Entente franco-algérienne à la franco-allemande ?
Le président français a donc reconnu, en mon nom et d’autres,
que l’avocat algérien Ali Boumendjel avait été torturé et assassiné par… La France.
La réciproque immédiate semble impossible, mais l’Algérie pourrait-elle au
moins tenter de faire un jour semblant ?
Pour qui ne peut qu’avoir les mains propres (facile, trop jeune à l’époque), difficile de s’exprimer sur les faits qui ont endeuillé Algériens et Français lors de la guerre d’Algérie. Il faut pourtant le faire car, alors que la mémoire des crimes nazis, de ceux des dictatures sud-américaines (entre autres) s’estompe, s’en laver les mains et ne plus du tout s’intéresser à ce qui serait relégué à une poussiéreuse page d’histoire parmi d’autres n’est pas tout à fait décent.
En revanche, soit on opte pour l’oubli, soit la réciproque s’impose.
Cela dit sans animosité. Et puis, Breton détenteur d’un passeport français,
quand un président de la France déclare quelque chose « au nom de la France »,
c’est aussi, vis-à-vis d’étrangers notamment, en mon propre nom qu’il se
prononce.
Il n’y a plus guère que des Algériens (et non l’Algérie,
quoique… si l’on tient l’actuel président algérien pour légitime…) à entretenir
une attitude mémorielle que les Français sont sommés de partager.
Rien de similaire du côté des ex-Indochinois et de leurs
gouvernements. Autant que je puisse me documenter, la gégène fut pourtant
employée par la Sûreté générale indochinoise dès les années 1930, et j’ai
quelque difficulté à imaginer que qui l’employait ou la tolérait n’était pas
couvert par des échelons supérieurs. Ni qu’une telle forme de torture ne s’accompagnait
pas d’autres.
Il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos les uns (voire aussi
les unes) et les autres en tournant le torse et portant le regard ailleurs.
Je partage la plupart de mon temps avec une fille de
Résistant dont l’opinion générale sur les Allemands est restée très longuement
durable et négative. Elle a évolué. Pas celle qu’elle porte sur les Français
nostalgiques du nazisme et de l’État français.
Adolescent, en métropole, en province voisine de la Bretagne,
je fus instinctivement « Algé-rie-algé-rienne » sans m’interroger
très fort. Jusqu’à faire connaissance de ceux qu’on appelait encore les
pieds-noirs. Puis j’ai pris tous les gens de l’OAS pour des terroristes, l’attentat
visant Malraux et défigurant Delphine Renard (4 ans en février 1963), fit que
la cause resta longtemps entendue.
Il m’a fallu beaucoup de temps, de lectures, et de
rencontres ultérieures pour comprendre diverses choses. Rencontre avec un
ex-séminariste car ex-conscrit en Algérie, rencontre avec un officier
irréprochable ayant sympathisé avec l’OAS. Tout le monde, dans l’armée
française, ne put avoir l’attitude de Jacques Pâris de Bollardière. Deux fois
Résistant, aux nazis, puis à Massu et à la pratique de la torture dont fut
victime Ali Boumendjel. Certains firent davantage encore…
Rencontre avec l’écrivain Aïssa Lacheb, dont le père, ancien
harki, resta trop profondément marqué par son passé et le présent détestable vécu
en France. Une autre avec un ami algérien ayant passé son enfance derrière des
barbelés (comme tous les autres gamins de son bled). Sa famille était proche du
FLN. Déception en conversant avec Ben Bella alors que j’évoquais le journaliste
Jean Lacouture (qui rencontra Ben Bella, en avril 1956, au Caire. El Watan,
en juillet 2015, rendra, lui, un hommage posthume à Lacouture.
En s’intéressant à l’épuration en France, on se rend compte
qu’il n’y eut pas que des Résistants du dernier quart d’heure à ne pas avoir
une conscience morale exemplaire. Cela ne conduit pas à du révisionnisme, mais
à une compréhension plus lucide, mieux raisonnée.
La réciproque, ce n’est pas non plus du révisionnisme. Elle
ne conduirait pas à mettre sur le même plan les crimes de l’OAS (avril 1962,
clinique du Beau-Fraisier à Alger), et ceux d’éléments de l’ALN (visant aussi
des compatriotes algériens).
Un premier pas serait peut-être, comme Mustapha Boukari le
fit dans Le Soir, d’accorder un peu plus d’importance à des femmes comme
Gilberte-Saâdia Boumendjel, née Charbonnier, épouse d’Ahmed Boumendjel (frère
aîné d’Ali), décédée en octobre 2002, et depuis, semble-t-il, oubliée. Un
second peut consister à ne pas ressasser le passé sous un seul angle.
Je ne sais si, oui ou non, la colonisation espagnole d’Oran
et de Mers El-Kébir (qui s’acheva en février 1792) fut uniquement caractérisée
par « la persécution, la misère », et des tueries, comme le
rapporte El Mouhjahid. La France n’a pas tout à fait pratiqué la
politique de la terre brûlée en se retirant d’Algérie. Je ne peux me prononcer
sur la colonisation ottomane, je n’en ai que la version victimaire de Yabiladi,
faisant état de « cruauté et de haine » et de « la
tyrannie des janissaires turcs ». Et avant les Espagnols et les Turcs,
qui ?
Les Français, enfin, des Français, ont l’impression que l’Algérie
veut toujours et sempertinellement de la repentance de la part de la France, un
peu comme si La France ne voyait en l’Italie que la continuation d’un empire
romain ne se livrant qu’à des massacres (Blandine de Lyon, c’était en 177).
Le troisième pas serait sans doute de commencer à considérer
que les crimes contre des civils, dont des enfants, n’ont pas été l’exclusivité
de l’occupant. Tout comme la répression aveugle n’est pas justifiable, la riposte
visant des civils (surtout s’il s’agit exclusivement de civils) n’est guère
héroïque ou honorable.
Enfin, cette absence de réciprocité finit par ressembler à
un prétexte servant à laisser penser aux Algériens que tous les problèmes de
leur pays n’auraient qu’une seule source.
Le seul commentaire sous l’article d’Algérie patriotique
annonçant la décision élyséenne est celui-ci : « Cela va dans le
bon sens ; il faudra qu’il fasse la même chose avec tous les crimes de ses
services au lieu de faire ça au compte-gouttes. ».
Une certaine logique pourrait aussi faire valoir que tout Algérien,
accidenté du travail ou de la circulation du temps des colonisations (depuis
les Vandales ou auparavant ?) soit considéré martyr. Cela ferait une masse
de communiqués que la presse peinerait à absorber.
Neandertal ayant été suppléé par Sapiens, certes battons nos
coulpes. Mais en Breton estimant que l’avenir de la Bretagne ne peut se fonder
sur une incessante macération dans la victimisation (comme pourraient d’ailleurs
le faire les Mainiots et les Angevins, longuement restés sous domination
bretonne), je me permets d’estimer qu’à défaut de tourner totalement la page,
les Algériens pourraient mettre un bémol, puis un double-bémol, à leurs
revendications, certes justifiées, d’interminables excuses de la part des
autorités françaises. Ce qui n’empêchera d’ailleurs pas les historiennes et
historiens sérieux de l’histoire de l’Algérie de 1830 à 1962 de faire état des
abus du pouvoir colonial.
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