Jean-Jacques Tachdjian répond à huit sommités des arts
plastiques et connexes
Je vous remercie de me l’avoir posée est accompagné de l’un des
plus longs sous-titres de l’édition française des origines (bon, là, difficile
de surpasser les sous-titres incluant dédicace au mécène, et la mention « suivi
de… », genre « l’illustrissime histoire du chevalier et de dame… »)
à nos jours. Kézako ce dernier chiot ?

Franchement, si je connais assez bien Jean-Jacques Tachdjian,
précieux collaborateur de la –défunte – presse graphique numérique, illustre
illustrateur, avec lequel je m’entretins x fois en vue d’articles illustrés de
ses visuels typographiques et autres, en revanche, je ne connais presque rien
aux arts plastiques en général. Donc, prendre le titre pour ce qu’il est, un
présupposé. Or, le sous-titre de Je vous
remercie de me l’avoir posée est « Questions à Jean-Jacques Tachdjian
par Vanina Pinter, Carole Carcilo Merobian (sic),
Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Tarakanov,
Dominique Lefèvre, Catherine Cullen », ouf ! Jean-Pierre Duplan… Le
nom me dit confusément quelque chose… Ah si, le photographe de Les Nouvelles légendes improbables du Nord
et du Pas-de-Calais abondamment illustrées… Livre que j’avais abondamment
chroniqué car exceptionnel d’originalité. Il semble ne pas être épuisé partout,
et de rares niais connaissant mal leur métier (ou restés tellement impécunieux
après avoir tout fourgué chez Ma Tante – le Mont-de-piété) le cèdent à un prix
dérisoire. Tachdjian fut de l’épopée de ces Nouvelles
légendes… Tachdjian… Me rappelle feu André Villers, dont la mémoire est perpétuée
par le Musée de la photographie de Mougins portant son nom, qui me disait :
« après ma mort, tout se vendra »
(ses photos de Picasso, Prévert, Ferré, mais aussi ses créations et
expérimentations photographiques). Il en sera sans doute de même des
surabondantes œuvres (ou plutôt « du
chemin ») de Tachdjian, lui qui se refuse à vraiment les vendre (ou tout
juste à prix coûtant) ; je devrais y revenir plus loin, mais comme je ne
le ferai pas, en vérité, en vérité, je vous le dis, cherchez et vous trouverez
(via Google, la requête « Jean-Jacques Tachdjian » remonte près de 6 000
résultats).
Que Duplan
soit une sommité est à peine exagéré, il est certainement en passe de le
devenir incessamment sous peu (redondance délectable, non ?). Vanina
Pinter ? Universitaire, artiste. Carole Carcilo Merobian : non-énigmatique
& non-anagrammé pseudo de Carcillo Mesrobian, Carole, auteure de poèmes et
ouvrages, pas encore l’Octave Mirbeau de Pissarro, ni le Roger Vailland de
Soulages, mais… cela se pressent. Céline Delavaux est entre autres co(n)fondatrice
– sans la moindre haine de ma part, ce fut juste un lapsus de saisie, cette n que je balise – du Collectif de réflexion
autour de l’art brut (CrAB) et docteure ès-lettres, ornées ou non. Attention,
Tachdjian n’est pas un artiste brut, mais un singulier artiste… Les artistes
singuliers se situent parfois sur les pourtours de l’art brut, mais il y a de l’atour
dans ce pourtour, donc ce n’est pas brut, ne pas confondre (avec [n] cette
fois). Florence Laly est experte en plein de choses et sauf confusion dû à une
homonymie, auteure d’Art & Social
Work in Europe (Invenit éd., maison exigeante). Christine Tarakanov :
historienne ; comme elle a dû s’intéresser aux graffiti des détenus de la
Bastille et autres geôles pré et post juillet 1789, je la bombarde sommité
ès-pixels d’avant et de pendant (format Tiff & Raw réunis). Dominique
Lefèvre, universitaire, n’est pas à l’intérieur du livre au même rang qu’en sa
couverture, mais last but not least.
Catherine Cullen demeure, pour résumer le non-résumable, consultante culturelle
et consule honoraire de tas de trucs. Quant à Nicole Esterolle, c’est une
ultra-talentueuse postfacière (le préfacier n’est autre que Renaud Faroux,
historien d’art), dont, verbeux que je reste, surnommé un temps l’Achille Talon
du journalisme, j’envie sournoisement – faute, là, de pouvoir dédaigner – la
concision : longtemps elle continuera de se lever à point d’heure pour
célébrer « le délire scriptural des
typo-graphzeux ». Tout semble dit…
Erreur. Tachdjian ne se cantonne
pas à cela, est beaucoup plus divers, prolixe, foisonnant, et surtout, surtout,
tout comme la plage sous le pavé, il personnifie la rigueur sous le foutraque.
