jeudi 22 août 2019

Brexit : l’Irlande du Nord demande à l’Union européenne de tenir bon

Une majorité de parlementaires d’Irlande du Nord pour le “backstop

Coup dur pour Boris Johnson qui fait du backstop (ou « filet de sécurité ») sa condition sine qua non : une centaine de parlementaires d’Irlande du Nord (54 %) ont écrit à Donald Tusk pour demander que l’Union européenne s’en tienne à l’accord passé avec le gouvernement de Theresa May.
Boris Johnson et son gouvernement ne veulent pas rétablir des contrôles douaniers à la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande…
Et pour cause, de toute façon, le 1er novembre, il serait tout à fait impossible de sécuriser les 300 points de passage de la frontière s’étendant sur 500 km. Sauf, bien sûr, à dégarnir les postes frontaliers portuaires de la Grande-Bretagne de fonctionnaires afin de les affecter en Irlande…
C’est tout aussi inenvisageable : le gouvernement conservateur veut, dès le 1er novembre, contrôler les entrées de tous les citoyens de l’Union européenne. Mission impossible, s’accordent à rétorquer tous les experts, en particulier ceux des milieux patronaux. Faire de la Grande-Bretagne une passoire pour tout immigré sauf depuis la frontière irlandaise serait une gageure…
La majorité conservatrice ne tient qu’à un siège… Et elle repose sur l’alliance avec les Unionistes d’Irlande du Nord (ceux du DUP, le parti unioniste démocrate, fort de dix sièges au Parlement de Londres). Mais, en Irlande du Nord, ces Unionistes ne sont pas majoritaires. Le Sinn Fein (favorable à la réunification), le SDLP (les travaillistes), Alliance (pro-européen) et le Green Party (les Verts) se sont concertés : leurs membres ont co-signé une lettre ouverte à Donald Tusk, le président du Conseil de l’Union européenne…
En substance elle réclame que l’UE reste ferme sur les positions négociées avec le gouvernement de Theresa May : ne cédez rien sur le “backstop”.
Or le maintien d’une frontière ouverte conditionne aussi l’acceptation par le Congrès américain d’ouvrir des négociations bilatérales avec le Royaume-Uni. Donald Trump et la Maison blanche peuvent proclamer qu’un accord commercial « fantastique » serait envisagé dès le 1er novembre, il devrait être approuvé par le Congrès.
En fait, tout le monde craint que les groupes nord-irlandais issus de l’IRA (pour résumer, les catholiques ou apparentés favorables à la réunification irlandaise) repartent au combat contre les forces de l’ordre (donc, aussi les policiers aux frontières et les douaniers) si la frontière était rétablie. Dans cette perspective, Boris Johnson serait contraint de refaire intervenir l’armée britannique (en fait, surtout des régiments anglais).
Resterait la « solution » suggérée par la chancelière allemande, Angela Merkel, soit que le Bojo sorte de sous sa tignasse, sous 28 jours à présent, des dispositifs techniques de contrôles douaniers et autres. Ce qui revient à recréer une sorte de frontière virtuelle, non matérialisée par des postes de contrôle policier et douanier.
Ce qui fut discuté pendant trois ans entre les gouvernements conservateurs antérieurs (Theresa May fut désignée Première ministre le 1er octobre 2016, des négociations avaient été entamées antérieurement, après juin 2016 et le referendum britannique sur le Brexit).
En fait, Angela Merkel s’est contentée d’un « bon mot » avec cette suggestion de laisser Bojo présenter un compromis acceptable sous 30 jours (ou plus). Sa majorité parlementaire exclut que cela soit possible, le gouvernement français n’y accorde aucun crédit et de toute manière, ce ne sont ni Angela Merkel ni Emmanuel Macron qui peuvent négocier directement avec le Royaume (provisoirement) Uni.
Mais Bojo est coincé : s’il ne trouve pas un accord avec Farage (ex-Ukip) du Brexit Party, les conservateurs ne peuvent espérer retrouver une majorité après des élections…
Or, après le Brexit dur, le Brexit sans accord (no deal), voici que Nigel Farage introduit un autre qualificatif : le Brino… Soit le Brexit in Name Only… Selon Farage, Bojo s’apprêterait à obtenir des modifications superficielles de l’accord prévu entre Theresa May et l’UE. Il fait en réalité monter les enchères : il ne veut pas de concurrent conservateur se présentant dans ses « fiefs ».
