mercredi 20 novembre 2019

Pour et… contre Benjamin Stora ou Valeurs actuelles

De l’historiographie boursouflée de la colonisation française

Peut-on parler sans savoir tout en n’ignorant pas totalement ? Sans doute, à condition de l’énoncer. Et c’est ainsi que j’aborde la polémique opposant les soutiens de Benjamin Stora à d’autres, eux, mystificateurs de l’histoire du colonialisme français, dont qui approuve la position défendue par Valeurs actuelles.
Ai-je lu Benjamin Stora ? Sans doute un peu, mais je ne m’en souviens plus. Ai-je lu le hors-série de Valeurs actuelles sur «​la vraie histoire des colonies » ? Absolument pas.
Mais comme un peu tout le monde, je suis tombé sur divers articles ou écrits traitant d’un article de cette publication sur Benjamin Stora, et ce dont il s’ensuit.
Ce que j’ai cru pouvoir discerner, c’est que l’article reprend les arguments développés par la pétition de Khader Moulfi diffusée par le site Mes Opinions. Elle fut lancée fin septembre dernier. Khader Moulfi est l’animateur du site Coalition-harkis.
Mais l’auteur de l’article, Bruno Larebière, les assortit de considérations sur le physique du sociologue-historien.
Lequel rétorque : « cet article est antisémite ». Donc, anti-harkis aussi ? Qu’on s’interroge une nouvelle fois sur les glissements sémantiques…
Judéophobe ne serait-il pas plus approprié ?
Ce qui pourrait étonner de la part du journaliste d’un titre s’étant fréquemment manifesté cul et chemise avec la droite israélienne la plus virulente. D’un hebdomadaire dont le site propose le téléchargement d’un « magazine numérique gratuit » consacré à Éric Zemmour.
Lequel magazine s’apparente au genre publirédactionnel.
Alors, historien ou historiographe habile, Benjamin Stora ? Je ne peux répondre, mais ce n’est pas une malveillante insinuation que d’estimer que la plupart des historiens sont, de ce point de vue, ambivalents.
Mais il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos Stora et Larebière.
Je suis aussi un nostalgique du « bon temps des colonies ». Cela découle d’une histoire familiale : la plupart de mes prédécesseurs ont servi dans les troupes coloniales (des marsouins, de l’infanterie de marine), une tante institutrice au Maghreb, un cousin dans l’aéronavale en Indochine, un autre dans le Génie en Algérie. Plus lointain, ce souvenir — ô combien ambivalent — du général-baron Tombeur, colonisateur du Congo de Léopold II. Auquel mon grand-père dut sans doute partie de sa descendance puisqu’il put, grâce à son intervention, s’extraire du front d’Italie, du temps de Franchet d’Esperay.
Il y eut effectivement un « bon temps » des colonies, illustré plus ou moins bien par des figures comme Savorgnan de Brazza, le maréchal Lyautey, le père de Foucault, ou plus près de nous, feu l’ami et confrère Georges Ohayon (ancien du Premier Bataillon parachutiste de choc), Denis Guénoun…
J’ai eu, j’ai encore, des fréquentations de tous bords, des copains, des amies, de tous horizons géographiques et autres. J’atteste qu’il y eut des hommes et femmes d’honneur dans l’OAS, parmi les porteurs de valise du FLN, et même dans les rangs du FLN. Des gens intègres. J’ai eu, j’ai encore, des copains pieds-noirs ayant perdu de très proches, des copines maghrébines, ayant aussi perdu de très proches, &c.
Qu’il puisse y avoir, chez Stora (franchement, je ne saurais me prononcer), une propension à mettre davantage en valeur les mauvais temps des colonies que les bons, en toute honnêteté intellectuelle, pourquoi pas ?
Mais si j’en crois Pascal Blanchard, auteur de « Vive la nostalgie coloniale ! » dans Le Nouveau Magazine littéraire, tout ce numéro de Valeurs actuelles bascule dans le révisionnisme historiographique. Soit dans le négationnisme des mauvais temps des colonies. Au Maghreb, où j’ai voyagé, notamment en auto-stop, en train, bus… ce qui permet des rencontres contrastées, on a aussi su me parler de ces Françaises et Français du Maghreb ou de la métropole, civils ou militaires, dont sont conservés de bons souvenirs. En France, d’anciens appelés ayant été forcés de s’associer à des crimes de guerre, m’ont aussi confié leurs douleurs mémorielles, quand placés sous les ordres d’émules du père Bugeaud, franc réactionnaire, massacreur sans états d’âme (tant d’ailleurs en France qu’en Algérie), et même rançonneur (extorquant des fonds à l’émir Abd el Kader).
Dans cette affaire, on ne peut s’abaisser au relativisme, et même si Stora n’était pas tout bonnet blanc, tout comme le fait colonialiste ne peut se parer d’un panache immaculé, il y a d’un côté, celui de Stora, appel à réflexion, et de l’autre, celui de Larebière, appel à l'adhésion.
Et je préférerai toujours l’appel à réflexion, même s’il heurte certaines de mes convictions, à celui à l’adhésion sans réserve : my country, certes, mais non right or wrong. Entre se repentir dans la macération d’une éternelle contrition et s’accorder l’absolution, la rémission pure et simple par le miracle d’un déni, il n’y a certes pas de moyen terme arithmétique (fifty-fifty), des poids égaux dans les plateaux de la balance.
On peut raisonnablement estimer que Benjamin Stora a été l’un des bénéficiaires de la colonisation mais aussi que, sans elle, il n’eût pas forcément été voué à devenir cireur de chaussures ambulant.
L’histoire est en perpétuelle refonte. Non du fait de la découverte de fonds d’archives resurgis et comblant des vides, ou du moins, le plus souvent marginalement, mais du renouvellement des historiens. Le Roy Ladurie n’a pas forcément la même vision qu’un Cauchy, qu’un Tocqueville ou un Chrétien de Troyes, et cela tient peut-être moins à ce qu’ils ne disposent pas de la même matière qu’à leurs histoires personnelles et aux sociétés de leur temps. En moins d’un demi-siècle, que reste-t-il de l’influence du structuralisme, des apports d’Alexandre Kojève, de Raymond Abellio ou de Francis Fukuyama ?
Napoléon fut, de son vivant, assimilé en Angleterre et Russie, à un « précurseur d’Hitler » (ou plutôt à un successeur d’Attila davantage que d’un Alexandre le Grand, autre despote sanguinaire). Voyez ce qu’en disent à présent les historiens britanniques ou ex-soviétiques. Il y eut aussi un Mao d’avant et d’après Simon Leys.
On aimerait suggérer à un Larebière de s’intéresser d’un peu plus près aux aïeux de « nos ancêtres les Gaulois ». Ce serait inutile : il en ignore sans doute peu, mais il a choisi à la fois de figer l’histoire et de la fausser au gré des visées du moment.
Je me souviens de ce titre de l’ami Toulouse-La-Rose : Pour en finir, avec Guy Debord (chez notre défunt éditeur commun, Talus d’approche). Pour, contre… mais aussi avec Benjamin Soria. Pour ne pas finir, sombrer « avec » Valeurs actuelles

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