mercredi 17 avril 2019

ElRotringoComix, nouvelle revue de Jean-Jacques Tachdjian

Indécrottable Jiji Tachdjian...

Jean-Jacques Tachdjian, l'éditeur de La Chienne, est décidément indécrottable ! Il récidive !



Ce n'est pas qu'un jeu de mots ultra-facile (La Chienne, les crottes...). J'ai un peu plus que de l'affection pour Jean-Jacques « Jiji » Tachdjian, de l'admiration pour son travail, que je suis depuis des lustres et que je ne présente plus ici...
Mais parfois, je me lasse de lever les bras au ciel. Cinq euros par mois, soit dix euros le numéro au format 30×40, c'est plus qu'honnête... Mais bis repetitam non  placent, voilà qu'il remet cela. Oui, vous avez bien lu : « plus il y aura d'abonnés, plus il y aura de pages ». Ce n'est pas la première fois qu'il fait le coup... Sympa, mais... À chaque fois, c'est plus fort que lui. Au final, il se retrouve sur la paille (et là, peut-être le trottoir de Down & Out in Lille). 
C'est le genre d'artiste résolument a-commercial. Bon, on ne le changera pas... Mais aussi le genre de mec à gonfler – à prix identique, chiot galeux qui s'en dédit – ses publications, sans avoir calculé au préalable que le coût de l'envoi postal s'en ressentira. Bon, je ne suis certes pas le seul à l'avoir prévenu, à le lui avoir rabâché.
Or donc, je connais ce type-là, c'est même un pote à moi et à une petite multitude.
Je relaie donc. L'adresse est : patreon.com/jeanjacquestachdjian.
Si moyennement intéressés, visitez les sites de La Chienne et autres (il suffit de renifler, diverses pistes à suivre, certaines interrompues...) et consultez sa page :
Histoire de constater la diversité de ses formes d'expression. Lille, ville de contrastes (où je n'ai même pas rencontré des Rroms heureux, mais allez savoir...), Tachdjian, artiste contrasté. Quand tu ne sais pas trouver un titre, tu pompes celui d'une œuvre (j'ai même rencontré des ... heureuses/heureux fut employé du Télégramme aux Dernouv' d'Alsace, de Nord-Matin à Nice-Matin en passant par Le Clairon de Clermont, titre générique...). Ce qui se vérifie avec sa collection de polices de caractères (on ne les compte plus, lui non plus...), des plus classieuses et classiques aux... les qualificatifs manquent (un bon dictionnaire analogique pourrait cependant y remédier).
Je ne sais si vous êtes comme ci, ou comme cela, mais dans la presse, un truc me gonfle. Les en hausse/en baisse ; pour/contre ; les plus/les moins...
Pour ne pas m'étendre, une fois n'est pas coutume, j'y recours.
Le pluche : recommandé par mézigue, cela devrait vous suffire...
Le moince : pas très format manga, le 30×40 ; pensez, familles françaises, entassées dans une studette de 9 m², au volume de la collection dans deux-trois ans...  

Quand Roger Vailland se mettait en selle...

En vélocipède, avec Roger Vailland


Le tout premier poème publié de Roger Vailland (En vélo) est souvent mentionné, parfois transcrit en divers ouvrages traitant de lui, du Grand Jeu… Rarement reproduit en accès libre (ou j’ai mal cherché). À l’intention d’Annette Gardet et de ses élèves rémois, en particulier, non exclusivement, le voici…

Mais en préambule, petite explication de texte… Vent… Ronflantes et lourdes cadences… Exhalaison du cycliste haletant...
Fort peu, avant moi, sauf omission involontaire (car je n’ai pu lire les annotations de René Durart), ont su saisir la portée de ces vers (mi-fug[u]e, mi-sel). Qu’enserre donc le flatulent – et nonobstant véloce – jeune poète de 16 ans ? Je vous laisse répondre, et vous en félicite. Ce camion qui dépasse, vrombissant « en lâchant ses vesses de sépia » (Réjean Ducharme, L’Hiver de force). Hum (hume) ? Comme celui de l’escalier (de Supervielle, « nous y fûmes ensemble », et pas que des beedies), comment cela vient-il si tard à l’esprit ? L’odeur de sainteté du saint Bubu des Phrères de la congrégation saintplicienne m’inspira sans aucun doute. 
Soudain, un fumet blanc surmonta le Saint Empire (le Vatican de Vailland, ex-L’Impérialisme Vatican contre la paix double entendre (ang.), d’évidence — moins saint qu’en pire). 
Je vous laisse méditer les correspondances… Sur L’Antipape (autre titre déchu du Saint-Empire…) et son auteur, Jacqueline Marchand (Raison présente, nº 50, 1979) concluait que le « talent de pamphlétaire fait de ce petit livre dépassé, délirant, déphasé, une lecture à la fois savoureuse et hallucinante. ». Surtout entre les lignes, comme entre les strophes, dont j’ai omis les interlignes, de cette remarquable pudique (« qui vient de je ne sais où… » ; « poitrine, gonfle-toi » et non panse dégonfle-toi) ode à la selle, à l’extase du soulagement. En attente d’épectase, au bout de la route blanche…

EN VÉLO
Sur la route blanche, à l'infini, tout l'horizon va à reculons.
Le pédalier monte et descend, d'un rythme lent et monotone.
Sur le sable, la roue décolle régulièrement, en ronronnant.
Mes cheveux se sauvent derrière moi, vers de gros cailloux qui chatoient.
Sur la route blanche, à l'infini, tout l'horizon va à reculons.
Un vent, qui vient de je ne sais où, s'est jeté dans mes bras tout à coup.
Hardi mes muscles !
Je l'attaque. Il chancelle : poitrine gonfle-toi ! Holà ! hip ! hip ! hourra ! Victoire !
J'enserre tout le vent dans mes bras.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à reculons.
Au loin, naissent de blancs tourbillons aux ronflantes et lourdes cadences.
Rythme effarant des camions qui s'approchent au souffle ahanant de leurs moteurs époumonés.
Ils passent et me laissent empoussiéré.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à reculons.
Et mon vélo poursuit sa route. Il passe, au milieu des villages semés par les plaines, aux carrefours, comme de gros puddings sur les tables.
Deux peupliers et quatre pins, là-bas, semblent de carton peint.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à reculons.
Oh ! la cadence du pédalier, sous le soleil qui pèse lourd, lourd, lourd.
Je tends mes yeux exorbités vers les lointains qui fuient toujours, j'oublie peu à peu qui je suis.
Seigneur !
Vais-je toujours m'enfuir, toujours m'enfuir sur la route blanche où l'horizon va à reculons ?

