dimanche 12 juillet 2020

Les nouveaux exploits postaux

Ou des colis de Bretagne à Paris (l’USPS à la Framçaise)

Pandémie de covid et troubles psychiatriques. La presse développe le thème d’une « deuxième vague psychiatrique » post-déconfinement, je ne développe pas cette généralité. Mais entrons dans les détails : cette nouvelle vague affecterait-elle plus particulièrement les postières et les postiers ? Réponse par l’exemple.
Il me semble vous avoir déjà entretenu de mes expéditions d’attestations pré-remplies (imprimées avec patronyme, &c.) de circulation lors du confinement. Rappelons les : même jour, même heure, deux enveloppes déposées dans une boîte jaune. L’une à destination d’un patelin de l’Aisne, qui parvint à peine plus de trois semaines plus tard à destination ; l’autre expédiée à un ami du même arrondissement (qui ne fut reçue, décachetée et vide, que plus d’un mois plus tard).
Depuis, le sort s’est acharné sur ce même ami, écrivain, membre de sociétés dites savantes publiant des bulletins, livres, documents. Son nom importe peu (on le retrouvera aisément dans mes précédents billets).
Voici donc que, de Morlaix (Bretagne) lui furent adressés trois exemplaires des derniers Cahiers (de la Société Octave Mirbeau pour ne pas la nommer). L’expéditeur commet une coquille par omission dans l’adresse du destinataire, (il saute l’avant-dernière lettre du nom de la voie).
Pour la démonstration, admettons que ce destinataire résiderait 51, rue de Montmorency, troisième arrondissement (adresse réelle, mais qui n’est pas celle de notre écrivain).
L’expéditeur libelle Monsieur Unte ; 51, rue de Montmoreny, 75003 Paris (manque donc une lettre cruciale, le c, mais pas la m capitale et les suivantes, sauf l’avant-dernière… glissons).
Le paquet fut donc — une première fois — retourné à l’expéditeur. Lequel, renouvelant l’expédition, prit bien soin de ne pas récidiver dans l’erreur, relut et, confiant, posta.
Je ne sais si, à Morlaix, les bureaux de poste restent accessibles chaque jour ouvrable. Mais dans l’Aisne, comme dans certains secteurs parisiens, il convient de se renseigner à l’avance. Beaucoup ont fermé définitivement, d’autres n’ouvrent que deux-trois demies-journées hebdomadaires. À Paris, la Poste réalise des opérations immobilières, dans l’Aisne, il serait vain de l’espérer.
Toujours est-il que, cette fois, le colis lui revint avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée ». Ni pas, ni plus, n i moins, depuis plus d’un quart de siècle, le destinataire reste fidèle à son domicile, et hormis ce colis, d’autres plis ou lettres ou paquets (tous les auteurs savent à quel point leur courrier est abondant) sont fréquemment déposés à cette adresse correctement libellée.
Nous en serons bientôt à la troisième tentative, cette fois en colis suivi, voire sous forme de trois lettres d’une épaisseur inférieure à trois centimètres (la question étant débattue). Bien sûr, c’est plus onéreux. Mais sachant que l’investissement préalable approche à présent les 20 euros, passé un certain stade, on ne compte plus.
Je ne sais pas si vous suivez l’actualité internationale et les discussions au Congrès de Washington DC pour tenter de revitaliser ou saborder l’USPS, le Postal Service des États-Unis d’Amérique. L’USPS sera en faillite l’an prochain, et d’aucuns peuvent penser que tout fut organisé pour qu’il en soit ainsi. Le secteur privé est bien évidemment tout disposé à prendre la relève.
Arguer, pour La Poste, que la « deuxième vague psychiatrique » d’après covid ait lourdement affecté un peu tout le monde (employés de La Poste, usagers) pourrait préparer les esprits. Mais il serait encore plus convaincant de persuader les usagers qu’ils ont perdu la boule. Regardez : ils ne savent plus correctement orthographier les adresses, voyez, ils ne savent plus tout à fait où ils habitent…
L’opération a bien réussi avec l’ANTS (l’Agence national des titres sécurisés) pour les cartes grises, et la pression est soigneusement mise sur les demandeurs du document de permis de conduire. Encore quelques efforts, et La Poste parviendra à faire valoir que mieux vaut s’adresser à la concurrence (plus chère, mais plus sûre).
Tenez, quand tout le monde aura compris que pour faire aboutir une démarche, faire parvenir un document, il faudra avoir recours à un huissier certifiant que toutes les pièces sont bien réunies, que l’adresse est valide et conforme, lequel huissier se rendra au service destinataire ou à l’adresse vérifiée soigneusement, toute solution alternative moins longue et moins coûteuse semblera préférable. Cela créera des emplois dans le secteur privé, rapportera de la TVA, de l’impôt sur les sociétés.
Selon 60 millions de consommateurs, depuis janvier dernier, La Poste a déjà affaibli les modalités régissant les « lettres suivies » ; désormais, la surtaxe ne garantit plus que de connaître la date de distribution ou « le motif de non-distribution ». Motif  laissé à l’imagination de qui en décidera ?
Pour les colis, c’est désormais une filiale ViaPost, qui s’en chargera, avec des sous-traitants pour sous-traiter les colis confiés en sous-traitance par des entreprises privées ? Vous vous perdez, sur le site de l’entreprise La Poste, dans sa tarification ? Pas grave, il y a l’application (payante) Timbré pour vous simplifier la recherche. Plus de bureau près de chez vous ? Pas grave, le plus proche Auchan ou Carrefour vous dépannera pour les opérations les plus courantes. En revanche, la Caisse des Dépots favorise l’association de Ma French Bank (Banque postale) avec Orange Bank afin de proposer une offre bancaire digitale aux 7-17 ans.  Histoire de les abreuver de publicités et de les inciter à consommer ? Pour leur vendre le timbre commémoratif Luis Mariano, à 1,16 euros (sans le prochain tarif pour les timbres courants, autant habituer les esprits), il faudra savoir se montrer persuasif.
En attendant, il paraîtrait que le coup de l’ « adresse invalide », soit devenu le procédé commode pour la ou le CDD lâché sur un secteur au petit bonheur afin d’éviter les heures supplémentaires non-rétribuées pour tenter d’achever une tournée. Comme ils ou elles craquent vite, c’est « au suivant, au suivant ».
Il reste bien sûr les courriels. Désormais La Poste Mobile est devenue une sous-traitante de SFR (qui détenait déjà 49 % de cette filiale).
Quant à l’épilogue de l’anecdote du colis de livres (re)parti — ter — de Morlaix, je vous donne rendez-vous fin décembre. Cette fois affranchi avec des timbres Luis Mariano, il parviendra peut-être via la cheminée, aux bons soins d’un petit papa Noël…

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