vendredi 1 février 2019

Tachdjian l’anartiste se livre en livre


Jean-Jacques Tachdjian répond à huit sommités des arts plastiques et connexes

Je vous remercie de me l’avoir posée est accompagné de l’un des plus longs sous-titres de l’édition française des origines (bon, là, difficile de surpasser les sous-titres incluant dédicace au mécène, et la mention « suivi de… », genre « l’illustrissime histoire du chevalier et de dame… ») à nos jours. Kézako ce dernier chiot ?

Franchement, si je connais assez bien Jean-Jacques Tachdjian, précieux collaborateur de la –défunte – presse graphique numérique, illustre illustrateur, avec lequel je m’entretins x fois en vue d’articles illustrés de ses visuels typographiques et autres, en revanche, je ne connais presque rien aux arts plastiques en général. Donc, prendre le titre pour ce qu’il est, un présupposé. Or, le sous-titre de Je vous remercie de me l’avoir posée est « Questions à Jean-Jacques Tachdjian par Vanina Pinter, Carole Carcilo Merobian (sic), Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Florence Laly, Christine Tarakanov, Dominique Lefèvre, Catherine Cullen », ouf ! Jean-Pierre Duplan… Le nom me dit confusément quelque chose… Ah si, le photographe de Les Nouvelles légendes improbables du Nord et du Pas-de-Calais abondamment illustrées… Livre que j’avais abondamment chroniqué car exceptionnel d’originalité. Il semble ne pas être épuisé partout, et de rares niais connaissant mal leur métier (ou restés tellement impécunieux après avoir tout fourgué chez Ma Tante – le Mont-de-piété) le cèdent à un prix dérisoire. Tachdjian fut de l’épopée de ces Nouvelles légendes… Tachdjian… Me rappelle feu André Villers, dont la mémoire est perpétuée par le Musée de la photographie de Mougins portant son nom, qui me disait : « après ma mort, tout se vendra » (ses photos de Picasso, Prévert, Ferré, mais aussi ses créations et expérimentations photographiques). Il en sera sans doute de même des surabondantes œuvres (ou plutôt « du chemin ») de Tachdjian, lui qui se refuse à vraiment les vendre (ou tout juste à prix coûtant) ; je devrais y revenir plus loin, mais comme je ne le ferai pas, en vérité, en vérité, je vous le dis, cherchez et vous trouverez (via Google, la requête « Jean-Jacques Tachdjian » remonte près de 6 000 résultats).
            Que Duplan soit une sommité est à peine exagéré, il est certainement en passe de le devenir incessamment sous peu (redondance délectable, non ?). Vanina Pinter ? Universitaire, artiste. Carole Carcilo Merobian : non-énigmatique & non-anagrammé pseudo de Carcillo Mesrobian, Carole, auteure de poèmes et ouvrages, pas encore l’Octave Mirbeau de Pissarro, ni le Roger Vailland de Soulages, mais… cela se pressent. Céline Delavaux est entre autres co(n)fondatrice – sans la moindre haine de ma part, ce fut juste un lapsus de saisie, cette n que je balise – du Collectif de réflexion autour de l’art brut (CrAB) et docteure ès-lettres, ornées ou non. Attention, Tachdjian n’est pas un artiste brut, mais un singulier artiste… Les artistes singuliers se situent parfois sur les pourtours de l’art brut, mais il y a de l’atour dans ce pourtour, donc ce n’est pas brut, ne pas confondre (avec [n] cette fois). Florence Laly est experte en plein de choses et sauf confusion dû à une homonymie, auteure d’Art & Social Work in Europe (Invenit éd., maison exigeante). Christine Tarakanov : historienne ; comme elle a dû s’intéresser aux graffiti des détenus de la Bastille et autres geôles pré et post juillet 1789, je la bombarde sommité ès-pixels d’avant et de pendant (format Tiff & Raw réunis). Dominique Lefèvre, universitaire, n’est pas à l’intérieur du livre au même rang qu’en sa couverture, mais last but not least. Catherine Cullen demeure, pour résumer le non-résumable, consultante culturelle et consule honoraire de tas de trucs. Quant à Nicole Esterolle, c’est une ultra-talentueuse postfacière (le préfacier n’est autre que Renaud Faroux, historien d’art), dont, verbeux que je reste, surnommé un temps l’Achille Talon du journalisme, j’envie sournoisement – faute, là, de pouvoir dédaigner – la concision : longtemps elle continuera de se lever à point d’heure pour célébrer « le délire scriptural des typo-graphzeux ». Tout semble dit…
Erreur. Tachdjian ne se cantonne pas à cela, est beaucoup plus divers, prolixe, foisonnant, et surtout, surtout, tout comme la plage sous le pavé, il personnifie la rigueur sous le foutraque. On pourrait dire de « Jiji » Tachdjian que c’est un Crumb qui ferait avec tout plein, tout plein de couleurs et surmultiplierait les cases (sauf que ses cases sont des affiches la plupart du temps, et que s’il use – rarement – d’un phylactère, il donne dans le monumental).
            La métaphore Crumb est quasi-total inepte, mais d’une part j’ai la flemme, et de l’autre j’ai toujours résolument affronté la facilité, et puis je me situe dans le courant post-néo-journalisme, soit celui du paléo-vaurien. Ne sachant trop où et comment situer Jiji, comme d’ailleurs toutes celles et ceux dont les patronymes précèdent supra, je ne vais quand même pas tenter de faire semblant (c’est déontologiquement irréprochable que d’avouer cette incapacité, aveu commode permettant de tirer à la ligne et de ménager une transition en . . .  ; là, je laisse une trace des lettres blanches sur fond blanc de la transition).
            En conclusion, Tachdjian évoque sa « vision de de la création comme moteur de l’espèce gratuit et partagé ». Ce gratuit-partagé que les zoologues voient parfois muter du coq à l’âne et inversement, est à Jiji ce que fut à Fredo (V., Alfred de) la condition militaire. Autant dire qu’il reste grandement asservi à la mouise. Artiste de renommée internationale, Tachdjian, héros d’après les mannes de Cervantès, Wagner vivant du « graphisme » (vocable parfois peu consensuel mais pris ici en son acception passe-partout-couteau-suisse, Jiji étant au Victorinox ce que Vercingetorix est devenu à l’identité française, et puis, zut, voir ci-dessus, j’affectionne m’étendre, mais non point flaubertiser), &c., Jiji, dis-je (comme Truman Capote, je goûte les allitérations, mais les rate) ; oh, et puis, je ne vais pas me creuser pour trouver une suite à cette phrase.
           
