lundi 8 juin 2020

Presse Murdoch : un New York Times ultra-gauchiste

Tout opposant à Trump classé anarcho-communiste

Michael Goodwin, du New York Post (groupe Murdoch) vient de décréter que le New York Times était devenu un repaire d’ultra-gauchistes… Il s’agit en fait de conforter la stratégie électorale de Trump : Obama, les Clinton, les Bush même, et bien sûr Joe Biden ne sont plus des socialo-communistes mais des terroristes ultra-gauchistes.
Le prétexte n’est pas mauvais. Certes, le New York Times a publié une tribune libre du sénateur (républicain, Arkansas) Tom Cotton approuvant Donald Trump voulant envoyer l’armée disperser les manifestants mobilisés par la mort de George Floyd. Mais la rédaction du NYT, le 5 juin, avec un éditorial du redchef, Dan Baquet, a présenté ses excuses au lectorat : la publication fut trop hâtive, des propos du sénateur auraient dus être assortis de mises au point rectificatives.
C’est un peu comme si Le Monde avait offert une tribune à Christan Jacob déclarant que qui proteste contre les violences policières en France est soit un malfrat, soit un anarcho-bolchévique, et qu’il faut tirer dans le tas. Puis qu’un éditorial précisait que, non, tout manifestant n’est pas « un prétendu manifestant », que oui, une fraction des forces de l’ordre est manifestement raciste. Que non, les chars et autres blindés, les hélicoptères de la gendarmerie mobile ne doivent pas disperser les manifs à coups d’obus et de bombes.
Pour Mitterrand, de son temps, Le Monde était un repère de « cathos de gauche » (rapporté par Jacques Attali dans son Verbatim, t. 3). Pas tout à fait des terroristes léninistes, donc, mettons, pour adapter au goût du jour, des droitsdelhommistes un peu niais. Pas vraiment des journalopes à la solde du Kremlin ou de Pékin, ou des séides de Pol Pot, le Kim Jong-un cambodgien.
Mais, comme on dit, padamalgame, pas de parallèle abusif… Du moins quant aux propos de Christian Jacob qui n’a pas plagié les propos du sénateur trumpiste Tom Cotton dénonçant des élites excusant « une orgie de violence » histoire de faire preuve de radical chic.
Pour le reste, oui, tout opposant à Trump est devenu à ses yeux un traître à la solde de la dictature communiste chinoise qui a sciemment propagé le covid et sabote à coups d’attaques informatiques toute recherche occidentale visant à mettre au point un vaccin. Un traître, donc, un criminel relevant du poteau d’exécution.
La presse Murdoch, qui a tout fait pour accréditer l’hypothèse que la Chine ait intentionnellement créé le virus va sans doute embrayer.
Titrer, comme l’a fait le New York Post (NYP), « les gauchistes contrôlent étroitement le New York Times  », n’est sans doute qu’un premier ballon d’essai. Pour le moment, ces gauchistes ne sont pas déjà rémunérés en sous-main par Pékin. Mais les fomenteurs des manifestations rassemblant des « masses orgiaques » (autre édito du NYP) qui répandent le virus que combat si efficacement Donald Trump, ne vont pas tarder à être qualifiés de complices de Pékin.
J’exagère ? À peine. Ils n’en sont pas loin.
Pas d’importance, les États-Unis, c’est loin. Pas tant que cela, et si cette stratégie aboutissait à la réélection de Trump, croit-on vraiment qu’un Christian Jacob, un Éric Ciotti se dispenseront d’en tirer des enseignements féconds ?
Là, oui, j’exagère. Mais on peut se demander si les initiatives de Jacob et Ciotti ne sont pas des « ballons d’essai », histoire de tâter le terrain. D’aller demain un peu plus loin.
Il serait outrancier d’avancer qu’après avoir demandé que tout visuel de policier ou gendarme soit flouté avant diffusion « dans l’espace médiatique », Ciotti recommanderait que de tels visuels ne puissent jamais être transmis, non floutés, aux autorités ou, le cas échéant, aux jurés. Ciotti n'a pas déjà réclamé l'impunité automatique. Ni ne l'a même sous-entendu.
Ce qui m’avait choqué dans le visuel du policier Chauvin humiliant Floyd, c’était son sourire de profonde satisfaction qui pouvait être interprété comme une manifestation d’extase sadique.
L’outrance inverse serait de faire du groupe Facebook TN Rabiot Police Officiel (3 % des effectifs) le reflet de l’ensemble des forces de l’ordre. Ou même de présupposer que des membres de ce groupe, y compris ceux tenant des propos « discutables », voire enfreignant lois et règlements, se livreraient systématiquement à des « dérapages » (doux euphémisme employé par Christian Jacob pour qualifier des actes que d’autres définissent violences policières).
