dimanche 7 juillet 2019

Libye : dans l'incertitude, s'abstenir

Libye : une guerre entre fractions islamistes ?

Bien malin qui pourrait vraiment dire ce qui se joue — ou déjoue, et délite — en Libye. L’expérience, ou plutôt le recul, laisse suggérer que l’inexpérience conduira les appuis étrangers des parties en présence à favoriser l’aggravation d’une situation peu contrôlable.
La presse relate les faits (une cinquantaine de personnes tuées lors d’un raid aérien à l’est de Tripoli) et relaye les déclarations des uns et des autres, dont celles du Vatican qui suggère une sorte de couloir humanitaire pour exfiltrer (vers ou  ?) tous les migrants cherchant à transiter via la Libye.
Déjà, on ne sait trop qui était vraiment visé (réfugiés « économiques », « politiques », ou venant d’autres zones de guerre, leurs exploiteurs ou chefs libyens liés à des milices, des stocks de munitions ?), ni trop quel pilote, de quel bord, était aux commandes de quel appareil…
Électrons crochus
Je ne reviens pas en détail sur les conclusions de la commission tripartite d’enquête parlementaire en Libye en mars 2011 (rapport publié en septembre 2016). Deux choses cependant : les Britanniques (membres du gouvernement, très hauts fonctionnaires, élus éminents) les plus favorables à l’intervention furent les plus jeunes et les plus marqués par le massacre de Srebrenica, commis par les forces serbes en 1995 (p. 16) – et non par les rodomontades de Bernard-Henri Lévy –, les plus réticents étant les plus âgés. De deux, la profonde méconnaissance des protagonistes libyens, l’absence quasi générale de sources fiables (multiples pages). Bref, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, David Cameron, Lord Hague of Richmond, &c., ont foncé tête baissée, avec déjà l’appui de nations du Moyen-Orient. On se souvient de la « dissidence » d’Angela Merkel qui finit par accorder un soutien quasiment de pure forme à l’intervention, des hésitations de Barack Obama.
Il semble que la conscience de l’inexpérience soit désormais plus forte du côté de l’Élysée et du Quai d’Orsay, alors même que l’expérience (aux deux sens du terme ?) de l’intervention au Mali a sans doute contribué à réduire l’inconscience (Jean-Yves Le Drian, ex-ministre de la Défense, est sans doute plus pondéré que le fut Michèle Alliot-Marie).
Je ne suis aucunement qualifié pour m’aventurer dans une véritable analyse de l’actuelle situation ; mais je subodore que France, Italie, et autres puissances européennes, tentent vaguement d’influer comme elles le peuvent celles qui paraissent engagées dans l’actuel conflit…
En gros, il s’agirait d’un côté des Émirats et de l’Égypte (Benghazi et ?), de l’autre du Qatar, de la Turquie et, au gré des événements, de la Russie (Tripoli et… ; voire en fonction de l’issue ?). Ainsi résumé, cela semble clair. En réalité, ni les uns, ni les autres ne savent sans doute vraiment qui seraient ceux qu’ils appuient. Je ne saurais d’ailleurs dire de quelles milices (islamistes d’un bord ou d’un autre) le maréchal Khalifa Haftar est… quoi ? Faux-nez, redevable ? Quant au gouvernement « d’accord national » — les guillemets de distanciation s’imposent —, ne sachant qui est qui, qui roule pour qui (lui-même, telle ou telle autre milice tout aussi islamiste ou territoriale, tribale, clanique, mafieuse), je reste incapable de me prononcer.
En sus, il se peut qu’il y ait aussi des électrons dont on se sait trop s’ils sont libres ou liés : Daech et Al-Quaïda, sans doute, quelques autres obédiences, de fidélités incertaines. Qui peuvent jouer leur propre partition ou celles d’autres (pas forcément toujours les mêmes, des retournements ont été ou sont peut-être possibles).
