vendredi 8 mai 2020

À travers la presse (suisse) déchaînée

L'âge de l'énonciation serait-il advenu ?

Ferndinand est décédé trop tôt pour se pencher dessus, Antoine aussi. Énigmatique titre ce jour de la Tribune de Genève : « Arrivée à l'âge de trois ans, la trentenaire sera expulsée ». Souvenirs.
Au Pays de Franche-Comté, c'était Fred Vairetty qui tenait le bêtisier de la rédaction. Fred se prénommait Michel mais je ne l'ai su que bien après. Je ne sais si j'ai pu y figurer. J'avais déjà  oublié Saussure et je ne connaissais pas déjà Culioli, le seul truc que j'avais à peu près pigé, c'était la grammaire dite « générative » de Chomsky. Aussi, vaguement, fumeusement devrais-je dire, que de l'Inde en passant par les Balkans et autres contrées, q'une voyelle pouvait se transformer en consonne, ou inversement, et divers mots se muer en transformistes en passant d'une langue à une autre. Un gay savoir de la langue, en quelque sorte. En cours de linguistique, je ne suis jamais parvenu qu'à me faire passer pour un fumiste (au mieux, en parsemant mon galimatias de jargon admissible).
C'est dire à quel point je suis mal placé pour critiquer la ou le confrère de La Tribune ayant sucré « en Suisse » voire « de Suisse » pour faire tenir ce titre dans l'espace imparti. La solution « ici » (arrivée ici, à La Tribune) ne convenait pas davantage.
Car en fait, si cette jeune femme meurtrière et condamnée sera bien expulsée d'Helvétie au terme d'une large partie de sa peine, elle compte, même si je suis définitivement fâché avec les chiffres et qu'il me faudrait me remettre au niveau d'un cours d'arithmétique sommaire du Pr. Boby Lapointe, j'oserai avancer que la condamnée a vécu et vit encore environ 27 ans (je reste prudent, ≅ voire même ≆27) près des bords du Léman.
Ce qui m'a étonné, c'est que le titre soit repris à l'identique sur la page afférente. En fait, arrivée en 1983 en Suisse, alors âgée de trois ans, la jeune femme fut condamnée à 20 ans de réclusion en  2013, mais comme son autorisation de séjour fut révoquée en 2018, elle sera expulsée après avoir purgé les deux-tiers de sa peine, en mars 2021. Ce tant bien même « la recourante » (ayant fait appel) péruvienne est la mère d'un enfant à présent adolescent (14 ans).
Le titre est insolite, le chapeau peut aussi laisser perplexe : « Une jeune femme ayant assassiné la maîtresse de son fiancé avant de brûler son corps alors qu'elle en était enceinte, n'obtient pas la clémence des juges de Mon-Repos ». Il faut lire la suite pour comprendre c'était la maîtresse du fiancé qui était enceinte.
La critique est aisée, l'art difficile. Je ne sais comment je m'en serai tiré s'il m'avait fallu rédiger un chapeau limité à deux lignes. « La maîtresse enceinte de son fiancé avant d'en brûler le corps » ? Double assassinat ?  Il va quand même de soi que le fiancé n'était pas enceint des œuvres de sa fiancée ou de sa maîtresse. Enfin, jusqu'à nouvel ordre  le père parturient étant, paraît-il, sérieusement envisagé par divers laboratoires.
Au fait, il existe bien un hôtel Mon-Repos dans le canton de Genève, et même un parc — à Lausanne, canton de Vaud —dont je ne sais s'il est homonyme ou éponyme, si tant était que cet hôtel soit limitrophe. Mais, là, il s'agit bien du « tribunal fédéral », sis à Lausanne, ultime instance judiciaire confédérale. On trouve bien des tribunaux confédéraux en des pays hispanophones, ce qui vaut à l'occasion de lire ''al triunal confederal de New Jersey'" (attesté dans un texte de la revue Iglesia Viva en 2011). Mais pour le lectorat suisse, la précision ne s'impose pas.
Je vous laisse à présent disserter de l'influence du confinement sur la cuistrerie. En tout cas, cela laisse le temps de s'informer sur les pratiques en cours dans les pays voisins. Je lis dans le corps de l'article : « Le Tribunal fédéral (...) rappelle que l'assassinat est une infraction » (T capitale car il est unique, ne cherchez pas là l'impair, et effectivement tout délit, crime, meurtre, ou contravention est une infraction, mais, dans la presse française, on tente de qualifier plus précisément).
Parfois, je souris lorsque des spécialistes d'un domaine étroit se lamentent sur le niveau actuel des journalistes, lesquels doivent parfois traiter et d'astronomie et de pêche à la ligne, passer de la chronique judiciaire à la production viti-vinicole. Et quand c'est inversement, dans la même journée (couvrir un procès après divers vins d'honneur et remises de décorations), le risque de figurer dans un bêtisier ou sottisier est grand.
Ces spécialistes font autorité. Digression, j'apprends que Les Inséparables, de Beauvoir, reparaîtront prochainement. Le report de publication étant la conséquence du confinement. Je conclus donc par cette citation issue de Tout compte fait : « Ne retenant que les textes dont les auteurs font autorité, j'ai constitué un sottier aussi consternant que divertissant. ». 

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