Reptiliens, extra-terrestres et n'importenawak
Antony Quinn Warner, qui s’est
fait exploser dans son camping-car à Nashville, sans faire d’autres mortelles
victimes, aurait été un complotiste crédule. Lequel a surtout réussi à
conforter les convictions de multiples conspirationnistes.
Selon la chaîne ABC et d’autres médias depuis, sur la foi de sources policières, Anthony Quinn Warner, n’aurait pas été seulement un opposant au déploiement de la 5G, mais un illuminé se livrant à la chasse aux extra-terrestres et aux reptiliens (des bestioles venus de l’espace, prenant des formes humaines, en particulier celles de dirigeants politiques et de célébrités diverses). Ce qui semble sûr, c’est que l’artificier avait préparé son projet de longue date. Puis, à l’approche de Noël, il aurait légué la plupart de ses possessions (dont à la fille, perdue de vue d’un ami défunt) avant de se faire sauter devant un immeuble de communications de la compagnie AT&T.
Ses motivations profondes n’en
restent pas moins mystérieuses. S’étant dit atteint d’un cancer, il a peut-être
simplement voulu passer (au moins pour quelques semaines) à la postérité.
Le magazine Esquire
rappelle qu’il fut précédé par un fermier du Michigan s’étant donné la mort
dans l’explosion d’une école (44 morts, lui inclus), qu’un contribuable s’était
suicidé dans un local du fisc, tuant aussi un fonctionnaire.
Ce n’est pas une spécialité
nord-américaine. J’ai couvert les deux procès en assises du « Rambo de
Reims », un type en treillis gesticulant devant le commissariat rémois
pour se faire descendre (il en réchappa), fut lourdement condamné une première
fois puis en appel (ce fut l’un des premiers procès d’appel d’assises). Luc G.
avait alors 22 ans, en octobre 1986, lorsqu’il blessa un policier. Il avait des
visions ou des hallucinations. Les cours ont fini par conclure à une volonté
suicidaire spectaculaire. Il fallait bien trouver une explication plausible.
Mais Warner, 63 ans, n’a pas
laissé de message expliquant ses motivations. D’autres lui ont prêté des
intentions dont la moindre fut d’avoir voulu détruire une preuve que l’élection
de Joe Biden avait été frauduleuse (mais l’immeuble d’AT&T, contrairement à
ce qui fut allégué, ne contenait pas de machines électorales de Dominion Voting
Systems). Il est probable que, durant un certain temps, de multiples et
diverses théories fumeuses imputant des visées au suicidé se multiplieront,
notamment sur les réseaux sociaux. Il est aussi prévisible qu’un jour ou
l’autre, il fera des émules. Le complotisme se nourrit de rancœurs et surtout
de l’appétence de se doter d’une notoriété, de retenir l’attention, permettant
d’engranger des gains, des dons, des droits d’auteur·e·s, &c. D’un fait
divers énigmatique, il se trouve toujours des opportunistes pour véhiculer des
certitudes que des gogos prennent pour argent comptant (le leur).
Je ne crois pas m’avancer outre
mesure, ni vous induire en erreur, en supputant que les principaux
bénéficiaires sont les YouTube, FaceBook, et autres plates-formes. Lesquelles
commencent timidement à faire le ménage dans les rangs de leurs abonnés. Mais
la sacro-sainte liberté d’expression aux États-Unis est tellement liée à la
pratique religieuse que la restreindre semble impensable. Le fameux melting
pot fut à l’origine la coexistence pacifique de communautés professant des
croyances diverses, au gré de l’imagination et la liberté d’interprétation des
prédicateurs. On peut, aux É.U. fonder une église sur la base de n’importe quelle
doctrine et bénéficier d'avantages divers, fiscaux notamment. Et lever des
fonds. Alors pourquoi pas un culte des lézards hominoïdes ?
Bizarrement, en raison du nombre
des présumés reptiliens (un peu n’importe qui sur la base de caractéristiques
physiques comme la forme des yeux, d’un profil), on se demande pourquoi il n’y
a pas davantage d’assassinats de ces célébrités, pas toutes fortement
protégées.
En fait, Warner comme tant d’autres
peuvent alimenter leur imagination bizarre sans tenter de s’en prendre à celles
et ceux qu’ils redoutent le plus, de loin. De près, c’est autre chose. Il
semble que Warner fréquentait amicalement ou autrement une femme d’un an son
aînée qu’il perturbait gravement (elle dut faire un séjour en établissement
après avoir averti la police qu’il fabriquait des explosifs, s’introduisait
nuitamment chez elle à son insu, &c.).
La caractéristique de tels événements
dépassant la compréhension commune est qu’ils peuvent servir à imaginer n’importe
quoi et renforcer des croyances (ainsi que l’explosion serait en fait une
machination du FBI, on ne sait trop dans quel but, mais il fut allégué à tort qu’il s’agissait
de détruire des preuves de la fraude électorale).
Un exemple relativement anodin
nous en est offert par l’éditorialiste
du Tennessean, Steve Morris, qui au prétexte de louer l’héroïsme de
ceux ayant alerté les policiers et les pompiers, s’en prend à qui voudrait
réduire les budgets de la police. Si cela avait été le cas, les appelants du
numéro d’urgence auraient entendu un message préenregistré leur indiquant de «
rappeler aux heures ouvrables ». « Nous aimons nos
policiers et nos pompiers, nos sauveteurs ». Félicitons-nous qu’il n’est
pas été fait appel à « des travailleurs sociaux » à leur
place. Comme c'est simple, limpide, argumenté.
On pourrait tout autant plaider un
meilleur contrôle de la vente des armes et des explosifs. Selon l’universitaire
Geoff Dancy, s’exprimant aussi dans le Tennessean, « l’incertitude
est intolérable pour les conspirationnistes ». Tout fait troublant et
dépassant l’entendement usuel est interprété, contorsionné, pour renforcer ses
convictions, y compris les plus délirantes.
Personne n’y échappe totalement.
Ainsi, le système de son du véhicule de Warner diffusa la chanson de Petula
Clark, Downtown. Peu importe qu’il se soit agi de son air favori ou que
Warner en ait interprété le titre (put the town down, et non cœur de centre-ville).
Allez, reprenons une activité aussi normale que ce que nous autorise le couvre-feu. Meilleurs vœux (de santé mentale aussi) à toutes et tous. Et à la prochaine.
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