mardi 16 juillet 2019

Coquille typographique : la bonne blague de Pierre Lazareff

Coquilles et rectificatifs : une infime légende s'effondre...

Et j'y ai longtemps cru... Que « l'infini talent » d'une sociétaire du Français soit devenu, d'une édition sur l'autre de Paris-Midi, « infime », puis « infâme », puis « intime ». Hélas (ou heureusement), Pierre Lazareff exagérait.

Il y avait été fait allusion, je crois, sur la Liste typographique francophone (un bulletin en ligne réunissant amateurs et professionnels de la typographie et de l'orthotypographie). Et à l'occasion, je la replaçais, cette anecdote ô combien significative. J'avais tort, il s'agissait d'une galéjade de Pierre Lazareff.
Vous la trouverez dans le livre de Jean-Claude Lamy, Pierre Lazareff à la une, lequel, pas davantage que sa maison d'édition, FeniXX, voudra bien ne pas m'en vouloir durablement de la reproduire sans chercher à la paraphraser...
« Pierre Lazareff apprécie les histoires drôles. Il en connaît beaucoup d'authentiques (...) 
— Je travaillais (...) à Paris-Midi. Le critique était (...) Fortunat Strowsky (sic), membre de l'Institut (...) camarade de classe [du] professeur Nizan, dont la fille, Renée Nizan, était pensionnaire à la Comédie-Française. (...) Fortunat  avait écrit (...) :
» J'espère que cette année la Comédie-Française récompensera l'infini talent de Mlle Nizan.
» (...) il constate douloureusement que « l'infini talent » est devenu « l'infime talent ».
(...)
» Le lendemain, on peut lire : « Je n'avais pas écrit (...) l'infime talent (...) mais l'infâme talent.
» (...) second rectificatif : « Je n'ai (...) jamais voulu parler de l'infime ni de l'infâme talent (...), mais de l'intime talent de Mlle Nizan.
   Et Lazareff de préciser que Strowsky jeta alors l'éponge.
Sé(r)vices rendus
Sauf que... Retrouvant sur Gallica (gallica.bnf.fr) l'article initial, paru le 25 décembre 1929, de Fortunat Strowski, je lis : « Si le charmant et fin sourire de celle qui fut Agnès, de Mlle Nizan pour la nommer, vous  rappelle les services infimes qu'elle a rendus (...) à la maison de Molière... ».
Puis, dans l'édition du lendemain, ce rectificatif :
« Notre éminent collaborateur, M. Fortunat Strowski, avait, hier, consacré quelques lignes aux prochains comités de la Comédie-Française (...). Il vantait notamment les "services infinis" rendus par Mlle Nizan. Mais un typographe peu habitué sans doute aux spectacles de la Maison de Molière, l'a fait parler des "services infimes" de la charmante pensionnaire. Nos lecteurs auront sans doute rectifié d'eux-mêmes, mais nous tenons à nous excuser... ».
Bien évidemment, cela mit fin à l'incident. Point d'infâme talent ou service, et encore moins d'intime service ou talent (pourtant fort ré-jouissant en ultime comparution du ou des compositeurs coupables ou farceurs).
J'en viendrai presque à me sentir davantage contrit de confesser mon erreur que de ne pas l'avoir préservée en mon for intérieur. C'était trop beau pour être « authentique ». Moins nuisible cependant que les diverses infox visant de nos jours les uns ou les autres. Dommageable nonobstant pour les après alas (... « santé du confrère, qui nous régale aujourd'hui ») que la version Lazareff égayait. Subsisteront de beaucoup moins rigolotes anecdotes comme celle que consignais dans un précédent billet (Roger Vailland devenant, d'une ligne à l'autre, Roger Vaillant). Et toutes celles de la rubrique « La presse déchaînée » du Canard enchaîné. Qui ne sont d'ailleurs pas toutes au-dessus de tout soupçon (de facétieux compositeurs, s'il en restait, voire des confrères journalistes se font parfois un plaisir d'en commettre tout exprès, sciemment et sans trop mauvaise conscience, parfois histoire d'alimenter le « bêtisier » interne de la rédaction).
Bah, un tweet intempestif d'un The Donald (Trump), ou d'un Bojo (Boris Johnson), nous fournira sans doute l'occasion prochaine de nous gausser. Je le signale en vaine tentative de me rattraper... Et puis, ce billet s'oubliera, la version Lamy-Lazareff perdurera.
Ce que je serai le premier à souhaiter.       


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