dimanche 17 février 2019

Le regard froid de Roger Vailland vu par Thérive et Bertherat


Roger Vailland « libertin » ? C’est à (re)voir…

Trioliste, certes… Libertin, c’est moins sûr, quoi qu’il ait pu en dire et écrire, si ce n’est au sens philosophique du terme… N’en déplaise à divers auteurs qui qualifieront d’inepties ce qui suit, Roger Vailland fut aussi un « aligné », ne dénonçant jamais frontalement, si ce n’est de manière ô combien précautionneuse et détournée, contournée, les Jeannette Vermeersch et autres thuriféraires de la morale bourgeoise du Parti communiste.

En revanche, oui, il tenta de rester un esprit libre… Mais on le vit de même décalquer la ligne officielle du Parti communiste à propos de Pierre-Mendès France, et d’autres sujets.
      Comme un pétri de catholicisme, ce qu’il fut sans doute comme tant d’autres au temps de sa prime jeunesse, Roger Vailland avait sans doute intégré une notion du « respect humain » qu’il interprétait à sa manière changeante. Peut-être jouait-il en son for intérieur un complexe double jeu. Certes, dès Drôle de jeu, comme le relève Jean-Pierre Tusseau dans son Roger Vailland : un écrivain au service du peuple, le personnage de Rodrigue, « le pur, le petit jésuite du communisme, enfermé dans ses certitudes par peur de la vie, nous est dépeint sans tendresse. ». De Rodrigue, Vailland-Marat dit : « Je n’aime pas qu’on entre dans le communisme comme on entre dans les ordres. ». S’il vécut tôt et finit en libre penseur (sa mise en terre en témoigna), et désabusé par les crimes staliniens (mais en revanche, il s’exprima bien peu sur les exactions de prétendus FTP de l’ultime seconde[1], adhérents du PCF, contre les femmes, les adolescents et les enfants en bas-âge liquidés, tout comme les Résistants opposants à la ligne du parti ou les anarchistes espagnols non conformes), Roger Vailland n’en resta pas moins pour une longue période l’un des plus ardents laudateurs du stalinisme. Ce que résume ainsi Jean-Pierre Tusseau : le bolchevik triompha du libertin ; avant que le naturel, ou plutôt une introspection rétrospective, ne reprenne le dessus.
En 1963, quand André Thérive présente Le Regard froid dans La Revue des deux mondes, il conclut « Tout ceci est littérature ». Soit en quelque sorte, une pose, une posture, voire une autojustification. Thérive voit en Vailland davantage un jouisseur « immoraliste » (« terme mis à la mode par André Gide il y a plus de cinquante ans »). C’est bien sûr ce « mis à la mode » qui retient l’attention. De Vailland « écrivain très distingué et romancier de grand mérite », il décèle principalement, dans ce Regard froid, l’expression d’un « amour-propre ».
      C’est fort discutable, vaut d’être disputé, et dans la revue Esprit il est relevé que s’il se constate en littérature et dans le cinéma de l’époque « un engouement pour le libertinage », Vailland « veut déboucher sur d’autres perspectives et peut-être n’est-il que le cheval de Troie d’un auteur désireux de nous faire entendre une musique beaucoup plus radicale. ». Yves Bertherat voit dans ce recueil d’essai l’expression d’un « idéal du moi que nous portons tous ».
Ces deux textes, réunis en un document PDF, et rapidement commentés, sont consultables en ligne. Ils témoignent d’une partie de la réception par la critique d’un Regard froid lors de sa parution.
(visuels : en h. à d., André Thérive ; et ci-dessus, Yves Bertherat)




[1] Sur la question, un exemple plus que probant, L’Honneur perdu d’un résistant – un épisode trouble de l'épuration, de Jean-Pierre Perrin et Rémy Lainé, sur Maurice Giboulet (en accès libre sur Gallica), et bien sûr, les livres de Philippe Gourdrel, La Grande Débâcle de la collaboration (Cherche-Midi éd.), et L’Épuration sauvage (éds Perrin).

jeudi 14 février 2019

Le sociologue Jean-Claude Kaufmann se dédouble dans Le Monde

Valentine et Valentin Kaufmann indiscernables tels des saints…

Après Marcel Aymé (Les Sabines), Claire Wolniewicz (Ubiquité), voire Alphonse Allais (Deux et deux font cinq), Le Monde s’est lancé dans l’ésotérisme en réussissant à dédoubler le sociologue Jean-Claude Kaufmann.
Et voilà que Le Monde « écrit pour Google » en usant de la grosse ficelle de la redondance des mots-clefs… Dans la rubrique « Opinions », le site du quotidien de référence/révérence (daté 12 fév. dernier) a confié une tribune intitulée « La Saint-Valentin fut longtemps une fête des célibataires et de la rencontre » à deux sociologues : Jean-Claude Kaufmann et Jean-Claude Kaufmann. Mieux que les Dupont et Dupond d’Hergé, deux pour le prix d’un, rigoureusement identiques.
         La page d’accueil indique qu’un quidam (Jean-Claude Kaufmann), et un sociologue (Jean-Claude Kaufmann) ont co-signé la dite tribune. Cliquer révèle que Jean-Claude Kaufmann 1 (sociologue) et Jean-Claude Kaufmann 2 (sociologue, en gras) nous expliquent que la fête de la Saint-Valentin est bimillénaire (ah bon ? Le premier Kaufmann se réfère peut-être à Valentin de Rome, le second à celui de Réthie, et en additionnant leurs antériorités respectives, à quelques siècles près, cette approximation se conçoit… enfin, grosso modo).
         Il est vrai que Wikipedia nous indique que ces Valentin « seraient en fait une même personne ». C’est peut-être pourquoi, dans le châpo de la tribune, la ou le sec’ de rédac’ énonce : « Dans une tribune au Monde, le sociologue Jean-Claude Kaufmann revient sur l’histoire méconnue de la fête des amoureux de février. ». Les deux ne font donc bien qu’un. C’est fusionnel, la Saint-Valentin !
         C’est plutôt vers avril que les Romains célébraient Vénus, mais admettons qu’une fête des amoureux ait pu l’être avant même que Jésus Christ et Marie-Madeleine l’aient (rien n’est moins sûr, la photographie n’existait pas et nous ne disposons pas de documents visuels affirmeraient les « Décodeurs » du Monde) mise à profit, mais plus tard selon le calendrier hébraïque (voir infra).
         Toujours est-il que, sans doute, l’aspect fête des couples légitimes ou non aurait pu prendre son essor en Europe vers les années 1950. L’auteur de Quand Je est un autre (Armand Colin éd.) et de Saint-Valentin mon amour (éds Les Liens qui libèrent) était tout indiqué pour évoquer – en duo – cette aubaine pour fleuristes et marchands de cartes de vœux. On ne sait si la ou les amoureuses du sociologue sont adeptes du triolisme, mais Le Monde leur a offert l’occasion de recevoir deux fois leurs hommages (ceux du Je et de l’autre). Si les deux Kaufmann sont pluriamoureux, leurs budgets jumelés doivent être copieux.
         On comprend fort bien d’ailleurs que pour se démultiplier (sur France Info, TV5, NRJ, &c.), on fasse mieux à deux…
         Pour Myriam Lebret, de L’Yonne républicaine, la dizaine de saints dénommés Valentin ne font plus qu’un : « Il y a eu plusieurs saints Valentin et ils n’étaient pas patron (sic) des amoureux ». Pour Cathy Lafon, de Sud-Ouest, les dix de L’Yonne n’étaient plus que sept : « pas moins de sept saints de l’église chrétienne répondent à ce nom ! ». Vérité en deçà, mensonge au-delà (de la rivière yonnaise). L’un des Kaufmann (mais lequel ?), pour ChEEk Magazine, fait une moyenne : « certaines sources disent huit, d’autres disent même plus. ». La maladie des vignes serait devenue, selon lui, maladie d’amour (enfin, à Saint-Valentin, dans l’Indre). Il nous précise aussi qu’en Angleterre « chacun devenait valentin et valentine et avait alors une double identité » (même source) et que « en tant que valentin, on avait beaucoup plus de libertés sexuelles que durant la vie habituelle ». Et en qualité de valentine ? Espérons que J.-C.-Valentin et J.-C. Valentine en profitent ! Qu’en pense Marie-Hélène Bourcier ? Finaude (éléphantesque) transition pour « élargir le débat » car M.-H. Bourcier voudrait que Valentin et Valentine Kaufmann partagent des ouécés à « genre neutre ».
         Depuis que la sociologie s’est intéressée aux lieux d’aisance (Harvey Molotch et Laura Norén), ou de commodités (Roger-Henri Guerrand), de nécessités (Sian James et Morna E. Gregory), et que les feuillées ont généré de multiples bonnes feuilles et pages et nourri leurs auteur·e·s (pour le Maroc médiéval, ils s’étaient mis à quatre : J.-P. Van Staëvel, Marie-Pierre Ruras, Admed Saleh Ettahir et Abdallah Fili – Tu quoque fili…), le moindre fait de la vie quotidienne (Dis-moi comment du fais – toilettes : histoire(s) & sociologie, Simone Scoatarin) – et je vous passe Norbert Elias (1897-1990), auteur de La Civilisation des mœurs, Claude Maillard (Les Précieux Édicules), et d’autres – fait l’objet d’une publication.
         Pour en revenir à la fête de ce 14 février, Jean-Claude Bologne, historien, auteur d’Histoire du couple (Perrin) et Histoire du coup de foudre (Albin Michel), fait remonter les origines françaises à Charles d’Orléans, fils de Valentine Visconti.
         Dans la presse et l’édition déchaînées, on trouve à boire et à manger…
       Il est quand même dommage que, pour Le Monde, Kaufmann et son jumeau n’aient pu dialoguer, l’un soutenant que l’estivale Tou Beav (ou Tu B’Av) biblique était à l’origine de la pré-printanière Saint-Valentin, et l’autre se récriant. Le premier soutenant que le monde islamique bannit cette fête, le second pointant qu’elle est désormais célébrée en… Afghanistan. Bah, d’ici quelques années, l’hivernale chinoise Fête des célibataires supplantera peut-être les autres…
         Comment conclure ? Par, allez, cette citation de la chute d’Olivier Perrin, dans Le Temps (Genève) : « La Saint-Valentin (…) c’est surtout tellement inutile. Aussi inutile que cet article. ». Pirouette, cacahuète, terminé ; mais sur un autre sujet, je vais récidiver

