mardi 7 juillet 2020

Racisme, inculture autodestructrice

Les statues de Sherlock Holmes bientôt déboulonnées?

Prétexte avancé : oui, les statues de Sherlock Holmes — Londres, Édimbourg, &c. — risquent d’être déboulonnées (et après Autant en emporte le vent, songez aux séries et films censurés). What’s next, what’s else ? Bien des choses valant qu’on s’y attarde : on sait comment cela commence, aussi la manière dont cela finit. Soit que le « racisme interne » à certains mouvements anti-racistes en aura raison.
Effectivement, rapporte The Daily Express, “will Holmes’ statue be next to be toppled?”. Ou plutôt les statues, car outre celle de Picardy Place, Sherlock a sa place en maintes autres. Au Royaume-Uni (diverses), en Suisse (Meiringien), en Pennsylvanie (Eckley Miner’s), à Moscou. Que Conan Doyle, ou son Watson, ait souvent usé de clichés propres à son époque avant que Jacques Chirac évoque, en juin 1991 « le bruit et l’odeur » (Discours d’Orléans) de certains immigrés, cela ne fait aucun doute. Bon, alors, on bannit « abracadantesque », mot qui évoquerait indirectement une page controversée de l’histoire ?
Rééllle association d'idées pour aborder la question du racisme. L’attitude ou la procédure frôlant l’ignominie de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) pour me retoquer mon dossier de demande, non pas du permis de conduire, mais du document attestant sa validité. Cinq heures du mat’, impossible de trouver le sommeil de ce fait. Aucun rapport ?
Il suffit de s’imaginer que parce qu’on porte le même patronyme qu’un colonialiste (belge en l’occurrence), un·e employé·e guadeloupén·ne (pure supputation gratuite) ait décidé de vous infliger de lourds désagréments. J’exagère ? On a vu des excités finir en détention pour bien moins, des gens tirer dans le tas… Et c’est d’ailleurs l’un des épisodes des Scènes de la vie carcérale d’Aïssa Lacheb, livre paru chez l’éditeur Au Diable Vauvert. Un type incommodé par « le bruit » ou « l’odeur » tire sur un jeune de la cité. Condamné, le tireur risqua d’ailleurs de se faire lyncher peu après son écrou. Un (presque) rien (une lubie imbécile) peut faire de vous non un raciste, mais quelqu’un au comportement raciste. Ce qui n’épargne personne, « racisé » comme on dit, inclus. L’inculture y contribue.
Tant l’auteur que l’éditeur, Le Diable vauvert, avec lequel j’entretins des relations amicales subsistantes mais qui se sont relâchées ne me tiendront pas durablement rigueur de revenir au sujet en citant quelques paragraphes bien sentis de ce livre ô combien captivant qu’il me semble avoir déjà chroniqué (je ne sais plus où).
Page 74 de ses Chroniques, Aïssa Lacheb évoque « un schéma singulier » : les déténus s’agrégeant en fonction des motifs de leurs condamnations. Puis il aborde « la constante ethnique ». Extraits
     Les Cap-verdiens avaient allumé, ce matin, sur le terrain de sport, les Zaïrois à coups de boules de pétanque, personne ne s’en était mêlé.
     C’est étonnant comme « raciste » est l’adjectif par excellence du Blanc. Les Arabes le furent — et le sont encore souvent — bien avant. Et les Noirs entre eux, d’ancestrales tribus à ancestrales tribus, bien avant les Arabes. (…) Mais par une dialectique incompréhensible, comme si cela lui était naturellement inhérent, c’était toujours au Blanc que revenait d’être raciste.
     Les Juifs séfarades avaient leur place parmi les Arabes. Les ashkénazes étaient traités de « sales juifs ». J’ai même entendu Simon, pur Juif séfarade (…) désigner du doigt un pauvre type à la vindicte comme Juif de l’Est. Claude Lévi-Strauss lui-même n’aurait pas démêlé cet écheveau anthropologique.
Je connais l’objection, islam et christianisme facteurs de réconciliation. Pas faux, selon les textes. Mais des religions, les coreligionnaires font ce que bon leur semble, et ils ne s’empressent pas d’appliquer ce qui ne leur convient pas. D’ailleurs, l’esclavage des Blancs par les Blancs, bien auparavant et au-delà du servage (esclavage découle de Slave, mais je ne développe pas).