Cela parût dans la revue Le Pampre, de René Maublanc. En 1923. Maublanc, contrairement à ce qu’il fut écrit, n’est plus, cette année-là, professeur de philosophie à Reims, mais secrétaire-archiviste à Paris. C’est Marcel Déat qui enseigne la matière au jeune Vailland (qui le retrouve à Vichy et collabore à l’hebdomadaire Présent).
Un grain, une brise, que dis-je ? une bourrasque, une tramontane, une mousson, un typhon de cuistrerie au passage… René Druart, académicien rémois et conservateur du musée du Vieux-Reims, avait inséré des lettres dans l’un des quatre volumes rassemblant les 24 exemplaires de la revue. La bibliothèque municipale de Reims fait état d’une lettre « d’un dénommé D. Merklen (…) datée du 1er janvier 1933, suivie d’un texte humoristique sur Le Pampre mettant en scène l’auteur de la lettre et René Druart. ». Merklen ! « Petit Merk » (ou Mark). Aristocratique patronyme rhénan et en particulier alsacien… Faut-il voir dans ce D. Merklen un parent du regretté Lucifugus « Luc » Merklen, qui tenait boucherie humaine à Pleurs ? Artiste plasticien expert en pièges à humains ? Esclavagiste « blancier » de foirail ? Il y avait un Paul Merklen à Reims. Mais ce « D. » ? Un enfant caché du R. P. Léon Merklen, directeur du quotidien La Croix ? Qu’en pense « Monseigneur » Bruno Fuligni, régent du Collège de ‘Pataphysique, illustre Rémois, digne, vénérable et vénéré multi-folliculaire (oxymore facile), qui fut longtemps le Brummel du Café du Palais, que la rumeur crédite d’avoir subtilisé une monture (de lunettes, non d’officier de cavalerie) à Marcel Achard ?
Du coq à l'âne, revenons à nos moutons. D’aucuns (Éric Poindron peut-être, lauréat couronné du Prix Topor 2019 « L’éditeur arrosé par son poème », par exemple) sauraient nous dire si se ressent l’influence de cet autre Rémois, Paul Fort (La Complainte du petit cheval blanc ; Comme hier ; La Ronde autour du monde… et surtout Le vent a fait le tour du monde, « voici le vent pour tout le monde »,). Ce vent d’En Vélo inspira-t-il Claude Roy (Le Vent, « Vente vent têtu de sac et de paille ») ?
Je suis fâché, contrit, mortifié, contraint, restreint, par le moteur de recherches du site Gallica. Je voulais retrouver la revue Le Pampre. Filtres : Pampre, « En vélo », Vailland, xxe siècle… 19 pages de résultats dont le premier est Paris-Midi (d’accord, Vailland… Omer, François…). J’ajoute : Maublanc. Là, plus que deux pages de résultats, dont le trentième et dernier est Radioscopie d’un canton du bocage : Bény-Bocage et alentours… Béni-non-non. Nouvel essai avec : « René Maublanc ». Un seul résultat : La Pensée : revue du rationalisme moderne.
Annette Gardet, professeure agrégée, docteure ès Lettres (études théâtrales), ranima (telle la Ramona des bonbons Cémoi, ou une autre…) et anime des ateliers poésie à Reims. Je m’étais fait fort, pauliste (euh, non, parisien), mais fort peu paulinien, multipolaire à la rigueur, bref, présomptueux, de lui retrouver en accès libre les poèmes de Daumal, Gilbert-Lecomte, et tutti quanti, et alii, et même et aliæ, and so on… Raté. Brûlé…
Il lor dit il a toz boit,
Si grand arson a en son cors,
A poine l’en puet geter fors
(Le Roman de Tristan, « à la triste figure », trogne enluminée de corbières, et la mienne s’allonge, plus grise que grisée).
Faut-il rester sérieux passé(s) soixante-sept ans ? Ne plus cultiver son potache potager ?
La poésie n’est pas mon fort, mais je consens des efforts…
Cependant :
Il faut qu’un galant homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prennent d’écrire.
(Mis. i-2)
Donc… Brisons-là. Sans envoi, sans retour. Et en selle ! Ou à semelle… « À pied, à cheval, en voiture, nous arrêterons là les charres subversives » (ce n’est point du Paul Bourget, mais à la manière d’un Michel Debré, édile et chantre amboisien, un soir d’abus d’ambroisie, de l’an 1961).

Christo va emballer N-D. de Paris (en boule de cristal)

