Les statues de Sherlock Holmes bientôt déboulonnées?
Prétexte
avancé : oui, les statues de Sherlock Holmes — Londres, Édimbourg, &c.
— risquent d’être déboulonnées (et après Autant en emporte le vent,
songez aux séries et films censurés). What’s next,
what’s else ? Bien
des choses valant qu’on s’y attarde : on sait comment cela commence, aussi la
manière dont cela finit. Soit que le « racisme interne » à certains mouvements
anti-racistes en aura raison.
Effectivement, rapporte The Daily Express, “will
Holmes’ statue be next to be toppled?”. Ou plutôt les statues, car outre celle de Picardy
Place, Sherlock a sa place en maintes autres. Au Royaume-Uni (diverses), en
Suisse (Meiringien), en Pennsylvanie (Eckley Miner’s), à Moscou. Que Conan
Doyle, ou son Watson, ait souvent usé de clichés propres à son époque avant que
Jacques Chirac évoque, en juin 1991 « le bruit et l’odeur » (Discours
d’Orléans) de certains immigrés, cela ne fait aucun doute. Bon, alors, on bannit
« abracadantesque », mot qui évoquerait indirectement une page
controversée de l’histoire ?
Rééllle association d'idées pour aborder la question du racisme. L’attitude ou la procédure
frôlant l’ignominie de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) pour me
retoquer mon dossier de demande, non pas du permis de conduire, mais du
document attestant sa validité. Cinq heures du mat’, impossible de trouver
le sommeil de ce fait. Aucun rapport ?
Il suffit
de s’imaginer que parce qu’on porte le même patronyme qu’un colonialiste (belge
en l’occurrence), un·e employé·e guadeloupén·ne (pure supputation gratuite) ait
décidé de vous infliger de lourds désagréments. J’exagère ? On a vu des
excités finir en détention pour bien moins, des gens tirer dans le tas… Et c’est
d’ailleurs l’un des épisodes des Scènes de la vie carcérale d’Aïssa
Lacheb, livre paru chez l’éditeur Au Diable Vauvert.
Un type incommodé par « le bruit » ou « l’odeur » tire
sur un jeune de la cité. Condamné, le tireur risqua d’ailleurs de se faire lyncher
peu après son écrou. Un (presque) rien (une lubie imbécile) peut faire de vous
non un raciste, mais quelqu’un au comportement raciste. Ce qui n’épargne
personne, « racisé » comme on dit, inclus. L’inculture y contribue.
Tant l’auteur
que l’éditeur, Le Diable vauvert, avec lequel j’entretins des relations
amicales subsistantes mais qui se sont relâchées ne me tiendront pas
durablement rigueur de revenir au sujet en citant quelques paragraphes bien
sentis de ce livre ô combien captivant qu’il me semble avoir déjà chroniqué (je
ne sais plus où).
Page 74 de
ses Chroniques, Aïssa Lacheb évoque « un schéma singulier » :
les déténus s’agrégeant en fonction des motifs de leurs condamnations. Puis il
aborde « la constante ethnique ». Extraits
— Les Cap-verdiens avaient allumé, ce
matin, sur le terrain de sport, les Zaïrois à coups de boules de pétanque,
personne ne s’en était mêlé.
—
C’est
étonnant comme « raciste »
est l’adjectif par excellence du Blanc. Les Arabes le furent — et le sont
encore souvent — bien avant. Et les Noirs entre eux, d’ancestrales tribus à
ancestrales tribus, bien avant les Arabes. (…) Mais par une dialectique
incompréhensible, comme si cela lui était naturellement inhérent, c’était
toujours au Blanc que revenait d’être raciste.
—
Les
Juifs séfarades avaient leur place parmi les Arabes. Les ashkénazes étaient
traités de « sales juifs ». J’ai même entendu Simon, pur Juif
séfarade (…) désigner du doigt un pauvre type à la vindicte comme Juif
de l’Est. Claude Lévi-Strauss lui-même n’aurait pas démêlé cet écheveau anthropologique.
Je connais
l’objection, islam et christianisme facteurs de réconciliation. Pas faux, selon
les textes. Mais des religions, les coreligionnaires font ce que bon leur
semble, et ils ne s’empressent pas d’appliquer ce qui ne leur convient pas. D’ailleurs,
l’esclavage des Blancs par les Blancs, bien auparavant et au-delà du servage
(esclavage découle de Slave, mais je ne développe pas).
