Du terrorisme rampant des démocraties, selon Kuningas Eirikrin
Sid Lowe, correspondant permanent
du Guardian à Madrid, s’est longuement entretenu avec « le roi Éric »
(surnom de Cantona au Royaume-Uni). Lequel exprime le vœu d’une intégration des
immigrés respectueuse de leurs attachements à leurs origines…
Capable de citer le Barde (Shakespeare)
avec exactitude
et pertinence, peut-être même La Légende du roi Arthur, dans la
langue des Annales Cambriæ ou celle de Chrétien de Troyes, Éric Cantona
ne laisse personne vraiment indifférent.
Avec Sid Lowe, journaliste sportif
(mais non uniquement), il a parlé balle au pied, bien sûr, mais aussi abordé
longuement le thème de l’immigration et de son appréhension par les « grandes
démocraties ».
De par ses grands-parents, Cantona
est un Hispano-Sarde; il est aussi l'époux d’une Franco-Algérienne, l'actrice Rachida Brakni, qu’il encourage à s’adresser
en arabe à leurs enfants, Émir et Selma. Par conviction humaniste universaliste et souci d’une
transmission nécessaire et enrichissante.
Pour lui, peut-être influencé par
ses séjours au Royaume-Uni et le melting pot des équipes de
footballeurs, l’intégration à la française, à visées assimilatrices, pêche par
une propension à dénier aux immigrés leurs attachements à leurs origines. Plus
on veut nous en éloigner, plus nous sommes incités à nous en rapprocher, considère-t-il
en substance. L’incitation à trancher, à se déclarer français ou autre, est à
ses yeux « une erreur », une bourde, susceptible d’aggraver
des tensions.
J’en suis pour ma part aussi convaincu,
par divers exemples contraires, de personnes ayant fini librement par se sentir
profondément des Françaises, des Français, avant tout autre appartenance antérieure.
Une culture ne s’impose pas, on y
adhère ou non. Pour Cantona, tenter l’assimilation contrainte, de manière plus
ou moins coercitive ou implicite, sournoise, larvée, est contre-productif.
Et prive les « grandes démocraties » des apports de salutaires
diversités. Il s’inquiète donc de la résurgence de nationalismes en des — en
quelque sorte — peuples se considérant d’élites, et dominateurs, pour
paraphraser de Gaulle (ici quelque peu hors de propos).
Ces démocraties prônent insidieusement
« une sorte de terrorisme », culturel et économique. De quoi
prêter le flanc à l’accusation « d’islamo-gauchisme » (ou autre
néologisme apparenté). La montée d’un désir d’épuration radicale de tout
élément étranger, en vue d’un mythique retour aux sources, d’un nouveau départ « à
zéro », partant de décimations menant à des holocaustes, lui semble imminemment et éminemment appelée à enfler, à déferler.
Je ne paraphrase pas Cantona, j’estime
prolonger ses pressentiments. Ses propos sont plus mesurés, et il doute de lui-même,
de sa pertinence. Ce n’est pas tout à fait nouveau de sa part, lui qui nous avait
habitués à des exagérations langagières qu’il ne renie sans doute pas. « Parfois
je pense ce que je dis », confie-t-il, plus librement « que la
majorité des gens ».
Il se veut porte-parole du
mouvement Common Goal qui, en date,
à ma connaissance ne compte que la footballeuse Méline Gérard pour représentante
de l’univers sportif français, et s’en dit proche. C’est un mouvement caritatif
visant à soutenir les objectifs des Nations unies en matière de réduction de la
pauvreté, de parité, d’éducation, de production et consommation responsables,
&c.
Que les majorités démocratiques
soient « d’une certaine façon » dictatoriales de par leurs
ambitions « d’imposer leur vision » n’est pas un concept
inouï. Il fut illustré, de manière sous-jacente, par celui de dictature
sociologique (Maurice Duverger, De la dictature, Julliard, 1961). Tocqueville
estimait déjà que le despotisme était « à redouter dans les âges
démocratiques ». Mettons que Cantona l’exprime un peu plus brut de décoffrage
que d’autres…
Recevant Lowe en famille, Cantona
venait de recevoir Homage to Catalonia, d’Orwell, et ne l’avait pas encore
lu… La suite fut Looking Back on the Spanish War (publié en 1942), une
forte auto-critique. Ce qui vaut incitation à peser ses propos.
Mais il serait dommage que Cantona
édulcore trop les siens. Pour idéaliste qu’il soit, son appel en faveur des
immigrés est rafraîchissant, et bienvenu en cette période où se font davantage
entendre des voix les stigmatisant car tous dépeints destructeurs à visées
hégémoniques. Plutôt la casquette du père Cantona que celle du père Bugeaud…
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