lundi 30 septembre 2019

Greta Thunberg : la légèreté des mots, l'enclume des photos

Greta Thunberg, oui, et alors ? Femelle à abattre ?

Une lectrice assidue (oui, cela existe) m'interpelle en privé : pourquoi ne parles-tu pas de Greta Thunberg ? Eh bien, parce que d'autres le font mieux (ou pire) que moi. Point final. Au bout du compte, points de suspension ou de suite : je vous en cause.
Pourquoi donc ajouterais-je mes mots à la logorrhée de ceux des confrères et consœurs ? Bande de petites merdeuses et merdeux, comme susurrait Jean Yanne au micro, vous n'avez guère besoin de moi pour vous faire une opinion, la Greta, elle est partout, la cause est entendue, que vous apporterais-je de plus (ou, surtout, de mieux) ? Mon principe : si je n'ai rien susceptible d'ajouter à ce que vous lisez ailleurs, aucun angle original propice à vous faire réfléchir autrement, à quoi bon ? En revanche, parfois, en en passant en revue la presse étrangère, je me laisse aller à vous pointer des trucs négligés par vos sources habituelles d'information.
Bref, vous avez lu ailleurs que Bernard Chenebault s'est fait limoger de ses fonctions auprès du palais de Tokyo pour avoir évoqué le « visage haineux » de Greta Thunberg qui susciterait « la haine en retour », et provocateur, estimé qu'il espère « qu'un désaxé va l'abattre ». Sans le connaître, j'estimais qu'un Bernard Chenebault usait du ixième degré pour... Et puis, je ne sais plus trop. Inutile de s'étendre, c'est largement commenté par ailleurs.
Ce qui me fait réagir, c'est le choix éditorial de je ne sais qui du Daily Mail pour illustrer un article de Milly Vincent. Un espèce d'amuseur, d'animateur audiovisuel, vaguement obscur, vaguement célèbre, Jeremy Clarkson (ex-bateleur de Top Gear, un truc incitant à se ruiner en accessoires automobiles), somme la Greta Thunberg de retourner à ses poupées, de jouer au Pokemon avec ses petites camarades, et à en rabattre. Du fait qu'elle serait une enfant gâtée, abusant d'appareils ou véhicules polluants, pour donner des leçons aux adultes qui lui ont fourni, de leur vivant d'actifs, tout ce dont elle profite pour cracher dans la soupe.
J'avoue qu'il n'a pas tout à fait tort : Greta Thunberg veut traîner en justice de vieux pays de sa sphère culturelle, et non les émergents, ou la Chine, et d'autres plus gros pollueurs. Poupée de cire éphémère, de son amplifié par des hauts-parleurs, eh, balaye d'abord devant ta porte.
Ce Jeremy Clarkson reprend l'argument de Cédric Villani. Pas d'écologie punitive, science et technologie (Thunberg, retourne à l'école, et trouve des solutions lucratives technologiques et gaies pour résoudre les problèmes) seront la baguette magique. Pas si faux, pas si sûr.
Tout se discute. Ce qui ne se discute pas, déontologiquement, c'est de publier en appui trois photos (deux d'Associated Press, une de Reuters) de la gamine en quasi-harpie.
Je vous ai concocté un montage des trois... Jugez par vous-mêmes.
En regard, une photo sereine du Clarkson, une autre avec sa décorative fille (Emily), laquelle fait la promo du dernier bouquin de papa.
Là, ce n'est plus Machin déclare, Truc a dit (la fameuse saillie de Woody Allen : un quart d'heure d'antenne pour Hitler, un autre pour les déportés ; Alléluia, objectivité respectée). Mais un, des portraits à charge. La ch'tite harpie contre les adultes sensés. La dérangée, quoi.
Qui dérange. Qui nous crache à la figure qu'on a balancé des mégots par la fenêtre de la tuture en conduisant pied au plancher, pissé dans l'eau de la rivière, bâfré comme des chancres de l'ours, du sanglier, de la biche encore enceinte (j'ai une circonstance atténuante : jamais mes rôts arrosés de ketchup), flanqué des piles de Teppaz ou Walkman à la poubelle, &c. Elle aurait, à mon sens, assurément fait de même. Burp. Et nous, les vioques, n'en faisons pas assez pour nous réformer. Elle mériterait des fessées, mais voilà que se serait devenu suspect, et même répréhensible, de l'énoncer.
Eh bien, nonobstant, j'éprouve de la gratitude (non pour flagorner ma lectrice, c'est sincère).
Bon, j'aurais préféré qu'une émule de Vanessa Paradis tienne le rôle (Cocorico ! une ch'tite franchouillarde célébrité mondiale...). Je fais avec la jeune étrangère. Qui exprime ce que je scandais en trépignant à son jeune âge (en 1967, j'étais précoce). Différemment. Autres temps, autres combats.
Greta, tu n'as pas tout faux (mes cheveux blancs patriarcaux m'autorisent-ils encore à tutoyer une ado ?).
Tu es la Minou Drouet du moment, version imprécatrice. « On fait de moi un animal qui a mal », disait Minou. Minou ? Bon, voyez Wikipedia si elle ne vous dit plus rien. Les millénaires (nés en 1980-2000), revisitez ce qu'a subi « La » Vanessa Paradis. Revoyez aussi ce qu'il fut dit du jeune Dany (Cohn-Bendit). J'avais 16-17 ans en 1968, et un maître auxiliaire (chargé de TD de je ne sais plus quoi, chimie, biologie ?) m'a rossé, tandis que mes profs d'anglais et de français rigolaient à mon approche, évoquant qu'ils pourraient de nouveau endosser leurs treillis de « leur » guerre d'Algérie (des pince-sans-rire, pas méchants du tout, mais style Philippe Clay interprétant Mes Universités, et ils n'avaient pas non plus « tout faux »).
Tu es l'Antoine (le chanteur) de l'instant. Les Johnny Halliday d'à présent te reprochent d'avoir les idées courtes. Tu me rajeunis, t'sais. Trop vieux singe pour être tout à fait ton dupe, mais tu es rafraîchissante. Attention : ce n'est ni machiste, ni condescendant. Admiratif, plutôt. Ton petit côté Bund Mädel Werk Gauble und Schönheit (présumé) ne me fait pas frémir. Bon vent. Bon soleil pour tes futurs trajets en voiture à panneau solaires. Ou en montgolfière gonflée au charbon de bois.
Quant à ceux qui te disent de retourner à l'école, tu es à la meilleure. Voyager, me confronter à l'adversité, m'a autant appris que les universités. Et si tu retombais dans l'anonymat, t'inquiètes, on s'y sent beaucoup plus libre.
     
    

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