vendredi 25 octobre 2019

Brexit : le report encore... reporté

 Sortie de l'UE du Royaume-Uni : du 29 mars à... la Brexiternity ?

Finalement (ou provisoirement ?) la décision sur la possibilité donnée ou non au Royaume-Uni de prendre le large muni d'un accord — et la durée du délai accordé — ne sera annoncée que lundi soir ou mardi... Mais cette forte déclaration d'intention présente quelque faiblesse.
La nuit dernière, je supputais à tort que ce matin, la France se rallierait à l'option majoritaire parmi les 26 autres membres de l'UE. Soit que serait communiqué aux Britanniques qu'un délai pour accorder leurs violons s'étendra jusqu'au 31 janvier 2020. Pourquoi cette date ? Parce que c'est celle retenue par la majorité parlementaire britannique. Alors que la France voulait arrêter le chronomètre beaucoup plus tôt. Admettons qu'en début de semaine prochaine il... en sera ou non ainsi.
Car comment une partie de la presse britannique interprète ce report du report ?
Pour le Daily Express, c'est clair : « Le Labour fait chanter le Royaume-Uni : l'UE n'accordera pas l'extension tant que Corbyn ne consentira  pas aux élections. ». Même appréciation, moins belliqueuse, du Guardian.  « L'UE reporte sa décision jusqu'à ce que le Parlement se décide sur les élections ».
Après Brexpat, Brexiternity, un nouveau terme est apparu : la flextension. Cette extension accordéon est un gage de bonne volonté de la part des 27. Auparavant, le Royaume-Uni devait contribuer aux finances de l'Union jusqu'au 29 mars, puis jusqu'au 31 octobre. Là, si un accord était ratifié avant la date butoir, le royaume serait libéré de ses obligations.
Le « chantage » imputé au chef des travaillistes, c'est de vouloir d'un examiner soigneusement les termes du protocole d'accord, et de deux que la perspective d'une sortie sans accord (no deal) soit formellement écartée. La nouveauté, c'est que les Lib-Dem (20 sièges, mais davantage de voix si celles de conservateurs dissidents s'ajoutaient) et le SNP (35 sièges) se soient ralliés à cette position. Ce « chantage » est en fait la réplique d'un autre, celui de Boris Johnson qui ne veut pas dévoiler les détails du  protocole (donc de laisser débattre sur ses conséquences), et même tenter de paralyser le Parlement. Soit en mettant le Cabinet (le gouvernement) en « grève ». Il a l'initiative des lois et ne soumettrait au Parlement que les décisions « les plus strictement nécessaires », s'il en était. 
En gros, les parlementaires pourraient s'égosiller ou tourner en rond dans les couloirs de Westminster.
Cette menace a été retirée. Mais Boris Johnson déclare toujours qu'une sortie au 31 octobre reste envisageable et Downing Street a écarté l'hypothèse d'une telle grève (pour le moment ?).
En fait, la France (voire aussi, sans le dire, Michel Barnier et d'autres) s'est montrée adepte du wait (pas trop longtemps) and see (ce qui se trame outre-Manche). 
Pourquoi les 27 se prononceraient-ils lundi soir ou mardi matin ? Parce que lundi les Commons devraient voter pour ou contre des élections anticipées. L'issue est incertaine. Il n'est en fait que le SNP a désirer, en fonction des sondages, une élection rapide censée lui assurer de nets gains de sièges (et éliminer tout député conservateur écossais). Boris Johnson espère, lui, mordre sur l'électorat du Brexit Party. Mais tous les conservateurs n'estiment pas que sa stratégie soit la meilleure. Il savent que si Jeremy Corbin est impopulaire, Boris Johnson, considéré clivant, n'a pas non plus une cote de popularité confortable. Le dernier sondage YouGov laisse penser que la cote de Johnson n'est que de 38 % (54 % contre), et celle de Corbyn pire (20 contre 70 %, avec des indécis versatiles en sus).
Boris Johnson concède qu'il laisserait les Commons débattre de son protocole jusqu'au 6 novembre si et seulement si il obtient le feu vert pour des élections. 
Comme l'exprime Cécile Ducourtieux, du Monde : « Brexitland vire à l'Absurdland ».
Selon le club de réflexion Eurasia Group, Boris Johnson n'obtiendra pas lundi la majorité élargie (aux deux-tiers) lui permettant de déclencher des élections. Il pourrait alors soumettre son gouvernement à une motion de censure ou faire adopter une loi ad hoc à la majorité simple.
Quoi qu'il en sera, l'union douanière, en ses grandes lignes, restera applicable jusqu'en juillet 2020. Ensuite, il faudra négocier les termes d'un accord commercial : l'UE et la Suisse ont mis cinq ans pour aboutir à un accord... On n'a pas fini d'entendre parler du Brexit, des droits de pêche, &c.
Reste que, lundi soir ou mardi, on ne sait pas non plus si la position française s'adoucira, voire se durcira. Selon Reuters, une source proche de l'Élysée a indiqué, peu après l'annonce du report de la décision sur la flextension, qu'un nouveau report (jusqu'au 31 janvier ou plus tôt) n'était plus garanti car « n'allant pas de soi » (not a given).
Car, en admettant que des élections soient décidées, comment le Bojo ferait-il campagne ? Sans doute en promettant d'obtenir d'autres concessions européennes (ce à quoi l'UE se refuse). Ce que désire la France, en fait, c'est mettre la pression pour que le protocole d'accord soit entériné totalement par le Parlement britannique au plus vite. Reste à convaincre les 26 autres pays membres ou à refuser tout report (l'unanimité des 27 est requise) en arguant que ce serait devenu vain.
Bref, l'indécision pourrait, une fois de pire, l'emporter.
La position française n'est confortée que par celle des Pays-Bas. Elle est motivée par le fait que Boris Johnson avait menacé l'UE de saboter son fonctionnement. Si le Royaume-Uni reste membre jusqu'au 31 janvier 2020, il doit entre-temps nommer un commissaire européen (sans lui, juridiquement, le travail de la commission est bloquée), et conserve son droit de veto sur les prévisions budgétaires européennes et d'autres décisions débattues.
Ira-t-on vers un Brexmas (un Brexit avant Christmas, Noël) ? Possible, si le Parlement britannique ratifiait le protocole dans les prochaines semaines. Mais, voir plus haut, France et Pays-Bas pourraient forcer une sortie sans accord en obtenant une date butoir rapprochée (vers la mi-novembre), et on ne serait trop comment les Commons se détermineront. Parfois, un amendement décisif peut passer « par défaut » (par manque de vigilance de ceux capables de s'y opposer). Cela s'est déjà vu.     


   

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