Christo renonce à l'Arc-de-triomphe au profit de Notre-Dame-de-Paris

Jusqu'à démenti formel, ce n'est pas un bobard... L'emballeur du Pont-Neuf, qui projetait d'habiller de bâches l'Arc-de-Triomphe, envisagerait (le conditionnel s'impose) de renoncer, et d'envelopper Notre-Dame-de-Paris, surmontée d'un dôme de verre sous lequel virevolteront des balles de tennis de table surdimensionnées...
En voilà une idée qu'elle est bonne. C'est la mienne (je n'ai pas plus cherché à vérifier si d'autres y ont déjà songé qu'il me serait venu à l'esprit de demander à Christo de confirmer la nouvelle).
Exclusivité parfaitement authentique si, d'un, Christo présente le projet, et de deux, Macron, les architectes des Bâtiments de France, LVMH et Kering (ex-Pinault-Printemps-Redoute), et quelques autres l'approuvaient. Pour manifester l'unité nationale, les bâches sortiront des ateliers Hermès, le verre sera celui de Saint-Gobain (j'en détiens quelques actions, je suis à la manœuvre), et la présidence chinoise m'a déjà versé ma petite commission... Car la Chine se joindra à la ferveur internationale et fournira les « balles de tennis de table » d'un diamètre d'un centième de li...
Bien sûr, cette installation-performance sera temporaire, à quelques décennies près. Le temps de restaurer l'intérieur de la cathédrale de Notre-Dame-de-Paris. Le dôme monobloc à micro-perforations sera ensuite réaffecté, au-dessus d'une installation nucléaire ; les balles seront recyclées après compression par un émule de César, et les bâches découpées revendues à la sauvette comme autant d'authentiques pavés du Quartier Latin de 1968.
Imaginez ! Notre-Dame sous un tourbillon de boules de « neige » ! La structure de la cathédrale parée de jaune Hermès, avec, ça et là, quelques reproductions taille réelle des vitraux, et le chatoiement des logotypes des parrains de l'opération (MacDonald, Apple, Google, Facebook & consorts pour la contribution nord-américain, Boeing renonçant à cohabiter avec Airbus ; Grant's – le chef de file du haggis écossais – ; Beluga, la vodka russe ; Herta & le Deutsche Currywurst Museum Berlin ; demandez mon Iban pour figurer ici...).
Tout autour du monument, des appareils munis d'écouteurs pour entendre la musique des sphères (chinoises) contre une modique pièce de deux euros... 
Depuis l'enveloppe des friandises Mi-Cho-Ko (« sublime raffinement de papier » de La Pie-qui-chante), les Treets fondant dans la bouche, pas dans la main, et Skip moussant peu pour laver mieux, ou Bic « qui rase plus blanc », eh ! Trouvez plus et mieux !
Sous les bâches, la fourmilière des re-bâtisseurs non-grèvistes des cathédrales, à l'abri des intempéries et frimas. Et aucune nuisance sonore pour les voisins qui ne percevront pas les chuintements de l'incessant ballet des bras robotisés des imprimantes 3D. Les boules Quiès superflues...
Et puis, quel honneur d'œuvrer sous un double monument gothico-contemporain. De quoi aussi réconcilier l'artiste lillois Jiji Tachdjian avec Notre-Dame-de-Paris (lequel Tachdjian fit pertinemment remarquer  : « la treille est une merde en béton construite en 1933, que les bourgeois catho-industriels de l'époque ont voulu "comme au moyen-âge'' mais avec six siècles de retard  ! 50 ans plus tôt, Gaudi commençait la Sagrada Familia à Barcelone, et c'est autre chose ! ». Jean-Jacques Tachdjian, qui sera SDF le mois prochain, a décliné l'offre de venir s'installer au milieu du chantier, au futile prétexte que ce n'était qu'une vulgaire opération commerciale. Je respecte ses convictions. M'enfin ! la publicité, c'est aussi de l'art, non ? Non ! Ah bon...
Le tout étant sécurisé, inutile de hâter l'achèvement du chantier. Place, dès la nuit tombée, à de l'événementiel, à de folles soirées alcoolo-cocaïnées, aux raouts des divers cultes (dont les Adorateurs du nombril, célébrés par le film Paris Secret — voir par ailleurs, là-même, sur ce blogue). Un tel retour d'investissement, même l'archevêché n'y avait pas songé. 
Alors, Christo ? Chiche ?
(visuels : Courtesy of Christo™, Jean-Jacques Tachdjian®)

lundi 15 avril 2019

Quand André Malraux recadrait la décentralisation théâtrale....

Ministre des Affaires culturelles, Malraux tente de mettre au pas les CDN

Une vingtaine de centres dramatiques nationaux en 1969, une douzaine suffirait, estime André Malraux dans ses directives adressées à Philippe Saint-Marc, son directeur des Spectacles. Mais les deux hommes ne resteront au ministère que quelques mois. Les CDN, combien de « divisions » actuelles ? Bientôt une quarantaine...
J'allais (presque) oublier de le signaler : Annette Gardet a été reçue brillamment docteure après la soutenance de sa thèse sur la Comédie de Reims (et la, les troupes permanentes l'ayant précédée) et la décentralisation théâtrale. Comme j'étais dans l'assistance, je me suis ultérieurement intéressé à la question... D'où cette transcription, en PDF, de la lettre d'orientation adressée, en avril 1969, par Malraux à Saint-Marc. Et d'où il ressort qu'une mise au pas, voire au garde-à-vous, petit doigt sur la couture du pantalon, des directeurs-metteurs en scène était à l'ordre du jour.
Qu'en résultat-il pour André Mairal à Reims  ? Les dés étaient semble-t-il jetés, il fut conduit vers la sortie, soit l'expatriation vers Besançon. Mais, semble-t-il, il tenta de s'enraciner en Champagne, de se montrer plus conforme aux orientations présumées du ministère. En vain.
L'arrivée de Robert Hossein à Reims, à la Maison de la Culture, semble bien dans le droit fil des intentions d'André Malraux s'inquiétant de ce qu'un Laurent Terzieff (alors dans le privé, au Théâtre de Lutèce) n'obtenait pas la place qui lui revenait, ou qu'un Maurice Béjart (lui aussi dans le secteur privé, qui fila en Belgique en 1970) restait en marge de la politique culturelle ministérielle (alors qu'il aurait pu diriger une structure indépendante de l'Opéra de Paris, ou au moins dissociée).
Sauf que, de Gaulle était sur le départ, avec Malraux et Saint-Marc, non pas dans ses valises, mais en sursis. On sait ce qu'il advint. Certaines préconisations furent suivies d'effets, d'autres largement ignorées, d'autres encore contrecarrées.
Ce qui subsisterait actuellement, aux dires de divers comédiens avec lesquels j'ai pu m'entretenir, ce serait le grégarisme opaque des directeurs de CDN et de scènes nationales, ne s'ouvrant qu'aux connaissances, aux copines-copains. Discutable, mais... La décentralisation théâtrale, fortement étendue ces dernières années, fonctionnerait-elle en circuit fermé ? Franchement, je n'ai  pas le moindre avis personnel sur la question. L'état actuel m'intéresse assez peu. Les troupes hors-circuit institutionnel me semblent cependant se passer fort bien du soutien des structures que Malraux décrivait « fonctionnarisées ». Et puis, historien au petit pied, je manque de recul.
Mais relire Malraux, ministre, non plus discourant pour la galerie, mais « les mains dans le cambouis » des contingences, sachant que l'intendance ne suivra pas, ne laisse pas indifférent. Il conserve une large liberté de ton, ne mâche guère ses mots. On se souvient de ses interventions devant les chambres, évidemment des discours radiodiffusés, moins de ces courriers internes. En voici un, pièce majeure pour appréhender l'histoire de la décentralisation dramatique.

jeudi 11 avril 2019

L'hommage à Michel Doury des Amis de l'Ardenne

Tiens, oui, Who's afraid of Michel Doury?

