mardi 26 novembre 2019

Brexit : Jeremy Corbin, idéale tête à claques

Corbyn, ou l’épouvantail de la presse pro-Leave

Amusant de voir Jean-Luc Mélenchon et LFI approuver la création d’un conseil déontologique de la presse française. Outre-Manche, Jeremy Corbin et le Labour n’oseraient pas. Et pourtant…
Je ne sais ce qu’il adviendra du futur Comité Machin-Bidule de déontologie journalistique qui rassemblera, semble-t-il, des apparatchiks syndicalistes retraités et des membres d’obscures associations corporatistes.
Cela ne vise personne en particulier (il n’y aura pas, loin de là, que des médiocres à siéger et déjeuner à nos frais à l’occasion). Cela sera-t-il un Comité Cachez-ce-sein-que-je-ne-saurais-voir (sanctionnant surtout la publication de photos de paparazzi par la presse pipeule) ?
Allez, je retire tout cela, ce n’est en fait qu’une mise en jambes, afin de mettre dans le ton des titres populaires ou « de caniveau » britanniques.
Lesquels, même faisant dans l’outrance, n’occultent pas tout à fait les infos contredisant leur ligne éditoriale, ne les dénaturent totalement qu’à l’occasion d’éditoriaux annonçant clairement la couleur.
De facto, l’IPSO (Independent Press Standards Organisation), chargée de faire respecter l’Editor’s Code of Practice — cette association est largement majoritaire mais The Guardian et le FT ont un équivalent de leur côté — est surtout un organe de médiation, sanctionnant peu. En général, il appuie surtout les demandes de droits de réplique ou réponse (de la famille royale, par exemple). C’est une sorte de club. Qui ne participe pas en tant que tel à la levée générale de boucliers dès que le gouvernement veut se mêler de mieux réguler la presse britannique…
Laquelle, surtout la presse populaire, ne mâche pas ses mots. Et se prononce clairement. The Sun, pour ne citer que lui, titre “Boris needs your vote (…) register today” (sur les listes électorales). Ce qui n’empêche pas ses journalistes de faire état de l’avis du Muslim Council accusant les conservateurs de « tolérer l’islamophobie ».
Ce qui survient après que le grand rabbin britannique ait considéré que les Juifs sont « noués d’angoisse » par la perspective de voir Jeremy Corbin devenir Premier ministre. Corbyn serait « antisémite ». Ah bon ? Aussi quand il exprime sa sympathie pour les sémites du Hamas ? Judéophobe ? En fait, pour une partie de la communauté juive (et non toute, voyez l’opposition de Juifs étasuniens à l’expansion des colonies israéliennes), toute critique de la droite israélienne vaut blasphème. Mais, admettons que Corbyn a souvent cherché des verges pour se faire fouetter. Sur une multitude de sujets (Cuba, Israël, &c.). Par comparaison, Mélenchon ferait presque figure de rad-soc méridional à l’ancienne.
Mais j’avoue que le traitement de l’épouvantail Corbyn est réjouissant. Même sur un tel blogue-notes, je n’aurais pas osé réserver le même à Jean-Marie Le Pen (que je ne me suis pas gardé de critiquer, et même dénoncer, avec vigueur). C’est dire.
The Sun encore : le Labour est une secte, formée autour du néfaste (toxic) Corbyn.
Pour le Daily Express, il se passe peu de jours sans qu’il ne soit remémoré que de très nombreux travaillistes fuient le Labour ou complotent pour renverser Corbyn. Car ultragauchiste, stalinien, dictateur en puissance si élu, machiavélique.
L’archevêque de Canterbury s’alarme en termes mesurés de ce que le grand rabbin s’alarme ? La presse pro-Leave conclut que, lui aussi, redoute que le Labour l’emporte. Mais n’en publie pas moins in-extenso ses très sobres déclarations totalement exemptes d’appel à voter pour un quelconque parti.
Ou elle fait état de l’avis de Lord Dubs (israélite tchécoslovaque réfugié à temps au Royaume-Uni alors que les nazis, après les Sudètes, s’emparaient de la Bohème et de la Moravie), exonérant Corbyn de tout racisme ou judéophobie.
Bref, la bagel belt (mettons « le vote juif ») n’est pas si unanime dans sa détestation de Corbyn. Même The Telegraph relaie l’info.
Autre angle d’attaque. Le Labour voudrait que les programmes scolaires éclairent de manière plus approfondie la période de la colonisation britannique. Donc, Corbyn veut embrigader les chères petites têtes (blondes, brunes, rousses) et leur inculquer la repentance des “evils of the British Empire”. En Égypte et Palestine aussi ? En sortant la déclaration Balfour des programmes ?