Comme la plupart de la population française — dont j’estime être partie prenante — je me sens comme ce commerçant auquel George Floyd avait  refilé une billet de 20 USD contrefait : très content de voir arriver la police, atterré de voir un Chauvin humilier le délinquant de la sorte.
J’ai même savouré le cinglant billet de Nathalie Bianco dans Marianne défrisant Camélia Jordana qualifiée de « nouvelle égérie de la France “anti-flics”  ». Titré « Camilia Jordana : ras-le-brushing de la posture victimaire ». Lequel billet est peut-être d’ailleurs excessif. Mais fort bien enlevé.
En très clair  : je suis bien content de voir passer dans ma rue une voiture de police, surtout lorsque je constate que toutes les petites vitres des portières de l’avant d’une quinzaine de voitures ont été brisées pour faucher tout ce qui pouvait l’être à l’intérieur.
Il ne s’agit pas non plus de renvoyer dos à dos « anti-flics » et la plupart des syndicats de police toujours prêts à soutenir tout policier, quoi qu’il ait fait, pour obtenir des votes et des permanents supplémentaires.
Ce que reproche aussi Michael Goodwin (NYP) à l’ensemble de la rédaction du NYT, c’est de mélanger factuel, reportage, et expression d’une opinion. Soit d’enfreindre « l’une des traditions fondamentales du journalisme ». Soit : le terrain s’en tient aux faits, les éditorialistes commentent. Ou l’étanchéité entre la newsroom et “the editorial and op-ed pages” (les éditos et les tribunes libres).
Or, que lis-je dans Le Figaro de ce jour ? « La police des polices chargées d’un nombre inédit d’enquêtes en 2019 ». Soit un papier reprenant une enquête de l’AFP : +41 % de saisines de l’IGPN sur un an. Une IGPN chargée de faire le tri entre « allégations » et saisines pouvant conduire ou non à sanctions (une douzaine de policiers susceptibles de faire l’objet de poursuites judiciaires, selon la directrice de l’IGPN). Je ne commente pas, je répercute.
Mais cela mérite cependant commentaire. La rédaction « avec AFP », emploie les termes de « violences illégitimes », et « violences policières ».
Or, selon Christian Jacob, « les violences policières en France n’existent pas ».
Par conséquent, le Figaro véhicule des intox, des fake news ? Et lorsque Marianne rapporte « Échanges racistes : six policiers de Rouen renvoyés en conseil de discipline », à la suite de Mediapart et d’Arte Radio ou Paris-Normandie, s’agit-il de manœuvres d’une lame press ? Le risque d’un « amalgame invraisembable » (Christian Jacob à propos des polices française et étasunienne) commence-t-il à poindre ?
Verra-t-on bientôt les rédactions françaises intimées de qualifier de « masses orgiaques » tout rassemblement déplaisant aux sieurs Jacob et Ciotti ?
Je ne saurais reprocher au Figaro d’avoir répercuté les propos de Christian Jacob tenus lors de l’émission « Le Grand Rendez-vous ». Mais cela remémore un peu trop la fameuse boutade de Woody Allen sur la presse : « un quart d’heure pour Hitler, un quart d’heure pour les déportés ». Le Fig’ fit suivre cet article d’une accroche « Mélenchon juge les syndicats de police “indignes” ». Damien Abad (LR lui aussi) avait estimé qu’il n’y a pas « de racisme instutionnalisé et organisé » par la police ou la gendarmerie, mais sans réfuter que puissent être observés « des excès » et « des dérives indidividuelles », sans exclure qu’ils puissent être sanctionnés. Dont acte.
La Dame grise (du fait de la façade de son immeuble, le NYT est surnommé The Gray Lady) se voit donc reprochée d’avoir viré au radicalisme le plus virulent, de publier « une brochure de propagande » (sous-entendu : anti-Trump). Depuis, le rechef des pages des tribunes et son adjoint ont accepté une mutation.
Ce qui me semble sûr, c’est de n’avoir jamais vu, lu ou entendu que des journalistes se soient groupés pour tabasser un ou des policiers, mais que l’inverse s’est vérifié. Je me souviens aussi que lors des septennats Mitterrand, il était reproché à la presse de monter en épingle la grogne des gendarmes revendiquant de meilleures conditions de travail. La profession est à présent accusée par certains de servir la soupe aux syndicats de la police. De temps à autres, pour paraphraser Nathalie Bianco, on en a ras-la-coupe en brosse, le carré, ou autrement.

P;-S. — j'ai bien noté, dans Le Figaro, la tribune de Fabien Vanhemelrych, SG du syndicat policier Alliance « Ne faisons pas croire que la police est raciste ». Je ne vais pas supputer qu'il s'agit de ne pas désavouer frontalement le ministre de tutelle et de « coller » à son discours. Il s'agit bien d'un rappel à la responsabilité des ttroupes. Dont acte. Mieux vaut tard que jamais. Ces propos mesurés tranchent avec le ton antérieur, le déni quasi systématique. Tant mieux.

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