vendredi 6 décembre 2019

Brexit : Sécu et Irlande infléchiront la courbe des élections ?


Boris Johnson pourrait perdre son siège (et Downing Street)

Dès l’annonce des élections britanniques, le 12 prochain, et jusqu’à ce jour, il restait considéré que c’était quasiment plié : les conservateurs retrouvant une majorité au Parlement. La question irlandaise va-t-elle renverser la tendance ?
Déjà, évoquons le cas personnel de Boris Johnson qui se présente dans une circonscription fortement Remainer, a priori favorable à la candidate libérale-démocrate. Sauf que, si Boris Johnson resterait en tête des intentions de vote, le candidat du Labour lui grignote des points et passe devant la Lib-Dem. Et à l’approche du scrutin, les appels au vote « utile » (tactical) s’exacerbent. Par exemple, John Major, ancien Premier ministre conservateur, enjoint à faire barrage à Boris Johnson et au Brexit. Tony Blair de même, mais là, ce n’est guère nouveau.
Ce qui fait que la Lib-Dem Jo Swinson est fortement incitée à retirer sa candidate (sans contrepartie, mais allez savoir si le Labour ne retirera un·e candidat·e dans une circonscription favorable aux Lib-Dem).
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’aux dernières élections, sur la très petite circonscription de l’ouest de Londres proche d’Heathrow, Uxbridge, Boris Johnson n’a obtenu que 5 000 voix d’avance. Il faut aussi prendre en compte, pour ce vote à un seul tour, qu’Uxbridge inclut une université et que la majorité de ses étudiants ont choisi de voter non pas dans leur circonscription d’origine, mais dans celle-ci (les étudiants ont le choix). Que parmi les 11 candidat·e·s se trouvent aussi des farfelus ne l’étant pas tout à fait (genre, à Paris, Gaspard Delanoe, « le vrai », candidat indépendant dans son arrondissement mais proche de Julien Bayou). Il s’agit de Lord Buckethead (tronche de seau), de Count Binface (gueule de poubelle ; ex-Lord Buckethead en 2017), soit deux activistes expérimentés, écologistes, qui se partagent la tâche de faire barrage à Johnson davantage qu’à recueillir des voix. Lord Toby Jug et Howling Laud Hope, candidats lors de l’élection de 2015, ont jeté l’éponge (à moins qu’il s’agisse encore des mêmes…).
Et puis, la population est quasiment scindée et sa partie « populaire » s’est enrichie d’électeurs issus de l’immigration. Et Ali Milani, du Labour, monte dans les sondages… Ajoutez que l’UKIP, du fait du retrait du Brexit Party, pourrait remonter vers les 5 % des suffrages.
Mais l’événement du jour, c’est qu’une fois de plus le Bojo fait encore plus figure de hâbleur promettant tout et prêt à réaliser le contraire, cette fois à propos de l’Irlande du Nord.
Jeremy Corbin avait dévoilé des documents confidentiels portant sur la Sécurité sociale (le NHS) du temps de Theresa May. Ils laissaient entendre que l’accord commercial avec les États-Unis n’irait pas de soi. Tant Boris Johnson que Donald Trump ont clairement déclaré qu’un accord incluant les médicaments, le domaine médical, &c., n’était plus à l’ordre du jour. Mais partie de l’opinion peut considérer que cela reviendra par la fenêtre, post-rupture entre le royaume et l’UE.
Cette fois, Jeremy Corbyn a brandi une quinzaine de pages traitant des relations entre la Grande-Bretagne et l’Irlande, et entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. En substance : Boris Johnson est un menteur, ses proclamations ne valent rien car il y aura de la paperasse et des taxes pour les transactions entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, et entre cette partie du Royaume-Uni et la République d’Irlande. Boris Johnson a aussitôt démenti : ces documents gouvernementaux sont obsolètes (air connu).
Quant à la presse pro-Leave, elle a mis d’abord en doute leur authenticité avant de pacer surtout en avant la réplique de Boris Johnson. Les pro-Leave les plus virulents ont argué que Corbyn, l’ami des Soviets devenu copain de Poutine, avait obtenu ces documents des services secrets russes. Ambiance.
Ce nouvel élément ne sera pas unanimement pris en compte. Pour des pro-Leave anglais, cette question de l’Irlande du Nord est secondaire (même une possible réunification les laisse tièdes). Pour les unionistes, y compris anglais, gallois et écossais, et le Brexit Party, difficile de prévoir leurs réactions. Mais pour les indécis, cela sent mauvais pour les conservateurs. Car ils ont dû clairement se ranger derrière le Premier ministre, en faire le Superman qu’il veut paraître, &c.
Serait-ce si déterminant ? Allez savoir…
