mardi 15 octobre 2019

Europe, Brexit... à l'est, du nouveau

Angleterre, Roumanie, Hongrie, Pologne : des identités contrariées

Le changement dans la discontinuité ? De ces jours, date une ère nouvelle... Mais bien malin qui saurait prédire laquelle, si l'histoire se répète ou non. Ne prenons pas prétexte de ce qui se trame en Angleterre, Roumanie, Hongrie, et Pologne pour tenter de discerner ce que sera cette nouvelle ère. Mais se dispenser de l'exercice périlleux de s'interroger à voix haute sur le destin européen reviendrait à se boucher les yeux ou les oreilles.
Souvenez-vous. Giscard d'Estaing : « De ce jour, date une ère nouvelle (...). J'entends encore l'immense rumeur du peuple (...) qui nous a demandé le changement... ». Souvenons-nous aussi que l'idéal européen fut fortement exprimé bien avant le second conflit mondial (et en fait dès la Révolution française, si ce n'est auparavant). Ce qui permet de mesurer le chemin parcouru, non vraiment d'apercevoir le bout du tunnel.
Tunnel de négociations entre Boris Johnson et les 27 dans lequel, selon les mots d'une observatrice qualifiée, parfois les lumières des fanaux portent loin, ou n'éclairent plus que faiblement.
Des « experts » (auto-proclamés ou fumeux trop souvent, guère moins fumeux que moi-même), des analystes (certains au petit pied, à mon image) tentent de synthétiser vers où va l'Europe (de John O'Groats à Brest, ex-Litovsk ou sur-le-Boug, pour simplifier, soit d'au-delà de l'Atlantique à l'Oural par extension). On ne les entend plus guère ces derniers temps, et c'est dommage. Pourtant, divers signaux mériteraient d'être évoqués. Gageure... Pas vraiment.
N'exagérons rien. Boris Johnson n'en est pas à réclamer que l'électorat présente ses «cartes de messes » anglicanes pour approcher les urnes. Il préconise seulement que, comme en France, un document d'identité comportant une photo, celle d'un passeport ou d'un permis de conduire, soit présenté. Ce qui, comme aux États-Unis, comme des simulations lors d'élections locales anglaises l'ont montré, conduira à augmenter l'abstention et à refouler nombre d'électrices et électeurs. Il n'exacerbe que fort peu les sentiments xénophobes d'une partie des Anglais et des Irlandais du Nord. L'Angleterre n'est pas la Pologne, les unionistes d'Ulster ne sont pas comme certains Hongrois de la Transylvanie et de l'ex-Province autonome magyare ou du Banat. Mais les Remainers, majoritairement citadins, résidents des métropoles, le comparent à Viktor Orban...
Lequel, tout comme Erdogan, notamment en Europe (géographique), vient de subir un revers. Le nouveau maire de Budapest, Gergely Karacsony, tout comme celui d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, est un opposant (ce qu'est aussi le maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski) au parti majoritaire de son pays.
En revanche, en Pologne, le PiS, le Parti Droit et Justice, a remporté les dernières élections. En s'appuyant sur l'église catholique tout comme le PSD (Parti social-démocrate roumain) s'est appuyé sur le patriarcat orthodoxe autonome. Le PiS et le PSD ont mené ou mènent encore une politique que certains qualifieraient de populiste (mesures sociales au bénéfice des populations rurales appauvries, par exemple) et même, fut-il ou reste reproché, d'achat de suffrages.
Oui, mais en Roumanie, la prédominance du PSD n'a eue qu'un (trop long) temps. Le gouvernement-potiche de Viorica Dancila (séide docile de Liviu Dragnea, le sulfureux conducator du PSD) a été renversé par une motion de censure le 10 octobre dernier. Et le parti du président Klaus Iohannis, un Saxon, ex-maire de Sibiu, le PNL (Parti national-libéral), est donné favori lors des prochaines législatives (dont la date pourrait être avancée).
Le PNL est partisan du mariage pour tous, contrairement au PiS, mais reste flou sur la question de l'immigration et des quotas préconisés par la Commission européenne.
Bref, le « populisme » et « l'autoritarisme » se renforcent (Pologne ; Angleterre ?) ou se délitent (Roumanie), et la situation est contrastée. En témoignent les élections municipales de capitales (Varsovie, Budapest) ou de villes « métropolitaines » (ce que je n'ai pas cherché à soigneusement vérifier des Pays-Bas aux Pays baltes).
Il n'est pas non plus tout à fait négligeable de relever que l'USR, allié parfois du PNL, se compare avec La République en marche. L'Union Sauvez la Roumanie (USR) est un curieux amalgame de pro-Européens issus de divers courants (libéraux de centre-droit, centre-gauche, sociaux-démocrates,  démo-chrétiens pas très orthodoxes, écologistes, associatifs). Son chef de file, Dan Barna, vient de se faire épingler par le quotidien Adevarul car, lui aussi à pompé des fonds européens sous des prétextes fumeux (tout comme tant de dirigeants moldaves, roumains et ukrainiens), des projets sociaux ou écologiques qui ont surtout été des montages ayant profité à ses sociétés ou à des proches (dont sa sœur). Et quand on tente de comprendre ô combien les fonds européens sont détournés un peu partout à l'Est, on peut commencer à comprendre pourquoi les Brexiters anglais (qui dénoncent aussi les détournements de fonds destinés à des pays du Tiers-monde) se montrent si résolus... Pourtant, Barna, quel candidat « propre sur lui ». Si proche des faibles, des écolos, des défenseurs des droits de l'homme et de la citoyenne, &c. L'Orient est compliqué, l'Europe centrale et de l'Est tout autant. 
