mercredi 17 avril 2019

Quand Roger Vailland se mettait en selle...

En vélocipède, avec Roger Vailland


Le tout premier poème publié de Roger Vailland (En vélo) est souvent mentionné, parfois transcrit en divers ouvrages traitant de lui, du Grand Jeu… Rarement reproduit en accès libre (ou j’ai mal cherché). À l’intention d’Annette Gardet et de ses élèves rémois, en particulier, non exclusivement, le voici…

Mais en préambule, petite explication de texte… Vent… Ronflantes et lourdes cadences… Exhalaison du cycliste haletant...
Fort peu, avant moi, sauf omission involontaire (car je n’ai pu lire les annotations de René Durart), ont su saisir la portée de ces vers (mi-fug[u]e, mi-sel). Qu’enserre donc le flatulent – et nonobstant véloce – jeune poète de 16 ans ? Je vous laisse répondre, et vous en félicite. Ce camion qui dépasse, vrombissant « en lâchant ses vesses de sépia » (Réjean Ducharme, L’Hiver de force). Hum (hume) ? Comme celui de l’escalier (de Supervielle, « nous y fûmes ensemble », et pas que des beedies), comment cela vient-il si tard à l’esprit ? L’odeur de sainteté du saint Bubu des Phrères de la congrégation saintplicienne m’inspira sans aucun doute. 
Soudain, un fumet blanc surmonta le Saint Empire (le Vatican de Vailland, ex-L’Impérialisme Vatican contre la paix double entendre (ang.), d’évidence — moins saint qu’en pire). 
Je vous laisse méditer les correspondances… Sur L’Antipape (autre titre déchu du Saint-Empire…) et son auteur, Jacqueline Marchand (Raison présente, nº 50, 1979) concluait que le « talent de pamphlétaire fait de ce petit livre dépassé, délirant, déphasé, une lecture à la fois savoureuse et hallucinante. ». Surtout entre les lignes, comme entre les strophes, dont j’ai omis les interlignes, de cette remarquable pudique (« qui vient de je ne sais où… » ; « poitrine, gonfle-toi » et non panse dégonfle-toi) ode à la selle, à l’extase du soulagement. En attente d’épectase, au bout de la route blanche…

EN VÉLO
Sur la route blanche, à l'infini, tout l'horizon va à reculons.
Le pédalier monte et descend, d'un rythme lent et monotone.
Sur le sable, la roue décolle régulièrement, en ronronnant.
Mes cheveux se sauvent derrière moi, vers de gros cailloux qui chatoient.
Sur la route blanche, à l'infini, tout l'horizon va à reculons.
Un vent, qui vient de je ne sais où, s'est jeté dans mes bras tout à coup.
Hardi mes muscles !
Je l'attaque. Il chancelle : poitrine gonfle-toi ! Holà ! hip ! hip ! hourra ! Victoire !
J'enserre tout le vent dans mes bras.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à reculons.
Au loin, naissent de blancs tourbillons aux ronflantes et lourdes cadences.
Rythme effarant des camions qui s'approchent au souffle ahanant de leurs moteurs époumonés.
Ils passent et me laissent empoussiéré.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à reculons.
Et mon vélo poursuit sa route. Il passe, au milieu des villages semés par les plaines, aux carrefours, comme de gros puddings sur les tables.
Deux peupliers et quatre pins, là-bas, semblent de carton peint.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à reculons.
Oh ! la cadence du pédalier, sous le soleil qui pèse lourd, lourd, lourd.
Je tends mes yeux exorbités vers les lointains qui fuient toujours, j'oublie peu à peu qui je suis.
Seigneur !
Vais-je toujours m'enfuir, toujours m'enfuir sur la route blanche où l'horizon va à reculons ?

