dimanche 19 avril 2020

Correction : du « hiatus » temporel et positionnel

Pierre Lemaitre écrit-il assis par terre ?

Dans quelle position ou situation Pierre Lemaitre (sans flexe sur le i) a-t-il rédigé le chapitre 42 de ses Couleurs de l’incendie (Albin Michel éd.) ? Assis par terre ou depuis une mezzanine ? Toujours est-il qu’il m’offre l’occasion de vous entretenir de correction.
Il ne saurait durablement m’en vouloir. Relever dans son roman, Couleurs de l’incendie, une incohérence qu’une scripte saurait rectifier s’il était porté à l’écran ne me vaudra pas sa vindicte.
Point de « Ah, ah, ah », s’écria-t-il en espagnol (en réalité, « Ah ! ah ! cria-t-il en en portugais », Dumas père ou son prête-plume), ou d’autre perle littéraire dans la prose « colorée » de Pierre Lemaitre.
Beaucoup d’auteures et écrivains considèrent, à tort, que la correction se limite à se montrer pointilleux quant à l’orthographe, la syntaxe, et l’orthotypographie. Soit, pour ce dernier vocable, en son acception première, le respect des règles régissant l’emploi de la ponctuation et d’autres signes de composition, ou l’emploi des graisses (romain, italique), des petites capitales, des espaces, &c. L’autre emploi correspond à l’étude des marches et codes typographiques, ou à  collaborer pour les élaborer.
En fait, la correction va très largement au-delà. Il s’agit par exemple, pour tel ou tel personnage d’un roman, à veiller à la cohérence du niveau de langue. Ainsi, en titre, j’emploie «  hiatus » au sens figuré de décalage, voire, plus largement d’impair, maladresse. Je placerais peut-être ce hiatus dans la bouche d’une professeure de lycée, mais non dans celle d’un instituteur s’adressant à ses élèves.
Les décalages à déceler les plus fréquents sont les temporels. Par exemple, situer un événement antérieur ou ultérieur sous le règne de tel ou tel souverain accédant plus tôt ou tard au trône. Employez, selon le cas, parachronisme ou prochronisme
Le géographique se rapporte à la confusion des lieux. C’est parfois subtil lorsque, par exemple,  voici peu, Donald Trump attribue à Séoul la population de l’agglomération de Tokyo. Ce tout en se targuant de connaître la Corée mieux que quiconque (relevé dans un précédent billet de ce blogue-notes). Ne pas employer : analocalisme.
Et le positionnel ? Difficile à définir. Confusion spatiale ? Risqué... S’applique-t-il à ce qui m’a sauté aux yeux en lisant le chap. 42 des Couleurs de l’incendie ?
Deux protagonistes, Madeleine et André, unité de lieu, la brasserie Lipp.
Bas de page 502 (éd. LdP) :
— Pardon, cher André, cela ne vous gêne pas de m’abandonner la chaise, les banquettes ne me réussissent guère.
Haut de pagre 507 (id.) :
« (…) utilisant un argument que lui-même [André] aurait pu employer. Il recula insensiblement sa chaise. ».
Il me sera rétorqué qu’André, de la pointe d’une chaussure, aurait pu écarter légèrement la chaise de Madeleine. Vade retro, satanée Madeleine. La correction consiste aussi à l’envisager, à soupeser la plausibilité d’une telle éventualité.
Cela va en tout cas au-delà de s’interroger s’il fallait, p. 419, italiser ou non un Bitte ! Bitte !, de vérifier l’usage allemand des guilles et des espaces avant les points d’exclamation.
L’action se situe dans les années 1930. Que nous indique le Code typographique (douxième éd., printemps 1977) ?
« La tendance moderne de la typographie allemande est d’employer deux (…) virgules retournées pour le guillemet fermant ». Passent encore les guilles françaises («  Bitte ! »), mais après le Mein Herz schwimmtt im Bult et un a capella suivi de Meine Freiheit, meine Seele. Cela suscite réflexion…
En revanche, est-il admissible que les nombreuses translittérations du polonais (Vladi la Polonaise ne s’exprime qu’en cette langue) restent ou non en romain ? Je vais de ce pas (en fait, de ces mêmes doigts) consulter des expert·e·s. Les mêmes qui ont débattu des heures à propos de l’emploi du ou de la covid (le virus, la maladie provoquée par le dit virus). La correction est une activité confinant à la macération (quasiment aux deux sens puisqu’il s’agit d’extraire, filtrer avant la mise en encre d’imprimerie ou de reprographie).
Pierre Lemaitre est par ailleurs un écrivain vétilleux quant à la vraisemblance, sachant subrepticement risquer, licence romanesque, «  une entorse à la vérité historique », la plus souvent indécelable ou fort mineure (en tout cas, elle[s] m’a, ou m’ont échappé). Son livre s’achève par une abondante « reconnaissance de dette ». Ce qui laisse présager que de très nombreuses pages furent soigneusement relues.
Ce qui vaut par exemple que nervosisme soit employé à la place de sa variante alors admise, névrosisme qui évoquerait trop la moderne névrose (fort peu usitée à l'époque).
Ce genre de bévue vénielle (cette malencontreuse chaise «  musicale ») peut échapper aux plus scrupuleux, de celles ou ceux du genre à vérifier si, vers 1930, la brasserie Lipp comportait bien des banquettes similaires à celles d’à présent. Et présentement comme hier ou naguère, voire antan, je considère que c’est davantage essentiel, ou primordial, que de traquer le trait d’union incongru.
L’un n’empêchant évidemment pas l’autre

1 commentaire:

  1. À propos des guilles allemands et des espaces, il faut se rappeler ce que disait Jean-Pierre Lacroux pour l'anglais (mais ça vaut pour toutes les langues étrangères) :

    Dans un texte composé en français, tous les « anglicismes typographiques » sont des fautes typographiques graves.
    Attention ! Au sein de textes ou d’ouvrages écrits et composés en français, certaines coutumes typographiques anglo-saxonnes — espaces, guillemets — ne doivent pas être observées dans les citations anglaises…
    — Original : As one architect remarked, “Why bother so about the spacing of the sheet? The final building is the thing which counts; these drawings are but temporary things—a means to the end.” In a sense it is true.
    — Adaptation : Comme le faisait finement observer un architecte : « Why bother so about the spacing of the sheet ? The final building is the thing which counts ; these drawings are but temporary things — a means to the end. » Ce n’est pas faux.

    Il est donc tout à fait normal, et même recommandé, d'utiliser des guilles français dans ce cas...

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