Il paraîtrait que se présenter soit idoine (je, moi, Jef Tombeur)


Moi, je, ma vie, mon œuvre, l’adoration de mon nombril…

Tiens, voilà que Philippe Mellet, collaborateur éminent de la revue Les Amis de l’Ardenne, me demande quelques lignes sur ma pomme… L’occasion de tenter de me présenter à vous, lectrices et lecteurs connu·e·s et inconnu·e·s…
Ceci n'est plus Jef Tombeur,
mais il y avait comme une ressemblance jadis.
Et zut, on bavardait avec un confrère de Chauvier (pas l’anthropologue ; ah, ben, si, re-zut, le Chauvier est devenu docteur en anthropo, et il ne m’en avait rien dit), de France Culture. Lequel confrère, ami commun avec Éric Poindron, me disait en substance : « certain que ta biographie trouverait un éditeur ». Flatteur, va…
         Et puis, Philippe Mellet m’envoie un courriel incluant cette demande : « Pourrais-tu me transmettre quelques lignes biographiques qui figureront sous ta contribution ? ».
         Duraille. Réponse : faites as you will.
         Je vous copie-colle ma non-exhaustive éventuelle contribution aux Amis de l’Ardenne
         Pas envie d’ouvrir et de fermer les guilles, cela donne donc cela :
Question bio :
Jef Tombeur tâte du journalisme à Londres vers la fin des années 1960 (Black DwarfInternational Times ; beaucoup plus tard, il fera un stage chez The Independent) ; voyage intensivement (en auto-stop : Europe, Asie, Amérique du Nord...) ; reprend des études d'anglais, abandonne vite le Centre universitaire d'enseignement du journalisme de Strasbourg et collabore à Uss'm Follik, à l'Agence de Presse Libération, Politique-Hebdo... Vend Le Monde à la criée, et obtient la convoitée qualification de « cycliste » (livreur...) à l'Agence France Presse. Journaliste municipal à Belfort, bifurque vers la presse régionale (L'Alsace-Le Pays de Franche-Comté, Le Courrier de l'OuestL'Union...). Entre-temps, il traduit depuis l'anglais (articles, documents techniques, littérature, sciences humaines). Redémarrage parisien avec la défunte Agence centrale de presse, des magazines d'informatique graphique (PixelCréation numériqueCreanum...) ; tente en vain d'obtenir le Capes (décroche un DESS de traduction, un DÉA de civilisations anglophones pour tuer le temps). Rechute down & out : il refait des tas de petits boulots, genre retour case départ sans caisse de compensation (hors passage à l'Encyclopædia Universalis en CDD). Frôlant le grand âge, songe à solliciter la carte de journaliste honoraire (pour les retraités chenus), mais rien ne le presse. Dadas : contribuer aux sites consacrés à Octave Mirbeau et Roger Vailland, re-voyager, bukowskies(ti/qui)ver, promener le chien d'une voisine, alimenter le blogue-notes jtombeur.blogspot.com. Même non-imposable, finirait bien Breton de la diaspora à Bouillon (Ardennes belges). Féru de et congru en typographie (plomb, numérique, autre) au temps jadis qu'il n'en peut plus.
Bon, je sais... je sais... trop long... Possibilités : couper, condenser, caser un pavé en corps 5, interligné 6. Pourquoi pas ? Le c. 5 est accessible aux jeunes pas trop bigleux, et je pourrais tenter de me faire parrainer par des fabricants de loupes pour les autres... 
Version ultra-courte : Jef Tombeur fut journaliste à L'Union, viré par le tandem Hersant-Bozo pour avoir mis publiquement torse-à-poil Dominique Raffin, alors faisant indûment fonction de redchef-adjoint. Vit à Paris quand il n'erre à l'étranger. Vaguement traçable via jtombeur.blogspot.com...
Version minimaliste letteratura povere : Lancer la requête "Jef Tombeur" ou 'Jef Tombeur' (mode expression exacte) : il remontera bien quelque chose. Voir aussi jtombeur.blogspot.com pour se faire une idée de l'individu.

