En vélocipède, avec Roger Vailland
Le tout premier poème publié de Roger Vailland (En vélo) est souvent mentionné, parfois
transcrit en divers ouvrages traitant de lui, du Grand Jeu… Rarement reproduit
en accès libre (ou j’ai mal cherché). À l’intention d’Annette Gardet et de ses
élèves rémois, en particulier, non exclusivement, le voici…
Mais en préambule, petite explication de texte… Vent…
Ronflantes et lourdes cadences… Exhalaison du cycliste haletant...
Fort peu, avant moi, sauf omission involontaire
(car je n’ai pu lire les annotations de René Durart), ont su saisir la portée
de ces vers (mi-fug[u]e, mi-sel). Qu’enserre donc le flatulent – et nonobstant
véloce – jeune poète de 16 ans ? Je vous laisse répondre, et vous en
félicite. Ce camion qui dépasse, vrombissant « en lâchant ses vesses de sépia » (Réjean Ducharme, L’Hiver de force). Hum (hume) ?
Comme celui de l’escalier (de Supervielle, « nous y fûmes ensemble », et pas que des beedies), comment cela vient-il si tard à l’esprit ? L’odeur
de sainteté du saint Bubu des Phrères de la congrégation saintplicienne m’inspira
sans aucun doute.
Soudain, un fumet blanc surmonta le Saint Empire (le Vatican
de Vailland, ex-L’Impérialisme Vatican
contre la paix — double entendre
(ang.), d’évidence — moins saint qu’en pire).
Je vous laisse méditer les
correspondances… Sur L’Antipape (autre
titre déchu du Saint-Empire…) et son
auteur, Jacqueline Marchand (Raison
présente, nº 50, 1979) concluait que le « talent de pamphlétaire fait de ce petit livre dépassé, délirant,
déphasé, une lecture à la fois savoureuse et hallucinante. ». Surtout
entre les lignes, comme entre les strophes, dont j’ai omis les interlignes, de
cette remarquable pudique (« qui
vient de je ne sais où… » ; « poitrine, gonfle-toi » et non panse dégonfle-toi) ode à la
selle, à l’extase du soulagement. En attente d’épectase, au bout de la route
blanche…
EN VÉLO
Sur la route blanche, à l'infini, tout l'horizon va à
reculons.
Le pédalier monte et descend, d'un rythme lent et monotone.
Sur le sable, la roue décolle régulièrement, en ronronnant.
Mes cheveux se sauvent derrière moi, vers de gros cailloux
qui chatoient.
Sur la route blanche, à l'infini, tout l'horizon va à
reculons.
Un vent, qui vient de je ne sais où, s'est jeté dans mes
bras tout à coup.
Hardi mes muscles !
Je l'attaque. Il chancelle : poitrine gonfle-toi ! Holà !
hip ! hip ! hourra ! Victoire !
J'enserre tout le vent dans mes bras.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à
reculons.
Au loin, naissent de blancs tourbillons aux ronflantes et
lourdes cadences.
Rythme effarant des camions qui s'approchent au souffle
ahanant de leurs moteurs époumonés.
Ils passent et me laissent empoussiéré.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à
reculons.
Et mon vélo poursuit sa route. Il passe, au milieu des
villages semés par les plaines, aux carrefours, comme de gros puddings sur les
tables.
Deux peupliers et quatre pins, là-bas, semblent de carton
peint.
Sur la route blanche, à l’infini, tout l’horizon va à
reculons.
Oh ! la cadence du pédalier, sous le soleil qui pèse lourd,
lourd, lourd.
Je tends mes yeux exorbités vers les lointains qui fuient
toujours, j'oublie peu à peu qui je suis.
Seigneur !
Vais-je toujours m'enfuir, toujours m'enfuir sur la route
blanche où l'horizon va à reculons ?
Cela parût dans la revue Le Pampre, de René
Maublanc. En 1923. Maublanc, contrairement à ce qu’il fut écrit, n’est
plus, cette année-là, professeur de philosophie à Reims, mais secrétaire-archiviste à
Paris. C’est Marcel Déat qui enseigne la matière au jeune Vailland (qui le
retrouve à Vichy et collabore à l’hebdomadaire Présent).
