la moindre diatribe et que sa phrase avait été tronquée (il considérait en fait qu’être « phile » ou « phobe » se concevait, mais qu’on n’aurait pas le droit « de rejeter des hommes ou des femmes parce qu’ils sont musulmans ou catholiques ou athées »). Ou polythéiste nazi ? Allez, padamalgam… et ne chutons pas en des travers outranciers qu'il faut laisser à d'autres.
N’empêche que si je ne peux présumer des intentions de qui reprend cette diffusion (pour des raisons qui peuvent aller du simple étonnement à la volonté de dénoncer la religiosité perdurant et la prégnance d’un christianisme se prétendant, selon certains, seul garant des bonnes mœurs dans notre société, ou la culture patriarchale, en passant par la facétie ressentie en lisant un texte cocasse et de vouloir la partager), je m’interroge.
Glissement donc, de ma part, du factuel à l’expression d’une opinion.
Je ressens la montée en puissance des communautarismes, mettons liant culturel et cultuel. Cultuel au sens large lorsque je constate que des végans adeptes du wiccanisme (néopaganistes) en viendraient (conditionnel, pure supputation) à se livrer à des fumigations et autres rites devant des boucheries ou des abattoirs, autour de zoos ou des étals de marchands de volailles vivantes sur des marchés.
Le voile musulman, donc… Comparable au fichu ou au chapeau de la femme « comme il faut » des débuts du siècle dernier, bonne pratiquante ou non.
C’est quelque peu oublier que si « les filles en cheveux », comme plus tard les garçonnes, étaient montrées du doigt ou affrontaient des regards réprobateurs, elles n’étaient pas harcelées. L’expression « fille en cheveux » remonte d’ailleurs au Code des Lombards qui prévoyait que des femmes pouvaient hériter de biens et qu’une veuve « reprenait son droit de fille en cheveux » (L’Investigateur, 1846, et écrits antérieurs). Tandis qu’en septembre 2019, un candidat d’Ennahdha considère que s’il est favorable à ce que les femmes puissent hériter, il ne veut pas l’imposer : « laisser les gens choisir, c’est plus judicieux » (Hatem Bouliabar, chaîne Elhiwarettounsi ; ces «gens» ne sont pas ceux de Mélenchon, mais si la gente féminine veut renoncer à hériter, alors...). Les Lombards, ou Langobards, c’est vers l’an 500.
Alors, laisser du temps au temps ? Mais au profit de qui ? De gens de bonne espérance ? 
Ou d’électoralistes se prétendant de gauche, de droite, de plus à dextre ou senestre, voire d’un centre frileux (Julien Denormandie, ministre de la Ville, considérant qu’Henri Peña-Ruiz s’exprima maladroitement et donna « le sentiment que c’est normal d’être islamophobe » – tweet du 28 août dernier) ? Et surtout soucieux de se concilier des électorats communautaristes ?
Ma religiophobie ne me porte pas à prêcher l’hostilité, la défiance systématique. On trouve partout (ou presque) des femmes et des hommes de bonnes volontés, ce qui ne les empêche pas de se fourvoyer (ou de le prétendre ? : zut, je m’étais promis de taire le nom de Yann Moix)…
Allez, retour à 1923… Zinaïda Kokorina devient pilote de bombardier dans l’aviation soviétique ; Marie Marvingt, pionnière de l’aviation sanitaire, est nommée déléguée de la Ligue aéronautique française ; Bessie Coleman, Afro-Américaine, écrase son Curtiss Jenny (biplan monomoteur) à Santa Monica ; Amelia Earhart obtient son brevet de pilote… 2019, Yasmeen Al Maimani, une Saoudienne, devient commandante de bord en second de Nesma Airways et pose aux commandes avec son supérieur (qui n’est pas un parent), sans voile sur la tête. La photo n’est pas truquée. Et elle n’a pas à faire le ménage de la cabine aux escales…
Les temps s’accélèrent parfois.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire