Droit au blasphème et sur-indignation
Quelques manifestants du défilé
contre l’islamophobie portaient un autocollant associant croissant et étoile
jaune. Blasphème, se sont empressés de clamer nombre de celles et ceux dénonçant
que les musulmans surjouent la victimisation…
Je réagis de manière un peu plus
développée à ce qui m’a valu des commentaires critiques (et non vindicatifs). Je
venais de prendre connaissance d’un texte vibrant d’indignation au sujet du
fameux autocollant que de rares manifestant·e·s arboraient lors de la
manifestation contre l’islamophobie. Texte intitulé « La bête immonde au
service de l’islamisme cool : abject, innommable, impensable ! ».
Peu au fait des tenants et aboutissants (origine de l’autocollant juxtaposant
croissant et étoile, nombre de personnes l’affichant, analyse sémiologique…),
je me suis contenté de consigner : « ne rien exagérer, ne rien surinterpréter. ». Je maintiens, et cela ne vaut pas que pour ce dont il est ici question. L’époque
tourne à la prédominance de l’invective et de la surenchère à tout propos.
Je peux comprendre que, après la
propagande négationniste un temps répandue en France (et toujours plus ou moins
en vigueur dans le monde musulman sans réaction des autorités, enfin, que je
sache…), voir des musulman·e·s utiliser un tel symbole, l’étoile jaune (qu’elle
soit à x ou y branches ne change pas grand’ chose), hérisse nombre de consciences.
Mais question détournement, en
faire un symbole sournois de l’antisémitisme dépasse la mesure. La plupart des locuteurs
de langues sémitiques sont des sémites (encore que, d’un point de vue
anthropologique, Juifs et autres se sont tellement mélangés depuis plus de deux
millénaires…). On pourrait donc aussi interpréter cet autocollant comme la
revendication d’une appartenance au groupe sémite. D’une proximité excluant l’agressivité,
comme le renforce la présence, sur les photos les plus répandues, de la sénatrice
Esther Benbassa, séfarade levantine. Tolérée par qui l’entoure, y compris pour
ses convictions d’athée.
Dans un texte précédent (« Islamoréification :
la marche pour le droit au blasphème »), je saluai le cran de cette
jeune femme, sans doute issue de l’immigration, comme on dit, qui, copiant le
mode d’action des Femen (mais ne se rattachant pas à elles), put brandir un
panonceau soutenant « le droit au blasphème ». Serait-ce aussi
une manifestation du communautarisme athée « qui vient » (s’ébauche),
du fait de la montée des communautarismes ethnoreligieux, et se
renforce ?
Ne pas surinterpréter…
Religiophobe, je suis donc
islamophobe, ne craignant pas les (des, certes) musulmans (je redoute les radicalisés), mais l’islam et d’autres
croyances, pour ce qu’elles peuvent porter en germe.
Je déplore aussi un certain communautarisme
« juif » (qui n’est pas forcément israélite, et auquel adhèrent des évangélistes
nord-américains partageant peu de racines avec des groupes sémites) qui utilise
la victimisation pour justifier tout acte de l’actuel État d’Israël (et dénonçant
les « traîtres » au sein de la nation israélienne). Cela ne va pas au
point de soutenir les escrocs réfugiés en Israël au motif que leurs pères et mères
furent spoliés dans leurs divers pays d’origines, ni à harceler celles et ceux,
coreligionnaires ou censés se rattacher à la communauté, heureusement.
Tandis que les musulman·e·s ou
abusivement assimilé·e·s du fait de proches ou lointaines origines, ayant
dénoncé des islamistes, risquent leur vie, doivent changer d’identité.
Je partage ce sentiment islamophobe
de nombreux « Juifs » (ou abusivement assimilés du fait d’un
patronyme, d’une apparence). Craindre les, ou plutôt des, musulmans, en généralisant
cependant, n’est guère, de leur part, condamnable. Surtout pour qui se souvient
que la fameuse fraternité-sororité entre Juifs et autres habitants du Maghreb
se vit parfois démentir (pogroms de Fès de 1033, puis de 1912, émeutes d’Oujda
de 1948, pour n’évoquer que le Maroc où un récent concert d’Enrico Macias fit
des remous).
Mais une islamophobie haineuse de
développe aussi et agrège, par l’utilisation de mêmes formes d’expression,
divers courants. Dont l’un se revendique du sionisme actuel, « dominateur »
comme le qualifiait de Gaulle. Lequel devrait peut-être se méfier du backlash,
comme l’exprima Daniel
Bensoussan-Bursztein dans Regards (publication belge du Centre
communautaire laïc juif) dès septembre 2010.
Après les mosquées, les synagogues ?
Ne rien exagérer…
Ce à quoi on assiste de plus en
plus, c’est au déni de distinguer l’islam de l’islamisme (lui-même multiple,
approuvant, confortant ou non le terrorisme, quiétiste ou guerrier). Ce qui
peut conduire certain·e·s d’entre les musulman·e·s à se radicaliser. Est-ce ce
qui est insidieusement recherché : accélérer les crispations, amener l’ensemble
de la société majoritaire (laïcs, chrétiens, athées, autres… que musulmans) à développer
progressivement une islamophobie haineuse ? Ne rien exagérer… Celles et ceux
s’étant sur-indignés (avec sincérité ou arrière-pensées) à propos de cette étoile
jaune jouxtant un croissant n’en sont pas à réclamer le port de l’étoile verte
par tout·e musulman·e ou présentant des « traits sémitiques »
(assortie au besoin d’un triangle rose). L’antisémitisme ne se réduit pas à la
judéophobie, il s’agit bien d’une sémitophobie.
La convergence des discours virulents
peut et doit inquiéter.
Tout comme peuvent alarmer des
revendications musulmanes pouvant conduire à des surenchères (près de chez moi,
une inscription très voyante : « Jésus est le seul Dieu », donc plus akbar qu'un autre).
Je déplore, comme tant d’autres, l’intitulé
de cette manifestation contre l’islamophobie. Laquelle fut, de même,
marginalement, une manifestation contre l’antisémitisme au sens propre et
premier, de solidarité avec… des Françaises et Français, non pas que musulmans,
mais considérés de « cultures musulmanes » ; et malheureusement
aussi un défilé islamophile revendicatif. On ne peut peser précisément le pour
et le contre, ni à chaud, ni en se projetant, mais elle a eu au moins l’intérêt
de susciter la revendication du droit au blasphème. Lequel ne s’applique nulle
part « à l’intérieur », et reste proscrit en Alsace-Lorraine (comme
en Allemagne). Ce que dénonçait d’ailleurs Jean-Luc Mélenchon dans le Dictionnaire
de la laïcité (Armand-Collin).
Il peut m’être rétorqué que prôner
la mesure quand l’intolérable prédomine, que se produiront d’autres attentats
islamistes, confine à la démesure, au déni de réalité. C’est une opinion, que
je persiste à considérer avec… modération, en me méfiant des effets pervers qu’elle
peut impliquer. Quant à la manière de l’exprimer, en particulier.
Je relève aussi que des
commentaires visant Esther Benassa s’en prennent à elle en tant qu’athée,
féministe présumée faux-nez du masculinisme, marquée à gauche, &c. Cette
manifestation n’a pas été instrumentalisée que par les musulmans fondamentalistes.
Ce fut sans doute d’ailleurs aussi l’un des objectifs induits recherchés par
certains d’entre les organisateurs : débusquer la fachosphère et l’ultra-sionisme
apparenté. C’est assez réussi. Avec pour corollaire de la populariser, de lui
permettre de recruter. Est-ce là exagération de ma part ? La suite l’établira
ou non.
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