En guise d’hommage aux routiers en pandémie
J’évite quelque peu d’écrire sur ce blogue-notes ou d’apparaître
sur Facebook en mode « et moi & moi, émois ». Mais le hasard
faisant les choses telles qu’elles sont, petite entorse à ma déontologie
intime.
Les routiers sont sympas (Max Meynier et d’autres),
notamment avec les routards, dont je fus longuement de 15 ans à beaucoup plu longtemps
(puis un temps rouleur à l’international, au volant d’un 3,5t.). De fil
non-télégraphique à pneumatique toilé (d’Internet), voilà que je tombe sur un
article de presse reproduit sur le site fierdetreroutier.
Article dont je doute l’avoir signé puisque j’apparaissais sur la photo (imberbe
mais le nez chaussé de lunettes). En revanche, l’autre article reproduit sur le
site est de ma pomme. Pas trop faux-cul, restant à peu près factuel et
distancié. Pas de quoi en rougir. Mais, saluant ici une nouvelle fois
Jean-Pierre Obert, qui en avait vraiment bavé pour rejoindre Erevan depuis Lyon
et peut-être plus encore pour revenir dans l’Aisne, j’en profite pour me faire
l’écho de ses successeurs, les routiers qui, en cette période de pandémie, font
un boulot difficile en des conditions plus difficiles qu’auparavant.
C’était en septembre 1989. L’association lyonnaise Équilibre,
qui ne défrayait pas encore la chronique judiciaire (on peut lire Equilibre :
une faillite humanitaire, de Michel Deprost, Gollas éd.), lance une
opération de convoyage de baraques préfabriquées vers l’Arménie.
Or donc, parvenir à Erevan fut un périple très pénible (litote)
pour tous les utiles, un peu moins (euphémisme) pour d’autres (la chefferie). J’étais le
passager d’un ex-jeune délinquant qui avait suivi fructueusement un stage de
réinsertion lui ayant valu d’obtenir le permis poids-lourd. Nous ne parcourions
les grandes villes ou capitales (vague souvenir de Varsovie) que de nuit. Par souci
d’économie, nous n’avions embarqué que des conserves données par des
industriels (genre rations de sardines à l’huile). Digression : de retour
du Moyen-Orient, quand j’approchais 17 ans, j’ai vécu plusieurs mois de sardines
à l’huile, de patates et de Quaker Oats. J’en avais vu d’autres. Mais quand
même, sans doute afin d’éviter d’éventuels incidents avec les populations
locales, le « haut-commandement » ne faisait bivouaquer qu’à forte
distance de petites localités. L’état-major ambulant, à bord de Renault Combi,
ou similaires, avait à sa tête un toubib dont la suffisance confinait à la
morgue. Toujours impeccablement vêtu de frais, genre Lawrence d’Arabie, ou plutôt
touriste en méharée saharienne, il faisait souvent traîner l’immense convoi,
histoire de pouvoir photographier à l’envi l’ensemble de nos véhicules. D’où
des retards importants. J’imagine que ces bivouacs hors de tout contact avec
les populations visaient à éviter d’éventuels incidents.
Sauf erreur, je pense aussi que j’étais le seul à balbutier
quelques mots de russe. J’avais relu tous les albums de la série BD Le Goulag,
de Dimitri (épuisée, hélas) et je m’étais efforcé, avant le départ, de pouvoir
décrypter l’alphabet de Cyril et Méthode (enfin, le moderne). Donc je prononçais à ma manière ce qui figurait sur les panneaux
routiers.
Parvenus à Rostov (Ростов-на-Дону), je suis logé à L’Intourist
local. Première douche depuis Lyon. J’étais logé avec infirmier marseillais qui
lui aussi s’inquiétait du retard disproportionné du convoi et voulait reprendre
son service à Marseille. Bref, on retrouve, dans un restaurant des étudiants
marocains. Et grâce au truchement de Tatiana Olegovna
Sokova, lui et moi parvenions à trouver un vol de nuit vers Erevan. De mémoire, Rostov, pour je ne sais quelle raison, fut la seule halte citadine du parcours.
