Avec Frédéric Chef, la Marne gagne encore en étrangeté
Étranges Pays de Marne n’est pas la réédition, cette fois
illustrée par Daniel Casenave, du titre éponyme paru aux éditions rémoises du
Coq à l’âne (de Sandra Rota et Éric Poindron). C’est un autre livre…
Édition revue, augmentée, remaniée, pour Le Pythagore éd. Si
on veut, mais ces 160 pages n’ont que peu à voir avec les initiales, pourtant
saluées déjà par divers écrivains de renom. Frédéric Chef s’est encore bonifié
et si « le premier jet » était déjà œuvre littéraire beaucoup plus que
guide de ballades ou excursions dans la Marne (administrative et au-delà,
géographique), c’est à présent encore plus patent. L’excellente critique de Stéphane
Bacerowiak dans la revue Les Amis de l'Ardenne en témoigne, parmi d’autres (voyez, en ligne, sur le site de l’éditeur,
le texte concis de la préface de Bruno Tessarech, par exemple).
Frédéric Chef n’a pas que poussé de nouveau jusqu’au château
de Réveillon, proche de La Ferté-Gaucher, ou revisité les menhirs les plus
marquants du département (la Marne compte près d’une vingtaine de sites
mégalithiques). Il s’est surtout remémoré maintes émotions, s’est projeté (et
discrètement préfiguré) en diverses évocations peu ou prou en rapport avec ses
explorations.
Un mot sur l’auteur. Il y avait, à Reims, au Café du Palais,
du temps de Jean-Louis Vogt, diverses « bandes ». Celle des gens de
robe, de plume et pinceau, de scènes diverses (Comédie de Reims et autres), et
celle des estudiants (précoces ou attardés). Dont Chouf (dit à présent Fred plus couramment), « Chauvier »
(surnom moins usité de nos jours d’un homme de radio homonyme), « Monseigneur »
(Bruno Fuligni), Éric Poindron, « Alain Star » (pour une radio
libre), et Annette Gardet, auxquels je me joignais volontiers. Ce sans compter
les amis de passage, comme Lucifugus Merklen. Chouf pigeait occasionnellement
pour L’Union, ce qui lui valut de m’accompagner
(clandestinement, dans une voiture de service du journal) pour nous entretenir
avec Serge Gainsbourg peu avant son décès. C’était l’anniversaire de Frédéric. Ses
22 ans. Il aurait pu devenir un remarquable journaliste, mais peut-être pour
disposer de davantage de temps afin d’écrire de manière plus personnelle,
intime, il s’est tourné vers l’enseignement. Je consigne cela pour les consœurs
et confrères de la presse : bon angle pour entamer, ou à glisser lors d’, un
entretien…
Nous étions tous des lecteurs compulsifs. Évidemment curieux
des Phrères simplistes du Grand Jeu, des collégiens de la ‘Pataphysique,
&c.
Du Grand Jeu, Frédéric Chef en est revenu, Vailland, Daumal,
Gilbert-Lecomte, Meyrat… oui, bon… L’autre « déserteur » (avec
Vailland) du cénacle, Pierre Minet, l’intéresse à présent bien davantage.
De ce fait, à ses yeux, non aux nôtres, son chapitre
« La Cité des anges », avec en exergue une phrase de Philippe
Soupault (tirée de La Révolution
surréaliste), n’est pas son tout meilleur. Il comporte d’ailleurs une
imprécision (René Maublanc enseigna moins la philo aux Phrères que Marcel
Déat), et une précision trop souvent négligée. La revue Le Pampre (qui embarqua le premier poème publié de Vailland, En vélo) devait autant à René Druart qu’à
Maublanc. Il est aussi bienvenu de mentionner Roger Caillois « qui fréquente ses condisciples, mais de loin. ».
Par l’imagination, ils s’évadent de « Reims la plate »,
et « les égrégores [Ndr.
– anges du livre d’Énoch) simplistes
renouvellent les distractions (…) s’encrapulent
(…) foxtrottent, », partout
où « leur pilosité naissante »
peut leur valoir que soit accepté leur viatique. C’est la Rich Tavern, le
Grillon, L’Aquarium, l’hôtel Cristal, le Cyrano Bar (et quelques maisons de
passe sans enseigne). Chef situe une célèbre séance de roulette russe « dans les jardins de la Patte d’Oie ».
Cependant, il se préserve d’exploiter trop savamment une surabondante
documentation… Entre en jeu « Pierre
Minet, jeune Rémois et clochard céleste ». Point (plus loin sont
mentionnés La Défaite et Un héros des abîmes). Celui-là, ce
chaton vagabond, à mon sens, il se le réserve pour plus tard, et un prochain
livre…
Me Roland Dumas, pour les Amis de Gilbert-Lecomte,
contre dame Urbain (tribunal de Reims, 1969), n’est pas oublié. Sur Roger Vailland,
cette phrase en disant long sur le désintérêt progressif de l’auteur : « le roman à succès le happe ». Le
chapitre se clôt sur un ave à « ceux qui voulaient bien mourir à condition d’avoir
VÉCU. ». Et une évocation des vitraux de Josef Šíma, derrière l’autel, en Saint-Jacques (au bout de Drouet d’Erlon, près
de la fontaine Subé ; j’estime utile de me le remémorer). Šíma dont
certaines œuvres firent un flop lors d’enchères à Reims, ajouterais-je.
« Pour ce qui est du reste, ne cherchez pas. Il n’y a rien. » (à
Reims, du moins, ce que Philippe Lacoche, Daniel Rondeau et maints autres
déplorent toujours). C’est déjà davantage que ce que d’aucuns ignorent superbement.
Ci-dessus, la recension ludico-rémoise reste incomplète : lisez ces Étranges Pays de Marne… Mieux, suivez-les, prolongez sur place.
Reims s’embellit considérablement, et « la plate » compte à présent maints hauts-lieux de vie diurne et
nocturne. Et rayonnez. Souriez, en compagnie de l’ange de la cathédrale, en
lisant vraiment (et non compulsant seulement) ce livre attachant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire