Une église, une croyance, surtout un cache-nez laïcard
Tiens, cela m’a échappé : fiscalement, The Satanic
Temple est devenu officiellement une église étasunienne en avril dernier. Pour
un peu, je lèverais bien des fonds pour ouvrir un lieu du « culte »
boulevard de Bonne-Nouvelle.
Je me souviens de mes séjours en Californie et de mon
étonnement, voire ébahissement, de découvrir, au détour d’une rue, un, des édifices religieux dédiés à un, des cultes dont je n’avais jamais entendu parler (visiblement
non chrétien et surtout pas très catholique, comme on dit). Il s’agit de cultes
non-denominational, comme disent les Étasuniens.
Feu mon pote, le « révérend » Billy Hults, de
Cannon Beach (Oregon), activiste culturel, joueur de planche à laver émérite,
journaliste indépendant et auteur, m’avait mis au parfum plus tard. Son église,
dont il modifiait la dénomination à son gré (version courte : l’église du
Dernier Cowboy bouddhiste rastifarien ou Rastafied Cowboy Buddah, mais il en
rajoutait avec des Yabyums tout plein dedans à l’occasion), lui permettait de
se faire exempter d’imposition (et de tenter de faire vivre sa publication, The
Upper Left Edge). Pas du tout prêchi-prêcha, mais il célébrait à l’occasion
des mariages d’anthologie (ses sermons portant sur tout et n’importe quoi, mais
pas sur son église ou des croyances surnaturelles).
Activités cultuelles à proprement parler : zéro.
Et quid du Satanic Temple ? Une pompe à dons, depuis
avril dernier exempte d’imposition ? Pas seulement. Une religion ?
Oui, au sens qu’en donne Yuval Noah Hariri (Sapiens, Vintage pub., 2015, ou
KZD, 2011 pour la version en hébreu ; chap. The Worship of Man), lequel
considère que l’humanisme, le libéralisme, le communisme, &c. Bien, J’ai
déjà dû l’évoquer précédemment, de même que l’activisme du Temple satanique
dans les écoles (mêlant soutien scolaire, activités d'éveil, et réflexions philosophiques lors de
cours du soir ; les églises chrétiennes font de même, mais davantage
orienté catéchisme). Je n’y reviens pas.
Ce qui m’a fait connaître cette reconnaissance officielle, c’est
un incident à bord d’un appareil d’American Airlines. Il fut intimé à une passagère,
par l’équipage de cabine, le 30 octobre dernier, de se changer ou de dissimuler
son maillot frappé des mentions Hail Satan et est. 666, avec
croix chrétienne inversée (comme la Marianne des timbres français, vieille coutume
royaliste). La compagnie a depuis présenté ses plates excuses. On ne badine pas
avec le blasphème, toujours évoqué subtilement dans les constitutions de
certains États, ce en contradiction avec la plus récente version du First
Amendment. Mais depuis les années 1930, il n’est plus de poursuites judiciaires
(au grand dam des partisans religieux de Donald Trump) pour blasphème.
C’est aussi vaguement un culte puisque le Baphomet Monument,
à la gloire d’un satan à tête de bouc, vaut « idole », style statue de la déesse de la Raison, mais qui n’a rien à voir avec la wicca,
sauf le côté folklorique ironique à l’occasion (pas de rites complexes comme en
franc-maçonnerie). Le « baptême » est libre et gratuit et sans rite
codifié (simple déclaration d’intention, chacun faisant comme bon lui semble
pour le célébrer… ou non). Pas de cérémonial, pas de réelle hiérarchie, mais
Lucien Greaves, le co-fondateur, reste une référence agissant à l’occasion au
nom du Temple.
Plus séculier, on ne trouve que la Libre Pensée pour
équivalent. Deux champs d’action : réfutation de la pensée magique
(étendue à certaines dérives de la psychanalyse, aux pseudo-sciences) et du
complotisme ; civisme (défense de la liberté d’expression, tolérance,
appui de mouvements pour les droits civils).
La concurrence, à ce jour, outre éventuelles sociétés
secrètes ou ésotériques organisées en sectes recherchant la discrétion, c’est
la Church of Satan. Qui prône l’athéisme et l’individualisme. Un certain
Jean-Louis Ludwig a tenté de s’en inspirer en fondant la French Church of
Lucifer, mais, depuis mars 2017, on n’en entend plus vraiment parler. Il en est
d’autres, dont ne sait trop si des chrétiens-tradis ne les ont pas inventées
pour clamer que telle ou tel a fini « par renoncer à Satan ou à ses œuvres »
et rejoindre leur giron.