Je ne suis pas peu satisfait d'avoir commis un article sur Michel Doury, « trop absent des dictionnaires », et beaucoup moins fier en le comparant avec ceux des autres neuf contributeurs (dont une, Sylvie Doizelet) de ce dossier d'hommage à l'écrivain et traducteur, Ardennais d'adoption...
J'ai éprouvé comme une légère frayeur en découvrant le titre de l'article de Sylvie Doizelet dans le numéro 63 de la revue Les Amis de l'Ardenne. J'étais près de lui donner un dressing-down pour qu'elle ait an earful (pas au point de battre the tar out of her) : quoi, titrer sur le vin ! Alors que chacun sait que Michel Doury était un pilier du Roy de la Bière à Sedan, où on le trouvait plus fréquemment que dans le bahut qui l'employait à enseigner l'anglais. Sylvie Doizelet est romancière et traductrice, et certes, tout comme le derrière d'Arletty fut « international » et que l'amour de la patrie, en littérature, on s'en contrefout (je ne sais plus quel maître gendelettre au procès de Brasillach), il reste quand même des choses que l'on ne saurait admettre. Mais, bon, il était difficile de s'étendre sur la traduction de beer en mousse puis digresser sur celle d'Alsace comparée au linceul de Lorraine ; ce qui aurait été hors de propos. C'est donc de la transmutation traductologique de wine en pinard, jaja, picrate, reginglard, et dérivés (guinguet, rouquin... j'en passe), voire de noms de marques lexicalisés (Goulou®, Kiravi™, &c.), dont elle traite, non point en goujate imprécatrice mais avec justesse et concision. Comme je l'envie ! 
Autres participants à l'évocation des mânes de Doury, himself (« La Chasse », « À propos de Chandler »), Philippe Mellet, le chaleureux Thierry Doudoux, Daniel Casanave, Hervé Carn, Édouard Gaède, Patrick Mouze (que je salue au passage), sans oublier bien sûr Stéphane Balcerowiak, qui, en rubrique « Livres et revues » cisèle une critique élogieuse du dernier Gisèle Bienne (La Malchimie, Actes Sud, « livre en tout point vital »). De quoi pâlir du voisinage...
Tiens, Mouze, à propos du Mallory de Doury (La Chasse en octobre), évoque le regard froid de Roger Vailland. Il est notoire que Vailland... Manchette, Djian, Queffélec, Madeleine Chapsal, évidemment Philippe Lacoche, tant d'autres... J'y reviendrai, mais cela attendra (procrastination ET impossible tentative d'exhaustivité qui m'occupera un moment). Celui de Doury, qui laissait entrevoir la flamme de son feu intérieur, mériterait aussi de figurer plus souvent dans la prose des littérateurs.
Édouard Gaède revient sur les échanges entre André Dhôtel et Doury. Bon, je ne vais pas vous détailler le sommaire, ni vous éclairer sur Michel Doury. Parcourez donc La Toile, faites grimper Doury au classement de Google et des autres.
Les Amis de l'Ardenne, c'est une association trilatérale, un peu comme le groupe Blderberg, mais son influence, patente, n'a rien d'opaque. Elle couvre et couve l'Ardenne (la Belge, la ducale, la celte hexagonale...), et c'est Les Amis de l'Ardenne, « revue trimestrielle », qui comporte cette fois 122 pages dont pas moins de 75 canonnent sur Doury. Quelles salves pour l'ex-officier de la Royale !
On ne monte pas en ligne pour rejoindre la revue. Il faut envoyer un chèque à Stéphane Collet (72, av. Charles-Boutet, 08000). Mais en bas de casse sans espace, voyez Facebook (« À propos », page de contacts). Si Yannick et Daniel Gaucher lisent cela... (aparté). C'était comment déjà le prénom du colonel Gaucher, l'Ardennais, l'évadé, le condamné à mort par le préfet (pas Papon, un autre...). Mémoires d'Ardennes...
Les Ardennais... En tant que membre de la diaspora bretonne, j'ai pu les apprécier à Reims. Quand je débarquais en Alsace, ce furent les Lorrains. Mais dans la Marne, ils (pas les Lorrains) sont presque partout, et se lient facilement aux allophones (ne pratiquant pas le champenois), tandis que les autochtones sont souvent plus lents à la détente. Souvent adeptes de la « chouille champennoise », ils fraternisent à l'aise, et ne sont guère long(ue)s à vous adopter. Je m'honore toujours d'être chevalier du Boudin blanc de Rethel, son berceau, à peine plus coloré que d'autres, mais qui les fait tous pâlir (d'aucuns se bourrent d'éclats de truffe, de cèpes, pour vous la jouer parvenus, en vain). De quoi snober la Confrérie du pied de cochon de Sainte-Menehould et tant d'autres gastronomiques & vineuses. La patrie de Louis Jouvet vous accueille aussi bienveillante qu'elle le fût pour maints autres, et Jean-Claude Drouot s'en souvient, pour n'en citer qu'un... Parfois d'ailleurs aux sons des cornemuses locales (mais je m'étendrai plus tard... cherchez... trouvez...).
Allusif, fin pratiquant de l'understatement, tel était Michel Doury, qui pourtant ne mâchait guère ses mots (ses élèves, Philippe Mellet en particulier, s'en souviennent). C'était un homme, ou plutôt un personnage qui, que, quoi, dont et pas trop ou, car entier.