On pourrait dire de « Jiji » Tachdjian que c’est un Crumb qui ferait
avec tout plein, tout plein de couleurs et surmultiplierait les cases (sauf que
ses cases sont des affiches la plupart du temps, et que s’il use – rarement – d’un
phylactère, il donne dans le monumental).
La
métaphore Crumb est quasi-total inepte, mais d’une part j’ai la flemme, et de l’autre
j’ai toujours résolument affronté la facilité, et puis je me situe dans le
courant post-néo-journalisme, soit celui du paléo-vaurien. Ne sachant trop où
et comment situer Jiji, comme d’ailleurs toutes celles et ceux dont les
patronymes précèdent supra, je ne
vais quand même pas tenter de faire semblant (c’est déontologiquement
irréprochable que d’avouer cette incapacité, aveu commode permettant de tirer à
la ligne et de ménager une transition en . . . ; là, je laisse une trace des lettres blanches sur fond blanc de la
transition).
En
conclusion, Tachdjian évoque sa « vision
de de la création comme moteur de l’espèce gratuit et partagé ». Ce
gratuit-partagé que les zoologues voient parfois muter du coq à l’âne et
inversement, est à Jiji ce que fut à Fredo (V., Alfred de) la condition
militaire. Autant dire qu’il reste grandement asservi à la mouise. Artiste de
renommée internationale, Tachdjian, héros d’après les mannes de Cervantès,
Wagner vivant du « graphisme » (vocable parfois peu consensuel mais
pris ici en son acception passe-partout-couteau-suisse, Jiji étant au Victorinox
ce que Vercingetorix est devenu à l’identité française, et puis, zut, voir ci-dessus,
j’affectionne m’étendre, mais non point flaubertiser), &c., Jiji, dis-je
(comme Truman Capote, je goûte les allitérations, mais les rate) ; oh, et
puis, je ne vais pas me creuser pour trouver une suite à cette phrase.

Là, c’est
une transition encore plus masquée qu’un concombre. Pour introduire qu’il y a
comme un truc qui a échappé aux questionneuses et questionneur : l’évolution
récente de l’œuvre, de la sente, du sillon. Ce n’est pas qu’ils aient fait le
boulot salement, tel·le·s le voleur de Darien, c’est que Tachdjian évolue très
vite, Painter (Corel) et autres au plancher. Elles et ils ne pouvaient prévoir
que le Jarry-Satie-Saki-Kirby de l’arte
non-povere lussureggiantissimo,
que le maestro allait, en sa soixante-deuxième année, faire passer un Lalique
pour un créateur minimaliste, adepte de l’épure. Il s’est lancé dans le liquéfié
translucide (ou quelque chose d’approchant) depuis – approximativement – le
dernier en date des Roubaix Comics Festival ; je veux dire peu avant qu’il
s’inaugure, le 16 février prochain (festival dont il mit une affiche en
ligne le 24 janvier dernier).
Le virage au simili-vitrage – ou pseudo-vitrail –
s’est produit circa fin décembre 2018.
Fin de la prédominance de l’à-plat simulant parcimonieusement parfois l’embossage.
Mettons que L’Œil vulvaire hugolien
(posté sur la page FB le 23 décembre 2018) manifestât (c’est conjugué au
subjectif imparfait, donc idoine) l’unique annonciateur d’entre les prémices de
cet accouchement virginal (virginal, dans le culte marial, vaut synonyme de
blanc, tendant ici au translucide ; prémices revêt plusieurs sens du côté
de chez Juliette et Justine, les toujours ça de prises).
J’ai cru
comprendre que l’impécunieux Jiji pourrait symboliser bientôt l’écharpe-étendard
rouge & noir trouvant refuge sous l’abri d’un rond-point des « Gilets
jaunes » (s’ils subsistent et acceptent qu’un fort largement plus démuni
qu’eux puisse frayer en leur compagnie ; chez eux aussi, comme chez les
protagonistes des études de Michel et Monique Pinçon, on se mélange finalement
assez peu). L’anartiste chez les micro-bourgeois (forts désireux, pour la
plupart, de se muer en mini-bourgeois, puis de prendre du galon), en quelque sorte.
Car nonobstant prestigieux, Tachdjian reste au nième sous-sol, au fond du puits
à pépètes de l’ascenseur social. Un choix assumé, revendiqué, de « faiseur »
d’images aux antipodes d’autres, même géniaux (Yves Klein, pour n’en mentionner
qu’un à mes yeux, parmi de multiples autres confectionneurs de prêt-à-admirer
artistique qui n’en étaient pas moins des créateurs féconds). Tout ce Je vous remercie de me l’avoir posée en
témoigne.
Ce livre d’entretiens
fut sorti par la maison La Chienne Édith (
lachienne.com). C’est le treizième
volume de la collection Nonosse (178 pages format absinthe, 148×210, imprimé en
noir proche du Pantone 19-0303 TCX pour les surlignages). Au panier, cou-couché,
c’est 12 euros (19 pour livraison rapide en France), et la commande en
ligne fait du livre une pochette-surprise avec plein de cadeaux-bonus dedans et
une enveloppe personnalisée autour. En vente aussi dans les bonnes librairies d’art.
