lundi 25 novembre 2019

Quelques perles d’Octave Mirbeau à propos d’huîtres

Mirbeau : Libre penseur ou apologiste du conformisme ostréicole ?

Allez, n’avalez pas ce sous-titre tout cru… Il semble pourtant qu’Octave Mirbeau, le « vitrioleur », se soit parfois trompé — partiellement — de cible. En témoigne sa savoureuse, mais quelque peu injuste « Apologie des huîtres » parue dans Le Figaro de décembre 1903.
Bientôt Noël… Nombre d’entre vous qui répugneraient à ébouillanter un homard remuant encore ses antennes goberont sans doute des huîtres.
Cela tient à une tradition dont la signification s’est peu à peu transformée. Mets considéré maigre autrefois, entrant dans la composition d’un frugal dîner ou souper de la veille de Noël, l’huître, devenue plus onéreuse, a désormais rejoint le foie gras, les truffes, &c., pour les réveillons de fin d’année.
Je ne poursuis pas : l’huître est un marronnier journalistique, vous serez gavés d’articles avant même d’en consommer à l’approche des fêtes.
Autres sujets « gavants », les trop récurrentes recommandations nutritionnelles vantant ou dénigrant tel ou tel aliment… « Faites ceci-cela chaque jour », lit-on de plus en plus fréquemment, découvrez les bienfaits de… évitez de manger trop de… Où ce « … », selon les uns ou les autres, est paré de toutes les vertus ou accablé d’opprobre. Dans son « Apologie des huîtres », Mirbeau ne manque pas de se gausser de ces recommandations contradictoires.
Pourquoi me réintéresser tout à coup à Mirbeau et à un sujet somme toute trivial ? Sérendipité et désœuvrement. Puisque je vous signalais le colloque « Littérature et Libre Pensée », qui fera belle part à l’œuvre d’Octave Mirbeau (incidente : j’apprends que les places sont limitées à 120), il me vint la curiosité de réexplorer le fonds journalistique que le site Retronews consacre à l’auteur.
Et je constate, en ouvrant la coquille, que le « gentleman-vitrioleur » cher à Alain (Gerorges) Leduc, n’avait pas hésité à encenser un rapport de commande gouvernementale de soutien à la conchyliculture et aux ostréiculteurs. Bien, il faut modérer cette appréciation total abusivement hypothétique. Mais il est certain qu’au tournant du siècle dernier, la « crise de l’huître », découlant de mises en garde sanitaires largement relayées par la presse, incita le gouvernement, fortement sollicité par les professionnels, à dresser un contre-feu.
C’est ce qui ressort de divers documents, dont le plus synthétique est celui de Daniel Faget, paru dans Provence historique, nº 221, 2005. « La Découverte d’un risque sanitaire lié à l’alimentation : fièvre typhoïde et consommation de coquillages en Méditerranée… » montre que Mirbeau fit preuve d’un optimisme hors de propos, si ce n’est de franche mauvaise foi ou de crédulité.
Il n’avait cependant « pas tout faux ». Mais ô combien injuste sa diatribe, tournant totalement en ridicule le professeur Chantemesse, qui avait incriminé les huîtres, ou plutôt la manière dont elles étaient élevées et commercialisées. Mais Chantemesse était médecin, et Mirbeau ne les portait pas tous en son cœur, ce qui est un fort euphémisme. C’est un chef-d’œuvre de rosserie. Aussi délectable que disproportionné.
En regard, le rapport Giard, qui occulte moins que Mirbeau les liens de la faculté de Montpellier avec les producteurs ostréicoles, et reste fort mesuré à l’égard des travaux de Chantemesse, est encensé sans réserve.
Alors, Mirbeau, à l’occasion séide et sicaire du pouvoir en place ? Il serait totalement farfelu de le soutenir, cela ne tient pas la route, mais il serait plaisant de faire semblant d’adopter ce point de vue, en pastichant Mirbeau pour le prendre à contre-pied, la main dans le sac, à la botte d’un ministère.
Il semble qu’en fait, Mirbeau fut amateur d’huîtres, vantant, par exemple celles « nourries des plus grasses algues de la Zélande » (La 628-E8). En mauvais cuistre négligeant, j’ai eu la flemme de me lancer dans une pseudo-savante étude sur les huîtres dans l’œuvre de Mirbeau, mais j’imagine qu’on trouverait d’autres références…
Ce qui n’empêcherait pas de louer son inventivité… Ses goûteuses exagérations (un médecin lui assurant que les fraises sont le principal vecteur du tétanos, comme « tout ce qui pousse (…) dans ce foyer d’infection tétanique qu’est la terre »). Autant et au temps pour les fanatiques végans d’à-présent. Régime algues et plancton uniquement.
J’en profite, avec cette « Apologie des algues », que vous trouverez intégralement reproduite par mes soins ici, pour remarquer abusivement sans doute que nombre de spécialistes d’auteures et d’écrivains pourraient avoir tendance à ne se pencher que sur la qualité littéraire des textes sans trop se soucier de vérifier si les faits, notamment dans les écrits journalistiques, sont fondés.
J’avais tort… À peine avais-je atteint la conclusion de ma dérisoire contribution que, pris d’un scrupule, je lançais une rapide recherche sur un point de détail. Ce qui me permit de découvrir que Les Cahiers Octave Mirbeau (nº 21, mars 2014), avaient déjà reproduit l’intégralité de cette anthologie, assortie d’une note à laquelle, faute de place (ou d’envie d’ajouter une page), je ne fais qu’une rapide allusion dans le document PDF (supra).
Voici cette note 28 (expurgée de détails peu significatifs) attestant que mirbelliennes et mirbelliens ne sont pas tout à fait aveuglés par leur héros ou sujet de prédilection :
« Le lendemain de la parution de l’article, le 2 décembre 1903, Le Figaro fera paraître la rectification suivante : “Dans l’article de notre collaborateur Octave Mirbeau, une erreur s’est glissée (…). Il s’agit de Lucien Mühlfeld, mort l’an dernier des suites d’une typhoïde (…). Il n’est pas inutile de dire qu’aucun médecin n’a songé à attribuer aux huîtres la maladie qui l’a emporté. D’autre part, le professeur Chantemesse n’a pas été appelé auprès de Mühlfeld, il ne lui a jamais donné ses soins… ». &c. Ce qui vaut net, formel démenti des allégations (ou affabulations) de Mirbeau, ayant reproduit une rumeur douteuse ou l’imaginant…
Reste à savoir si Mirbeau a tiré cette anecdote (Chantemesse persuadé que l’ingestion d’une seule huître fut létale) du rapport de Giard (elle y figure brièvement) ou si Giard, sur la foi des dires de l’écrivain, l’ayant inventée de toutes pièces, s’est laissé abuser… L’huître fait lever un lièvre. Bon, mettons un lapereau pas encore levraut sevré.
Bien, que tout cela ne vous fasse pas renoncer à savourer des huîtres. Plates indigènes ou creuses « du Portugal ». Mais si crues, encore vivantes, alors que Mirbeau semble les croire servies mortes.
Et tentez de vérifier si possible leur certificat sanitaire…

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