Fin de copié-collé. Bien sûr, ce n’est pas du Cendrars affabulateur, mais… En fait, l’International Times, je le vendais dans la rue, et à l’exception d’une ultra-courte brève, je n’ai rien pondu dans le Black Dwarf. J’y étais surtout vendeur du côté de Piccadilly Circus et gardien de nuit (bouclé par Tariq Ali dans le local après le raout de fin de bouclage du Journal de Che Guevara et obligé de sortir par la fenêtre de l’escalier, puis en passant par une salle de cinéma pornographique : c’était dans Soho).
         Le reste, je le certifie authentique. Sauf que… Franchement, plutôt Cadix et sa belle-aux-yeux-de-velours que Bouillon et les belles des bars montants. Je me souviens d’un jeune gars en colonie de vacances qui me confiait à propos d’une pré-adolescente : « je l’aimais d’un amour sincère  ».
         Je ne m’adule pas, mû par un tel sentiment, mais en me rasant (à l’occasion), je parviens à me supporter. Eh, c’est presque confortable, cosy comme elles et ils disent. Désolé si j’en insupporte d’autres (ce que je tente fréquemment, mais sans méchanceté). Of the importance of being earnest… D’écrire qu’il est – et furent et seront – des êtres tellement plus importants (voire cruciaux) que soi. S’exhiber (à loilpé, par deux fois, dans un bar de Montbéliard d’abord ; ensuite, Gilles Grandpierre me le jure-crache et conserve d’autres photos, de Reims, et là sans prétention artistique), peu me chaud (sauf pour la déconne… mais ça « c’était avant »). N’empêche. J’ai signalé par ailleurs (je ne sais même plus où) l’Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobriographique (APA). C’est à la médiathèque d’Ambérieux-en-Bugey.
         J’aimerais bien y retrouver les pages de Stan (ex-contrebandier maritime de tabac, actuel capitaine de plaisance, auteur de textes inédits exceptionnels, dont je me reproche d’avoir oublié le patronyme), de ses potes, d’Henri (qui vit au Burkina), de Philippe Milner (colocataire rue du Delta), de tant et tant d’autres (« Madame Annie », qui se reconnaîtra peut-être ; Michel Kélif, qui vit à présent près de Rio ; Gérard le ramoneur ; Zaz ; Tatiana Olegovna Sokolova ; Emilia Sur ; Danièle Vaudrey… Non, ne croyez pas que c’est du dropping names pour fabriquer des mots-clefs). Mon gros regret, c’est de n’avoir pas (déjà, cela viendra peut-être), bossé avec Mylène Juste sur son autobiographie. Un « cas », Mylène (pseudo pour le tapin et le Strass). On d’vait l’faire, et puis, la militance a pris l’dessus.
         Autre regret : n’avoir pas même tenté d’aider un prospecteur de métaux en Guyane de rédiger ses mémoires. J’ai oublié son nom, à mon grand dam. Il me sollicitait : je n’ai pas estimé qu’il trouverait un éditeur. Le genre de gars à se recoudre une plaie sur non pas une île, mais un promontoire immergé sur lequel il reste bloqué par l’Amazone en crue. Faut le faire : à l’aiguille courbe pour les voiles…
         Pour le bouquin, excellent, de Jean-Guy Rens sur le Zaïre, j’ai mouillé la chemise en vain. C’est pourquoi, quand Aïssa Lacheb m’a confié le manuscrit de son Plaidoyer pour les justes (écrit en taule, depuis titre du Diable Vauvert éd.), je n’ai que trop mollement tenté d’en parler « autour de moi ».
Mon existence n’est pas « ratée », juste raturée, biffée à maintes reprises. Ben, c’est mieux qu’un blanchiment quasi-constant, monocorde et monotone, non ?
         Je repense à tous les personnages de Roger Vailland qui n’ont laissé de traces que dans les livres du Roger. Que n’ont-elles et ils communiqué, elles et eux-mêmes, leurs témoignages ! Finalement, rien que pour les gosses, je vais peut-être m’y atteler (à un succinct descriptif de mes tribulations). D’ac’, je vais cesser de tirer à la ligne, mais (peut-être, non assurément) à suivre.

mercredi 13 février 2019

Jésuites & éducation « genrée »

La revue jésuite Projet aborde les questions du genre dans l'éducation... 

La revue Projet de février 2019 a pour principal titre « L’éducation a-t-elle un genre ? ». La réponse est peut-être que l’éducation catholique aborde la question de manière bon chic, bon genre… Mais pas tout à fait comme on pouvait s’y attendre.

Le nº 368 de la revue Projet, supervisée par les jésuites, consacre son dossier principal à la question de l’enseignement du genre dans les établissements scolaires ; en particulier – cela va de soi – dans les écoles chrétiennes.
         Cette revue d’excellente tenue prend ainsi un risque sans doute soigneusement mesuré, soupesé. Car la question du genre a soulevé un, des tollés dans certains milieux catholiques ou, plus largement, confessionnels. C’est donc abordé – pure supposition, je n’ai pas lu l’ensemble de la revue, mais son site offre l’accès libre à un large choix de contenus du numéro en cours et des précédents – en marchant de la pointe des pieds sur des œufs. Et tout à fait intelligemment si j’en juge par ce que j’ai pu consulter…
         Certes, on s’en doutait, nulle apologie des homosexualités, de la bisexualité, &c. Mais si les termes ne sont pas employés, en tout cas dans ce que j’ai pu lire, la réalité n’est pas tout à fait évacuée. Il est ainsi fait état des 0,5 à 1,7 % des personnes au sexe biologique mal défini…
         Mon intérêt pour les luttes féministes (articles dans Politique-Hebdo, Libération…) est fort loin derrière moi et ma participation aux enseignements universitaires d’études féministes (parfois rebaptisées improprement études de/du genre… qui les englobent partiellement mais en élargissent le cadre), c’était au siècle dernier. Mais j’ai des restes.
         Très franchement, même en tentant de pinailler (de bonne foi), je n’ai pas grand’ chose à redire sur la contribution de Bruno Saintôt « Qu’est-ce que le genre ? – petit précis d’une notion large ». C’est en fait une rétrospective de l’utilisation de la notion de genre. Vrai : « le pluriel est nécessaire » lorsqu’il est question des théories du genre.
         Je ne sais si Peggy Sastre s’est vue proposer une tribune pour ce numéro, mais je doute fort que la conception in-vitro soit prônée. Mais Marie Duru-Bellat, qui aborde « la tyrannie du genre », et les « stéréotypes de genre », et la non-mixité dans l’éducation, l’écriture inclusive (pour les consœurs et confrères, signalons sa note de bas de page sur le point médian), &c., le fait avec bon sens. Du moins, notamment, si ses arguments sur l’écriture inclusive peuvent être discutés (« cela rend l’identité genrée obsédante »), ils méritent qu’on s’y attarde. Cela étant, la définir « chercheur » et non « chercheuse » ne me semble pas idoine, mais je n’y vois pas une muette « note de la claviste » (au bon temps de Libération, les clavistes mettaient leur grain de sel à la suite des articles). Marie Duru-Bellat est une docteure (dottoressa en italien – j’employai doctoresse antan pour les docteures en médecine et je ne vois pas pourquoi cela serait incongru) ès sociologie et honoris causa de l’université de Genève. Ne chipotons pas, pas d’amalgame ici, ni de procès d’intention…
         Au final, si le sujet vous intéresse, que vous n’en savez que fort peu et voulez bien l’aborder sans idées préconçues et préjugés, ce dossier de Projet est bienvenu. Voyez aussi, sur le site, celui intitulé « Sommes-nous libres de (ne pas) consommer ? ». Sur ce site de Projet, vous trouverez aussi chaussure à votre pied (contribution de Xavier Ricard Lanata : « Trouver chaussure à son pied » du numéro intitulé à la Magritte « Ceci n’est pas un numéro sur la chaussure »). Évidemment, si vous devez interpréter un travesti, comme dans le film Profumo di donna (de Dino Risi), n’y cherchez pas les bonnes adresses d’escarpins pointure 46. La revue Projet est très peu fournie en publicités ou carnet de bonnes adresses. Mais celle de son site est très recommandable.

