Quand Vailland estime déjà désuète « l’avant-garde »
de 1931
C’est sous le pseudonyme de Georges Omer que Vailland signe
ce billet paru dans Paris-Soir le 25 janvier 1931. Dont le sous-titre retient
surtout l’attention : « une
atmosphère tout à fait avant-garde… 1920 ! ».
Avant de vous évoquer le « danseur russe » Tony
Grégory, quelques mots… Je me fais rare en ligne (soit ici ou ailleurs) :
voyages… et puis, je me suis attelé à transcrire les deux « reportages-romans »
ou, comme les qualifie Myriam Boucharenc, « reportages romancés » de
Vailland (dans L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Septentrion éd.).
Soit La Visirova ou des
Folies-Bergère jusqu’au trône et Leïla ou
les ingénues voraces. Non pas à partir des compositions des ouvrages les
ayant auparavant reproduits (Roger Vailland – Chronique des Années folles à la
Libération, éds Messidor, ou une édition Temps actuels de 1986, ou dans Écrits
intimes, voire… &c.). Mais en les consultants « dans leur jus »,
soit tels que publiés dans Paris-Soir.
Ce qui m’évite de me laisser « embarquer » par les commentaires de
mes prédécesseurs (que je consulterai par après… et dont je tiendrai compte).
C’est une tâche de longue haleine, de saisie, de recherches
portant sur des patronymes, toponymes, dates, &c. Les paumes m’en tombent parfois
du repose-mains du clavier. Et l’envie prend de délaisser le chantier, d’intercaler
avec… par exemple cet interlude sur Tony Grégory…
Grégory, que L’Aventure de la danse moderne en France, de Jacqueline
Robinson (Bougé éd., 1990), présente d’origines corses, et âgé de quarante ans
lors de son décès en 1947. Il n’aurait donc que 24 ou 25 ans quand Vailland assiste
à une soirée dans son atelier. Lequel n’est pas déjà un lieu d’enseignement
(Jacqueline Robinson indique que Tony Grégory donnera des cours à partir de 1936,
à des amatrices et amateurs de toutes conditions sociales). Comme Molière, Tony Grégory mourut en scène, à Neuilly, lors d’un gala…
Corse… En tout cas Français puisqu’il fut, avec Janine
Solane et Pierre Conté, l’un des trois concurrents français du concours des
Archives internationales de la danse de 1932 (l’Allemand Kurt Jooss l’emporte,
mais Tony Grégory se fait remarquer et est ainsi lancé à l’échelle européenne).
En 1934, il se produit beaucoup à Paris (si cela vous intéresse, l’article d’Anita
Estève, paru dans Le Midi socialiste
du 12 juillet 1934, vous en dira davantage…).
Tony Grégory eut sans doute des homonymes (non pas le
chanteur jamaïcain, plus contemporain, ou le boxeur), dont l’auteur de
nouvelles du magazine pour la jeunesse de Jean Bruller (du temps de Patapouf, Pif et Paf, Plick et Plock…).
Là encore, je vous laisse retrouver…
Comme vous le savez, grâce à Annette Gardet (docteure ès
études théâtrales pour sa thèse sur La Comédie de Reims), je me suis intéressé
à la décentralisation théâtrale. Donc au(x) théâtre(s) populaire(s). Fort peu à
la danse. Or, le « populaire » avait son pendant chorégraphique.
Ainsi, Tony Grégory participe au spectacle tiré du 14 juillet de Romain Rolland par Aragon. C’est en 1936 (donc hors-sujet
par rapport à l’article de Vailland, mais ce qui est épatant, c’est de voir
où Merpin, Omer, François et Vailland vous entraîne…). Romain Rolland consigne :
« on me dit que le plus beau est l’organisation
de ces danses et mouvements populaires par Grégory. ». Pendant aussi,
ultérieur, des spectacles populaires de Chancerel et Ghéon ? Si intrigués,
reportez-vous à la conférence de Chantal Meyer-Plantureux, « Les metteurs en
scène de Romain Rolland : un itinéraire politique » (consultable sur
le site association-romainrolland.org). Grégory fut-il aussi du Danton aux Arènes de Lutèce ? Je ne
m’étends pas… Pascale Goetschel note aussi « Le
chorégraphe de l’Utif [note : Union des théâtres indépendants de France,
ou « théâtre de la Liberté », qui avait intégré les membres de la FTOF,
Fédération du théâtre ouvrier], Tony
Grégory, est, lui, chargé de la fête populaire à la fin de la pièce et
précisément de la “ronde de la paix et de la fraternité” ». 150 « acteurs ouvriers » participent.