«
Achetez sain, achetez chienne »
et rengagez-vous pour voir des pays insolites (à signaler aussi le
Journal d’un curateur de campagne, du
commissaire Numa Hambursin, tant d’autres).
Ah oui, je
n’ai point trop causé du bouquin. Suffit peut-être d’évoquer la question de
Christine Tarakanov citant le fluxien Robert Filliou (« l’art est ce qui rend la vie plus
intéressante que l’art ») et la réponse de Tachdjian : « l’art n’est rien qu’un minuscule
épiphénomène de la création, et elle seule est réellement digne d’intérêt ».
Entendez par « Art » (ici, capitale initiale) « mode de marchandisation » et
affirmation d’un « pouvoir culturel ».
Et par « art » l’avatar parmi d’autres d’une genèse sans fin (et trop
souvent aussi sans moyens financiers). L’insufflé, l’influx, c’est l’art, pas le
boursouflé d’une prétendue critique brosse à reluire et catapulte à « booster » les cotes. Cela étant,
Tachdjian s’exprime surtout très simplement et cause d’émois (et non d’et moi,
et moi, et moi…). C’est souvent dit aussi potache que potlatch. Et le « dit »
(énoncé, parfois poétique cela dit) des inter-voyeuses (de Duplan aussi,
incisif, jamais plan-plan) n’a rien d’amphigourié
(y compris celui des universitaires).
Vous avez
sans doute saisi que Tachdjian ne sera pas de sitôt au programme des
conférences et visites des Dits de l’art (lesditsdel’art.fr), quoique… Allez
prévoir. Prévoyez-vous plutôt la visite des sites (en ligne, entrées gratuites)
de Jiji. Chopez-les au vol (les versions antérieures, hélas éphémères, dont
ceux des périodes pré El Rotringo, s’il en fut, et pré Typoclaste sont devenues
in-dénichables, et mêmes les pages canines changent tout le temps), faites le
détour par la page FB de
l’Internationale Permaculturelle et
@icilachienne et surveillez
celle d’Ulule (fr.ulule.com proposera le prochain ouvrage en souscription et
attendez-vous à le savoir). Ce « dit » d’un érudit du regard se lit
mode limpide. Foin ici de relativité ontologique, de dessin épistémique, de
fonctionnalisme déjanté, d’autoréflexivité critique, de virage en épingle linguistique,
de charabia
surréalistic, nulle
prétention à chausser les bottes de Chaussard, de vanité
plagiatiste. C’est l’
Avanti
popolo du déverrouillage de la perception des arts, et en particulier de la
«
culture visuelle ».
Un mot
quand même sur l’objet lui-même. Pas tout à fait comparable à ceux que
mentionne la Typoésie de Jérôme
Peignot (Imprimerie nationale éds), mais à créateur singulier, livre singulier
(et mise en page du répondeur himself
à « géographie » variable), avec des visuels pleines pages ou marginaux,
un titre de préface plein fausse page. Qu’oubliais-je ?.. Ah, si, l’omis,
le colophon listant les polices employées. Dommage. Un colophon très Arts and
Crafts eût été bienvenu (d’autant que Tachdjian, comme les « linograveurs »
et les tenants du mouvement, ambitionne de partager le plus librement la
création et la culture visuelle). C’est un peu la baie molle qui aurait pu
accompagner les cerises de ce gâteau. C’est surtout, ici, l’emploi d’un vieux
truc groß Fißel : pour ne pas
faire trop laudateur, on case un schmoll, un fion, un ch’ti bidule, histoire de
feindre avoir écrit distancié. Subtil raffinement de « papier » (pub
Mi·Cho·Ko, de la Pie qui chante, années 1960). Et kolossal toron pour suggérer aux créateurs de friandises bio-durables-équitables
et tout et tout que Tachdjian est ouvert au troc (quoique… il préférerait son
poids en bières). Bon, côté pub, Jiji fait plutôt dans le parodique (Eau de Sent Bon sainte Cyprine, par
exemple, et autres pour produits monacaux de Monte-Carlo et d’ailleurs). Et
dans le détournement des slogans à la Gotainer. Car c’est un sérieux facétieux.
Ce qui se ressent à la lecture de Je vous
remercie… Même si, même si, c’est parfois du lourd. J’en veux pour preuve
cette réponse : « Toutes les
tentatives de “démocratisation de l’art” ont été vouées à l’échec car c’est la notion même d’art qui est à
revoir, à remettre en place : à réparer ! ».
La sphère
spéculative spectaculaire-marchande récupérera Tachdjian. Tant pis, tant mieux.
Il inspirera d’autres, qui à leur tour… Mais, de son vivant, il reste
irremplaçable. Faites-vous vivre, faites-le vivre ! Vibrez, quoi…