Le scénario semblerait (conditionnel impératif) « simple ». Depuis que Bojo est au Number Ten (10, Downing  St.), les électeurs conservateurs passés au Brexit Party reviennent dans le giron d’origine, les travaillistes pro-Brexit désertent un peu le Labour… Pour conserver ses transfuges conservateurs, Farage doit soit obtenir un accord électoral, soit insister sur le fait que Bojo manquera à sa parole, signera (sans l’accord du Parlement) un accord rideau de fumée, trompe-l’œil, un Brexit « nominal », poudre aux yeux.
Boris Johnson a deux options : la sortie sans accord (no deal) ou les prolongations (il rappelle le Parlement, déclenche une motion de censure contre lui-même, et tente de retrouver une majorité à l’issue d’élections générales). Dans ce cas, l’UE pourrait accepter (ou non) une report… Ensuite, il pourrait faire passer l’approbation d’un accord superficiellement plus « avantageux » pour le Royaume-Uni. Farage et les conservateurs déçus tempêteraient, s’égosilleraient, en vain…
Il faut bien comprendre que les Brexiters restent vent debout, considèrent que Bojo aurait dû remettre à sa place Emmanuel Macron (qualifié de Naboléon-le-minus), envisagent que Merkel sera le maillon faible de l’Union, voire que l’exemple britannique incitera l’Allemagne à quitter et la zone euro et l’UE. Bref, que le « fascisme bleuâtre » bruxellois vit son crépuscule avant la débandade, que le Royaume-Uni will rule again over the seas, &c.
Les Brexiters conservent leur confiance en Bojo en dépit du fait qu’il avait annoncé qu’il ne rencontrerait aucun dirigeant du continent membre de l’UE tant que Bruxelles n’aurait pas renoncé au backstop. Et de deux déjà… Et Donald Tusk, comme le successeur de Guiseppe Conte (le président du conseil italien) sont membres du G7 (des représentants de l’Espagne, de l’Australie, et de divers pays africains ont aussi été conviés à titre d’observateurs). Enfin, Bojo, pourquoi donc venir au G7 ?
La question de Gibraltar sera-t-elle évoquée en coulisses ? Selon un document officiel britannique, diffusé fin juillet, Operation Yellowhammer (ce qui peut aussi se traduire par Opération Grosbec casse-noyaux, voire « bonbons »), Gibraltar ne serait guère préparé à faire face aux conséquences d’un Brexit dur ou sans accord. Ce que Fabio Picardo (ministre en chef de Gib’) a contesté sans convaincre son opposition…
Petit apparent avantage pour Bojo : Angela Merkel a explicité son offre de parvenir à un accord d’ici au 20 septembre à présent. Cela pourrait attendre le 31 octobre, a-t-elle précisé lors d’une rencontre avec la presse à La Hague… Mais en fait, cela ne change rien à la position allemande : wait and see… Voir si l’opposition à Boris Johnson peut ou non s’accorder sur un gouvernement intérimaire. Le Labour, les libéraux démocrates, le Scottish National Party, Plaid Cymru (Pays de Galles), Change UK, et le Green Party vont se concerter la semaine prochaine. Objet des tractations : faire tomber Bojo, se mettre d’accord sur l’impétrant (Jeremy Corbin, un membre de l’un de ces partis, voire un conservateur dissident).
En résumé : que les Britanniques se débrouillent, l’UE ne lâchera pas la République d’Irlande, le pays le plus exposé aux conséquences d’une sortie sans accord.
C’est finalement ce que Merkel et Macron, l’une plus conciliante que le second, ont dit à Bojo… En Allemagne, on aimerait souhaiter que le Brexit soit moins dur (les conséquences pour l’industriel automobile seront lourdes), en France, Emmanuel Macron sait pertinemment que les Français n’en ont pas ras-le-béret des Britanniques dans leur ensemble, mais des Anglais empoisonnant l’Union européenne depuis les années Thatcher…
Bojo va rentrer dans son terrier de marmotte et tenter d’endormir l’opinion britannique, se targuer d’avoir progressé… Il n’a en fait recueilli que de bonnes paroles qui n’engagent à rien. Il pourra toujours couiner que l’intransigeance européenne l’oblige à sortir de l’UE sans accord. Mais pourquoi attendre la date butoir ? Fuera, Bar selbst, bar-te, bar da soli, bar eafto sas, bar siebie, bar-te, bar dig selv, casses-toi !

(en prime : dessin de Delambre, Jean-Michel, du Canard enchaîné), ci-contre...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire