Mirbeau : Libre penseur ou apologiste du conformisme ostréicole ?
Allez, n’avalez pas ce sous-titre tout cru… Il semble
pourtant qu’Octave Mirbeau, le « vitrioleur », se soit parfois
trompé — partiellement — de cible. En témoigne sa savoureuse, mais quelque peu
injuste « Apologie des huîtres » parue dans Le Figaro de décembre 1903.
Bientôt Noël… Nombre d’entre vous qui répugneraient à ébouillanter
un homard remuant encore ses antennes goberont sans doute des huîtres.
Cela tient
à une tradition dont la signification s’est peu à peu transformée. Mets
considéré maigre autrefois, entrant dans la composition d’un frugal dîner ou
souper de la veille de Noël, l’huître, devenue plus onéreuse, a désormais
rejoint le foie gras, les truffes, &c., pour les réveillons de fin d’année.
Je ne poursuis pas : l’huître est un marronnier journalistique, vous serez
gavés d’articles avant même d’en consommer à l’approche des fêtes.
Autres sujets « gavants », les trop récurrentes
recommandations nutritionnelles vantant ou dénigrant tel ou tel aliment… « Faites
ceci-cela chaque jour », lit-on de plus en plus fréquemment, découvrez
les bienfaits de… évitez de manger trop de… Où ce « … », selon les
uns ou les autres, est paré de toutes les vertus ou accablé d’opprobre. Dans son
« Apologie des huîtres », Mirbeau ne manque pas de se gausser de ces
recommandations contradictoires.
Pourquoi me réintéresser tout à coup à Mirbeau et à un sujet
somme toute trivial ? Sérendipité et désœuvrement. Puisque je vous signalais
le
colloque « Littérature et Libre Pensée », qui fera belle
part à l’œuvre d’Octave Mirbeau (incidente : j’apprends que les places
sont limitées à 120), il me vint la curiosité de réexplorer le fonds
journalistique que le site Retronews consacre à l’auteur.
Et je constate, en ouvrant la coquille, que le « gentleman-vitrioleur »
cher à Alain (Gerorges) Leduc, n’avait pas hésité à encenser un rapport de
commande gouvernementale de soutien à la conchyliculture et aux ostréiculteurs.
Bien, il faut modérer cette appréciation total abusivement hypothétique. Mais
il est certain qu’au tournant du siècle dernier, la « crise de l’huître »,
découlant de mises en garde sanitaires largement relayées par la presse, incita
le gouvernement, fortement sollicité par les professionnels, à dresser un
contre-feu.
C’est ce qui ressort de divers documents, dont le plus
synthétique est celui de Daniel Faget, paru dans Provence historique, nº 221,
2005. « La Découverte d’un risque sanitaire lié à l’alimentation :
fièvre typhoïde et consommation de coquillages en Méditerranée… » montre
que Mirbeau fit preuve d’un optimisme hors de propos, si ce n’est de franche
mauvaise foi ou de crédulité.
Il n’avait cependant « pas tout faux ». Mais ô
combien injuste sa diatribe, tournant totalement en ridicule le professeur
Chantemesse, qui avait incriminé les huîtres, ou plutôt la manière dont elles
étaient élevées et commercialisées. Mais Chantemesse était médecin, et Mirbeau
ne les portait pas tous en son cœur, ce qui est un fort euphémisme. C’est un
chef-d’œuvre de rosserie. Aussi délectable que disproportionné.
En regard, le rapport Giard, qui occulte moins que Mirbeau
les liens de la faculté de Montpellier avec les producteurs ostréicoles, et
reste fort mesuré à l’égard des travaux de Chantemesse, est encensé sans
réserve.
Alors, Mirbeau, à l’occasion séide et sicaire du pouvoir en
place ? Il serait totalement farfelu de le soutenir, cela ne tient pas la
route, mais il serait plaisant de faire semblant d’adopter ce point de vue, en
pastichant Mirbeau pour le prendre à contre-pied, la main dans le sac, à la
botte d’un ministère.
Il semble qu’en fait, Mirbeau fut amateur d’huîtres,
vantant, par exemple celles « nourries des plus grasses algues de la
Zélande » (La 628-E8). En mauvais cuistre négligeant, j’ai eu
la flemme de me lancer dans une pseudo-savante étude sur les huîtres dans l’œuvre
de Mirbeau, mais j’imagine qu’on trouverait d’autres références…
Ce qui n’empêcherait pas de louer son inventivité… Ses
goûteuses exagérations (un médecin lui assurant que les fraises sont le
principal vecteur du tétanos, comme « tout ce qui pousse (…) dans
ce foyer d’infection tétanique qu’est la terre »). Autant et au temps
pour les fanatiques végans d’à-présent. Régime algues et plancton uniquement.
J’en profite, avec cette « Apologie des algues », que
vous trouverez intégralement reproduite par mes soins ici, pour
remarquer abusivement sans doute que nombre de spécialistes d’auteures et d’écrivains
pourraient avoir tendance à ne se pencher que sur la qualité littéraire des
textes sans trop se soucier de vérifier si les faits, notamment dans les écrits
journalistiques, sont fondés.
J’avais tort… À peine avais-je atteint la conclusion de ma
dérisoire contribution que, pris d’un scrupule, je lançais une rapide recherche
sur un point de détail. Ce qui me permit de découvrir que Les Cahiers Octave
Mirbeau (nº 21, mars 2014), avaient déjà reproduit l’intégralité de
cette anthologie, assortie d’une note à laquelle, faute de place (ou d’envie d’ajouter
une page), je ne fais qu’une rapide allusion dans le document PDF (supra).
Voici cette note 28 (expurgée de détails peu
significatifs) attestant que mirbelliennes et mirbelliens ne sont pas tout à
fait aveuglés par leur héros ou sujet de prédilection :
« Le lendemain de la parution de l’article, le 2 décembre 1903, Le Figaro fera paraître la rectification suivante :
“Dans l’article de notre collaborateur Octave Mirbeau, une erreur s’est glissée
(…). Il s’agit de Lucien Mühlfeld, mort l’an dernier des suites d’une typhoïde
(…). Il n’est pas inutile de dire qu’aucun médecin n’a songé à attribuer aux huîtres
la maladie qui l’a emporté. D’autre part, le professeur Chantemesse n’a pas été
appelé auprès de Mühlfeld, il ne lui a jamais donné ses soins… ». &c.
Ce qui vaut net, formel démenti des allégations (ou affabulations) de Mirbeau,
ayant reproduit une rumeur douteuse ou l’imaginant…
Reste à savoir si Mirbeau a tiré cette anecdote (Chantemesse
persuadé que l’ingestion d’une seule huître fut létale) du rapport de Giard
(elle y figure brièvement) ou si Giard, sur la foi des dires de l’écrivain, l’ayant
inventée de toutes pièces, s’est laissé abuser… L’huître fait lever un lièvre. Bon,
mettons un lapereau pas encore levraut sevré.
Bien, que tout cela ne vous fasse pas renoncer à savourer
des huîtres. Plates indigènes ou creuses « du Portugal ». Mais si
crues, encore vivantes, alors que Mirbeau semble les croire servies mortes.
Et tentez de vérifier si possible leur certificat
sanitaire…
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