dimanche 7 avril 2019

Didier Daeninckx en peine de souffleur pour parler de Roger Vailland

Didier Daeninckx de retour d'enquête à « Courvilliers »

Ainsi que je l’évoquais hier, Didier Daeninckx était ce dernier samedi (6 avril), à la bibliothèque de la Goutte d’Or, conversant avec une soixantaine de personne. Évidemment, j’étais venu solliciter qu’il me livre quelques souvenirs de lectures de Roger Vailland, et d’autres anecdotes. Cela viendra… Ce n’était guère le moment, mais nous nous en reparlerons.
Interrogé sur ses lectures, Didier Daeninckx évoque spontanément les plus récentes, notamment La Capitale, de l’Autrichien Robert Menasse (col. Der Doppelgänger, Verdier éd.), dont le sujet est, pour résumer, la Commission européenne. Pour Didier, toutes les électrices, électeurs et abstentionnistes de la prochaine consultation devraient lire ce pavé de 480 pages. Il y a aussi Journal 1915, celui d’un combattant de Trieste qui déserte l’armée impériale autrichienne pour rejoindre les rangs italiens. Tout au long des années 1915-1918, et jusqu’aux mois d’octobre (bataille de Vittorio Veneto), il y eut des désertions massives de part et d’autre de la ligne de front du nord de l’Italie. Pour échapper aux combats ou, pour des irrédentistes trentains, comme Cesare Battisti (1875-1916 ; ne pas confondre ; ce Battisti déserta en août 1914 puis s’engagea dans l’armée italienne dès l’entrée en guerre, en mai 1915 ; fait prisonnier avec Fabio Filzi, il fut pendu par un bourreau autrichien) et Tullio Minghetti, remonter au front de l’autre côté des pentes de la Mamolada. Bien sûr aussi, Didier a dévoré des masses de romans noirs (et fut un pilier des festivals de l’association 813). Mention spéciale pour Octave Mirbeau, dont il a lu les romans, écrits journalistiques, et les publications de la Société Octave Mirbeau. Puis, aussi, Desnos et nombre de poètes…
         Vint mon tour, lors de la discussion, de poser ma question sur Vailland… Il fut pris de court… S’en tira par une pirouette… « Je compose un recueil de nouvelles de 800 pages avec de multiples personnages, des centaines… ». Je suis moi-même l’un des furtifs anonymes personnages, en « silhouette », de l’une de ses nouvelles antérieures (oublié le titre, et peu importe), mais Vailland est nominativement mentionné trois fois dans Missak (sur Manouchian), au moins une fois dans Raconteur d'histoires (à propos de Bel Ami, de Maupassant), et il a dû l’évoquer des dizaines de fois avec des confrères, dont certains distingués par le prix Roger Vailland, ou encore Philippe Lacoche… « Personnage intéressant, » se rattrape-t-il d’une ch’tiote litote, avant d’enchaîner, « en référence à l’un de ses personnages de syndicalistes, j’ai pris pour protagoniste principal un militant dans l’un de mes premiers romans… ». Dans la salle, personne ne donne le titre du roman de Didier, alors que Mort au premier tour serait un bon candidat, mais quelques « 325 000 francs ? » fusent. Non, c’est de Beau Masque qu’il s’agit, rétorque Didier…
         Didier Daeninckx se définit plus volontiers romancier qu’écrivain, mais c’est aussi l’un des journalistes d’investigation français de tout premier plan. Il l’a maintes fois démontré, il le confirme splendidement avec Artana ! Artana ! (col. Blanche, Gallimard, avril 2018 ; depuis reparu en format de poche, comme une quarantaine de Folio, et nombre d’autres romans de Didier). L’action se déroule à Courvilliers… Soit « Saint-Denis, Aubervilliers, Bagnolet », précise-t-il. Surtout Bagnolet… Bagnolet, dont l’ancien maire est devenu promoteur immobilier, qui a recasé Hassen Allouache à Aubervilliers, &c. Bref, avec le roman, contrairement au document journalistique, on s’évite des procès en diffamation qu’on finit par emporter, et c’est lassant… Les prétoires, Didier, pourtant il connaît… La censure aussi… Dernier épisode en date : « à Tremblay-en-France, le cabinet du maire a fait retirer l’un de mes livres des rayons de la médiathèque… Je connaissais très bien le père du maire, ancien guérilléro en Espagne, qui combattit jusqu’en 1948, sur lequel j’ai écrit. ». Comme il le résume, à propos d’Artana ! et d’autres​: « j’ai la fâcheuse manie de mettre certaines choses en lumière », dont certaines de trop actuelle actualité.
         Courvilliers… C’était parti. Les questions sur Aubervilliers se succèdent. « Quand les usines sont parties, les syndicalistes et les militants associatifs ont quitté la ville qui a perdu 12 000 habitants, a vu le revenu de la taxe professionnelle chuter. Des gens très qualifiés résidaient dans les HLM qui sont devenus des ghettos de la misère… Depuis, Aubervilliers est une ville extrêmement rugueuse. J’ai eu nombre de voisins venus de Paris, car ne pouvant plus y rester du fait des loyers, des charges, du prix de l’immobilier. Ils sont pris pour des bourgeois, et presque la moitié repartent au bout de deux ans. ». Avis aux amateurs. Pour les arrivants qui restent ou affluent encore, l’institution privée Notre-Dame-des Vertus ne cesse de s’étendre. « Ils construisent à tout va autour du collège de la rue des Noyers ». Une intervenante : « Il y a eu des enseignants contaminés par la tuberculose ! ». Cela m’évoque les lendemains des années Thatcher dans les villes ex-industrieuses d’Angleterre, et la résurgence des maladies contagieuses…
         « Oui, il y a des problèmes sanitaires, confirme Didier, beaucoup de gens avec enfants vivant dans des combles loués par des marchands de sommeil… ».
         Si La Capitale éclairerait les votants aux européennes, en prévision des municipales, Artana ! est plus qu’édifiant. Les collecteurs de voix se monnayent cher, les concessionnaires des bulletins de vote ramassent les miettes : c’est ce qu’on pourrait surnommer le ruissellement électoral.
         Le Campus-parc Condorcet, qui regroupera l’EPHE de la Sorbonne et nombre de séminaires et ateliers de recherche ès sciences humaines en sa Cité des humanités et des sciences sociales génère encore nombre de projets immobiliers… Fera-t-il vraiment « corps avec la ville », comme le promettent les architectes et urbanistes ? Ou rentabilisera-t-il surtout la ligne 12 (station métropolitaine Front populaire) et celle du T8 poussant jusqu’à Rosa Parks ?
         Pour le moment, la misère à Aubervilliers, « vous arrache des larmes », résume Didier, qui, de Vailland, n’a pas « le regard froid », mais l’humide. Ou peut-être les deux, alternativement… Ce sera l’une des questions qui lui sera bientôt posée.
En attendant, si vous lisez ou relisez Missak, la première référence au Roger, c’est page 37 (édition Folio). Quant à la Bigouden, tapinant du côté des Halles, je vous en avais précédemment entretenu, crois-je me souvenir. Ah, j’allais oublier, Didier cite aussi Batailles pour L’Humanité, la pièce de circonstance de Vailland dramaturge (Valère Starselski prit la suite en 2010, avec un documentaire sur les 80 de la fête de L’Huma…).
         Outre Didier Daeninckx (et sans doute d’autres lecteurs assidus, congrus et férus comme l’était Jack Ralite), existe un autre lien entre Aubervilliers et Roger Vailland : Gabriel Garran, naguère du Théâtre de la Commune, auquel Adamov et Vailland mirent le pied à l’étrier théâtral. Mais il nous reste certainement diverses connexions à (re)découvrir. Et nous n’aurons guère, cette fois, besoin de souffleur pour nous rafraîchir la mémoire.
        J'ai été ravi de constater que, même si les têtes blanches formaient la majorité de l'auditoire de Didier, nous n'en formions pas les trois-quarts, comme trop souvent lors de telles rencontres... Et que peut-être, comme y fit allusion Patrick Le Claire, dans cette diversité, pouvaient se trouver des adeptes occasionnels des collections Arlequin et Le Masque (j'ai traduit pour cette dernière, qui ne démérite pas). Syndicaliste et bibliothécaire d'un comité d'entreprise, il poussait les Daeninckx ; les emprunteurs revenaient en disant sobrement : « Ah oui, c'est autre chose, un cran au-dessus ». Didier, comme Roger, est, écrit un cran plus haut, et encorde qui le lit.