Le Bojo soutient maintenant qu’il n’a jamais vu ce document, que ce qu’il contient est délirant, mais les experts en commerce international risquent de le contredire rapidement. Même le Daily Express n’en nie plus l’authenticité. The Telegraph préfère ressasser que le Labour et Corbyn sont judéophobes. Ou tape sur le SNP écossais. Ou encore, au cas ou Corbyn l’emporterait, indique — paradoxe total pour un titre Leaver — que la Grèce accueillerait ses lecteurs à bras ouverts.
Cela peut favoriser une défection conservatrice (des électeurs votant pour des conservateurs dissidents, ou pour des indépendants, s’abstenant), peut être égale à celle des travaillistes Leavers. Mais beaucoup de jeunes se sont pour la première fois inscrits sur les listes électorales, ce qui devrait favoriser le Labour ou le vote utile.
Ce soir, sur la BBC, Johnson et Corbyn s’affronteront lors d’un face à face. Ce sera leur ultime duel télévisé. Cela risque peu de faire bouger les lignes, mais qui sait ?
Je ne sais si toutes les questions ont été à l'avance débattues ou évoquées entre le journaliste jouant le rôle d'arbitre à l'avance, mais le public pourra poser des questions. Et l'actualité chaude risque de leur inspirer des questions gênantes pour Boris Johnson, du genre :
— Et pourquoi venez-vous de renoncer à faire campagne dans votre circonscription (il était attendu par ses soutiens conservateurs locaux, il a décliné l'invitation, vient-on d'apprendre) ?
— Alexandra Hall Hall, la diplomate britannique en charge du Brexit à Washington vient tout juste de démissionner en vous traitant de menteur... Que répondez-vous ?
Bon, Alexandra Hall Hall, ex-ambassadrice en Géorgie, 33 ans sous le harnois du Foreign Office, n'a pas mis nommément en cause le Bojo... Mais chargée d'exposer le Brexit à Washington, elle n'en peu plus des demi-mensonges, dictés par des politiciens en lesquels elle ne peut plus accorder sa confiance. Comme le rapporte CNN, la situation lui était devenue « intolérable personnellement » et « intenable professionnellement ». Or, elle agissait en bonne petite soldate (soit qu'elle défendait la position britannique et qu'elle se préservait d'exprimer son opinion personnelle sur le Brexit, qu'elle tait encore après sa tonitruante démission).
Elle met en cause la fausseté des éléments de langage lui ayant été transmis. Le Foreign Office s'est refusé bien sûr à tout commentaire, normal, mais Downing Street, après cela, a enjoint la presse à s'adresser au Foreign Office. Gros embarras.
J'ai souvent répété ici que les officiels européens devaient se préserver d'évoquer leurs opinions (suivez mon regard : Tusk et autres) au cours de cette campagne électorale. Les Britanniques s'en chargent beaucoup mieux qu'eux.
Il se trouve que la lettre de démission d'Alexandra Hall Hall, datée du 3 dernier, est détaillée, circonstanciée, &c. Rendue publique à moins de deux heures du début du face à face, il y a fort à parier qu'elle sera exploitée par Corbyn.
Lequel pourra dire qu'il reste neutre sur le Brexit, reste à l'écoute, ne fera ni campagne avant ou après l'élection sur le sujet. Mais qu'il continuera à dénoncer les mensonges des conservateurs pro-Johnson. Comme Alexandra Hall Hall, en quelque sorte. Et le politologue le plus en vue considère que sa neutralité peut payer. Sir John Curtice considère que les Remainers voteront Labour aux dépens des Lib-Dem. Or, n'oublions pas que le scrutin est uninominal à un seul tour...
En sus, Lord Heseltine, un grandee (grand nom) des Tories, vient d'en rajouter une couche. Il évoque les désastres à venir en cas de Brexit, et le démantèlement du Royaume-Uni (Écosse et Irlande du Nord prenant la tangente). C'est chaud pour le Bojo.
En sous-main, Bojo se la joue à la Trump : que Corbyn divulgue comment il a obtenu des documents officiels (que le lanceur d'alerte l'ayant conduit à une éventuelle mise en accusation se dévoile, exige Trump).
Bien, admettons que Johnson perde sa circonscription... Il se trouvera bien un conservateur d'une autre, très correctement élu, pour céder la place, démissionner, et laisser le Bojo lui succéder (et envoyer ce député complaisant chez les Lords)... Sauf si, le clan No-Deal autour de Johnson se débande.
Bref, attendez-vous à savoir que jusqu'au soir du 12 décembre, il sera plus qu'ardu de savoir ce qu'il en sera.
Et ce débat ? Bof. Inconclusive. Avec un léger avantage pour Johnson. Normal. L'opinion restant majoritairement pour les conservateurs, sauf surprise, il devait en être ainsi. Cependant, l'écart se resserre.
Cependant, avantage au Bojo qui veut rétablir totalement le système duodécimal : les ounces, et pourquoi pas les guineas, les half-crowns ? Les farthings ? Soit un quart de penny ? Moi aussi, je voudrais bien que le carambar ou le malabar reviennent à cinq ronds (cinq centimes de nouveau franc). Mais aussi que mon dentier reste remboursé par la Sécu. Et là...
  

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