Là, c’est une transition encore plus masquée qu’un concombre. Pour introduire qu’il y a comme un truc qui a échappé aux questionneuses et questionneur : l’évolution récente de l’œuvre, de la sente, du sillon. Ce n’est pas qu’ils aient fait le boulot salement, tel·le·s le voleur de Darien, c’est que Tachdjian évolue très vite, Painter (Corel) et autres au plancher. Elles et ils ne pouvaient prévoir que le Jarry-Satie-Saki-Kirby de l’arte non-povere lussureggiantissimo, que le maestro allait, en sa soixante-deuxième année, faire passer un Lalique pour un créateur minimaliste, adepte de l’épure. Il s’est lancé dans le liquéfié translucide (ou quelque chose d’approchant) depuis – approximativement – le dernier en date des Roubaix Comics Festival ; je veux dire peu avant qu’il s’inaugure, le 16 février prochain (festival dont il mit une affiche en ligne le 24 janvier dernier).
Le virage au simili-vitrage – ou pseudo-vitrail – s’est produit circa fin décembre 2018. Fin de la prédominance de l’à-plat simulant parcimonieusement parfois l’embossage. Mettons que L’Œil vulvaire hugolien (posté sur la page FB le 23 décembre 2018) manifestât (c’est conjugué au subjectif imparfait, donc idoine) l’unique annonciateur d’entre les prémices de cet accouchement virginal (virginal, dans le culte marial, vaut synonyme de blanc, tendant ici au translucide ; prémices revêt plusieurs sens du côté de chez Juliette et Justine, les toujours ça de prises).
            J’ai cru comprendre que l’impécunieux Jiji pourrait symboliser bientôt l’écharpe-étendard rouge & noir trouvant refuge sous l’abri d’un rond-point des « Gilets jaunes » (s’ils subsistent et acceptent qu’un fort largement plus démuni qu’eux puisse frayer en leur compagnie ; chez eux aussi, comme chez les protagonistes des études de Michel et Monique Pinçon, on se mélange finalement assez peu). L’anartiste chez les micro-bourgeois (forts désireux, pour la plupart, de se muer en mini-bourgeois, puis de prendre du galon), en quelque sorte. Car nonobstant prestigieux, Tachdjian reste au nième sous-sol, au fond du puits à pépètes de l’ascenseur social. Un choix assumé, revendiqué, de « faiseur » d’images aux antipodes d’autres, même géniaux (Yves Klein, pour n’en mentionner qu’un à mes yeux, parmi de multiples autres confectionneurs de prêt-à-admirer artistique qui n’en étaient pas moins des créateurs féconds). Tout ce Je vous remercie de me l’avoir posée en témoigne.
            Ce livre d’entretiens fut sorti par la maison La Chienne Édith (lachienne.com). C’est le treizième volume de la collection Nonosse (178 pages format absinthe, 148×210, imprimé en noir proche du Pantone 19-0303 TCX pour les surlignages). Au panier, cou-couché, c’est 12 euros (19 pour livraison rapide en France), et la commande en ligne fait du livre une pochette-surprise avec plein de cadeaux-bonus dedans et une enveloppe personnalisée autour. En vente aussi dans les bonnes librairies d’art. « Achetez sain, achetez chienne » et rengagez-vous pour voir des pays insolites (à signaler aussi le Journal d’un curateur de campagne, du commissaire Numa Hambursin, tant d’autres).
