dimanche 10 novembre 2019

Islamoréification : la marche pour le droit au blasphème

Une gauche religiophobe en rupture plus marquée

C’est bizarrement sur un blogue-notes de Mediapart que j’ai repéré le manifeste « La Marche contre la liberté de pensée ». Edwy Plenel y est désigné « racialiste indigéniste ». Abusif, réducteur sans doute. Mais l’opposition à « l’islamophobie » semble de plus en plus diviser à gauche…
Sur son blogue-notes, Louison (Lousin sur Mediapart) de Balzac a donc publié un manifeste à double objectif : réaffirmer le droit au blasphème et dénoncer la réification des musulmans… Mais d'autres, sous-jacents (comme dénoncer « l'islamo-gauchisme », par exemple) ne peuvent être exclus.
Aimé Césaire avait posé l’équation « colonisation=chosification ». C’est bien contre une colonisation des esprits à des fins diverses que les signataires (Athées en action, Ni dieu-ni-race-ni-maître, Esprit Laïque, Apostat libre, Conseil des ex-musulmans de France, &c., et diverses personnalités) prennent position. La marche contre l’islamophobie a beau avoir vu en son cortège un panonceau « oui à la critique de la religion, non à la haine du croyant » ou « laïcité on t’aime, tu dois nous protéger », les signataires, féministes et autres, y voient la manifestation d’un « communautarisme religieux », d’un « fanatisme bigot et politisé », marginalisant les athées, les apostats et occultant « les musulmans laïques et progressistes ». En dirait-on autant d'une marche organisée pour protester — à très juste titre — contre des attentats ou des assassinats de personnes israélites (ou abusivement assimilées) ? D'un autre côté, on pourrait sans doute défiler contre la christianophobie sans être forcément de mèche avec Renaud Camus, Marion Maréchal-Le Pen, et les identitaires... Mais tout dépendrait de qui lancerait l'appel, j'imagine.
Bref, ce manifeste reprend en substance, aussi, les propos d’un certain Jean-Luc Mélenchon dans un entretien avec Gérald Andrieu du magazine Marianne le 4 février 2010. C’était intitulé : « Mélenchon : la candidate voilée du NPA relève du racolage ». Vous retrouverez…
Certes, une certaine droite, elle, fondamentalement antimusulmane a su racoler à gauche, l’actuel phénomène n’est donc pas tout à fait nouveau. Le couple Pierre Cassen-Christine Tasin, de Riposte laïque (à ne pas confondre avec Esprit laïque, même si ce groupe a ses entrées au magazine Causeur), se définissait un temps « laïque de gauche ». Il en vient à racoler les catholiques intégristes…
Mais il se trouve que ce manifeste sur la marche contre la liberté de pensée use d’expressions que nombre de militants ou sympathisants restés véritablement de gauche pourraient reprendre à leur compte. Comme « non à la colonisation des âmes (…) non à la récupération (…) dans nos rues livrées à la bigoterie, délaissant les athées, les musulmans républicains et les apostats en danger. ». Et ce qui est plus récent (au moins depuis les attentats visant Charlie et le Bataclan), c’est qu’ils ne le gardent pas dans leur for intérieur mais l’expriment de plus en plus ouvertement.
Certes, le groupe Facebook Esprit laïque se veut, est sans doute apolitique… Laïque et non religiophobe. Certes, le Mouvement Stop Corruption se veut aussi apolitique, mais la plupart de ses animateurs professent des opinions classées à gauche. Or, depuis quelques temps, la question de l’islam radical devient de plus en plus prégnante dans leurs échanges.
Émerge aussi un glissement conceptuel : les islamistes seraient, d’un point de vue musulman, islamophobes (en développant des revendications identitaires, en interprétant les textes selon des visées patriarcales, dictatoriales, totalitaires).
Un déclencheur, ou plutôt accélérateur, a été l’affaire Henri Péna-Ruiz, qui avait eu pourtant, fin octobre 2017, bénéficié d’une tribune sur le site LFI pour son Dictionnaire amoureux de la laïcité (Plon). Hué sur les réseaux sociaux lors de la dernière université de LFI pour sa phrase « on a le droit d’être athéophobe comme on a le droit d’être islamophobe, comme on a le droit d’être catophobe… », il a suscité une forte adhésion et même si LFI a rectifié le tir (par une mise au point), la suspicion d’une collusion à des fins électoralistes, de la part de certaines formations de gauche, avec l’islam(isme) prosélyte, a suscité des levées de boucliers. Avec des exagérations (une partie de la gauche fut présumée se livrer à une chasse aux sorcières).
J’ajouterai que les menées de la Turquie d’Erdogan (un temps alliée de fait à Daesh) contre les kurdes syriens (et autres), la popularisation des combattantes kurdes (musulmanes ou athées) dévoilées, le film Sœurs d’armes de Caroline Fourest, ont aussi contribué à la montée d’une parole décomplexée, non pas antimusulmane, mais antitotalitaire, anti-islamiste.
Cela étant, la controverse sur le vocable islamophobie, qui émergea, selon un universitaire spécialiste de l’époque coloniale, dans des cercles d’administrateurs coloniaux, et non pas, comme Michel Taube (directeur d'Opinion internationale) l’estime, inventé « par les islamistes pour interdire toute critique de l’islam », est quelque peu stérile. Il y a eu certes récupération, tout comme pour le terme d’antisémitisme (visant Juifs et non-Juifs sémites).
Ce qui se dessine, c’est que, à gauche, l’expression de Michel Taube : « si c’est cela être islamophobe, alors je suis islamophobe ! » (cela étant la servitude volontaire, la religion grignotant les libertés…), s’exprime beaucoup plus ouvertement et fortement.
C’est d’ailleurs un retour à la source de l’une des valeurs majoritaires à gauche : la religiophobie. Non point au sens d’absolue détestation (en tout cas majoritairement — et que l’on sache, aucune des deux Simone Weil ne fut lynchée ou assassinée), mais de profonde défiance.
S’ajoute, pour certaines et d’aucuns, la franche stupeur de se voir pour un oui, pour un non, un mot de travers, voire très justifié, assimilés à des adversaires antimusulmans, antijuifs, antimaçons, antiathées, racistes, anti tout ce qui n’est pas eux ou elles.
Je ne sais si, dans Charlie Hebdo du 7 dernier, Géard Biard a exagéré en estimant que cette marche « semble provoquer à gauche un phénomène proche du Brexit ». Ou s’il a décelé les prémisses d’une évolution durable.
Ce qui semble assuré, c’est qu’un autre type d’appel aurait sans doute rassemblé plus de 13 000 (et quelque) personnes à Paris… Une « marche républicaine » de condamnation des actes terroristes et anti-religieux aurait sans doute drainé aussi de nombreux laïcards. L’idée a-t-elle été écartée ? C’est la question que beaucoup se posent à présent

1 commentaire:

  1. De toute façon, on a fort bien compris. Quand on entend scander "Allahou akbar" et non « Dieu le plus grand », il s'agit bien d'affirmer la supériorité d'une religion (ou secte) contre toute autre. Un seul dieu (excluant les autres). Et s'il n'est pas dit que la fin justifie les moyens, adaptés aux circonstances, le fait reste.

    RépondreSupprimer