Quel rapport avec Vailland ? Peut-être aucun. Sauf que…
En 1936, Vailland se rapproche des protagonistes de la sphère culturelle du
Front Populaire. Rencontre-t-il Tony Grégory ? Ce dernier s’adresse-t-il à
lui en russe ? Risque-t-il un calembour (« Grégory, dit le Vert zélé ») ?
Car le titre de l’article le qualifie de «
danseur russe » aux «
vers
ailés ». Toujours est-il que dans l’année suivant la parution de l’article,
Les Archives internationales de la danse,
rendant compte du concours, ne considèrent pas Grégory si
has-been que Vailland le laisse supposer : «
Dans l’évolution actuelle de la danse (…),
M. Tony Grégory fait figure de précurseur.
Pour employer un terme dont on a abusé, il est “d’avant-garde” (…)
Dégagé ainsi des conventions paralysantes,
il a imaginé un mode d’expression d’une objectivité directe. ». Et
plus loin : «
Le danseur Tony
Grégory s’est toujours éloigné des formules acquises ». Grégory, en avril
1936, présenta aussi un ballet Palais de la Mutualité interprété par le «
groupe populaire Regards de Bobigny ».
Aragon revendiquera la conception d’ensemble (ou l’idée originale, comme on
voudra) de ce « spectacle-ballet » dans la revue
Commune (nº 34).
On sait Vailland/Omer à l’occasion critique
cinématographique. Peu après sa visite en son atelier, Tony Grégory avait
participé au gala de la revue
L’Image,
le 18 mars, « Le cinéma et la chanson ». Il est aussi qualifié à cette occasion de
créateur d’avant-garde.
Petite digression au passage (forcément…) : Vailland,
dans cet article, nous épargne une allusion au nez de Grégory (du fait du sien,
Vailland fut assez coutumier de telles remarques), tout à fait remarquable (photo
ci-contre).
Il semble que Tony Grégory avait plusieurs cordes à son arc.
Le Ménestrel le qualifie ainsi : « M. Tony Grégory est d’abord un peintre, il est ensuite un danseur (…)
il dessine lui-même ses costumes, règle lui-même ses éclairages… ». (26 juin 1931). Il crée aussi des masques, ou
on – Picasso – en crée pour lui. C’est aussi un mime réputé, un interprète et
compositeur musical.
Robert Desnos, pour Gags, spectacle inspiré de « gags
cinématographiques », dont ceux des Frères Marx, reprend une musique de Darius
Milhaud, et choisit Grégory pour chorégraphe, en août 1937, dans le cadre du
Théâtre 1937 (doté d’une scène circulaire) avec Les Ballets de Paris..
Reste « l’essentiel » (hum…) : pourquoi,
comme le fait titrer Vailland/Omer, «
danseur russe » ? Pour le
savoir (ou pas), reportez-vous
à
la transcription de l’article (en PDF) et à mes laborieux commentaires.
Mais quelque chose cloche là-dedans, et je retourne immédiatement (ou presque) aux
Leïla et Tania me restant sur la planche…
Ah, et puis à quoi bon relever qu'au lieu de s'intéresser au sujet principal, Vailland, comme à son habitude, s'étend sur une belle Allemande ? Enfin, s'étend. Ou laisse entendre qu'il voudrait s'étendre sur, par la suite... Dès qu'une sémillante étrangère se trouve dans l'assistance (ainsi de l'Égyptienne d'un certain dîner pascal qui doit pouvoir être retrouver sur ce blogue-notes), Vailland frétille, détaille, oublie même ce pourquoi Lazareff ou un confrère lui suggère de fournir un papier sur Untel ou tout autre. À moins qu'il ne choisisse ses sujets qu'en fonction des jolies femmes qu'il pourrait rencontrer (et tenter de séduire). J'en viens à me demander s'il ne délaissa pas – en partie, bien sûr – ce « type » de journalisme pour la carrière de romancier parce que, bien davantage que Tony Grégory, il devint has-been... Il qu'il valait mieux, pour retrouver des Leïla et des Tania, changer de registre.