            Ah oui, je n’ai point trop causé du bouquin. Suffit peut-être d’évoquer la question de Christine Tarakanov citant le fluxien Robert Filliou (« l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ») et la réponse de Tachdjian : « l’art n’est rien qu’un minuscule épiphénomène de la création, et elle seule est réellement digne d’intérêt ». Entendez par « Art » (ici, capitale initiale) « mode de marchandisation » et affirmation d’un « pouvoir culturel ». Et par « art » l’avatar parmi d’autres d’une genèse sans fin (et trop souvent aussi sans moyens financiers). L’insufflé, l’influx, c’est l’art, pas le boursouflé d’une prétendue critique brosse à reluire et catapulte à « booster » les cotes. Cela étant, Tachdjian s’exprime surtout très simplement et cause d’émois (et non d’et moi, et moi, et moi…). C’est souvent dit aussi potache que potlatch. Et le « dit » (énoncé, parfois poétique cela dit) des inter-voyeuses (de Duplan aussi, incisif, jamais plan-plan) n’a rien d’amphigourié (y compris celui des universitaires).
            Vous avez sans doute saisi que Tachdjian ne sera pas de sitôt au programme des conférences et visites des Dits de l’art (lesditsdel’art.fr), quoique… Allez prévoir. Prévoyez-vous plutôt la visite des sites (en ligne, entrées gratuites) de Jiji. Chopez-les au vol (les versions antérieures, hélas éphémères, dont ceux des périodes pré El Rotringo, s’il en fut, et pré Typoclaste sont devenues in-dénichables, et mêmes les pages canines changent tout le temps), faites le détour par la page FB de l’Internationale Permaculturelle et @icilachienne et surveillez celle d’Ulule (fr.ulule.com proposera le prochain ouvrage en souscription et attendez-vous à le savoir). Ce « dit » d’un érudit du regard se lit mode limpide. Foin ici de relativité ontologique, de dessin épistémique, de fonctionnalisme déjanté, d’autoréflexivité critique, de virage en épingle linguistique, de charabia surréalistic, nulle prétention à chausser les bottes de Chaussard, de vanité plagiatiste. C’est l’Avanti popolo du déverrouillage de la perception des arts, et en particulier de la « culture visuelle ».
            Un mot quand même sur l’objet lui-même. Pas tout à fait comparable à ceux que mentionne la Typoésie de Jérôme Peignot (Imprimerie nationale éds), mais à créateur singulier, livre singulier (et mise en page du répondeur himself à « géographie » variable), avec des visuels pleines pages ou marginaux, un titre de préface plein fausse page. Qu’oubliais-je ?.. Ah, si, l’omis, le colophon listant les polices employées. Dommage. Un colophon très Arts and Crafts eût été bienvenu (d’autant que Tachdjian, comme les « linograveurs » et les tenants du mouvement, ambitionne de partager le plus librement la création et la culture visuelle). C’est un peu la baie molle qui aurait pu accompagner les cerises de ce gâteau. C’est surtout, ici, l’emploi d’un vieux truc groß Fißel : pour ne pas faire trop laudateur, on case un schmoll, un fion, un ch’ti bidule, histoire de feindre avoir écrit distancié. Subtil raffinement de « papier » (pub Mi·Cho·Ko, de la Pie qui chante, années 1960). Et kolossal toron pour suggérer aux créateurs de friandises bio-durables-équitables et tout et tout que Tachdjian est ouvert au troc (quoique… il préférerait son poids en bières). Bon, côté pub, Jiji fait plutôt dans le parodique (Eau de Sent Bon sainte Cyprine, par exemple, et autres pour produits monacaux de Monte-Carlo et d’ailleurs). Et dans le détournement des slogans à la Gotainer. Car c’est un sérieux facétieux. Ce qui se ressent à la lecture de Je vous remercie… Même si, même si, c’est parfois du lourd. J’en veux pour preuve cette réponse : « Toutes les tentatives de “démocratisation de l’art” ont été vouées à l’échec car c’est la notion même d’art qui est à revoir, à remettre en place : à réparer ! ».
            La sphère spéculative spectaculaire-marchande récupérera Tachdjian. Tant pis, tant mieux. Il inspirera d’autres, qui à leur tour… Mais, de son vivant, il reste irremplaçable. Faites-vous vivre, faites-le vivre ! Vibrez, quoi…

