mercredi 26 juin 2019

La Loi de Roger Vailland, roman d’un « écrivain libre »


Avec La Loi, prix Goncourt 1957, Vailland a-t-il rompu avec Vailland ?

Vaste question, à laquelle de multiples réponses ont déjà été apportées… Elle sera donc ci-dessous esquivée… Mais la critique d’Émile Biollay dans Le Nouvelliste valaisan du 13 janvier 1958 me l’a remémorée et il m’a semblé, par ce temps de canicule, judicieux de tenter de m’en entretenir.
Autant l’avouer : ce qui suit doit tout à ma paresse aggravée par la température quasi sub-saharienne qui engloutit Paris. Je me devais (ainsi qu’à d’autres…) de reprendre le document « Les lieux de Vailland » – enfin, celui portant sur les principaux que fréquenta Roger Vailland – mais la tâche m’a semblé trop fastidieuse. D'où cet énième écart qui fait qu’au lieu de chercher à préciser où fut écrit La Loi (certainement près de Gargano, dans les Pouilles, ce qu’Élisabeth Vailland indiqua à Daniel Rondeau), je remonte à la relative fraîcheur de Sion et de son Nouvelliste (1903-1960, depuis 1968 Le Nouvelliste & Feuille d’avis du Vailais).
Cela parce que je venais de redécouvrir un avis de Morvan Lebesque portant sur Un jeune homme seul, dans Climats (« hebdomadaire de la communauté française » ; « grand hebdomadaire colonial », créé par Maurice Chevance, dit « Bertin » en 1945) : « Quel écrivain pourrait être M. Roger Vailland si seulement il était un écrivain libre… Je sais bien que ce livre est destiné à me convaincre, à me démontrer la supériorité d’une idéologie sur les autres… Mais, enfin, je voudrais bien qu’un jour M. Vailland écrivît selon son cœur, et rien de plus. ». C’est l’époque à laquelle Vailland recommence à faire de l’entrisme pour adhérer au PCF (ce qu’il obtient l’année suivante).
Survient le rapport Khrouchtchev puis l’écriture de La Loi, roman qui fut dit formaté pour remporter un prix littéraire. Le vœu de Lebesque est partiellement exaucé comme en témoigne cet article d’Émile Biollay : Vailland « s’est refusé à l’engagement ». D’autres, qui ne s’y étaient pas refusés, suivront, comme Lenù Greco, l’héroïne d’Helena Ferrante (la saga napolitaine L’Amie prodigieuse). Or Vailland n’a jamais cessé d’être engagé et l’année – 1964 – où Vailland publie son « Éloge de la politique » dans Le Nouvel Observateur, il promet à Lucien Bodard son soutien alors que ce dernier est vivement critiqué en raison de son livre La Chine du cauchemar (1961) et des articles qu’il publie sur Mao et le maoïsme… Bodard et lui se retrouvent au bar du Port-Royal et… Zut, encore un lieu revenant à la surface.
Le lieu de La Loi, c’est Porto-Manacore… Proche du golfe de Manfredonia… Et peut-être, mentalement, ce Gargano isolé, inspire cette appellation qui évoque, à une voyelle près, le monachorum (des moines et moniales) : exposant l’élaboration de La Loi avec Madeleine Chapsal, de L’Express (12 juillet 1957), Vailland insiste sur l’ascèse du temps de l’écriture ; pas d’alcool, juste du café, pas de distractions, et retour à la fréquentation des autres « quand le roman est fini ». En fait, j’extrapole car un lieu-dit Baia di Mancore se situe à proximité de Peschici (et est devenu Manacore del Gargano).
Émile Biollay (qui signait parfois Paul Herbriggen) est un ancien professeur d’université au Caire devenu enseignant au lycée cantonal de Sion, historien et chroniqueur. C’est un écrivain « progressiste », proche d’Albert Béguin (des Cahiers du Rhône puis successeur d’Emmanuel Mounier à la tête de la revue Esprit en 1950) et de son épouse, Raymonde Vincent.
La Loi (et sa traduction La Legge, sa transposition à l’écran, qui irrita les censeurs italiens) a suscité d’innombrables commentaires. Je tiens celui d’Émile Biollay pour l’un des meilleurs, en dépit d’une conclusion sévère et que j’estime erronée. Peut-être parce que divers personnages féminins me font penser à Lina Cerullo, l’alter ego de la Lenü Greco de Ferrante : ces femmes se mobilisent dans leur village comme elle, Lila, pour son quartier, pour les siennes et les siens.
Vailland ne cotisa plus au PCF mais il resta proche des militantes et militants de son entourage. Et puis, j’en viens à me demander si, sans La Legge, les Lenù-Lila de Ferrante seraient devenues ce qu’elle en fit. Et quand je lis dans la presse italienne que Vailland et ses œuvres seraient à présent “quasi dimenticati” (oubliés, délaissés), je me dis que c’est fallacieux mais aussi que cette approximation outrancière est toute provisoire. Le temps est propice à lire ou relire La Loi dans la fraîcheur d’un trullo de l’Aia Piccolla d’Alberobello. En attendant de vous y rendre, consultez peut-être l’article d’Émile Biollay dans Le Nouvelliste valaisan

1 commentaire:

  1. Elizabeth Legros Chapuis8 juillet 2019 à 08:25

    Sur la réception de La Loi en Italie (à l'époque de sa parution)on peut lire ça :
    https://www.larevuedesressources.org/reel-et-metaphore-roger-vailland-et-l-italie,1164.html

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