samedi 6 avril 2019

Roger Vailland, Amina l'Égyptienne et les filles de la Pointe des Galets

Roger Vailland sur Le Chambord puis chez le sculpteur de l'Exposition coloniale

Franchement, si le titre ci-dessus, vaguement informatif, tient à peu près la route, je préfère l'autre (« Roger Vailland, Amina et les filles de la Pointe » ; peut-être pointées d'ailleurs...), à mon sens davantage incitatif. Quoi qu'il en soit...
Je ne sais si la Pointe des Galets, dans les années 1930, était, à La Réunion, un haut-lieu de la prostitution. C'était sans doute aussi Souris-Chaude, le Pic du Diable (encore vert), mais comme fut aménagé un port à la Pointe des Galets, eh, déduisez ce que vous voulez...J'y songe parce que je viens de retrouver, à la bibliothèque de la Goutte-d'Or, l'ex-copain de bamboche du Festival du roman noir de l'association 813, à Grenoble, en 1987. D'évidence, resté un pote (de pas mal d'autres aussi ; pas le genre à poser en gendelettre, Didier...). Je lui remémorai « la Bretonne », qui tapinait aux Halles (de Paris),  en coiffe, qu'il signale dans son Missak. J'vous dis ça, j'vous dis rien (mais vous en conterai davantage dans un prochain billet...).Bref, le lien qui suit vous mène vers « En voguant vers l'île des princes exilés – Quand Abd-el-Krim est voisin de l'empereur d'Annam », suivi de « Européens et Orientaux ont mangé l'agneau chez Mme Myriam Harry », et cela vaut son pesant de noix de coco. Vous y verrez, chose improbable, un alligator dévorant un zébu, et imaginerez Ulla, la suédoise, « dans le déshabillé de la Parisienne ». Non, je fabule, Ulla, c'était l'une des provinciales produites sur les tréteaux de la Fête à Neu-Neu d'Angers, présentée par un nabot gominé, au ton roucoulant-grassaillant, à deux pas du baraquement des catcheurs (avec « le jeune militaire du bataillon de Joinville », un comparse, qui, dans le public, se disait près à affronter Le Bucheron des Ardennes). Ce qui est bien avec Vailland, c'est qu'écrire pour Google, c'est du nan-nan. Tous (et toutes) les nostalgiques du « bon temps » des Colonies affluent. Lectorat de niche, certes, mais ça m'suffit. Notez que je ne plagie pas Vailland/Omer/Merpin/François, et que je ne vous dissimule pas que je ne sais absolument pas si Le Cap Ortegal (visuel) devint ou non Le Chambord . Il faudrait longuement vérifier, ce dont se dispensait fréquemment Vailland. Vailland journaliste, quel fabuleux « inventaire à la Prévert » (poncif éculé, mais comme le relevait Balzac, dans sa Nomenclature, un topique usé ne l'est jamais jusqu'à la corde ; ou peut-être viens-je de l'inventer, Éric Poindron appréciera – aparté). Banalités, clichés, lieux communs, c'est le métier qui ressort, réémerge, en Zeppelin du Loch Ness (cherchez...) affleurant la surface. J'en profite, sautant du coq à l'âne (Poindron encore...) que l'adjectif poncif ne s'accorde pas en genre : foin de tragédies poncives. Et pourtant... Abel-François Villemain (1790-1870)
Ah ! Flaubert (cherchez encore du côté, non de Philippe Bouvard, mais d'un prédécesseur...). Le Grand Jeu se gaussait des cadavres exquis. Moi de même, mais pour mon ultime papier du Pays-de-Franche-Comté, je mis les confrères et consœurs en mesure de me proposer huit vocables improbables à caser dans un compte rendu de la réunion publique d'un ex-banquier (quelque peu véreux) entré en politique. Il y avait dans le lot ornithorynque. Ce fut fait. Insérer ce monotrème qui fut peut-être le modèle d'une sculpture de l'Exposition coloniale (à vérifier) dans ce billet, c'est riper sur Boris Vian et Henri Renaud (« le mettre en présence d'un okapi, d'un singe, d'un ornithorynque, voire même d'un simple chien »), Francis Wolff (Philosophie de la corrida), Kant, Linné (la girafe, encore Poindron...), Adam (l'autre), 0ctave Mirbeau (tiens, Mirbeau, Daeninckz... j'y reviendrai), et je vous en passe, et des plus éminent·e·s figurant·e·s (là, j'exagère) dans les manuels scolaires. Un peu d'écriture inclusive ne peut nuire ; trop indispose à juste titre (d'alcoolémie ?). Enrichissez-vous, disait à juste titre Guizot, à la suite de La Fontaine (« travaillez, prenez de la peine... »). Guizot voisinant ornithorynque, cela, hormis peut-être Cirier, rares sont celles et ceux pouvant vous le proposer. Keep tuned.