Cela parût dans la revue Le Pampre, de René Maublanc. En 1923. Maublanc, contrairement à ce qu’il fut écrit, n’est plus, cette année-là, professeur de philosophie à Reims, mais secrétaire-archiviste à Paris. C’est Marcel Déat qui enseigne la matière au jeune Vailland (qui le retrouve à Vichy et collabore à l’hebdomadaire Présent).
Un grain, une brise, que dis-je ? une bourrasque, une tramontane, une mousson, un typhon de cuistrerie au passage… René Druart, académicien rémois et conservateur du musée du Vieux-Reims, avait inséré des lettres dans l’un des quatre volumes rassemblant les 24 exemplaires de la revue. La bibliothèque municipale de Reims fait état d’une lettre « d’un dénommé D. Merklen (…) datée du 1er janvier 1933, suivie d’un texte humoristique sur Le Pampre mettant en scène l’auteur de la lettre et René Druart. ». Merklen ! « Petit Merk » (ou Mark). Aristocratique patronyme rhénan et en particulier alsacien… Faut-il voir dans ce D. Merklen un parent du regretté Lucifugus « Luc » Merklen, qui tenait boucherie humaine à Pleurs ? Artiste plasticien expert en pièges à humains ? Esclavagiste « blancier » de foirail ? Il y avait un Paul Merklen à Reims. Mais ce « D. » ? Un enfant caché du R. P. Léon Merklen, directeur du quotidien La Croix ? Qu’en pense « Monseigneur » Bruno Fuligni, régent du Collège de ‘Pataphysique, illustre Rémois, digne, vénérable et vénéré multi-folliculaire (oxymore facile), qui fut longtemps le Brummel du Café du Palais, que la rumeur crédite d’avoir subtilisé une monture (de lunettes, non d’officier de cavalerie) à Marcel Achard ?
Du coq à l'âne, revenons à nos moutons. D’aucuns (Éric Poindron peut-être, lauréat couronné du Prix Topor 2019 « L’éditeur arrosé par son poème », par exemple) sauraient nous dire si se ressent l’influence de cet autre Rémois, Paul Fort (La Complainte du petit cheval blanc ; Comme hier ; La Ronde autour du monde… et surtout Le vent a fait le tour du monde, « voici le vent pour tout le monde »,). Ce vent d’En Vélo inspira-t-il Claude Roy (Le Vent, « Vente vent têtu de sac et de paille ») ?
Je suis fâché, contrit, mortifié, contraint, restreint, par le moteur de recherches du site Gallica. Je voulais retrouver la revue Le Pampre. Filtres : Pampre, « En vélo », Vailland, xxe siècle… 19 pages de résultats dont le premier est Paris-Midi (d’accord, Vailland… Omer, François…). J’ajoute : Maublanc. Là, plus que deux pages de résultats, dont le trentième et dernier est Radioscopie d’un canton du bocage : Bény-Bocage et alentours… Béni-non-non. Nouvel essai avec : « René Maublanc ». Un seul résultat : La Pensée : revue du rationalisme moderne.
Annette Gardet, professeure agrégée, docteure ès Lettres (études théâtrales), ranima (telle la Ramona des bonbons Cémoi, ou une autre…) et anime des ateliers poésie à Reims. Je m’étais fait fort, pauliste (euh, non, parisien), mais fort peu paulinien, multipolaire à la rigueur, bref, présomptueux, de lui retrouver en accès libre les poèmes de Daumal, Gilbert-Lecomte, et tutti quanti, et alii, et même et aliæ, and so on… Raté. Brûlé…
Il lor dit il a toz boit,
Si grand arson a en son cors,
A poine l’en puet geter fors
(Le Roman de Tristan, « à la triste figure », trogne enluminée de corbières, et la mienne s’allonge, plus grise que grisée).
Faut-il rester sérieux passé(s) soixante-sept ans ? Ne plus cultiver son potache potager ?
La poésie n’est pas mon fort, mais je consens des efforts…
Cependant :
Il faut qu’un galant homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prennent d’écrire.
(Mis. i-2)
Donc… Brisons-là. Sans envoi, sans retour. Et en selle ! Ou à semelle… « À pied, à cheval, en voiture, nous arrêterons là les charres subversives » (ce n’est point du Paul Bourget, mais à la manière d’un Michel Debré, édile et chantre amboisien, un soir d’abus d’ambroisie, de l’an 1961).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire