Libye : une guerre entre fractions islamistes ?
Bien malin qui pourrait vraiment dire ce qui se joue — ou
déjoue, et délite — en Libye. L’expérience, ou plutôt le recul, laisse suggérer
que l’inexpérience conduira les appuis étrangers des parties en présence à
favoriser l’aggravation d’une situation peu contrôlable.
La presse relate les faits (une cinquantaine de
personnes tuées lors d’un raid aérien à l’est de Tripoli) et relaye les
déclarations des uns et des autres, dont celles du Vatican qui suggère une
sorte de couloir humanitaire pour exfiltrer (vers ou ?) tous les migrants cherchant
à transiter via la Libye.
Déjà, on ne sait trop qui était vraiment visé (réfugiés « économiques »,
« politiques », ou venant d’autres zones de guerre, leurs exploiteurs
ou chefs libyens liés à des milices, des stocks de munitions ?), ni trop
quel pilote, de quel bord, était aux commandes de quel appareil…
Électrons crochus
Je ne reviens pas en détail sur les conclusions de la
commission tripartite d’enquête parlementaire en Libye en mars 2011 (rapport
publié en septembre 2016). Deux choses cependant : les Britanniques
(membres du gouvernement, très hauts fonctionnaires, élus éminents) les plus
favorables à l’intervention furent les plus jeunes et les plus marqués par le
massacre de Srebrenica, commis par les forces serbes en 1995 (p. 16) – et non
par les rodomontades de Bernard-Henri Lévy –, les plus réticents étant les plus
âgés. De deux, la profonde méconnaissance des protagonistes libyens, l’absence
quasi générale de sources fiables (multiples pages). Bref, Nicolas Sarkozy, Alain
Juppé, David Cameron, Lord Hague of Richmond, &c., ont foncé tête
baissée, avec déjà l’appui de nations du Moyen-Orient. On se souvient de la « dissidence »
d’Angela Merkel qui finit par accorder un soutien quasiment de pure forme à l’intervention,
des hésitations de Barack Obama.
Il semble que la conscience de l’inexpérience soit désormais
plus forte du côté de l’Élysée et du Quai d’Orsay, alors même que l’expérience
(aux deux sens du terme ?) de l’intervention au Mali a sans doute
contribué à réduire l’inconscience (Jean-Yves Le Drian, ex-ministre de la
Défense, est sans doute plus pondéré que le fut Michèle Alliot-Marie).
Je ne suis aucunement qualifié pour m’aventurer dans une véritable
analyse de l’actuelle situation ; mais je subodore que France, Italie, et
autres puissances européennes, tentent vaguement d’influer comme elles le
peuvent celles qui paraissent engagées dans l’actuel conflit…
En gros, il s’agirait d’un côté des Émirats et de l’Égypte (Benghazi
et ?), de l’autre du Qatar, de la Turquie et, au gré des événements, de la
Russie (Tripoli et… ; voire en fonction de l’issue ?). Ainsi
résumé, cela semble clair. En réalité, ni les uns, ni les autres ne savent sans
doute vraiment qui seraient ceux qu’ils appuient. Je ne saurais d’ailleurs dire
de quelles milices (islamistes d’un bord ou d’un autre) le maréchal Khalifa
Haftar est… quoi ? Faux-nez, redevable ? Quant au gouvernement « d’accord
national » — les guillemets de distanciation s’imposent —, ne sachant qui
est qui, qui roule pour qui (lui-même, telle ou telle autre milice tout aussi
islamiste ou territoriale, tribale, clanique, mafieuse), je reste incapable de
me prononcer.
En sus, il se peut qu’il y ait aussi des électrons dont on
se sait trop s’ils sont libres ou liés : Daech et Al-Quaïda, sans doute,
quelques autres obédiences, de fidélités incertaines. Qui peuvent jouer leur
propre partition ou celles d’autres (pas forcément toujours les mêmes, des
retournements ont été ou sont peut-être possibles).