Typographie : insérer l’espace fine/étroite insécable…

Tête à glyphe, tête à gifle… Le cas de la fine insécable
C’est fou à quel point l’accumulation des contributions sur le même sujet rend difficile la recherche, via un moteur, de la page fournissant la bonne réponse… Pour une question technique typographique, Google, par exemple, va parfois remonter en premier des pages aux contenus déjà obsolètes, mais qui restent très fréquentées. Je viens d’en faire l’expérience avec la requête « espace fine insécable ».
Mon problème était le suivant… La plupart du temps, je saisis les textes destinés à ce blogue-notes sous MSWord (parfois, mais j’en ai de plus en plus la flemme, sous Adobe InDesign). Pratique, sauf que… Les espaces insécables (et tout autant les insécables fines, dénommées insécables étroites en terminologie Unicode) sautent à leur arrivée sous Blogspot. Blogger les débarque. Ou plutôt châtre leur insécabilité. Non exquise excsise (pour plagier Gainsbarre).
         Dans un premier temps, pour y remédier, je clique sur l’icône de l’émoticon/e (émoji) de l’interface d’affichage des caractères spéciaux de Blogger… Mais je n’arrive pas à localiser l’espace insécable.
         Dans un second, je lance diverses requêtes via Google, ce qui fait remonter des pages relatives à l’insertion d’espaces sous WordPress (java et péhâchepé de pages) et quelques-unes se rapportant à Blogger… Verdict : impossible d’insérer une espace fine/étroite insécable… Maintes pages « impertinentes » remontent ce constat.
         Faux. Cela, « c’était avant… ».
Finalement, j’ai fini par la dénicher, la bougre, la finaude (voir l’illustration). Pour Blogger, elle se dénomme Narrow No-Break Space (alias non-breaking en sabir plus usuel). Il sera fastidieux de l’insérer ainsi, mais en attendant…
Je poserai ensuite la question aux abonné·e·s de la Liste typographique francophone (Thierry Bouche, Jacques André…), et ils m’indiqueront (peut-être… ou pas) comment affecter un raccourci clavier à cette fameuse espace. Si possible compatible avec les claviers non-étendus (dépourvus de pavé numérique).
         Restera à tester si les diverses méthodes préconisées pour en générer sous MSWord « passeront la rampe » sous Blogger. En gros, le plus simple est d’effectuer un « Remplacer » et de d’affecter à toutes les insécables l’espacement/approche de valeur inférieure (étroitiser à 40 ou 50 %, à votre goût). Car l’interface d’accès aux glyphes de MSWord ne m’a pas révélé de solution (même en scrutant les emplacements de l’une des toutes dernières polices de Microsoft Typography, la Verdana Pro).
         Bon, je ne vais pas m’étendre, ni y revenir ici. M’enfin, si vous estimez nécessaire d’ajouter votre grain de sel, laissez donc ci-dessous un commentaire en rapport… Pour le moment, je m’en retourne à des occupations plus courantes (ménage, Candy Crush, textes sur Roger Vailland, courses, répondre au téléphone…). Quoique… Pour qui n’y connaît rien, furtif rappel : les insécables s’imposent en typographie française avant certains caractères (et après les guilles doubles chevrons ouvrantes). Enfin, pour qui aime lire et écrire… Pour les un·e·s et les autres, « vous pouvez reprendre une activité normale » comme l’énonçait le Poivre d’Arvor (le vrai, méfiez-vous des imitations) des « Guignols de l’info ».
P.-S. – Pour mieux localiser l'U+202F via l'insertion de caractères spéciaux sous Blogger, après l'avoir trouvée, affichez donc les caractères récents (ce qui vaut aussi pour les numeros (masc. de numeras), ou symboles zéro, lesquels, au pluriel, gagnent à être remplacés par os – non point 117 ni 2116 – en exposant, et même de nombreux autres caractères...).

mardi 12 février 2019

Roger Vailland et Léon Pierre-Quint...


Roger Vailland et Léon Pierre-Quint : une histoire qui reste à défricher…

L’une de mes fugitives préoccupations (majeure, inférieure ou mitigée), c’est l’historiographie. Soit ce que les générations successives retiennent des précédentes, trient, mettent en valeur et mineure. Exemple : pourquoi Roger Vailland (sur)passe au premier plan et relègue un Léon Pierre-Quint au second, troisième, nième ?

Léon Pierre-Quint
Plus on s’intéresse à un personnage (en l’occurrence, Roger Vailland), davantage on s’aperçoit de ce qu’il devait à des personnages considérés à présent « secondaires », voire accessoires. Tout dépend évidemment de l’angle de départ : intéressez-vous à Daumal ou Gilbert-Lecompte, et plus Léon Pierre-Quint retrouve une place « centrale ». A posteriori
Je ne vais pas vous barber avec Léon Pierre-Quint, juste éveiller votre attention en vous signalant ce texte « Léon Pierre-Quint, compagnon “de route” (et d’excès ?) de Roger Vailland ». Titre incitatif, disait-on – dit-on encore ? je ne sais. C’est parti du feuilletage d’un livre de Bruno Taravant (dit Bayon), Les Animals (Grasset). Je vous laisse chercher (ou vous remémorer). Redémarré avec la retrouvaille d’un long article de Daniel Rondeau (frère de l’ami Gérard), dans Le Nouvel Observateur, sur Vailland. Nourri d’interrogations sur Arthur Adamov et Boëglin (pas Bruno, son père ; lointain confrère de L’Union). Envie de fait-diversier de trouver des fils, des nœuds, des carrefours et bifurcations. De transmettre : non pas du mâché tout cru, mais d’inciter à s’interroger, se documenter, imaginer… Se construire. 
                                                                                                                            
La définition du journaliste, c’est quoi  ? Quelqu’un conscient de son ignorance, de sa balourdise, s’efforçant d’en sortir soi-même pour tenter de porter d’autres à faire de même. À le prolonger. Et le nourrir à son tour…
Je crois que ce fut aussi la modeste ambition d’un Léon Pierre-Quint, d’un Roger Vailland. J’aime caser cette sorte de maxime : l’expérience est une lanterne dans le dos permettant de mesurer le chemin parcouru. Sauf que… Sans nostalgie, camarades, presque rien de fécond (sauf exception) ne fut suscité, créé, sans l’impulsion donnée par l’émulation de ce qui a précédé. D’où la question : comment « être » (se faire) Roger Vailland à présent ? Certes pas à l’identique. Et donc, pour ce faire, comment ne pas remonter le temps, au moins jusqu’à Léon Pierre-Quint ? À suivre donc, et perfectionner, en remettant l’ouvrage sur le métier. Sinon, comment espérer passer le relais ?

mardi 5 février 2019

CharlÉlie Couture & l’horlogerie céleste

La mécanique du ciel réglée par CharÉlie Couture

I had rather hear you that/Than music from the spheres (so spoke Olivia…). Ainsi donc, CharlÉlie Couture, à la suite du Barde, s’intéresse à la mécanique du ciel en « 50 poèmes inchantables » (confiés au Castor Astral).


D’emblée, « on » va se dispenser de faire dans la typoésie à la Jérôme Peignot, nommer un CharlÉlie, Charlélie (euh, non l'inverse ?), et ne pas faire dans le point de croix… Or donc, je vais vous saboter la chronique d’un livre que j’ai à peine survolé. Les titre et sous-titre suffiront pour le moment : La Mécanique du ciel – 50 poèmes inchantables. Et c’est adéquatement publié chez le Castor astral. Juste effleurer et dire qu’il y a des textes en prose-prose, d’autres en poésie-poésie (avec même, ça et là, des rimes, à l’ancienne). Et comme les fruits dans le yoghourt, tout plein de petits morceaux de Bukowsky dedans. Ajoutons que neuf dessins de la main de Charlélie précèdent une nouvelle, Le Costume ou le rêve américain (soliloque au treizième étage). Ce n’est pas pour faire mon monte-en-l’air à la Darien que je vous présente ce livre « salement » mais car tel est mon bon plaisir. Et puis, j’avance une excuse : je vais retrouver Charlélie Couture et Éric Poindron à Reims vendredi prochain, et j’aurais tout loisir de me plonger dans le cambouis de la chronique littéraire dans le dos du mécano d’une Générale électrique de l’actuelle Seuneuceufeu… Vous ne perdez donc rien à attendre l’éructation qui vient…
                Le Castor astral, c’est idoine… Heureuse coïncidence. Intercalés parmi les 300 chansons inédites qui s’entassent chez Charlélie, ces textes écrits entre 1973 et 2017, qu’un éditeur nancéen (enfin, ceux-là ou d’autres) voulait publier avant de mettre la clef sous la porte, comme Poindron à Reims menant Le Coq à l’âne (sa maison d’édition) à la SPA. Après, « plus de mise en onde possible, ce n’est pas facile de publier de la poésie » (Charlélie et la vox populi dixit). Jusqu’à la rencontre avec Éric Poindron, auteur Castor astral au bras long. C’est ce que j’ai retenu de la causerie de Charlélie lors du dernier en date des Lundis du Livre à la mairie du 5e arrondissement de Paris.
               