jeudi 4 avril 2019

Roger Vailland «déguise» le second gagnant de la Loterie nationale

Quand Roger Vailland fit d'un notable d'Avignon un charbonnier couvert de suie

Le billet remportant le gros lot du deuxième tirage de la Loterie nationale échut à un certain Louis Ribière, notable avignonnais. Un an après, dans le cadre d'une série de reportages « Qu'ont-ils fait de leur gros lot ? », Vailland/Robert François tente de le convaincre de se confier à lui...
Il avait fait chou blanc avec le sieur Bonhoure (article précédemment retranscrit, voir les archives), tout premier gagnant du gros lot de la Loterie nationale, il se fait de nouveau éconduire par le suivant, un marchand de charbon et bois d'Avignon... Et s'en sort par une pirouette : il sait sous quel nom d'emprunt ce dernier va quitter Avignon pour la Côte d'Azur...
Croyez-le ou non, j'ai tenté de retrouver ce nom, ou du moins la localité ou Louis Ribière s'établit loin d'Avignon (le fit-il jamais ? la question peut être posée...). En vain. En revanche, j'ai appris qu'un baculard fut jadis un condamné à se faire fesser, que la « Sablonnaise » Jeanne Baculard, épouse Ribière, n'était ni native de l'Isère, ni de la Gironde, ni du Mans (quartier des Sablons), mais peut-être de Robion ou Sarrians, proches de la cité des papes. Avec moi, désormais, Bouvard et Pécuchet ne font plus qu'un...
« Traqué par la curiosité, Ribière, le charbonnier d'Avignon, doit fuir sa ville natale » (et se réfugier « dans une villa acquise sous un faux nom »). Telle est la titraille du papier de Roger Vailland/Robert François, en première page de Paris-Soir. Avouez que cela donne envie d'en savoir davantage... Oui, mais...
Une fois de plus (ou de mieux, c'est selon l'angle que l'on retient...), Vailland/François prend ses aises avec la réalité locale en province. Son charbonnier n'est pas un fouchtra provençal, mais un notable ayant hérité avec ses trois frères d'un commerce de bon rapport. Un chef d'entreprise... à la tête d'une affaire employant peut-être, outre des manouvriers, un comptable (là, franchement, je suppute aussi).
Il n'est pas non plus vraiment établi qu'il fut un flambeur risquant son gain dans les maisons de jeu locales (ou alors, pas davantage qu'auparavant et son gain de cinq millions de francs). Et puis, et puis....
Mais pour le lectorat parisien, après un coiffeur de Tarascon devenant multi-millionnaire, un simple charbonnier s'offrant une limousine, et une villa à la mer, fuyant Avignon après avoir été rossé par d'anciens comparses de bamboche, c'est plus « seyant », voire émoustillant... Ou habile, comme on voudra. Et puis, ponctuer de té ! des dialogues présumés (pour Bonhoure, j'ai pu recouper, il employait fréquemment le parler provençal ; pour Ribière, ce n'est pas sûr), c'est plus pittoresque...
Bah, au suivant... Des tarazimboumants articles d'Omer, Merpin, François... 

Roger Vailland à Saint-Omer au procès du pinceur de homards

Roger Vailland/Robert François : la guerre du homard (Saint-Omer)


Pince-mi et Pince-moi n'étaient pas dans le même bateau. Pince-mi (Charles-François Trabuchet) pinça les homards de Pince-moi (son concurrent, Savary). Mais les homards Savary étaient munis de pinces à pinces identifiables. Et il fut prouvé que Trabuchet en revendit... Que croyez-vous qu'il advint ? Trabuchet fut acquitté par les jurés, Savary, partie civile, débouté, pour n'avoir pas « spécifié le montant des dommages-intérêts demandés ».
Procès « truqué » que celui opposant, devant les jurés de Saint-Omer, deux négociants en homards et langoustes ? Eh, c'est le lot des procès d'assises : en dépit de preuves matérielles, d'aveux de complices, Trabuchet, qui avait organisé une expédition pour vider les viviers de son concurrent, l'autre « roi du homard », fut acquitté... Et la chambre civile débouta sa victime...