En tout cas, la Church of Satan ne vend pas des sorts, son
site ne comporte pas de boutique mais renvoie sur Amazon pour commander divers
livres d’auteurs divers (dont Michel Foucault, Nietzsche, Machiavel, Shaw,
Jules Verne…). Plutôt moins mystico-ésotérique que les Phrères Simplistes ou Le
Grand Jeu et c’est peu dire : cette église de Satan fait plutôt songer à
club de réflexion permettant à sa hiérarchie de s’exprimer dans la presse à l’occasion,
sur des sujets divers, peu en rapport avec les religions. Mais là, adhérer n’est
pas donné. Elle est représentée en Allemagne et le site Der Rabe (le corbeau)
précise que ce satan n’est qu’un symbole (ou plutôt concept, étiquette) d’une
sorte d’athéisme ou d’agnosticisme prônant la pensée rationnelle. Mais des
rites sont codifiés et suivis lors de cérémonies (baptême, mariage, funérailles).
Les formes d’intervention du Satanic Temple sont beaucoup
plus rigolotes, parfois parodiques, festives…
Comme certaines organisations laïques françaises, le Temple
satanique proteste contre les crèches de Noël (en tentant de leur adjoindre des
symboles pas forcément d’inspiration satanique).
Le plus cocasse dans l’affaire est que l’exemption fiscale,
accordée le 25 avril dernier, le fut à la suite d’une sorte de décret (executive
order) de Donald Trump, promulgué en mai 2017. Auparavant, le Temple
critiquait cette exemption et ne la sollicitait pas.
Bref, aucune contre-indication : on peut se dire libre
penseur et « templier » du satanisme (et réciproquement).
J’ai bien fouillé Wikipedia (anglophone) et les divers sites
du fisc des États-Unis… En vain, et même la page Wikipedia consacrée à la National
Spiritualist Association of Churches (églises non-chrétiennes, admettant la communication
avec les âmes des « présumés » défunts, les médiums et autres guérisseurs)
ne donne pas une approximation du nombre de ses diverses « églises »
(toutes exemptées d’impôt). Il semble que le l’U.S. Religion Census de 2010 recensait
236 dénominations religieuses diverses rassemblant 345 000 congrégations ou groupes, assemblées religieuses (mais
il fallait adhérer et l’organisme pouvait rejeter des applications). Ce
recensement se tient tous les dix ans. On peut douter que le culte de la Licorne
rose invisible (ou autres cultes du Jedi, dont l’un est reconnu aux États-Unis
et exempté d’impôt depuis 2015, le texan Temple of the Jedi Order) soit du
nombre des admis en 2020.
On dispose bien de statistiques globales sur les organisations
à but non-lucratif (églises incluses) mais savoir combien de pasteurs du genre
de Billy Hults se sont proclamés papes ou mamamouchis d’une congrégation est
plus qu’ardu. Ces pasteurs, dont certains filent avec la caisse de leurs
ouailles, sont exposés à des enquêtes de l’Internal Revenue Service (qui ne
touchent chaque année que fort peu d’églises, et pour cause, c’est décidé au
plus haut niveau, et selon une estimation d’un juriste, le taux serait
inférieur à 0,3 %).
Comme l’indiquait le groupe Think Progress en 2017, l’IRS
invoque son code interne pour refuser de communiquer sur cette question. Les
églises ou les prédicateurs sont supposés remplir un formulaire pour déclarer
leurs revenus supplémentaires (à ceux leur valant non-imposition). Parfois l’IRS
poursuit des prédicateurs pour non-déclaration, mais rarement. De très nombreux
avocats fiscalistes se spécialisent dans la clientèle religieuse (quand ils n’ont
pas eux-mêmes aussi une casquette de prédicateur). À moins de prêcher la pédophilie
ou l’assassinat des renégats et hérétiques (et encore… mais faire état d’exécutions
serait contre-indiqué), l’exonération fiscale est assez libéralement accordée.
Et des associations du type Reclaiming Oklahoma For Christ peuvent bénéficier
aussi des dispositions fiscales.
Le Temple satanique, assez proche de ce que serait censée promouvoir
l’association Americans United for Separation of Church and State (elle aussi
exemptée de taxes, et employant un avocat qui est aussi prêtre ordonné), mène
campagne pour que les églises ne se prononcent pas pour un parti politique ou l’un
de ses candidats. Mais tant que Trump restera président, il aura fort à faire…
Onward
Satanic Soldiers, Satan Bless America!
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