Ce service minimal préliminaire rendu à l’ouvrage, passons à l’entretien avec son auteur. Bonus visuel : sa dédicace que vous pouvez reproduire en ajoutant le nom de la personne à laquelle vous offrirez le livre (vous-même aussi : car vous le valez bien).
                Derechef, je pose la question de circa 1980 à Belfort qui me permit de titrer, pour L’Alsace-Le Pays de Franche-Comté, « Charlélie Couture : “Je suis juste un artiste malade” ». Eh bien, en gros, large et travers (porc qui s’en dédit), cela va beaucoup mieux depuis.
                « Non, je suis juste un artiste qui vit sous pression, pas seulement, pas tellement malade. L’angoisse, d’autres gens connaissent autrement. Les artistes mettent en forme la notion abstraite du sentiment humain, on invente une forme. »
                Tiens, cela, Jean-Jacques Tachdjian, dont je vous entretins précédemment, pourrait, autrement, le reprendre à son compte. Ces deux-là sont faits pour s’entendre et rivaliser au Congrès des Barbus (lors de la prochaine Convention internationale des Barbus et barbichus réunis), ou plutôt mode Catch Impro amical. C’était une incise, un paragraphe de réclame, je reprends, ne zappez pas.
                « J’étais depuis 2003 à New-York, avec de fréquents retours en France. À présent, depuis l’an dernier, c’est l’inverse. Cela ne fait que deux semaines que j’ai vraiment emménagé dans mon appartement parisien, mais je retourne aussi à Nancy, et me rends en divers endroits. Il y a 15 jours, j’étais à Reims, je vais aller à Sète, au théâtre Paul-Valéry, pour une expo. ».
                Le Donald (Trump) aurait été pour quelque chose dans la traversée du pilote en bonnet de laine ; Trump peut rêver de bloquer le passage depuis le Mexique, mais dresser un filet au-dessus de l’Atlantique pour bloquer l’évasion fiscale, même pas en rêve. Je glisse cela parce qu’un pince-sans-rire, tongue in cheek (Bernard Menez, crois-je me souvenir –voir par ailleurs), y fit une subreptice allusion ironique. « Ce serait plutôt l’inverse », rétorqua Couture l’ayant pris – à tort – furtivement au sérieux. Bernard Menez (surnommé le Carlos Ghosn de la scène), aux multiples cabanes pas qu’au Canada, fort au fait des modes d’escapade des pépètes, plaisantait d’évidence (si vous croyez tout ce que j’écris supra dans ce paragraphe tire-à-la-ligne, c’est que vous fréquentez des sites complotistes).

Attendez-vous donc à savoir qu’à Reims, nous disposerons de plus de temps pour converser afin de vous entretenir des projets de Charlélie Couture (à suivre…). En attendant, voyez donc cette rarissime photo de l’artiste pris de dos (cas aussi exceptionnel que ma photo de face de Serge Gainsbourg dos à son mur de la rue Saint-Dominique – a collector). Bon, si vous voulez de bonnes photos de Charlélie, adressez-vous plutôt à Christian Baron (christianbaron.fr), il en a tapé tout plein de plaques avec son zinc un poil plus pro que le mien. Pour le reste, voyez le site charlelie.com, et les dates de sa tournée – musicale – « Même pas sommeil » (de l’album éponyme à l’aigle aux ailes déployées dans le verso et la pochette). Mieux, abonnez-vous à son bulletin électronique de liaison pour obtenir des nouvelles en même temps que moi.
                Ah, vous voulez faire plaisir à Charlélie, fanesse et fan que vous êtes ? Offrez-lui du miel des ruches parisiennes de Diane Jos, Mrs Golden Germany (ah, ces Chinois, qui vous décernent en tapinois des titres de Miss à des Ms chargées de famille). En fait, je n’en sais rien, de l’appétence mellifère du Charlélie, mais il faut bien glisser en catimini un publirédactionnel à l’occasion par ces durs temps qui cheminent pesamment. Après lecture et relecture, comme celles de l’excellent Je vous remercie de me l’avoir posée, de Tachjian, cette mécanique céleste passera à Diane et Alyssa (à moins que Charlélie se fende d’une dédicace plus personnalisée la prochaine fois…). Elle – la nique du mec – sera ainsi encore un peu plus près de la voûte céleste (les ruches de Diane peuplent sa vaste terrasse d’où l’on voit tout Paris et même le vélo que vous avez égaré).
                
P.-S. : adaptation libre, de l’extrait de la Nuit des rois (Twelfth Night, Nineth – ou Ninthe, Ninth – Scene) : Que j’eusses mieux aimé entendre cela/Que la musique des sphères. Ce verbeux d’Hugo avait opté pour « j’aimerais mieux entendre ce plaidoyer-là de votre bouche/Que la musique des sphères ». Mais ce sera comme il vous plaira.

Bernard Menez ne dit pas tout...

Et encore... je ne vous dit pas tout ! : Bernard Menez avoue

L’ acteur (et aussi dramaturge depuis peu, ai-je cru comprendre) Bernard Menez était au « Lundi du Livre » (mairie du 5e arr. de Paris) de ce début de février 2019. Pour évoquer son autobiographie sortie chez L’ Archipel éditeur. Bien sûr, je le fis parler d’autre chose.


Déjà, la photo est mauvaise (pas celle de la couverture d’Et encore... Je ne vous dis pas tout !). La mienne, prise à la va-vite sous celle du général de Gaulle (l’ officielle remontée des caves de la mairie d’arrondissement où se tiennent des Lundis du livre, les soirs de premier jour hebdomadaire ou mensuel, j’ai oublié). Mais si on n’a jamais assez vu Bernard Menez, lui aura sans doute davantage plaisir de revoir celles et ceux qui l’accompagnaient que lui-même (tout au bout, à droite). Et puis, partout où il va, on ne voit qu’Éric Poindron (au premier plan), et puis encore, ce n’ est plus mon métier, je peux faire salement comme disait le voleur de Darien.
De quoi parlions-nous ? Je ne vous dis pas tout non plus (mais à propos de Charlélie Couture, deuxième à gauche, je vous en dirai un peu de tout, plutôt deux fois qu’une, car nous nous reverrons à Reims vendredi qui vient, et je ne sais pourquoi je vous confie cela puisque c’est complet, guichets fermés ; mais attendez-vous donc à savoir que...). Ah oui, de Bernard Menez. Ce que je ne vous dirai pas se consigne sur son site (bernardmenez.net) et dans son livre, et de celui de Carole Wrons (Arte et autres), le même d’ailleurs. Je glisse juste qu’il est sous perruque dans À cause des filles ?, film de Pascal Thomas, actuellement dans les meilleures salles obscures.
Tout sauf cabotin, Menez, Bernard (relativement, l’ écart est abyssal, en absolu, c’ est net, no smudge). Il fallait le faire, soit lire quatre extraits de son autobiographie en évitant soigneusement le côté « et moi, et moi, et moi, ma vie, mon œuvre »). Moi-même, qui suis d’une pudeur de jeune fille au piano, n’y parviendrai pas (et c’ est pourquoi ma biographie se fera sans moi). Or, donc, il nous entretint de Saint-Paul-de-Léon (eh oui, Menez, à prononcer « méné » du côté de Douarnenez, c’ est comme Tombeur, mais avec une finale en « ez », à l’ aise). Pour éviter de vous bassiner avec nous, nous causâmes d’autre chose... De l’ évolution de la décentralisation théâtrale. 
Et de son côté (du mien, ce serait trop long, oubliez...), cela donne ce qui suit.

