Les unionistes nord-irlandais en mauvaise passe
En cas de rupture du Royaume-Uni d’avec l’Union européenne,
la perspective d’une réunification irlandaise ne peut être exclue. La démographie,
et surtout l’évolution de l’opinion, en particulier celle des jeunes, rendent
cette perspective beaucoup plus probable.
Dès le Brexit accompli, ce sera, au Royaume-Uni,
embrassons-nous Folleville. C’est en tout cas l’opinion de Boris Johnson,
interrogé sur sa relation avec sa compagne, Carrie Symonds.
Que va-t-il lui
offrir pour Noël ? “I’m going to get Brexit done”. Et la liesse s’ensuivra,
avec pour conséquence une hausse de la natalité. Cupidon fera flèche de tout
bois, les amours fleuriront à travers la nation. Tel que…
Il a de même affirmé qu’après
les Jeux olympiques de 2013, il avait été constaté un baby boom. En tout
cas, ni en Angleterre, ni au Pays de Galles, pour lesquels une nette chute fut
constatée.
De son côté, la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, a prédit que
le taux de criminalité bondirait si le Labour emportait les élections, à raison
de 52 décès criminels de plus annuellement. Le choix est clair : des bébés
ou des cadavres, choisissez. Boris Johnson n’a pas daigné commenter cette
prédiction.
Mais le Bojo peut (ou ne pas) dire tout ou n’importe quoi,
ses partisans lui conservent une confiance illimitée. En témoigne le résultat
du sondage du Daily Express auprès de son lectorat qui conclut que
les documents produits par Jeremy Corbyn sur la frontière avec l’Irlande du
Nord étaient des faux (de plus, fournis par la Russie, laisse entendre le
quotidien). Seulement 15 % des répondants (1 167 sur 8 182) les
considèrent authentiques, avec uniquement 2 % d’indécis. Cela alors même
que Boris Johnson n’a jamais mis en doute leur authenticité, se bornant à
indiquer qu’il y aurait bien des contrôles (et des droits de douane) entre les
deux Irlande, mais aucun — contrairement aux documents produits — entre la Grande-Bretagne
et les six comtés nord-irlandais.
Consciente du ridicule, la rédaction de l’Express a
retiré l’article de la page d’accueil de son site dès ce lundi.
Car si son lectorat n’est pas convaincu par ces documents,
les unionistes nord-irlandais le sont absolument. Arlene Foster et le DUP clament
qu’il s’agit d’une trahison et que plus jamais ils n’accorderont leur confiance
à ce Premier ministre qui a « renié sa parole ». Arlene Foster
a obtenu des services douaniers la confirmation du contenu des documents :
soit deux frontières, l’une entre les deux Irlande, l’autre entre les comtés et
le reste du Royaume-Uni.
Ce qui place son parti, naguère fort des dix sièges ayant
suffi un temps à ce que le DUP et les Tories soient majoritaires au Parlement,
en délicate position.
Traditionnellement, le vote en Irlande du Nord oppose « catholiques »
(Sinn Féin, et SDLP, pour la réunification ou verts) et « protestants » (DUP et autres oranges). Jusqu’en 2011, la démographie avantageait les protestants (et assimilés) à 48 contre 45 % (avec 7 % d’Irlandais du sud et autres, dont des citoyens des 27 pays du
continent). Mais en 2021, en se fondant sur des estimations de 2016, les
proportions se seront inversées en ce qui se rapporte aux adultes.
Ajoutez à cela qu’en cas de gouvernement Labour-SNP, sans
doute appuyés par les libéraux-démocrates en ce qui concerne ces mesures, l’âge
du vote sera abaissé à 16 ans et que les résidents européens
deviendront électeurs. À moyen terme, cela laisse présager, en cas de nouveau
référendum tranchant entre le projet d’accord des travaillistes et le retrait
de l’article 50 (soit le maintien dans l’Union européenne), une majorité, tant
en Irlande du Nord qu’en Écosse ou au Pays de Galles, pour ne pas rompre avec
le continent.
À plus long terme, cela signifie-t-il que la réunification irlandaise se produise ? Si ce n’est pas exclu, ce n’est guère évident.