N’allez pas croire que je m’exprime en Indigène de la République. Breton, je ne suis que trop documenté sur la xénophobie du reste de la République, laquelle avait recours au vocabulaire reproché aujourd’hui à Conan Doyle et qualifié, à assez juste titre, de franchement raciste. Relisez Tailhade (moins Mirbeau, mais c’est limite-limite), pour ne prendre qu’un exemple flagrant. Et la bonniche devenue parisienne en coiffe bretonne, le soutier breton du chantier du métropolitain en ont entendu et subi. Comme disait Émile Géhant, feu maire de Belfort, ancien déporté : on peut tout pardonner, mais ne rien oublier.
Ce n’est pas en anthropologue que, au Maghreb ou en Afrique sub-saharienne, je n’ai pas ressenti de réel « racisme anti-Blanc ». Bon, quelques fâcheux épisodes auraient pu m’induire à en soupçonner, mais le doute reste permis. Pas de quoi alimenter la moindre rancœur, aucun remugle rance. Mais il suffit de peu (voir supra mon imbécile élucubration) pour que des gens se montent le bourrichon et finissent par se persuader du bien-fondé de leur ressentiment passant de diffus à invétéré. On se gratte où cela chatouille, on finit avec un chancre bien incrusté. Et puis, plus on s’approche de la classe dirigeante, mieux on oublie ses origines, ce indépendamment de sa « couleur ».
De toute façon, quoi qu’on dise sur un tel sujet, on aura toujours tort aux yeux de quelqu’un·e. Mais qu’on se rassure, dès que les plus radicaux, que les plus véhémentes auront réussi à faire carrière, à se faire prébender, soit elles et ils se calmeront, soit, pour défendre leurs intérêts ou postes, ou bords respectifs, finiront par se crêper le chignon ou se chercher des poux dans la tête. Y compris à propos de leurs lointaines ou proches origines. Quitte à faire valoir son vernis culturel pour faire la démonstration de son inculture. Élémentaire, mon cher Watson.
Subsisteront cependant des Aïssa Lacheb pour tenter de réconcilier ou au moins de comprendre. Son dernier livre, sorte de conte, Émilie (toujours au Diable Vauvert) fait pesamment sentir l’absurdité de la boucherie de la Grande Guerre. Un récit soigneusement documenté qui sait le faire oublier (aucune démonstration d’érudition cuistre cassant le rythme du drame). Je ne vois pas un Lacheb expurger des bibliothèques les romans de Conan Doyle. Il est patent qu’il n’a pas vraiment fait carrière, qu’il ne se rattache à aucun bord  réellement  rémunérateur. J’ai retrouvé (p. 51) son évocation des détenus qui « se mettaient un pansement pour planquer leur croix celtique tatouée sur le bras ». À l’époque, ses lectures l’avaient porté à estimer tolérant « le peuple celte ». Appréciation un peu rapide, non dénuée de véracité, mais discutable selon les domaines. Selon une thèse de Dominique Aupiais sur « la part celtique dans l’héritage culturel et politique des comptoirs français de l’océan Indien », il en subsistait quelque chose du temps de l’île Bourbon.
J’en tire cette phrase : « le celtisme, au fil des siècles, ne se conjugue quasiment jamais avec l’hégémonie culturelle ou religieuse, c’est-à-dire avec l’image d’hommes de pouvoir orgueilleux et sectaires, incapables de voir dans la différence de l’autre une valeur dont ils pourraient s’enrichir ».
Ce n’est certes pas pour cela que j’exonère l’Irlando-Écossais Conan Doyle de toutes ses formulations. Doyle n’en contribua pas moins à obtenir la réhabilitation d’un Perse (George Eladji), et d’un Juif allemand (Oscar Slater). Pas vraiment deux manifestations de xénophobie. La tombe de l’agnostique Conan Doyle fut surmontée d’une croix chrétienne. On peut présumer qu’il ne l’eut pas souhaité. Faut-il pour autant la faire tomber ? Et puis, Holmes, quand même, c’est aussi en partie le patrimoine de nombre d’auteurs Afro-Américains de romans dits noirs, ou de polars, non ? 

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