Roger Vailland et l'Islam de France... en 1930
On ne peut pas dire que le jeune journaliste Vailland se
soit fort intéressé à l’immigration maghrébine… Il faudra attendre son voyage en Égypte puis sa
collaboration avec le photographe Marc Garanger (son album, Femmes
algériennes 1960, attendra les années 2000 pour paraître aux éds
Atlantica), en 1962, pour qu’il marque un très net intérêt.
Certes, lors de sa période militante communiste, soit bien
après les années 1930, il se peut — c’est fort probable, je n’ai pas recherché soigneusement (pour l'instant) —,
qu’il ait évoqué la décolonisation de l’Afrique du Nord, le traitement des « rebelles »
maghrébins.
Ce n’est pas que l’immigration ne devint pas un sujet pour
lui. En témoigne Beau Masque (pseudonyme de son personnage principal,
Belmaschio), roman de 1954, porté à l’écran par Bernard Paul en 1972. Et on retrouverait
certainement, en se souvenant bien, des personnages secondaires d’immigrés, ça
et là dans son œuvre. Voire principaux, dans ses articles : mais il en publia
près de 3 000 jusqu’à l’ultime (« Éloge de la politique »), et
retrouver des desoccupati (désoccupés, en italien, soit chômeurs et
autres, vocable employé dans La Loi) maghrébins, ou africains, dans ses
écrits, tiendrait de la gageure… L’immigration, il l’évoqua certes à propos de
La Réunion, mais en termes généraux. En revanche, dans ses Chroniques (rassemblées
aux éds Éditeurs français réunis, en 1983), on trouvera des références aux
conditions de logement des ouvriers immigrés des usines Renault. Ce n’est pas
qu’il se soit désintéressé des immigrés en général, mais, il reste surtout marqué par l’immigration
européenne (de nombreux immigrés polonais et italiens participèrent à la
reconstruction de Reims et dans Un jeune homme seul, il évoquera notamment
un ouvrier Polonais ; il s’intéressa aussi aux mineurs de fond en comptant
de nombreux, &c.). En fait, ce n’est que plus tard (1952), en Égypte, qu’il
s’intéresse au prolétariat musulman (ou copte), démontrant une réelle empathie.
Mais bref, aux débuts et au cours des années 1930, sauf
erreur de ma part due à une insuffisance de recherches, le jeune Vailland voit
la question de l’immigration maghrébine de manière fort détachée. Je n’ai
retrouvé que deux courts articles qui ne semblent pas l’avoir incité à se
lancer dans un reportage quelque peu plus approfondi (qu’il aurait pu suggérer,
mener de sa propre initiative, en marge des sujets assignés). Il s’agit d’ailleurs
davantage de billets que d’articles développés. Qui s’insèrent dans une suite d’autres
billets, de courtes chroniques, sur des sujets à mille lieues des questions
sociales (échos mondains, de la vie artistique, des lieux fréquentés par les
noceuses et noceurs, &c.).
Pour négligeables (et fortement superficiels) qu’ils
puissent paraître, ces deux articles m’ont semblé valoir d’être réunis, ne
serait-ce que dans l’espoir qu’une recherche universitaire portant sur la
figure de l’immigré maghrébin dans la presse française des années 1930 puisse
les replacer dans leur contexte. Vaste entreprise que je ne saurais (ni pourrai)
mener à bien. Une porte sur « La construction de l’islam en France :
du côté de la presse » (Constant Hamès) à partir des années 1980. Ne
serait-ce aussi que pour remémorer l’appellation sidi (dans Beau
Masque, compagne de Belmaschio, Pierrette lancera : « Vous êtes
les macas et les bicots… »). Ce sidi ne semblait pas avoir la portée
péjorative (voire haineuse) de celles qui suivront dans les années 1950-1960,
en dépit du fait que dans les années 1930, les « dissidents »
maghrébins faisaient déjà fréquemment parler d’eux. Sur eux, Vailland porte
déjà « un regard froid », distancié : il a aussi d’autres préoccupations,
drogues et pistes dans les bars (en vogue ou plus intimistes, comme celui de l’Américain
Shoecraft, faubourg Saint-Germain, précurseur du Nuage de la rue Palissy en
1970).
Et puis, on ne lui demande pas d’analyser l’étude de Louis
Massignon (« Répartition des Kabyles dans la région parisienne », Revue
des Études islamiques, n° 1-1930) ou l’enquête de d’Adolphe Gérolami, directeur
de l’Office des affaires indigènes nord-africaines, qui vient de paraître.
Massignon fait allusion au « scandale du sous-sol Vinel aux Grésillons »
(à Gennevilliers). Mais aussi à « l’européanisation du costume
(casquette) ». Vailland ignore ce scandale, mais s’intéresse aux casquettes…
Il insiste sur les Chleuhs (Berbères marocains) car, semble-t-il, son
informateur en est spécialiste (certaines usines remplaceront les Kabyles par
des Chleuhs, d’immigration plus récente, sans doute plus « malléable »).
Cet informateur, le lieutenant-colonel Justinard, avait élaboré, en 1928, deux
cartes sur « Les Chleuhs de la banlieue de Paris » (R.E.I.,
op. cit., 4-1928). Il semble que Vailland ait survolé cette étude dans
la réédition des éditions Geuthner de 1930 et soit resté sur la mention « de
cette région à peine soumise du Sud-Ouest marocain » et l’ait considérée
encore d’actualité. À moins qu’il ne se soit inspiré que des articles de ses
confrères en ayant rendu compte (ainsi celui de Robert Garric, « Esprit colonial »,
paru dans La Nouvelle Revue des Jeunes, en juillet 1930).
Certes, dans le courant des années 1920, des Chleuhs
procédaient encore à des enlèvements de touristes, demandant des rançons (ou ravissant
des femmes « indigènes » à leurs parents ou époux). Mais si Abd el-Krim,
chef de la révolte du Rif, au nord, avait tenté de faire alliance avec les
Chleuhs, ces derniers avaient décliné la proposition (« La montagne n’eut
pas confiance dans le Rifain et demeura paisible », Henriette Célarié, Le
Temps, 26 oct. 1927). Mais Vailland « tympanise » (comme on disait
encore… pour « enfler ») la « menace » latente des Chleuhs aux
portes de Paris tels des « loups » de la chanson de Reggiani en 1967.
Ces Chleuhs banlieusards ou des quartiers est de Paris n’étaient nullement des
membres de tribus encore « dissidentes ». Mais il reste que, oui, en
1930-1931, les Marocains étaient assez fortement implantés à Gennevilliers, les
Kabyles algériens s’étant précédemment établis à Asnières, Clichy et Levallois,
plus proches de Paris. Cela étant, il ne faut pas lire le Vailland de 1930 au travers du prisme actuel : ce qui peut paraître limite xénophobe à présent ne caractérise pas du tout ses écrits de l'époque (ou de celle du Grand Jeu).
Voici donc ces deux articles aux titres quelque peu exagérés :
« Les
dissidents marocains sont installés aux portes de Paris » et « En
visitant les Chleuhs marocains… aux portes mêmes de Paris ».
P.-S. – la photo illustrant cette contribution est largement postérieure aux articles de Vailland... D'ailleurs, pas de casquette sur la tête des résidents.
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