lundi 28 janvier 2019

« Gilets jaunes », médias, Roger Vailland et Claude Roy…

Dialogue citoyens/journalistes : c’était mieux avant ?
Voici peu, je recevais un courriel des Assises internationales du journalisme intitulé « Appel : journalistes et citoyens, et si on se parlait ? ». Les « Gilets jaunes » en sont sans doute la plus récente raison. Mais à la lumière de la presse de naguère, je me demande si cette supposée absence de dialogue n’est pas – partiellement – due à l’évolution (salutaire par ailleurs) des médias…

Allez, soyons déontologiques : j’avoue que je prends prétexte de cet appel pour vous entretenir principalement de ma redécouverte fortuite d’une tribune de Claude Roy prenant fait et cause pour Roger Vailland dans La Défense (organe du Secours populaire, année 1952). Ce qui dispensait Claude Roy d’un droit de réplique adressé à L’Aurore. Vieilles lunes ? Finalement, pas tant que cela…
        Mais je relaie d’abord cet appel de l’association Journalisme & Citoyenneté en toute confraternité. En bref, il invite à s’exprimer sur la page Facebook « Journalistes et citoyens, et si l’on se parlait ? », et convie à dialoguer de vive voix, à Tours, les 13, 14, et 15 mars 2019 lors d’Assises « largement consacrées aux questions posées par la crise des “gilets jaunes” » (pardon, la juste irruption dans l’espace public des damnés de la Terre ; crise ? non, les « Gilets jaunes » ne sont pas plus des fauteurs de crise que les maîtres & compagnons de la corporation métiers de bouche ne peuvent être assimilés au « Boucher de Lyon », i.e. Klaus Barbie : se rapporter à la presse de mai-juillet 1987 ; au passage, excusez cet écart d’avec l’orthographe inclusive). Le texte se trouvant en ligne sur le site journalisme.com, vous pouvez le consulter pour en savoir davantage, soit prendre connaissance de l’argumentation de Jérôme Bouvier, président de l’association.
        Cela étant, avant de vous enjoindre à survoler le document PDF intitulé « Roger Vailland, espion soviétique en Égypte ?», quelques considérations générales. Qui lit ou relit la Monographie de la presse parisienne de Balzac se rend compte à quel point les médias d’à présent diffèrent de ceux d’antan, et même de ceux de naguère.
        Le dialogue entre journalistes et lecteurs n’est pas une nouveauté, et il s’est même, pourrait-on penser, amplifié : les sites de nombreux médias sont ouverts aux commentaires, les journalistes se font interpeller via leurs blogues, pages Facebook, « fils » Twitter. Les chaînes, les stations de radio, composent des « panels » d’intervenants divers, d’opinions contrastées, et tous ne sont pas des experts. Qui a fait émerger, puis popularisé, Ingrid Levavasseur, tête de liste des « Gilets jaunes » (plus largement du « Ralliement d’initiative citoyenne ») aux prochaines élections européennes ? Principalement elle-même, mais aussi BFMTV et d’autres médias…
        Mais en consultant le texte de Claude Roy (Claude Orland, dit…) croisant le fer avec Robert Bony (Robert Lazurick de son patronyme), on mesure à quel point les journalistes s’invectivaient. Pour le patron de L’Aurore, Roger Vailland, auteur de Choses vues en Égypte, cachait sous son feutre de journaliste un calot d’agent du Kominform (de l’Union soviétique et du PCF). Claude Roy démentait ; « véhémentement », estimerait-on aujourd’hui, et invectivait : « Il n’arrivera jamais Robert Bony d’avoir du talent, comme il ne lui est jamais arrivé d’être honnête. ». Imaginez de telles passes d’armes publiques entre journalistes, ou même éditorialistes ? Les lecteurs d’un bord ou d’un autre ne mettaient pas alors tous les membres de la profession dans le même sac, et parfois