Le Telegraph et l’Express dénoncent le plan forcément secret du programme du Labour visant à faire en sorte que les futurs retraités retardent de près de trois ans et demi leur départ en retraite. Soit à l’approche de leur soixante-dixième année (âge envisagé par les conservateurs, selon une fuite d’un service gouvernemental, ce qu'on oublie de rappeler).
Corbyn « sème la haine » visant tous les patrons et les propriétaires (de l’autoentrepreneur à la mémé de la villa Sam’Suffit et jusqu’au sommet). Il faut admettre que la dernière vidéo de Momentum (le panel de campagne du Labour) n’y va pas non plus de main morte. Mais, selon cette presse caustique, l’électorat travailliste déserte ou votera, en substance, « la honte au front » et yeux baissés en « se bouchant le nez » pour le Labour.
Cela ne pourra que s’accentuer car près de trois millions de personnes viennent de s’inscrire sur les listes électorales, dont de très nombreux jeunes (aux deux-tiers de moins de 35 ans). Et que, de ce fait, le Labour grimpe dans les sondages (enfin, dans certains).
Tony Blair a appelé à voter « tactique » (pour le candidat Remain en tête, Labour ou autre, et contre les conservateurs). Traduction : Blair veut barrer la route à Corbyn et appelle de ses vœux un hung Parliament (sans nette majorité). Même le Daily Star (qui ne traite de politique qu’incidemment, dans un coin, bien après vous avoir régalé de potins et de bimbos) ne retient des propos de Blair (qui votera localement pour un libéral-démocrate) que ceux visant Corbyn (mais place une vidéo permettant de consulter l’entretien de Blair en son intégralité).
En plus subtil, Boris Johnson dénonce la duplicité de Corbyn qui, s’il devenait Premier ministre, prendrait pour second Nicola Sturgeon (donc, pour chancelière ?), la Première écossaise et cheffe de file du SNP. Ce dont le Daily Mail fait ses choux gras. Le Mail, qui tape systématiquement sur le Labour, ne fait pas tout à fait de Corbyn une « bête immonde » (mais cherche tous les poux dans sa tête).
Cela donne par exemple, mais en termes soigneusement pesés, que Corbyn, en élargissant les droits à l’avortement, donne le feu vert à l’élimination préventive des fœtus féminins — mais il n’est pas écrit : sous la pression de pères issus de minorités ethniques —, voire à l’élimination des prématurés (ce qui est subtilement sous-entendu).
The Times adopte en général un ton moins virulent, mais son caricaturiste ne fait guère dans la dentelle (visuel supra) : Bojo, c’est le plus beau, Corbyn un extrémiste et un bras cassé.
Et bien sûr, il est partisan de la Brexeternity ou du Brino (Brexit in name only).
Il n’y a guère que The Independent à ne pas taper systématiquement sur Corbin, et bien sûr The Guardian ou encore The Mirror (traditionnellement proche des travaillistes). Quant au Financial Times, il laisse ses seuls éditorialistes dénoncer le programme du Labour, mais en personnalisant : « Le programme de Corbyn est une tragique trahison du pays » (of Britain). Quant au programme de Boris Johnson, c’est “Safety first”.
Il n’empêche que la presse britannique (hors FT) est beaucoup plus rigolote à lire que la française. D’ailleurs, le lecteur de The Independent ou du Guardian, les ex-broadshits (devenu tabloïds quant à leur format), formé par Oxbridge (Oxford-Cambridge) se régale aussi en douce avec la presse « de caniveau ». Voire regrette en son for intérieur la disparition de l’ébouriffant News of the World.
Reste le quinzomadaire satirique Private Eye qui tape sur tout ce qui bouge (et vaut bien l’IPSO pour dénoncer les dérives des médias).
Je ne sais si l’instauration d’un comité d’éthique français aura ou non des effets pervers, soit que la presse française se rapprochera, dans son traitement de l’information, de la britannique. Si les consœurs et confrères prendront un malin plaisir à se rapprocher des limites à ne pas franchir. Ou si l’adage, une info, une sanction, deux infos et un surcroît de notoriété, s’appliquera.
Bref, je suis plutôt contre ce comité. Sauf si... Sauf si le dit organe de surveillance m'adoubait au poste d'échanson, chargé des vins des buffets et repas. Tiens, histoire de pousser ma candidature, où est donc ma liste des patrons de presse détenant des vignobles ?

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