dimanche 29 septembre 2019

Trumpland : le Donald fait comme il lui plait

Donald Trump, champion du foul play, toujours adulé

J’avais négligé de vraiment m’intéresser à cette histoire de révocation de Donald Trump. Après tout, vu d’ici, qu’un président s’occupe davantage de sa réélection que de son pays, emploie des moyens douteux, bah, on en a vu d’autres. Ces Étasuniens font tout un foin de pas grand’ chose. Sauf que, cette fois, c’est différent.
Sondage CBS-YouGov, 26-27 sept., 2 059 adultes
Hier, évoquant Raphaël Enthoven s’adressant aux tenants d’une refondation de l’extrême-droite autour ou en marge de Marion Maréchal Le Pen, j’avais été frappé par cette phrase : « vous brandissez des valeurs sans jamais questionner la valeur de ces valeurs ». Et dans mon commentaire, j’avais omis de souligner à quel point Enthoven avait su insister sur le caractère mythique des valeurs de cette extrémité de l’ultra-droite. Ce par l’emploi de mots ou expression comme « le Bien », « valeur absolue », « dispensateur magique », « vertu en soi », « sanctification arbitraire », « sacralise », « passion grégaire », « credo ». La suite, soit la nature des réactions tendant à le diaboliser parce qu’il démythifie la profession de foi des tenants d’une « identité » intangible, qui détournent l’« amour sacré de la patrie » au profit de leurs ambitions, conforte cette partie de son analyse (par ailleurs bancale, justement parce que, aussi stupide ou néfaste qu’il soit, un mythe peut en chasser un autre).
N’est pas Tocqueville qui veut se faire passer pour son émule, et je me garde bien de me prétendre tel. Mais le cas de Trump me semble, à la lumière de cette histoire de conversations avec les présidents ukrainien et russe et le roi d’Arabie, emblématique d’un changement de paradigme.
La valeur suprême des Étasusiens, des citoyennes et citoyens all Americans des United States of America, reste majoritairement la monnaie, le profit, America First right or wrong. Donald Trump, ex-millionnaire très endetté mais se prétendant toujours richissime, incarne cette foi inébranlable. Mais il est d’autres valeurs que le Donald foule allègrement sans que cela puisse lui porter préjudice. Car ce n’est plus un simple président, mais un pape, un Zeus, un refounding father, et qu’une énorme partie de ses fidèles ne saurait plus lui contester son bon plaisir.
Songez à quel point les « histoires de fesse » tracassent ces puritains de façade que sont ces patriotes à tout crin.
On se souvient de l’affaire Clinton-Lewinsky, moins de l’aventure sentimentale de Mark Sanford avec une maîtresse argentine. Cela lui coûta son poste de gouverneur et en partie (Trump lui cira la planche) son siège au Congrès. J’y reviendrai car Mark Sanford est l’un des trois républicains briguant l’investiture de son parti contre le Donald.
Toutes histoires de cul et corne-cul de Donald Trump ne lui ont guère collé aux fesses. On se souvient aussi que Clinton fut doublement honni, car s’étant envoyé une stagiaire, il s’était ensuite enfoncé dans le déni et finalement contraint de confesser avoir menti.
Le Donald est l’empereur des menteurs, et cela ne change rien dans l’esprit de ses séides… Tout mensonge proféré devient article de foi. Notez incidemment qu’il en est de même pour une écrasante majorité de l’électorat conservateur britannique vouant un culte au Bojo, à Boris Johnson.
Trahison
Vue d’ici, cette histoire de lanceur d’alerte balançant que Trump fait tout son possible pour traîner son opposant démocrate, Jo Biden, dans la boue, semble vénielle. Sauf que, j’ai révisé mon opinion en constatant que Mediapart avait traduit son poulet adressé aux présidents des commissions parlementaires sur l’espionnage des deux chambres. Faute de pouvoir la consulter (je ne suis plus abonné de Mediapart), j’ai pris connaissance de l’original. Bof… Et puis, dans la partie (dé)classifiée de facto, je lis que Trump, pour faire pression sur le président ukrainien Zelensky, avait fait geler l’aide américaine, l’argent des contribuables étasuniens, aide matérielle, militaire, et assistance d’experts de la Défense, destinée à l’Ukraine. La presse française s’est peu attardée sur cet aspect qui relève pourtant de la haute trahison en vue de satisfaire des visées personnelles.
Que réplique Trump ? Qu’au bon temps d’antan, le lanceur d’alerte aurait été passé par les armes, soit jugé et condamné (songez à Edward Snowden, à Chelsea Manning…), soit discrètement liquidé. Rugissements et hourras de la Trumpland.
Pelosi, la démocrate soutenant que l’opinion générale évolue et que la révocation du Donald n’est plus tout à fait une gageure, une utopie, semble pratiquer la méthode Coué. Très peu de républicains se rallient à cette idée. Tous derrière, tous derrière, et lui, l’immortel, le Tout Puissant Donald, devant… Et lorsqu’il conchie ses adversaires républicains, les applaudissements redoublent.
Impasse
