mercredi 3 mars 2021

Boumendjel : on attend la réciproque

 Entente franco-algérienne à la franco-allemande ?

Le président français a donc reconnu, en mon nom et d’autres, que l’avocat algérien Ali Boumendjel avait été torturé et assassiné par… La France. La réciproque immédiate semble impossible, mais l’Algérie pourrait-elle au moins tenter de faire un jour semblant ?


Pour qui ne peut qu’avoir les mains propres (facile, trop jeune à l’époque), difficile de s’exprimer sur les faits qui ont endeuillé Algériens et Français lors de la guerre d’Algérie. Il faut pourtant le faire car, alors que la mémoire des crimes nazis, de ceux des dictatures sud-américaines (entre autres) s’estompe, s’en laver les mains et ne plus du tout s’intéresser à ce qui serait relégué à une poussiéreuse page d’histoire parmi d’autres n’est pas tout à fait décent.

En revanche, soit on opte pour l’oubli, soit la réciproque s’impose. Cela dit sans animosité. Et puis, Breton détenteur d’un passeport français, quand un président de la France déclare quelque chose « au nom de la France », c’est aussi, vis-à-vis d’étrangers notamment, en mon propre nom qu’il se prononce.

Il n’y a plus guère que des Algériens (et non l’Algérie, quoique… si l’on tient l’actuel président algérien pour légitime…) à entretenir une attitude mémorielle que les Français sont sommés de partager.

Rien de similaire du côté des ex-Indochinois et de leurs gouvernements. Autant que je puisse me documenter, la gégène fut pourtant employée par la Sûreté générale indochinoise dès les années 1930, et j’ai quelque difficulté à imaginer que qui l’employait ou la tolérait n’était pas couvert par des échelons supérieurs. Ni qu’une telle forme de torture ne s’accompagnait pas d’autres.

Il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos les uns (voire aussi les unes) et les autres en tournant le torse et portant le regard ailleurs.

Je partage la plupart de mon temps avec une fille de Résistant dont l’opinion générale sur les Allemands est restée très longuement durable et négative. Elle a évolué. Pas celle qu’elle porte sur les Français nostalgiques du nazisme et de l’État français.

Adolescent, en métropole, en province voisine de la Bretagne, je fus instinctivement « Algé-rie-algé-rienne » sans m’interroger très fort. Jusqu’à faire connaissance de ceux qu’on appelait encore les pieds-noirs. Puis j’ai pris tous les gens de l’OAS pour des terroristes, l’attentat visant Malraux et défigurant Delphine Renard (4 ans en février 1963), fit que la cause resta longtemps entendue.

Il m’a fallu beaucoup de temps, de lectures, et de rencontres ultérieures pour comprendre diverses choses. Rencontre avec un ex-séminariste car ex-conscrit en Algérie, rencontre avec un officier irréprochable ayant sympathisé avec l’OAS. Tout le monde, dans l’armée française, ne put avoir l’attitude de Jacques Pâris de Bollardière. Deux fois Résistant, aux nazis, puis à Massu et à la pratique de la torture dont fut victime Ali Boumendjel. Certains firent davantage encore…

Rencontre avec l’écrivain Aïssa Lacheb, dont le père, ancien harki, resta trop profondément marqué par son passé et le présent détestable vécu en France. Une autre avec un ami algérien ayant passé son enfance derrière des barbelés (comme tous les autres gamins de son bled). Sa famille était proche du FLN. Déception en conversant avec Ben Bella alors que j’évoquais le journaliste Jean Lacouture (qui rencontra Ben Bella, en avril 1956, au Caire. El Watan, en juillet 2015, rendra, lui, un hommage posthume à Lacouture.

En s’intéressant à l’épuration en France, on se rend compte qu’il n’y eut pas que des Résistants du dernier quart d’heure à ne pas avoir une conscience morale exemplaire. Cela ne conduit pas à du révisionnisme, mais à une compréhension plus lucide, mieux raisonnée.

La réciproque, ce n’est pas non plus du révisionnisme. Elle ne conduirait pas à mettre sur le même plan les crimes de l’OAS (avril 1962, clinique du Beau-Fraisier à Alger), et ceux d’éléments de l’ALN (visant aussi des compatriotes algériens).

Un premier pas serait peut-être, comme Mustapha Boukari le fit dans Le Soir, d’accorder un peu plus d’importance à des femmes comme Gilberte-Saâdia Boumendjel, née Charbonnier, épouse d’Ahmed Boumendjel (frère aîné d’Ali), décédée en octobre 2002, et depuis, semble-t-il, oubliée. Un second peut consister à ne pas ressasser le passé sous un seul angle.

Je ne sais si, oui ou non, la colonisation espagnole d’Oran et de Mers El-Kébir (qui s’acheva en février 1792) fut uniquement caractérisée par « la persécution, la misère », et des tueries, comme le rapporte El Mouhjahid. La France n’a pas tout à fait pratiqué la politique de la terre brûlée en se retirant d’Algérie. Je ne peux me prononcer sur la colonisation ottomane, je n’en ai que la version victimaire de Yabiladi, faisant état de « cruauté et de haine » et de « la tyrannie des janissaires turcs ». Et avant les Espagnols et les Turcs, qui ?

Les Français, enfin, des Français, ont l’impression que l’Algérie veut toujours et sempertinellement de la repentance de la part de la France, un peu comme si La France ne voyait en l’Italie que la continuation d’un empire romain ne se livrant qu’à des massacres (Blandine de Lyon, c’était en 177).

Le troisième pas serait sans doute de commencer à considérer que les crimes contre des civils, dont des enfants, n’ont pas été l’exclusivité de l’occupant. Tout comme la répression aveugle n’est pas justifiable, la riposte visant des civils (surtout s’il s’agit exclusivement de civils) n’est guère héroïque ou honorable.

Enfin, cette absence de réciprocité finit par ressembler à un prétexte servant à laisser penser aux Algériens que tous les problèmes de leur pays n’auraient qu’une seule source.

Le seul commentaire sous l’article d’Algérie patriotique annonçant la décision élyséenne est celui-ci : « Cela va dans le bon sens ; il faudra qu’il fasse la même chose avec tous les crimes de ses services au lieu de faire ça au compte-gouttes. ».

Une certaine logique pourrait aussi faire valoir que tout Algérien, accidenté du travail ou de la circulation du temps des colonisations (depuis les Vandales ou auparavant ?) soit considéré martyr. Cela ferait une masse de communiqués que la presse peinerait à absorber.

Neandertal ayant été suppléé par Sapiens, certes battons nos coulpes. Mais en Breton estimant que l’avenir de la Bretagne ne peut se fonder sur une incessante macération dans la victimisation (comme pourraient d’ailleurs le faire les Mainiots et les Angevins, longuement restés sous domination bretonne), je me permets d’estimer qu’à défaut de tourner totalement la page, les Algériens pourraient mettre un bémol, puis un double-bémol, à leurs revendications, certes justifiées, d’interminables excuses de la part des autorités françaises. Ce qui n’empêchera d’ailleurs pas les historiennes et historiens sérieux de l’histoire de l’Algérie de 1830 à 1962 de faire état des abus du pouvoir colonial.

Pour le moment, ce qui semble le plus prioritaire, ce serait peut-être, en ces temps de Hirak, que l’Algérie se réconcilie avec elle-même (tout comme d’ailleurs la France gagnerait sans doute à tendre vers plus de cohésion).

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