Pour l’anecdote. À Erevan, à point dh'eure, un taxi nous dépose
devant l’Intourist. Le veilleur de nuit (l’ascari, terme retenu depuis
Taez, Yémen-du-Nord) ne veut pas nous laisser rentrer. Je prends mon accent le
plus armée des Indes, stiff upper lip, et en mêlant quelques mots en « mon » russe, j’obtiens qu’ils nous ouvre les portes. Là, je me saisis de l’une
des rares clefs encore pendues aux clous de la réception. C’est une suite. Avec
balcon donnant sur la grande place. J’allais apprendre par la suite que Staline
avait donné une allocution depuis ce balcon. Nous étions épuisés. Au matin,
téléphone. Je pris un semblant d’accent allemand suisse (ou me l’imaginais-je)
pour dire que nous étions de la Croix-Rouge.
Quelques temps après, subrepticement, je déposais la clef de
la suite dans la boîte de la réception. Grâce à un logisticien de Médecins de
monde, qui fit beaucoup pour la « cheffe des filles » de l’hôtel, entendez des accompagnatrices des clients fortunés —
toutes ou presque trilingues, diplômées du supérieur — j’obtins un billet d’avion.
Saurf que… Erevan se sentait en état de siège. L’aéroport était
pris d’assaut en prévision d’une offensive de l’Azerbaidjan. Juste avant de le
rejoindre, je croise Alain Michel, le président d’Équilibre, venu en avion
constater la réussite de son opération de com’. Il me somme de l’accompagner
pour se faire prendre en photo en compagnie d’un ministre arménien. J’ai décliné
« l’invtation », soucieux de rejoindre ma rédaction, avec près de trois semaines de retard.
Seoconde digression. Avec l’aide d’une accompagnatrice russe
d’un groupe de Mexicains (mes souvenirs de la langue de Cervantès aidant), je
pus me faire passer pour un membre de son groupe. Plusieurs fois, nous irons auprès
d’un appareil. Finalement, un mixte (mi-cargo, mi-passagers) dont l’état des pneus
de son train me fit songer au pire, nous admit à bord. Retour en France via
Moscou.
Tout ce qui précède est dérisoire et je ne m’étends pas sur
les effets du confinement sur les ex-routards ou reporters confinés. J’ajoute
cependant que, pour le retour, les chauffeurs furent laissés à eux-même et
galèrèrent grave. Le «haut-domm&nent » avait sa moisson ede visuels utiles
pour sa propagande. Nombre de chauffeurs en ont vraiment bavé pour rejoindre notre
frontière. Car la plupart n'avaient aucune autre expérience de l'international.
Vous voudrez bien concevoir que, depuis, je reste
circonspect à l'endroit des dirigeant·e·s des associations humanitaires les plus
médiatisées. Précision : Thérèse Guérin, de mémoire alors conseillère
municipale rémoise, était restée au-dessus de tout reproche, et n’était animée que
de bonnes et louables intentions en soutenant l’action d’Équilibre.
Reste que, en tant que journaliste, je ne suis pas du tout
fier de n’avoir pas poursuivi en m’intéressant au fonctionnement de l’association
Équilibre. Sur le moment, on pense à « ne pas désespérer Billancourt ».
Ensuite, on doit vite passer à autre chose. Et Lyon se situant hors zone de diffusion, difficile d'obtenir du temps. Autre digression : je déplore
la fin du Démocrate de l’Aisne. Cherchez. Partout dans le monde, la
presse écrite est fragilisée ou devenue moribonde du fait de cette pandémie.
Vous l’aurez choisi. Comme certaines et certains ont choisi
de ne pas réserver le meilleur accueil aux routiers. Cetains, en s’arrêtant,
quand je tendais le pouce —thumbing my way — ont fait que je puisse
encore m’entretenir avec vous. Pardonnez cette logorrhée larmoyante, mais quand
vous applaudissez soignantes et soignantes, pensez aussi aux routières et routiers
Pensez qu’ils ont déjà pas mal enduré pour venir livrer, et qu’il serait indécent
que vous en rajoutiez.
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