Ils sont trois à briguer l’investiture du Grand Old Party, des « éléphants », afin d’affronter Trump. William Weld (Massachusetts, passé au parti Libertarian, redevenu républicain), Joe Walsh (Illinois) et Mark Sanford (Caroline du sud). Sarah Lyall, du New York Times, a rencontré ce dernier. Et c’est… ahurissant. La moitié de l’équipe de campagne de l’ancien gouverneur se résume à… un étudiant bénévole (l’autre moitié étant le candidat lui-même). Simple : aucun donateur républicain de poids ne se risque à financer les challengers. Pourquoi faire ? C’est joué d’avance. La Trumpification du parti est quasi-totale (à 91 % semblerait-il).
C’en est au point que dans divers États, les caciques républicains se refusent à organiser des primaires. Dont la Caroline du Sud. Soit qu’ils soient trumpifiés jusqu’à la moelle, soit qu’ils redoutent l’ire, la rage, le déferlement de tweets présidentiels (et donc tout espoir d’être réélus ou maintenus dans leurs sinécures).
William Weld a bien considéré que Trump était coupable de haute trahison mais il lui épargnerait la peine capitale. Le meurtre de la députée britannique Jo Cox par un néo-nazi a marqué aussi les esprits outre-Atlantique. Weld surveille ses arrières, varie ses déplacements, mais se rassure cependant. Il sait qu’il pèse si peu, qu’il passe pour si négligeable, que le risque reste moindre.
En fait, si 91 % des républicains idolâtrent Trump, parmi l’électorat vaguement susceptible de voter républicain, ou indécis, il ne se trouve que 42 % à envisager de soutenir un adversaire du président sortant. Jusqu’à nouvel ordre, c’est plié d’avance : aucun des trois n’est susceptible d’obtenir l’investiture (donc, à quoi bon les financer, aucune retombée à en attendre).
Les trois Stooges (ou bouffons, sous-fifres, larbins, sicaires, ixièmes couteaux), selon le Donald, sont la risée universelle de la Trumpland.
91 % d’idolâtres, et 87 % des républicains à considérer qu’il régit tout à fait bien les US of A. Donc seulement 13 % à considérer qu’il n’a pas toujours fait de son mieux-mieux (comme on dit d’une cheftaine de louveteaux).
Enthoven a lancé aux franco-trumpistes qu’ils étaient des « moutons ». Trump est chef de meute, oint par le Grand Canin, conçu de Ses Œuvres, de toutous.
Il s’est mythifié, plus il tonne en maître des cieux orageux et des foudres, plus les toutous frétillent de la queue. Ses Valeurs sont intangibles, s’interroger serait tabou.
Depuis Tocqueville, les « Conducators Supremos » étasuniens furent rares et marginaux, jusqu’à présent. Qu’importe donc son parcours des montagnes russes, ukrainiennes, saoudiennes, voire israéliennes ou nord-coréennes, ses tocades et revirements. Durablement consacré, côté républicain, il semble indéboulonnable. Tel un Staline de son vivant. Nancy Pelosi peut toujours brûler des cierges au pied de la statuette de Benjamin Franklin, de John Adams, de Thomas Jefferson, ou d’Abraham Lincoln, des Kennedy, c’est en vain. Mais, parfois, le vent tourne. Et un tweet de trop, une fuite de plus… À force d’enfler, les chevilles du Donald pourraient céder.
Contre-attaque miteuse
La dernière manœuvre de Trump, pour contrer l'attention se portant sur ses conversations téléphoniques, consiste à ce que le département d'État contraigne le FBI a reprendre l'enquête sur les courriels d'Hillary Clinton... L'affaire avait empoisonné la campagne électorale. Le but est sans doute d'opérer une diversion, voire de tenter de suggérer que « les » Clinton ont fait bien pire que lui-même.
Cela ne convaincra que la Trumpland. Pour laquelle seule une faible minorité (7 %) considère que l'affaire ukrainienne pourrait — peut-être, non assurément — établir que le président se serait mal conduit. C'est ce qui ressort d'un sondage CBS. 59 % veulent défendre leur héros. 34 % pensent qu'il est urgent d'attendre et de pouvoir se prononcer sur les faits (comme s'ils n'étaient pas déjà patents), et les 7 % se demandent en fait s'il ne s'agirait pas que d'un véniel manquement.
Plus parlant encore, le même sondage indique que 28 % de l'ensemble de l'opinion étasunienne considèrent que Donald Trump a bien agi (proper), 31 % qu'il a certes mal agi mais est resté dans les clous (not proper, but legal), et seulement 41 estiment sa conduite illégale.
Le plus fou est la majorité des républicains pensent que le Donald a ainsi agi pour protéger les intérêts américains et faire cesser la corruption (ie des démocrates). Quant à lui, il a fait savoir via son administration que, s'il avait fait geler la contribution des États-Unis à l'Ukraine, c'était pour que l'Union européenne et en particulier l'Allemagne soit incitée à prendre le relai ou à augmenter son aide militaire à l'Ukraine. Ben voyons, non, ce n'était ni du chantage, ni une monnaie d'échange...
Tocqueville, inquiète-toi, la marge d'erreur n'est que de 2,3 %.  Et le même sondage révèle 61% d'optimistes, et autant d'adultes considérant que l'économie américaine se porte bien ou très bien...
Comme disait Clinton, it's the economy, stupid! Au moins, cela ne varie pas. Mais à 13 mois des élections, sauf revirement, c'est tout bon pour le Donald. 

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