Sur un point « de détail » (idem supra), on se demande si Erdogan n’adopte pas la posture d’un Sarkozy… Soit, en perte de vitesse, se hisser dans le rôle du chef de guerre. Détail qui a son importance, peut-être mineure, car la Turquie a des intérêts actuels et prévisibles pour entrer dans la mêlée. L’expérience de la Syrie n’a donc pas, ne suffit pas encore. Dans un premier temps, Erdogan avait facilité les menées de l’État islamique (à la doctrine à peu près compatible avec celle de certains Frères musulmans un temps), avant de se raviser et de déplorer des attentats. L’Égypte suit les Émirats et l’Arabie qui la soutiennent économiquement et qui ont, elles et ils, aussi compris que financer et armer des sectes islamistes n’était pas durablement rentable. On ne sait trop si la Russie observe seulement comment le vent tournera ou agit (pas trop ouvertement, ni fortement) en sous-main.
Ce qui est sûr c’est que l’unité nationale libyenne n’a tenu que 40 ans, conditionnée par une dictature dont c’était l’intérêt. Et puisque l’on parle des Russes, il faut mentionner Saïf Kadhafi, présumé totalement libre de ses mouvements depuis juin 2017 contre… on ne sait trop quoi et en faveur de qui outre lui-même. Et il n’est même pas sûr que le Kremlin le sache. 
Fumeux ? J'assume...
Je voudrais bien que tout ce qui précède ne soit que balivernes, billevesées et calembredaines (en particulier sur les affinités de la Russie, pas vraiment limpides). Relire quelques proclamés « experts » s’étant exprimés en 2011 me placerait en assez large compagnie. Et Trump dans tout cela ? Soutient-il le, les plus solvables ou le, les plus prometteurs ? Il n’est pas sûr qu’il puisse compter sur lui-même pour se le dire… America first, certes, mais peut-être avec des intérêts contradictoires, antagonistes. Une firme américaine a signé un accord avec Benghazi pour doter la Cyrénaïque d’un grand port à Susah.
Ankara serait aussi engagée coté Tripoli dans l’espoir de signer un accord sur les eaux territoriales (dont les fonds pourraient receler du pétrole exploitable) tandis que la Grèce et Chypre pencheraient pour Benghazi.
Il y a aussi quelques à-côtés découlant de la situation antérieure : par exemple, des pays détenant des fonds libyens gelés les imposent (Kadhafi & sons avaient placé beaucoup de millions un peu partout hors de Libye). Des dividendes seraient versés à la Libyan Investment Authority (une institution apparemment opaque). Et on ne sait pas trop où une partie du pétrole produit en Libye « fuit ».
Ah, au fait, pour finir : trop chercher à en savoir sur la Libye exposerait à se voir infecter par des virus. Selon diverses sources semblant fiables, il y aurait eu près de 50 000 utilisateurs de Facebook (dont le Premier ministre « tripolitain » Fayez al-Serraj) ayant visité de fausses pages d’Haftar ou d’autres personnages, auraient été infectés. Facebook aurait fait le ménage fin juin dernier… La Libye, épineux problème… empoisonnant.
J'avais écrit « pour finir » ? Nan !
Revenons aux faits, et laissons là mes élucubrations. Les offensives, défensives, contre-offensives ont débuté le 4 avril dernier. On doit en être à plus d’un millier de morts (sur env. six millions d’habitants). Aux dernières nouvelles, la milice Front Populaire (présumée proche de Kadhafi fils, mais allez savoir… aurait fait allégeance à «​ Benghazi »). La Cyrénaïque n’a pas réussi son offensive sur la Tripolitaine. La France est présumée — ce qu’elle dément — soutenir la Cyrénaïque (d’où drapeaux français brûlés, gilets jaunes endossés par des manifestants en Tripolitaine). Et il est question d’élections prochaines (où ? comment ? autre histoire…). Et pour tout vous dire mon sentiment profond (pas forcément lucide), quand la chienlit libyenne se projettera sur les pâles (et pales) du ventilateur mondial, de migrantes éclaboussures nous maculeront la figure…
La faute à qui ? Aux « Juifs », à Soros, aux adorateurs du nombril, l’Opus Dei, les yakuzas, aux desseins d’un dieu ou d’un autre ? Ou aux incompétences des parties en présence ? Qu’on se rassure, les victimes seront oubliées, et les irresponsables, pour la plupart, couleront des jours heureux dans le luxe. Ceux-là auront « sauvé le monde » d’un péril plus grave encore. C’est vrai : quand des hommes et des femmes et des enfants meurent, la diversité animale bénéficie d’un sursis.

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