Quand l’ego de Kessel le poussa à diaboliser Makhno
Ce n’est pas une microscopique affaire Dreyfus bis,
mais cela pourrait l’évoquer. Joseph Kessel (combattant confirmé, exceptionnel
grand reporter, écrivain fécond, académicien, &c.) ne verra sans doute pas
sa postérité ternie par la vilénie patente qui le poussa à faire de l’une des
plus célèbres figures de l’autogestion et des conseils ouvriers une brute
épaisse se livrant personnellement à des pogromes. Il pouvait se rétracter, son ego s’y refusa.
L’histoire a depuis tranché, mais pour la chronique de la presse, il convenait
d’enfoncer le clou.
Vous
trouverez sous le titre « Quand, calomniant Nestor Makhno,
Jef Kessel se fourvoyait »,
titre minimaliste car indulgent, — et qu’on veuille bien croire qu’il m’en
coûte d’égratigner la colossale figure journalistique et littéraire de Joseph
Kessel — un document développant les dénonciations de maints auteurs sérieux
visant l’attitude de Kessel vis-à-vis de l’hetman cosaque zaporogue libertaire
Nestor Makhno. Sur ce blogue-notes, je ne revendique pas de traiter
sérieusement de sujets sérieux, en documents, c’est autre chose. Mais cette fois, je me suis autorisé un
certain laisser-aller. N’ayant pas le talent d’un Kessel, je n’ai pas tenté de
le parodier mais l’envie m’en prit. Physiquement, Kessel était un géant, il fit
de Makhno un nain sanguinaire, au faciès repoussant. En forçant le trait sur la physionomie de
Kessel, il n’aurait pas été trop ardu d’en faire une brute épaisse. Abaissons le
débat ! Ce serait plus farce en mode pâtre répondant au berger, ou plutôt au
Kessel bouvier, pasteur — ou porcher —vaticinant, monstre hideux d’aigreur et
bavant son fiel, éructant, le menton baigné de vômi éthylique, ses imprécations.
J’admets, c’est mauvais, mais j’ai survécu de nombreuses fois au ridicule.
Histoire de ne pas m’y vautrer, changement de ton.
Cette
histoire revêt une certaine importance par son exemplarité. Tant du point de
vue des interrogations portant sur la liberté littéraire que sur la latitude
journalistique. Qui suit ce blogue se souvient
de Roger Vailland se targuant d’avoir tenté d’éliminer physiquement Céline. Avancer
que Kessel tenta d’influencer un sicaire, de se faire le distant commanditaire intellectuel
d’un meurtre éliminant Makhno afin d’amplifier sa gloriole et vendre du papier,
placer des piges, se faire rincer par Gallimard (qui ne s’est pas non plus
vraiment grandi, ses successeurs y compris), c’est pisser de la copie pour
Google. Ici, j’assume. Bien évidemment, j’en rabat dans ce document aux termes
plus mesurés (mais, comme on dit dans la police, certains dérapages peuvent s’expliquer),
qui soulève aussi la question de la nature d’une presse certaine d’une certaine
époque (des heures les plus vénales de son histoire, comme pourrait l’écrire le
Boris Souvarine de service).
Résumons :
jamais je n’aurais imaginé rédiger un quasi-pamphlet visant Jef Kessel. Je ne fus
pas saisi d’une ardente obligation, mais d’une sorte de poussée
hémorroïdaire. Kessel accusant Makhno d’anti-judaïsme,
c’est un peu Yvonne de Gaulle en Madame Claude chorégraphiant des ballets violets
(roses et bleus).
On va le
prendre de manière plus mesurée : vous avez commis un récit à succès, qui
a été réédité, et vous espérez peut-être une troisième édition. Vous buvez sec,
vous montrez généreux avec des escorts (histoire d’avoir de belles gosses à
votre bras et faire baver vos potes), et vous sentez déjà indéboulonnable.
Allez-vous vous couvrir la tête de cendres et vous flageller publiquement ?
Ou persévérer dans vos mensonges en estimant que personne n’aura le cran de
vous loger des balles dans la colonne vertébrale ? Vous ne pensez même pas
qu’avec votre carrure, il vous faudra un fauteuil roulant sur mesure. Et puis,
la mort, vous l’avez frôlé tant de fois, vu tant et tant de cadavres, de
victimes du typhus, de sabrés, de déchiquetés, que… bof !
J’eus,
très tôt, une familiarité particulière avec les décès (d’enfants, jeune adultes,
vieilles personnes). Au moment d’aller cracher sur la tombe de Kessel, j’aurais
sans doute le scrupule exprimé par Makhno entendant le futur exécuteur de
Petlioura : s’en prendre à des personnes ne mène guère loin. C’est parfois
nécessaire, nonobstant. Et c’est pourquoi je peux concevoir que Kessel, s’en
prenant à tort à Makhno, s’illusionna en pensant que cela servait à
contrecarrer des principes, des pratiques. Mais qu’il ait pu persévérer en
parfaite mauvaise foi porta un coup durable à la crédibilité des
journalistes. Ce n’est pas en s’enferrant
dans le déni (suivez mon regard vers Beauvau, lisez sur mes lèvres) qu’on se
réhabilite. Faire de Kessel un baveur hypocrite du fait d’une bavure ne me grandit pas. m’abstenir
serait pire. De deux maux, en conscience, le moindre… Mais formez plutôt votre
opinion sur
pièces, et votre esprit critique.
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