N’allez
pas croire que je m’exprime en Indigène de la République. Breton, je ne suis
que trop documenté sur la xénophobie du reste de la République, laquelle avait
recours au vocabulaire reproché aujourd’hui à Conan Doyle et qualifié, à assez
juste titre, de franchement raciste. Relisez Tailhade (moins Mirbeau, mais c’est
limite-limite), pour
ne prendre qu’un exemple flagrant. Et la bonniche devenue parisienne en
coiffe bretonne, le soutier breton du chantier du métropolitain en ont entendu
et subi. Comme disait Émile Géhant, feu maire de Belfort, ancien déporté :
on peut tout pardonner, mais ne rien oublier.
Ce n’est
pas en anthropologue que, au Maghreb ou en Afrique sub-saharienne, je n’ai pas
ressenti de réel « racisme anti-Blanc ». Bon, quelques fâcheux épisodes
auraient pu m’induire à en soupçonner, mais le doute reste permis. Pas de quoi
alimenter la moindre rancœur, aucun remugle rance. Mais il suffit de peu (voir supra
mon imbécile élucubration) pour que des gens se montent le bourrichon et finissent
par se persuader du bien-fondé de leur ressentiment passant de diffus à
invétéré. On se gratte où cela chatouille, on finit avec un chancre bien
incrusté. Et puis, plus on s’approche de la classe dirigeante, mieux on oublie
ses origines, ce indépendamment de sa « couleur ».
De toute
façon, quoi qu’on dise sur un tel sujet, on aura toujours tort aux yeux de quelqu’un·e.
Mais qu’on se rassure, dès que les plus radicaux, que les plus véhémentes
auront réussi à faire carrière, à se faire prébender, soit elles et ils se
calmeront, soit, pour défendre leurs intérêts ou postes, ou bords respectifs, finiront
par se crêper le chignon ou se chercher des poux dans la tête. Y compris à
propos de leurs lointaines ou proches origines. Quitte à faire valoir son
vernis culturel pour faire la démonstration de son inculture. Élémentaire, mon
cher Watson.
Subsisteront
cependant des Aïssa Lacheb pour tenter de réconcilier ou au moins de
comprendre. Son dernier livre, sorte de conte, Émilie (toujours au
Diable Vauvert) fait pesamment sentir l’absurdité de la boucherie de la Grande
Guerre. Un récit soigneusement documenté qui sait le faire oublier (aucune
démonstration d’érudition cuistre cassant le rythme du drame). Je ne vois pas
un Lacheb expurger des bibliothèques les romans de Conan Doyle. Il est patent
qu’il n’a pas vraiment fait carrière, qu’il ne se rattache à aucun bord réellement rémunérateur. J’ai retrouvé (p. 51) son
évocation des détenus qui « se mettaient un pansement pour planquer
leur croix celtique tatouée sur le bras ». À l’époque, ses lectures l’avaient
porté à estimer tolérant « le peuple celte ». Appréciation un
peu rapide, non dénuée de véracité, mais discutable selon les domaines. Selon une thèse de
Dominique Aupiais sur « la part celtique dans l’héritage culturel
et politique des comptoirs français de l’océan Indien », il en
subsistait quelque chose du temps de l’île Bourbon.
J’en tire
cette phrase : « le celtisme, au fil des siècles, ne se conjugue
quasiment jamais avec l’hégémonie culturelle ou religieuse, c’est-à-dire avec l’image
d’hommes de pouvoir orgueilleux et sectaires, incapables de voir dans la
différence de l’autre une valeur dont ils pourraient s’enrichir ».
Ce n’est certes pas pour cela que j’exonère l’Irlando-Écossais
Conan Doyle de toutes ses formulations. Doyle n’en contribua pas moins à obtenir
la réhabilitation d’un Perse (George Eladji), et d’un Juif allemand (Oscar Slater).
Pas vraiment deux manifestations de xénophobie. La tombe de l’agnostique Conan Doyle
fut surmontée d’une croix chrétienne. On peut présumer qu’il ne l’eut pas
souhaité. Faut-il pour autant la faire tomber ? Et puis, Holmes, quand
même, c’est aussi en partie le patrimoine de nombre d’auteurs Afro-Américains
de romans dits noirs, ou de polars, non ?
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