Un grain, une brise, que dis-je ? une bourrasque, une tramontane, une mousson, un typhon de cuistrerie au passage… René Druart, académicien
rémois et conservateur du musée du Vieux-Reims, avait inséré des lettres dans l’un
des quatre volumes rassemblant les 24 exemplaires de la revue. La bibliothèque
municipale de Reims fait état d’une lettre « d’un dénommé D. Merklen (…) datée du 1er janvier 1933, suivie d’un texte humoristique
sur Le Pampre mettant en scène l’auteur
de la lettre et René Druart. ». Merklen ! « Petit Merk »
(ou Mark). Aristocratique patronyme rhénan et en particulier alsacien… Faut-il
voir dans ce D. Merklen un parent du regretté Lucifugus « Luc » Merklen,
qui tenait boucherie humaine à Pleurs ? Artiste plasticien expert en
pièges à humains ? Esclavagiste « blancier » de foirail ? Il
y avait un Paul Merklen à Reims. Mais ce « D. » ? Un enfant caché
du R. P. Léon Merklen, directeur du quotidien La Croix ? Qu’en pense « Monseigneur » Bruno
Fuligni, régent du Collège de ‘Pataphysique, illustre Rémois, digne, vénérable
et vénéré multi-folliculaire (oxymore facile), qui fut longtemps le Brummel du
Café du Palais, que la rumeur crédite d’avoir subtilisé une monture (de lunettes,
non d’officier de cavalerie) à Marcel Achard ?
Du coq à l'âne, revenons à nos moutons. D’aucuns (Éric Poindron peut-être, lauréat couronné du Prix
Topor 2019 « L’éditeur arrosé par son poème », par exemple) sauraient
nous dire si se ressent l’influence de cet autre Rémois, Paul Fort (La Complainte du petit cheval blanc ;
Comme hier ; La Ronde autour du monde… et surtout Le vent a fait le tour du monde, « voici le vent pour tout le monde »,).
Ce vent d’En Vélo inspira-t-il Claude
Roy (Le Vent, « Vente vent têtu de sac et de paille ») ?
Je suis fâché, contrit, mortifié, contraint, restreint, par
le moteur de recherches du site Gallica. Je voulais retrouver la revue Le Pampre. Filtres : Pampre, « En
vélo », Vailland, xxe siècle… 19 pages de résultats dont le premier est Paris-Midi (d’accord, Vailland… Omer, François…). J’ajoute :
Maublanc. Là, plus que deux pages de résultats, dont le trentième et dernier
est Radioscopie d’un canton du bocage :
Bény-Bocage et alentours… Béni-non-non. Nouvel essai avec : « René
Maublanc ». Un seul résultat : La
Pensée : revue du rationalisme moderne.
Annette Gardet, professeure agrégée, docteure ès Lettres
(études théâtrales), ranima (telle la Ramona des bonbons Cémoi, ou une autre…) et
anime des ateliers poésie à Reims. Je m’étais fait fort, pauliste (euh, non,
parisien), mais fort peu paulinien, multipolaire à la rigueur, bref,
présomptueux, de lui retrouver en accès libre les poèmes de Daumal,
Gilbert-Lecomte, et tutti quanti, et alii,
et même et aliæ, and so on… Raté. Brûlé…
Il lor dit il a toz
boit,
Si grand arson a en
son cors,
A poine l’en puet geter fors…
(Le Roman de Tristan,
« à la triste figure », trogne
enluminée de corbières, et la mienne s’allonge, plus grise que grisée).
Faut-il rester sérieux passé(s) soixante-sept ans ? Ne plus cultiver son potache potager ?
La poésie n’est pas mon fort, mais je consens des efforts…
Cependant :
Il faut qu’un galant
homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons
qui nous prennent d’écrire.
(Mis. i-2)
Donc… Brisons-là. Sans envoi, sans retour. Et en selle !
Ou à semelle… « À pied, à cheval, en
voiture, nous arrêterons là les charres subversives » (ce n’est point
du Paul Bourget, mais à la manière d’un Michel Debré, édile et chantre
amboisien, un soir d’abus d’ambroisie, de l’an 1961).
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