Et il s'en passe de belles, dans certaines capitales européennes de la Culture (surtout de la prévarication et des prébendes diverses).
Que déduire de tout cela ? Pas grand' chose, et surtout, à mon humble avis, rien de définitif. D'autant qu'il faudrait élargir ce panorama réduit : à l'Allemagne, à l'Autriche, l'Italie et même la Russie, qui n'est plus si hors-sujet depuis que l'opposition à Poutine se renforce. Montée de partis très conservateurs (Allemagne), revers des « mêmes » (ou plutôt assimilés, parfois abusivement) en Autriche et Italie.
Je suis persuadé que des experts qualifiés et des analystes sérieux pourraient, prudemment, se prononcer. Mais c'est de fait trop complexe pour que la presse relaye ; trop pour intéresser une large fraction de, des opinions. Pourtant...
Je vous entretenais voici peu de l'architecte Roland Castro et de l'opposition entre grandes et moyennes villes et autres territoires. J'avais omis de relever ce passage de sa tribune dans Le Parisien : « On pourrait dire, comme Jean Cocteau, "puisque ces événements nous dépassent, feignons de les organiser''. ». « Populiste », va... Amalgame. Mystères chez Cocteau, événements chez Machiavel, Talleyrand, d'autres encore. Mais comme le nom de Cocteau doit dire encore quelque chose au lectorat, que Machiavel, pour qui s'en souvient, évoque l'adjectif dérivé, et que celui de l'urbaniste François Ascher (La Société hypermoderne ; ces événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs, éds de l'Aube, 2001-2005) ne dit pas grand'chose au public (mais beaucoup à Roland Castro), va pour Cocteau. 
Et à la date commémorative de l'ère nouvelle, on pourrait dire comme Philippe Bouvard : « puisque ces anniversaires nous dépassent... ». Passez muscade, disent les prestidigitateurs. Ceux qui vous clament qu'un populisme conservateur a le vent en poupe, ou vous assurent du contraire.
Je ne vais pas vous chanter, comme Jean Gabin, « je sais qu'on ne sait jamais. ».
Parce que je crois savoir que cette ère, comme maintes l'ayant précédée, est aussi celle de la versatilité. Des accélérations des retournements d'opinions. Car les vents tournent fort (comme aurait pu le dire Edgar Faure). Voyez les derniers sondages portant, au Royaume-Uni, sur le Brexit.
Parfois aussi, ils tardent à se lever. L'Utopie ou la mort (1973), livre du premier candidat écologiste à l'élection présidentielle française (1974), René Dumont, a plutôt tardé à fonder le discours d'une Greta Thunberg. Mais les bourrasques tournent aussi parfois court. Gilets jaunes, Extinction Rebellion, connaîtront peut-être le sort de Nuit debout...
Pour en revenir au Brexit, tunnel labyrinthique, dans lequel évoluent des somnambules se hâtant trop ou pas assez, prenant près de cinq millions d'expatriés (citoyens européens au Royaume-Uni, Brexpats) en otages, là, oui « je sais qu'on ne sait jamais ». Qu'en sera-t-il à la fin du mois, ou l'année prochaine, quand les blousés réversibles voteront lors d'un éventuel, voire de deux (Article 50, indépendance écossaise), référendum(s) ?
Ce que je sais en revanche, c'est qu'il y a, du point de vue de la sociologie des mobilisations, du grain roumain à moudre. Des journées entières, de longues nuits de manifestations, à multiples répétitions, qui ont arraché quelques avancées, mais finalement, ce n'est pas la rue, mais une quatrième motion de censure qui finit — provisoirement ? — par changer la donne. Une « élite » chasse l'autre, pour, contre « le peuple » ?
Ce thème (élites/peuple) est aussi repris en Angleterre. Le Labour attirerait à présent davantage les classes moyennes (au sens français, un peu trop flou), les « populaires » ralliant le Brexit Party et les conservateurs. Chaque camp se revendique de la volonté populaire. Cela devrait mériter une mise en regard de ce qui s'observe en Europe de l'Est. Non pour en tirer des conclusions hasardeuses, mais au moins esquisser quelques pistes. Que l'historiographie finira par faire converger et dotera d'une signalétique ou d'une autre (Renaissance, Siècle des Lumières... diverses appellations approximatives).
Je ne schématise pas, j'ébauche, nuance. Un peu en tout sens, dont acte. Sans autre prétention que celle d'attirer l'attention sur des éléments épars dont je ne sais s'ils ont vraiment ou non des atomes crochus, s'attirent ou se repoussent (voyez ce qu'il fut de Nigel Farage et de Marine Le Pen, de Mélenchon et du PCF, &c.). Ce n'était que la minute nécessaire géopolito(il)logique d'un descendant de Pécuchet à consigner au Catalogue des opinions chiches. 




  


  

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