jubilaient sans éprouver le besoin de se manifester, voire de vouer le plumitif du camp adverse aux pires gémonies. Il est vrai que réclamer le couperet ou le peloton d’exécution par voie de presse, comme au temps de l’Occupation puis de l’épuration, semblerait déplacé, outrancier, et exposerait à des poursuites. Il n’est plus à présent qu’en Suisse que le duel reste légal. Le dernier duel notoire opposant un journaliste (Victor Noir) à un adversaire (Pierre-Napoléon Bonaparte) remonte à 1848. Ce dernier s’était vertement exprimé dans L’Avenir de la Corse, La Marseille fit monter le ton d’un cran. La balle touchant Victor Noir fut mortelle…
        Dans ces conditions, la voix « du peuple » était incarnée par les confrères, ce qui dispensait les lecteurs, non d’en venir aux mains à l’occasion, mais de dénoncer une nébuleuse « presse pourrie » présumée monolithique (« les médias »). Chacun avait ses porte-voix, soit aussi des journalistes aux opinions tranchées, au verbe-mégaphone.
        Trop policés, les médias actuels ? Peut-être, mais faut-il vraiment s’en plaindre autant ? Les poursuites pour diffusion de fausse nouvelle se font rares, ce en raison de la qualification du chef de poursuite (l’une des deux considérations impératives est que la nouvelle fausse eût suscité des troubles de l’ordre public), mais surtout parce que les manquements à la déontologie sont peu fréquents et la plupart du temps véniels.
        Le fameux « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » de Maurice Clavel (du Nouvel Observateur — émission « À armes égales »), remonte à… presque bientôt quarante ans (décembre 1971). Depuis, rien n’a vraiment marqué durablement les mémoires (sauf peut-être celles des intéressés directs).
        Lors de ces assises, il sera demandé ce que les citoyens attendent des médias. Du mieux, sans doute. Mais qu’attendent-ils – « les gens », terminologie Mélenchon – qu’ils n’aient jamais pu obtenir ? L’opinion serait à ce point muselée, jamais relayée, répercutée ? Ce qui pose question, c’est la grégarité des médias, sans doute aussi les modalités d’accession à la profession (le passage par l’université puis une école de journalisme s’est beaucoup plus généralisé), et un renforcement de la cohésion des usages conformes à ce qui fait consensus entre les professionnels. Aussi sans doute, la raréfaction (faute de temps, moyens, etc.) des grands reportages à la Kessel, Vailland, MacOrlan… Mais qui les lirait encore jusqu’au bout parmi ceux qui conspuent « les médias » ? Quant aux documentaires, leur faible audience découle certes de leur diffusion tardive mais il est fort peu sûr qu’ils réuniraient de meilleures audiences en début de soirée (au cinéma, ils font rarement salle comble).
Et puis, les médias, ce sont aussi YouTube ou DailyMotion. Où certains, au mépris des évidences, confortent le sentiment qu’eux seuls parlent vrai, sont crédibles : la chose est donc entendue d’avance et leurs publics se dispensent de vérifier leurs dires.
N’empêche, une pugnacité plus marquée de la part des consœurs et des confrères – qui trop souvent laissent aux seuls animateurs le loisir de faire appel à des ressorts émotionnels, parfois trop abusivement ; ou à leurs seuls interlocuteurs, sans les recadrer fortement – serait peut-être bienvenue. Au risque d’en faire trop de crainte de n’en faire pas assez en sacrifiant aux diktats de l’audimat. Soit de faire du Robert Bony, pourrait-on penser en lisant la mise au point de Claude Roy (c’est là…). C’était au temps où un journaliste traitait certains de ses « confrères » (entre guillemets de distanciation) de gangsters. Cette période est révolue, et faut-il vraiment le déplorer ?