Cela Roger Vailland, signant Robert François dans Paris-Soir, ne le dit pas... Il quitta la salle d'audience avant la plaidoirie de l'avocat de la défense, pourtant un ancien ministre de l'Agriculture par ailleurs... Son article, « Le roi de la langouste vidait les casiers de son seul concurrent » nous laisse donc sur notre faim... Mais votre serviteur, votre Rouletabille ovalisé, votre Pierre Bellemare au petit pied, a retrouvé l'épilogue dans les archives (de la presse régionale de juillet 1939). 
Petit rappel tout d'abord. Un vol est généralement passible de la correctionnelle. Sauf si commis de nuit, en bande (« en réunion »), « avec effraction ou escalade  », ou encore « par ruse », car alors (depuis 2000 et quelques, je ne sais plus ce qu'il en est), ce vol aggravé était passible des assises, des foudres de l'avocat général.
Mon petit doigt me dit que magistrats, jurés, accusé et victime étaient plus ou moins de mèche (Trabuchet avait dû dédommager son concurrent en loucedé). Et puis, le sort des complices, cinq matelots de Trabuchet père et fils, pour certains chargés de famille, a sans doute dû émouvoir...
Quant aux magistrats, infliger un désaveu à un avocat gardant « le bras long » dans les couloirs du pouvoir, donc susceptible d'appuyer une demande de décoration ou un avancement, a peut-être été soupesé... Telle était aussi, parfois, localement, la justice de l'époque (zut, y a-t-il prescription pour outrages à magistrats depuis longtemps défunts ? Tant pis, je prends le risque ; attention, je n'ai jamais écrit « tous pourris », hein !).
Toujours est-il que le compte rendu d'audience de Vailland/François laisse peu de place au doute... Il prend nettement parti pour l'accusation. Pour une fois, il ne fait pas trop dans la couleur locale (parle d'un canot, et non d'un flobart ou flobard, bateau utilisé du côté d'Ambleteuse et Audreselles, sur la Côte d'Opale). Il brode à l'occasion, et c'est plus savoureux ainsi... 

mardi 2 avril 2019

Quand Frédéric Pottecher félicitait Roger Vailland pour son reportage

Roger Vailland sur Belle-Île-en-mer pour la « chasse aux enfants » (1934). 

À l'été 1934, une soixantaine de pupilles de la maison de correction de Belle-Île-en-mer s'évadent. Par enfant retrouvé, les pékins (insulaires et touristes) touchent 20 francs par tête (ramenée vivante). Prévert en fera un poème. Vailland (signant Robert François pour Paris-Soir) livre un reportage remarqué par Frédéric Pottecher.
Évidemment, il faudrait retrouver la plupart des papiers des confrères (en 1934, on ne compte que quatre femmes grandes « reporteuses » en vue) pour estimer si Frédéric Pottecher; le neveu de l'autre (Bussang), loua le reportage de Vailland/Robert François à bon escient. Il le trouve supérieur à d'autres car Vailland laisse filtrer que la maison de correction est un bagne, que certains gardiens ne se comportent pas très bien avec les gamins. En fait, Vailland est largement en deçà de la réalité, de la brutalité du régime pénitentiaire infligé, des brimades, &c. Il se concilie même le directeur de la « maison ». Mais bon, expédié à plus de 450 km de Paris, devant embarquer pour traverser sur ce qui n'est pas un Hoovercraft™®, téléphoner son papier pour la première édition de Paris-Soir (article sans doute annoncé par Paris-Midi), eh... 
En 1972, je m'intéressais aux « Filles du Bon-Pasteur ». Des « difficiles », selon leurs parents, et les juges pour mineures, parfois. Les religieuses de Notre-Dame de Charité du Bon-Pasteur les « tenaient » un peu trop sévèrement pour les « civiles » (monitrices, éducatrices laïques). Mais par rapport aux bagnes d'enfants (mâles) de 1934, cela n'avait plus rien à voir (ni sans doute avec ce que les « bonnes » sœurs irlandaises de l'époque faisaient subir à leurs pensionnaires). Mais je pouvais prendre mon temps (pour un hebdomadaire d'expression locale, Uss'm Follik). Pas la même tombée de copie qu'un Vailland. Donc sur Belle-Île, il ne téléphone pas son meilleur papier (mais peut-être le meilleur d'entre tant d'autres). Mais c'est un bon conteur. Au style, à mon sens, relâché (pour mon compte, à présent bénévole, j'opte pour la facilité maximale, le foutraque assumé, le relu mode survol : donc, rassurez-vous, il resta très loin de ce que je peux commettre). 
N'empêche, il aurait pu davantage enfoncer le clou. Oui, mais lui n'est pas Pottecher. Un reporteur n'est pas un éditorialiste. Pas un « Premier Paris » aurait écrit Balzac. Beaucoup de lectrices, encore plus de lecteurs, se prononcent sur les journaleuses et journaleux sans trop saisir les contraintes, les statuts, &c. Dont j'ignore d'ailleurs l'essentiel pour les années 1930. Mais en lecteur lambda, je me crois assez malin pour glisser mon grain de sel (ce qui me rappelle la célèbre blague : « et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti »). 
Ce qui me semble pertinent : Pottecher bosse pour un hebdo, Vailland pour un quotidien (à quatre ou cinq éditions/jour). C'est ce qu'il faut saisir en prenant connaissance du PDF (Vailland_Belle_Ile ; reportage sur une maison de correction). Et puis, Pottecher, lui (tiens, on dirait du Isabelle Horlans, le « lui » en incise était l'un de ses tics ; d'ac, là, j'écris pour Google, dropping names), ne doit pas se retrouver devant un sbire lui interdisant l'accès à je ne sais quel supérieur parce que son dernier reportage n'a pas été tendre pour les autorités. Il ne risque pas ce que j'ai pu vivre (« Ah, journaliste ? Eh bien, vous l'avez bien arrangé, le commissaire Untel. Allez hop ! Monte dans le panier, garde à vue... » ; ou encore, six semaines tricard de main-courante, interdit de commissariat ; ce fut plus tard, ailleurs). Pottecher tutoie un ministre (ou un autre), et peut lui dire : « c'est comme cela ou je t'étrille ». Pas Vailland. Dessous des cartes...
Bon, je lasse, je sais... Le prochain, le reportage de Vailland sur la marquise de *** sera plus divertissant... Moins verbeux (sauf si... car tel est mon bon plaisir).
Un dernier mot sur le visuel : la colonie de Mettray n'avait rien à envier à celle du Morbihan. Le type en casquette n'est pas un gardien, mais un chef d'atelier, et le personnage en noir est peut-être un curé (peu de femmes dans ces colonies). Bon, les « assistés » n'ont pas l'air d'être trop mal nutris. Car il fallait qu'ils puissent assurer du rendement...