« La décentralisation théâtrale ? J’ai surtout donné dans les années 1970. Avec André Reybaz, avec le Centre dramatique du Nord. Il m’ engage à la suite d’une audition pour La Nuit des rois [Ndlr. Twelfth Night, Or What you Will, comme il vous plaira), et le rôle de Malvolio. Mais il avait aussi promis le rôle à son beau-frère, ou un beau-frère l’avait promis à un autre, et bref, ce furent trois petits rôles dans Le Marchand de Venise [Ndlr. The Merchant of... A Moft excellent hifstorie, soit dit en passant], l’année suivante. »
J’vous dis cela, j’vous dis rien, mais cela en dit long sur (censuré ; c’ était au sujet de la DT à laquelle parfois il manque un T médian) la carrière de Bernard Menez. Qui se dandinait en Dandin, turfait dans un Tartuffe, fonda la Compagnie Sganarelle.
La décentralisation fut et reste « une très bonne chose ». Mais...
« Mais subsiste un grand fossé entre le théâtre public et le privé. Il y a beaucoup de centres dramatiques et de scènes nationales qui ne montrent plus de théâtre de divertissement, même intelligent. J’ai travaillé dans les deux sphères. Le théâtre public vit surtout des aides de l’État et d’autres institutions. Les scènes et centres nationaux se regroupent pour coproduire et jouer sur divers lieux, font tourner les pièces. Le privé ne vit plus que sur la starisation ou des spectacles en de petites villes, à peu de moyens, peu de subsides, qui ne prennent plus, ou presque, pour remplir les salles, de tout ou presque, et concèdent à la culture du divertissement. Auparavant, deux tourneurs, les Galas Karsenty et les tournées Baret [Ndlr. & Lumbroso-oh-oh-oh, mais il est vrai qu’il privilégiait davantage le lyrique, puis le musiques-halles] monopolisaient tout. À présent, plein de tourneurs de moindre importance dont les tournées deviennent squelettiques, se réduisant à dix-quinze dates. ».
Là, intervint Charlélie Couture et Bernard Menez bifurqua sur Tom Novembre, et il fallut déjà évacuer la salle... Alors que je voulais embrayer sur Alice Sapritch. Bernard Menez ne nous a pas tout dit. Comprend qui peut, ou qui veut, comme le chantait Boby Lapointe. Ne sachant plus comment conclure, histoire d’évoquer les tournées du temps jadis qu’ on ne peut plus, je place un bonus : le programme du Théâtre royal de l’Opéra du Caire (visuel), comme un (é)crin sur la soupe. Depuis, la gare de Troyes n’a pas eu mieux (Ange, groupe musical belfortain & mondial, telle est la référence, ainsi soit-il). Cherchez, où tout cela va vous mene(z)r.

vendredi 1 février 2019

Tachdjian l’anartiste se livre en livre


Jean-Jacques Tachdjian répond à huit sommités des arts plastiques et connexes

Je vous remercie de me l’avoir posée est accompagné de l’un des plus longs sous-titres de l’édition française des origines (bon, là, difficile de surpasser les sous-titres incluant dédicace au mécène, et la mention « suivi de… », genre « l’illustrissime histoire du chevalier et de dame… ») à nos jours. Kézako ce dernier chiot ?

Franchement, si je connais assez bien Jean-Jacques Tachdjian, précieux collaborateur de la –défunte – presse graphique numérique, illustre illustrateur, avec lequel je m’entretins x fois en vue d’articles illustrés de ses visuels typographiques et autres, en revanche, je ne connais presque rien aux arts plastiques en général. Donc, prendre le titre pour ce qu’il est, un présupposé. Or, le sous-titre de Je vous remercie de me l’avoir posée est « Questions à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Merobian (sic), Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Tarakanov, Dominique Lefèvre, Catherine Cullen », ouf ! Jean-Pierre Duplan… Le nom me dit confusément quelque chose… Ah si, le photographe de Les Nouvelles légendes improbables du Nord et du Pas-de-Calais abondamment illustrées… Livre que j’avais abondamment chroniqué car exceptionnel d’originalité. Il semble ne pas être épuisé partout, et de rares niais connaissant mal leur métier (ou restés tellement impécunieux après avoir tout fourgué chez Ma Tante – le Mont-de-piété) le cèdent à un prix dérisoire. Tachdjian fut de l’épopée de ces Nouvelles légendes… Tachdjian… Me rappelle feu André Villers, dont la mémoire est perpétuée par le Musée de la photographie de Mougins portant son nom, qui me disait : « après ma mort, tout se vendra » (ses photos de Picasso, Prévert, Ferré, mais aussi ses créations et expérimentations photographiques). Il en sera sans doute de même des surabondantes œuvres (ou plutôt « du chemin ») de Tachdjian, lui qui se refuse à vraiment les vendre (ou tout juste à prix coûtant) ; je devrais y revenir plus loin, mais comme je ne le ferai pas, en vérité, en vérité, je vous le dis, cherchez et vous trouverez (via Google, la requête « Jean-Jacques Tachdjian » remonte près de 6 000 résultats).
            Que Duplan soit une sommité est à peine exagéré, il est certainement en passe de le devenir incessamment sous peu (redondance délectable, non ?). Vanina Pinter ? Universitaire, artiste. Carole Carcilo Merobian : non-énigmatique & non-anagrammé pseudo de Carcillo Mesrobian, Carole, auteure de poèmes et ouvrages, pas encore l’Octave Mirbeau de Pissarro, ni le Roger Vailland de Soulages, mais… cela se pressent. Céline Delavaux est entre autres co(n)fondatrice – sans la moindre haine de ma part, ce fut juste un lapsus de saisie, cette n que je balise – du Collectif de réflexion autour de l’art brut (CrAB) et docteure ès-lettres, ornées ou non. Attention, Tachdjian n’est pas un artiste brut, mais un singulier artiste… Les artistes singuliers se situent parfois sur les pourtours de l’art brut, mais il y a de l’atour dans ce pourtour, donc ce n’est pas brut, ne pas confondre (avec [n] cette fois). Florence Laly est experte en plein de choses et sauf confusion dû à une homonymie, auteure d’Art & Social Work in Europe (Invenit éd., maison exigeante). Christine Tarakanov : historienne ; comme elle a dû s’intéresser aux graffiti des détenus de la Bastille et autres geôles pré et post juillet 1789, je la bombarde sommité ès-pixels d’avant et de pendant (format Tiff & Raw réunis). Dominique Lefèvre, universitaire, n’est pas à l’intérieur du livre au même rang qu’en sa couverture, mais last but not least. Catherine Cullen demeure, pour résumer le non-résumable, consultante culturelle et consule honoraire de tas de trucs. Quant à Nicole Esterolle, c’est une ultra-talentueuse postfacière (le préfacier n’est autre que Renaud Faroux, historien d’art), dont, verbeux que je reste, surnommé un temps l’Achille Talon du journalisme, j’envie sournoisement – faute, là, de pouvoir dédaigner – la concision : longtemps elle continuera de se lever à point d’heure pour célébrer « le délire scriptural des typo-graphzeux ». Tout semble dit…
Erreur. Tachdjian ne se cantonne pas à cela, est beaucoup plus divers, prolixe, foisonnant, et surtout, surtout, tout comme la plage sous le pavé, il personnifie la rigueur sous le foutraque. On pourrait dire de « Jiji » Tachdjian que c’est un Crumb qui ferait avec tout plein, tout plein de couleurs et surmultiplierait les cases (sauf que ses cases sont des affiches la plupart du temps, et que s’il use – rarement – d’un phylactère, il donne dans le monumental).
            La métaphore Crumb est quasi-total inepte, mais d’une part j’ai la flemme, et de l’autre j’ai toujours résolument affronté la facilité, et puis je me situe dans le courant post-néo-journalisme, soit celui du paléo-vaurien. Ne sachant trop où et comment situer Jiji, comme d’ailleurs toutes celles et ceux dont les patronymes précèdent supra, je ne vais quand même pas tenter de faire semblant (c’est déontologiquement irréprochable que d’avouer cette incapacité, aveu commode permettant de tirer à la ligne et de ménager une transition en . . .  ; là, je laisse une trace des lettres blanches sur fond blanc de la transition).
            En conclusion, Tachdjian évoque sa « vision de de la création comme moteur de l’espèce gratuit et partagé ». Ce gratuit-partagé que les zoologues voient parfois muter du coq à l’âne et inversement, est à Jiji ce que fut à Fredo (V., Alfred de) la condition militaire. Autant dire qu’il reste grandement asservi à la mouise. Artiste de renommée internationale, Tachdjian, héros d’après les mannes de Cervantès, Wagner vivant du « graphisme » (vocable parfois peu consensuel mais pris ici en son acception passe-partout-couteau-suisse, Jiji étant au Victorinox ce que Vercingetorix est devenu à l’identité française, et puis, zut, voir ci-dessus, j’affectionne m’étendre, mais non point flaubertiser), &c., Jiji, dis-je (comme Truman Capote, je goûte les allitérations, mais les rate) ; oh, et puis, je ne vais pas me creuser pour trouver une suite à cette phrase.
           
