Volte-face ou poudre aux yeux de distanciation ?
Pour ne pas sombrer dans le ridicule, tentons d’éviter, au
sujet de la crise ukrainienne, l’usage d’invectives visant à discréditer les
prises de position des candidat·e·s à la présidentielle. De toute manière, ce
que d’aucunes et certains peuvent déclarer à présent ne les engageront pas ultérieurement.
En revanche, tenant compte du rapprochement sino-russe, les orientations de
l'Union européenne méritent que toutes les opinions soient soupesées.
En revanche, il subsiste des convergences entre les propos de l’Insoumis
maximo et des alignés moscovites apparents (stipendiés ou non ? Je ne vois
guère le Kremlin soutenir financièrement un Dupont-Gnangnan, pour la Marine et
le Zorro-Zéro, son féroce usurpateur en devenir, je ne saurais fonder des supputations).
L’approche du point Godwin, c’est de rappeler que les maréchalistes soutenaient
que l’intérêt de la France avant tout reléguait au second plan d’autres aspects
et respects des principes (Sauver la France en la protégeant du pire). Bref, pour un peu, il nous serait soutenu que
demander notre rattachement à la Confédération helvétique (entraînant avec nous
la Wallonie aussi ?) nous épargnerait les conséquences de l’hostilité
russe. C’est exclure par avance que la Russie de Poutine puisse se déliter de l’intérieur.
Ou que les sorts et orientations du Donetsk resteront immuables. Je ne peux prévoir
ce que ses populations déplacées à Rostov retiendront de leur séjour contraint
et forcé. La précarité de leurs prédécesseurs en Crimée peut faire évoluer
leurs appréciations.
Celle de l’oligarchie russe, quant au soutien économique
devant être accordée à la Transnistrie, aux conquêtes de Géorgie, et à ces deux
nouvelles républiques de fait annexée, me semble — confusément, je l’accorde
volontiers — quelque peu plus cruciale que ce qu’on tente d’imputer à la
psychologie de Volodka Poutine. Mais bon, ce type d’approche farfelu devra
attendre quelque temps pour se voir différemment qualifié ou non.
Souffrez que j’en revienne à Revel, qui, page 750 de ses Mémoires
(voir le sous-titre supra), feignait de s’offusquer que Régis Debray,
dans Les Empires contre l’Europe, l’ait comparé à Marcel Déat. Selon
Revel, son antitotalitarisme doublé de son libéralisme lui valaient seuls cette
comparaison abusive. « Ben voyons ! » rétorqua-t-il en substance
avant Zemmour.
L’Union européenne semble dans une impasse. Les plus fortes
sanctions visant la Russie proviendront du Royaume-Uni où les capitaux russes
balisent la Tamise. L’Allemagne risque de se montrer circonspecte. Quand j’étais
à Rostov, du temps de Gorbatchev, on voyait les investisseurs français venir
faire de l’esbrouffe et raccourcir leurs séjours alors que leurs homologues
allemands restaient des mois sur place, soucieux d’aboutir à des accords
solides. Et puis, Bruxelles constate que des régimes comme ceux de la Pologne
ou de la Hongrie soulèvent des questions problématiques. Les ouvertures vers la
Russie, que les États-Unis contrecarreraient, entraîneront des exigences de
concessions supplémentaires de la part de Moscou.
J’étais encore trop jeune, à l’automne 1956, pour prendre la
mesure des polémiques et de la logorrhée verbale qui suivit l’écrasement de l’insurrection
hongroise. La situation actuelle est fort différente, mais l’invasion de la
Hongrie eut pour conséquence indirecte la fin de l’offensive franco-britannique
en Égypte (difficile d’envisager un double front et une dispersion des
troupes). Les historiens ont relevé l’extrême hostilité des termes employés par
les commentateurs français (et il y eut aussi quelques troubles et
affrontements physiques en France). Des clivages internes aux formations ou
clans politiques envenimèrent les relations personnelles. Les noms d'oiseaux volaient haut et vif.
Je peux regretter, en termes mesurés, qu’un Emmanuel Macron n’ait
pas fait mieux qu’un Nicolas Sarkozy lors de la crise en Géorgie de 2008 (la
Géorgie considère que la Russie s’est livrée à un nettoyage ethnique en Ossétie
du sud ; l’Abkhazie, aussi sous tutelle russe, évoque un État mafieux). Là
encore, comparaison n’est pas raison. Sarkozy s’était fait mousser à peu de frais, Macron, président
temporaire du Conseil de l’U.E., pouvait difficilement s’abstenir de rencontrer
Poutine. Pas davantage que Daladier de retour de Munich (juin 1933), Macron ne
mérite des tomates pourries ou des fleurs. En revanche, si on veut bien
créditer François Fillon de n’avoir pas fait preuve de complicité avec Poutine,
rien ne devrait l’empêcher de démissionner de ses fonctions dans les instances des
sociétés russes Zaroufejneft et Sibur. Et on peut s’étonner que Valérie
Pécresse n’ait pas songé à le lui suggérer. Mais elle peut, par le truchement
de Fillon, s’empresser de rencontrer Poutine pour lui tenir un langage d’extrême
fermeté. Allez, chiche !
Pour l’anecdote, les félicitations de Donald Trump à Poutine
pour sa conduite stratégique « géniale » n’ont encore obtenu aucun
écho dans la presse russe. Trump s’est aussi déclaré convaincu que l’invasion
de Formose (Taïwan) était imminente (manière élégante de pointer que Biden est
pusillanime et ventre mou). Républicains et démocrates n’en sont pas au point de s’accuser
mutuellement d’être la cinquième colonne du Kremlin, mais, comme disait
Geneviève Tabouis, « attendez-vous à savoir… » que ce ne peut être
exclu. Espérons que cela ne déteindra pas sur le débat (ou pugilat) interne à la
France.
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