Il faut prendre en compte l’évolution de l’opinion constatée
chez les jeunes, en particulier les trentenaires. Nombre d’entre eux se
déclarent indifférents. Et plus généralement, « l’identité »
britannique, régresse, y compris au sein (même si cela reste difficile à
évaluer exactement) de l’électorat unioniste. Soit que « l'identité » nord-irlandaise, indifférente aux anciens clivages, progresse. Ou que l'attachement à l'Union européenne se renforce, y compris dans les rangs unionistes.
Cela peut aboutir soit à la réunification, soit déboucher
sur la revendication d’une encore plus forte dévolution (sur le modèle
écossais). Dans cette seconde hypothèse, cela signifierait deux parlements,
deux exécutifs. Pour le politologue Paul Nolan, spécialiste de l’Irlande, il
restera difficile de prévoir laquelle des deux options prévaudra. Pour Mary Lou
McDonald, du Sinn Féin, « rien n’est tabou », y compris d’en discuter
dès à présent avec Arlene Foster et le DUP.
Il est plus que prématuré d’avancer un pronostic. Cela
dépendra de l’issue du Brexit.
Un indicateur le laisse percevoir. Nicola Sturgeon, du SNP
écossais, pourrait estimer qu’un second référendum sur l’indépendance écossaise
risquerait de confirmer le résultat du précédent si (et seulement si) la
révocation de l’article 50 était actée ou si l’accord travailliste satisfaisait
la majorité des Écossais. En fonction du résultat de l'éventuel référendum sur
le Brexit, le SNP accentuera ou non la pression pour organiser un référendum
sur l’indépendance. Bien sûr, Nicola Sturgeon ne dit pas déjà que la date du
référendum qu’elle souhaite (vers fin 2020) pourrait être repoussée.
Selon leur position Leave ou Remain, les quotidiens
interprètent les sondages et les projections des bookmakers différemment. The
Daily Express considère que les conservateurs ont creusé l’écart, en
seraient à 45 % des intentions de vote. The Standard, plus mesuré,
considère que l’écart reste stable, à dix points (43 % pour les
conservateurs). The Mirror laisse la parole au professeur John Curtice
qui estime que si l’écart tombe à six points, ce qui pourrait se produire, la
perspective d’un parlement « suspendu » (hung), bloqué, l’opposition
aux conservateurs se coalisant, reste possible. Selon la moyenne des sondages,
les conservateurs se situeraient à 43,5 %, ce qui reconduirait une
majorité conservatrice à l’issue de ce vote à un seul tour.
Mais les indécis pourraient s’abstenir ou voter « utile »
(pour un·e candidat·e pro-Leave ou Remain, selon les circonscriptions, mieux
placé·e) au tout dernier moment.
Ce qui semble se profiler, c’est que le DUP pourrait perdre
un siège. Voire deux (bénéficiant au Sin Féin et au SDLP, l’autre parti « catholique »,
ou green irlandais par opposition à l’orange des unionistes). Cela ne
changera pas la donne globale.
En revanche, même si le sentiment unioniste semble
avoir régressé en Grande-Bretagne (en Angleterre principalement), les
déclarations, post-derniers sondages, d’Arlene Foster peuvent influencer des
électeurs conservateurs (qui s’abstiendraient, voteraient pour un conservateur
dissident s’il en était sur leur circonscription, ou un indépendant). Sans
doute pas de manière à contribuer à faire élire des candidat·e·s travaillistes,
mais à barrer la route à quelques (rares) conservateurs.
Mais pour la suite, The
Irish Times (Dublin) prévoit que Sinn Féin et DUP seront forcés de négocier
(sur le fonctionnement d’une assemblée nord-irlandaise, et pour éviter le
retour à des affrontements marginaux violents).
Et puis, pour The Guardian, si le SNP obtenait la
tenue d’un second référendum sur l’indépendance, et surtout l’emportait, les
répercussions sur l’Irlande du nord seraient considérables : les relations
entre l'Écosse et les deux Irlande sont fortes (sentiment d'appartenance commune, volume des échanges relationnels divers, culturels et autres, et économiques).
Selon Matthew O’Toole, un ancien haut-fonctionnaire, le
devenir de l’Écosse ne pourra qu’influencer celui de l’Irlande du nord.
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