Sur un point « de détail » (idem supra), on
se demande si Erdogan n’adopte pas la posture d’un Sarkozy… Soit, en perte de
vitesse, se hisser dans le rôle du chef de guerre. Détail qui a son importance,
peut-être mineure, car la Turquie a des intérêts actuels et prévisibles pour entrer dans la mêlée. L’expérience de la Syrie n’a donc pas, ne suffit pas
encore. Dans un premier temps, Erdogan avait facilité les menées de l’État
islamique (à la doctrine à peu près compatible avec celle de certains Frères
musulmans un temps), avant de se raviser et de déplorer des attentats. L’Égypte
suit les Émirats et l’Arabie qui la soutiennent économiquement et qui ont, elles
et ils, aussi compris que financer et armer des sectes islamistes n’était pas
durablement rentable. On ne sait trop si la Russie observe seulement comment le
vent tournera ou agit (pas trop ouvertement, ni fortement) en sous-main.
Ce qui est sûr c’est que l’unité nationale libyenne n’a tenu
que 40 ans, conditionnée par une dictature dont c’était l’intérêt. Et puisque l’on
parle des Russes, il faut mentionner Saïf Kadhafi, présumé totalement libre de
ses mouvements depuis juin 2017 contre… on ne sait trop quoi et en faveur de
qui outre lui-même. Et il n’est même pas sûr que le Kremlin le sache.
Fumeux ? J'assume...
Je voudrais bien que tout ce qui précède ne soit que
balivernes, billevesées et calembredaines (en particulier sur les affinités de
la Russie, pas vraiment limpides). Relire quelques proclamés « experts »
s’étant exprimés en 2011 me placerait en assez large compagnie. Et Trump dans
tout cela ? Soutient-il le, les plus solvables ou le, les plus prometteurs ?
Il n’est pas sûr qu’il puisse compter sur lui-même pour se le dire… America
first, certes, mais peut-être avec des intérêts contradictoires, antagonistes.
Une firme américaine a signé un accord avec Benghazi pour doter la Cyrénaïque d’un
grand port à Susah.
Ankara serait aussi engagée coté Tripoli dans l’espoir de signer
un accord sur les eaux territoriales (dont les fonds pourraient receler du
pétrole exploitable) tandis que la Grèce et Chypre pencheraient pour Benghazi.
Il y a aussi quelques à-côtés découlant de la situation
antérieure : par exemple, des pays détenant des fonds libyens gelés les
imposent (Kadhafi & sons avaient placé beaucoup de millions un peu partout
hors de Libye). Des dividendes seraient versés à la Libyan Investment Authority
(une institution apparemment opaque). Et on ne sait pas trop où une partie du
pétrole produit en Libye « fuit ».
Ah, au fait, pour finir : trop chercher à en savoir sur
la Libye exposerait à se voir infecter par des virus. Selon diverses sources
semblant fiables, il y aurait eu près de 50 000 utilisateurs de Facebook
(dont le Premier ministre « tripolitain » Fayez al-Serraj) ayant visité de
fausses pages d’Haftar ou d’autres personnages, auraient été infectés. Facebook
aurait fait le ménage fin juin dernier… La Libye, épineux problème… empoisonnant.
J'avais écrit « pour finir » ? Nan !
Revenons aux faits, et laissons là mes élucubrations. Les offensives,
défensives, contre-offensives ont débuté le 4 avril dernier. On doit en être à
plus d’un millier de morts (sur env. six millions d’habitants). Aux dernières
nouvelles, la milice Front Populaire (présumée proche de Kadhafi fils, mais allez
savoir… aurait fait allégeance à « Benghazi »). La Cyrénaïque n’a pas
réussi son offensive sur la Tripolitaine. La France est présumée — ce qu’elle
dément — soutenir la Cyrénaïque (d’où drapeaux français brûlés, gilets jaunes
endossés par des manifestants en Tripolitaine). Et il est question d’élections
prochaines (où ? comment ? autre histoire…). Et pour tout vous dire
mon sentiment profond (pas forcément lucide), quand la chienlit libyenne se projettera
sur les pâles (et pales) du ventilateur mondial, de migrantes éclaboussures
nous maculeront la figure…
La faute à qui ? Aux « Juifs », à
Soros, aux adorateurs du nombril, l’Opus Dei, les yakuzas, aux desseins d’un
dieu ou d’un autre ? Ou aux incompétences des parties en présence ? Qu’on
se rassure, les victimes seront oubliées, et les irresponsables, pour la
plupart, couleront des jours heureux dans le luxe. Ceux-là auront « sauvé
le monde » d’un péril plus grave encore. C’est vrai : quand des
hommes et des femmes et des enfants meurent, la diversité animale bénéficie d’un
sursis.
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