Là, c’est une transition encore plus masquée qu’un concombre. Pour introduire qu’il y a comme un truc qui a échappé aux questionneuses et questionneur : l’évolution récente de l’œuvre, de la sente, du sillon. Ce n’est pas qu’ils aient fait le boulot salement, tel·le·s le voleur de Darien, c’est que Tachdjian évolue très vite, Painter (Corel) et autres au plancher. Elles et ils ne pouvaient prévoir que le Jarry-Satie-Saki-Kirby de l’arte non-povere lussureggiantissimo, que le maestro allait, en sa soixante-deuxième année, faire passer un Lalique pour un créateur minimaliste, adepte de l’épure. Il s’est lancé dans le liquéfié translucide (ou quelque chose d’approchant) depuis – approximativement – le dernier en date des Roubaix Comics Festival ; je veux dire peu avant qu’il s’inaugure, le 16 février prochain (festival dont il mit une affiche en ligne le 24 janvier dernier).
Le virage au simili-vitrage – ou pseudo-vitrail – s’est produit circa fin décembre 2018. Fin de la prédominance de l’à-plat simulant parcimonieusement parfois l’embossage. Mettons que L’Œil vulvaire hugolien (posté sur la page FB le 23 décembre 2018) manifestât (c’est conjugué au subjectif imparfait, donc idoine) l’unique annonciateur d’entre les prémices de cet accouchement virginal (virginal, dans le culte marial, vaut synonyme de blanc, tendant ici au translucide ; prémices revêt plusieurs sens du côté de chez Juliette et Justine, les toujours ça de prises).
            J’ai cru comprendre que l’impécunieux Jiji pourrait symboliser bientôt l’écharpe-étendard rouge & noir trouvant refuge sous l’abri d’un rond-point des « Gilets jaunes » (s’ils subsistent et acceptent qu’un fort largement plus démuni qu’eux puisse frayer en leur compagnie ; chez eux aussi, comme chez les protagonistes des études de Michel et Monique Pinçon, on se mélange finalement assez peu). L’anartiste chez les micro-bourgeois (forts désireux, pour la plupart, de se muer en mini-bourgeois, puis de prendre du galon), en quelque sorte. Car nonobstant prestigieux, Tachdjian reste au nième sous-sol, au fond du puits à pépètes de l’ascenseur social. Un choix assumé, revendiqué, de « faiseur » d’images aux antipodes d’autres, même géniaux (Yves Klein, pour n’en mentionner qu’un à mes yeux, parmi de multiples autres confectionneurs de prêt-à-admirer artistique qui n’en étaient pas moins des créateurs féconds). Tout ce Je vous remercie de me l’avoir posée en témoigne.
            Ce livre d’entretiens fut sorti par la maison La Chienne Édith (lachienne.com). C’est le treizième volume de la collection Nonosse (178 pages format absinthe, 148×210, imprimé en noir proche du Pantone 19-0303 TCX pour les surlignages). Au panier, cou-couché, c’est 12 euros (19 pour livraison rapide en France), et la commande en ligne fait du livre une pochette-surprise avec plein de cadeaux-bonus dedans et une enveloppe personnalisée autour. En vente aussi dans les bonnes librairies d’art. « Achetez sain, achetez chienne » et rengagez-vous pour voir des pays insolites (à signaler aussi le Journal d’un curateur de campagne, du commissaire Numa Hambursin, tant d’autres).
            Ah oui, je n’ai point trop causé du bouquin. Suffit peut-être d’évoquer la question de Christine Tarakanov citant le fluxien Robert Filliou (« l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ») et la réponse de Tachdjian : « l’art n’est rien qu’un minuscule épiphénomène de la création, et elle seule est réellement digne d’intérêt ». Entendez par « Art » (ici, capitale initiale) « mode de marchandisation » et affirmation d’un « pouvoir culturel ». Et par « art » l’avatar parmi d’autres d’une genèse sans fin (et trop souvent aussi sans moyens financiers). L’insufflé, l’influx, c’est l’art, pas le boursouflé d’une prétendue critique brosse à reluire et catapulte à « booster » les cotes. Cela étant, Tachdjian s’exprime surtout très simplement et cause d’émois (et non d’et moi, et moi, et moi…). C’est souvent dit aussi potache que potlatch. Et le « dit » (énoncé, parfois poétique cela dit) des inter-voyeuses (de Duplan aussi, incisif, jamais plan-plan) n’a rien d’amphigourié (y compris celui des universitaires).
            Vous avez sans doute saisi que Tachdjian ne sera pas de sitôt au programme des conférences et visites des Dits de l’art (lesditsdel’art.fr), quoique… Allez prévoir. Prévoyez-vous plutôt la visite des sites (en ligne, entrées gratuites) de Jiji. Chopez-les au vol (les versions antérieures, hélas éphémères, dont ceux des périodes pré El Rotringo, s’il en fut, et pré Typoclaste sont devenues in-dénichables, et mêmes les pages canines changent tout le temps), faites le détour par la page FB de l’Internationale Permaculturelle et @icilachienne et surveillez celle d’Ulule (fr.ulule.com proposera le prochain ouvrage en souscription et attendez-vous à le savoir). Ce « dit » d’un érudit du regard se lit mode limpide. Foin ici de relativité ontologique, de dessin épistémique, de fonctionnalisme déjanté, d’autoréflexivité critique, de virage en épingle linguistique, de charabia surréalistic, nulle prétention à chausser les bottes de Chaussard, de vanité plagiatiste. C’est l’Avanti popolo du déverrouillage de la perception des arts, et en particulier de la « culture visuelle ».
            Un mot quand même sur l’objet lui-même. Pas tout à fait comparable à ceux que mentionne la Typoésie de Jérôme Peignot (Imprimerie nationale éds), mais à créateur singulier, livre singulier (et mise en page du répondeur himself à « géographie » variable), avec des visuels pleines pages ou marginaux, un titre de préface plein fausse page. Qu’oubliais-je ?.. Ah, si, l’omis, le colophon listant les polices employées. Dommage. Un colophon très Arts and Crafts eût été bienvenu (d’autant que Tachdjian, comme les « linograveurs » et les tenants du mouvement, ambitionne de partager le plus librement la création et la culture visuelle). C’est un peu la baie molle qui aurait pu accompagner les cerises de ce gâteau. C’est surtout, ici, l’emploi d’un vieux truc groß Fißel : pour ne pas faire trop laudateur, on case un schmoll, un fion, un ch’ti bidule, histoire de feindre avoir écrit distancié. Subtil raffinement de « papier » (pub Mi·Cho·Ko, de la Pie qui chante, années 1960). Et kolossal toron pour suggérer aux créateurs de friandises bio-durables-équitables et tout et tout que Tachdjian est ouvert au troc (quoique… il préférerait son poids en bières). Bon, côté pub, Jiji fait plutôt dans le parodique (Eau de Sent Bon sainte Cyprine, par exemple, et autres pour produits monacaux de Monte-Carlo et d’ailleurs). Et dans le détournement des slogans à la Gotainer. Car c’est un sérieux facétieux. Ce qui se ressent à la lecture de Je vous remercie… Même si, même si, c’est parfois du lourd. J’en veux pour preuve cette réponse : « Toutes les tentatives de “démocratisation de l’art” ont été vouées à l’échec car c’est la notion même d’art qui est à revoir, à remettre en place : à réparer ! ».
            La sphère spéculative spectaculaire-marchande récupérera Tachdjian. Tant pis, tant mieux. Il inspirera d’autres, qui à leur tour… Mais, de son vivant, il reste irremplaçable. Faites-vous vivre, faites-le vivre ! Vibrez, quoi…

lundi 28 janvier 2019

« Gilets jaunes », médias, Roger Vailland et Claude Roy…

Dialogue citoyens/journalistes : c’était mieux avant ?
Voici peu, je recevais un courriel des Assises internationales du journalisme intitulé « Appel : journalistes et citoyens, et si on se parlait ? ». Les « Gilets jaunes » en sont sans doute la plus récente raison. Mais à la lumière de la presse de naguère, je me demande si cette supposée absence de dialogue n’est pas – partiellement – due à l’évolution (salutaire par ailleurs) des médias…

Allez, soyons déontologiques : j’avoue que je prends prétexte de cet appel pour vous entretenir principalement de ma redécouverte fortuite d’une tribune de Claude Roy prenant fait et cause pour Roger Vailland dans La Défense (organe du Secours populaire, année 1952). Ce qui dispensait Claude Roy d’un droit de réplique adressé à L’Aurore. Vieilles lunes ? Finalement, pas tant que cela…
        Mais je relaie d’abord cet appel de l’association Journalisme & Citoyenneté en toute confraternité. En bref, il invite à s’exprimer sur la page Facebook « Journalistes et citoyens, et si l’on se parlait ? », et convie à dialoguer de vive voix, à Tours, les 13, 14, et 15 mars 2019 lors d’Assises « largement consacrées aux questions posées par la crise des “gilets jaunes” » (pardon, la juste irruption dans l’espace public des damnés de la Terre ; crise ? non, les « Gilets jaunes » ne sont pas plus des fauteurs de crise que les maîtres & compagnons de la corporation métiers de bouche ne peuvent être assimilés au « Boucher de Lyon », i.e. Klaus Barbie : se rapporter à la presse de mai-juillet 1987 ; au passage, excusez cet écart d’avec l’orthographe inclusive). Le texte se trouvant en ligne sur le site journalisme.com, vous pouvez le consulter pour en savoir davantage, soit prendre connaissance de l’argumentation de Jérôme Bouvier, président de l’association.
        Cela étant, avant de vous enjoindre à survoler le document PDF intitulé « Roger Vailland, espion soviétique en Égypte ?», quelques considérations générales. Qui lit ou relit la Monographie de la presse parisienne de Balzac se rend compte à quel point les médias d’à présent diffèrent de ceux d’antan, et même de ceux de naguère.
        Le dialogue entre journalistes et lecteurs n’est pas une nouveauté, et il s’est même, pourrait-on penser, amplifié : les sites de nombreux médias sont ouverts aux commentaires, les journalistes se font interpeller via leurs blogues, pages Facebook, « fils » Twitter. Les chaînes, les stations de radio, composent des « panels » d’intervenants divers, d’opinions contrastées, et tous ne sont pas des experts. Qui a fait émerger, puis popularisé, Ingrid Levavasseur, tête de liste des « Gilets jaunes » (plus largement du « Ralliement d’initiative citoyenne ») aux prochaines élections européennes ? Principalement elle-même, mais aussi BFMTV et d’autres médias…
        Mais en consultant le texte de Claude Roy (Claude Orland, dit…) croisant le fer avec Robert Bony (Robert Lazurick de son patronyme), on mesure à quel point les journalistes s’invectivaient. Pour le patron de L’Aurore, Roger Vailland, auteur de Choses vues en Égypte, cachait sous son feutre de journaliste un calot d’agent du Kominform (de l’Union soviétique et du PCF). Claude Roy démentait ; « véhémentement », estimerait-on aujourd’hui, et invectivait : « Il n’arrivera jamais Robert Bony d’avoir du talent, comme il ne lui est jamais arrivé d’être honnête. ». Imaginez de telles passes d’armes publiques entre journalistes, ou même éditorialistes ? Les lecteurs d’un bord ou d’un autre ne mettaient pas alors tous les membres de la profession dans le même sac, et parfois jubilaient sans éprouver le besoin de se manifester, voire de vouer le plumitif du camp adverse aux pires gémonies. Il est vrai que réclamer le couperet ou le peloton d’exécution par voie de presse, comme au temps de l’Occupation puis de l’épuration, semblerait déplacé, outrancier, et exposerait à des poursuites. Il n’est plus à présent qu’en Suisse que le duel reste légal. Le dernier duel notoire opposant un journaliste (Victor Noir) à un adversaire (Pierre-Napoléon Bonaparte) remonte à 1848. Ce dernier s’était vertement exprimé dans L’Avenir de la Corse, La Marseille fit monter le ton d’un cran. La balle touchant Victor Noir fut mortelle…
        Dans ces conditions, la voix « du peuple » était incarnée par les confrères, ce qui dispensait les lecteurs, non d’en venir aux mains à l’occasion, mais de dénoncer une nébuleuse « presse pourrie » présumée monolithique (« les médias »). Chacun avait ses porte-voix, soit aussi des journalistes aux opinions tranchées, au verbe-mégaphone.
        Trop policés, les médias actuels ? Peut-être, mais faut-il vraiment s’en plaindre autant ? Les poursuites pour diffusion de fausse nouvelle se font rares, ce en raison de la qualification du chef de poursuite (l’une des deux considérations impératives est que la nouvelle fausse eût suscité des troubles de l’ordre public), mais surtout parce que les manquements à la déontologie sont peu fréquents et la plupart du temps véniels.
        Le fameux « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » de Maurice Clavel (du Nouvel Observateur — émission « À armes égales »), remonte à… presque bientôt quarante ans (décembre 1971). Depuis, rien n’a vraiment marqué durablement les mémoires (sauf peut-être celles des intéressés directs).
        Lors de ces assises, il sera demandé ce que les citoyens attendent des médias. Du mieux, sans doute. Mais qu’attendent-ils – « les gens », terminologie Mélenchon – qu’ils n’aient jamais pu obtenir ? L’opinion serait à ce point muselée, jamais relayée, répercutée ? Ce qui pose question, c’est la grégarité des médias, sans doute aussi les modalités d’accession à la profession (le passage par l’université puis une école de journalisme s’est beaucoup plus généralisé), et un renforcement de la cohésion des usages conformes à ce qui fait consensus entre les professionnels. Aussi sans doute, la raréfaction (faute de temps, moyens, etc.) des grands reportages à la Kessel, Vailland, MacOrlan… Mais qui les lirait encore jusqu’au bout parmi ceux qui conspuent « les médias » ? Quant aux documentaires, leur faible audience découle certes de leur diffusion tardive mais il est fort peu sûr qu’ils réuniraient de meilleures audiences en début de soirée (au cinéma, ils font rarement salle comble).
Et puis, les médias, ce sont aussi YouTube ou DailyMotion. Où certains, au mépris des évidences, confortent le sentiment qu’eux seuls parlent vrai, sont crédibles : la chose est donc entendue d’avance et leurs publics se dispensent de vérifier leurs dires.
N’empêche, une pugnacité plus marquée de la part des consœurs et des confrères – qui trop souvent laissent aux seuls animateurs le loisir de faire appel à des ressorts émotionnels, parfois trop abusivement ; ou à leurs seuls interlocuteurs, sans les recadrer fortement – serait peut-être bienvenue. Au risque d’en faire trop de crainte de n’en faire pas assez en sacrifiant aux diktats de l’audimat. Soit de faire du Robert Bony, pourrait-on penser en lisant la mise au point de Claude Roy (c’est là…). C’était au temps où un journaliste traitait certains de ses « confrères » (entre guillemets de distanciation) de gangsters. Cette période est révolue, et faut-il vraiment le déplorer ?