Vers la démultiplication des bavures policières ?
Voici un… certain temps que je me devais de chroniquer
le livre de Fabrice Grimal, Vers la révolution . J’abdique. Mais je saisis l’occasion d’un grave incident impliquant des policiers pour évoquer son
Journal d’un gilet jaune (en ligne sur le site de l’auteur).
Les faits ou prétextes immédiats. Selon « une certaine
presse » (Le Figaro), un jeune motard aurait percuté la portière ouverte
intentionnellement d’une voiture banalisée de police à Villeneuve-la-Garenne en
« des circonstances troubles ». Comme d’habitude, les
policiers ont argué du comportement du motard. Comme parfois des vidéos accréditent
l’hypothèse « que la portière avait été délibérément ouverte pour
stopper le motard ».
Ni un journaliste de l’AFP, ni un localier du Figaro,
ni moi-même n’étions sur place. Et je ne vais pas vous rabâcher ce que je pense
du recrutement des policiers (soit l’histoire d’un docteur en sociologie méchamment
recalé à l’oral du concours).
Ex-fait-diversier et chroniqueur judiciaire, je considère
avoir « bien connu la police » et que « c’était mieux avant » (des années 1950 à 2000). J’ai
foultitude d’exemples personnels élogieux ou amicaux à l’égard non des mais de
policiers, nuance.
Il faut bien sûr aussi considérer que, pour la police aussi « c’était
mieux avant ». Un peu partout d’ailleurs. J’en veux pour preuve les fortes
majorations des montants des amendes en Espagne (1 500 euros pour se
rendre en résidence secondaire pendant le confinement, beaucoup, beaucoup
davantage si on tente simplement d’argumenter avec insistance ou, pire, d’insulter ou menacer).
Soit dit en passant, la qualité du recrutement est en relation
avec l’attractivité et les (pénibles) conditions d’exercice du métier.
Pour vous évoquer Le Journal d’un
gilet jaune, de Fabrice Grimal, il convient d’énoncer que les porteuses
et porteurs de gilets jaunes m’ont parfois gonflé grave. Le type à 4 000 euros
de revenus mensuels descendant dans la rue en jaune, le couple avec pavillon
impeccable et 4×4 neuve criant misère, les manifestants en jeans de marque qu’on
ne trouve pas sur les marchés, eh bien, cela ne crédibilisait pas trop ce
mouvement. Lequel, par ailleurs, pour tant d’autres, se justifiait amplement. Ingrid
Levavasseur m’inspirait une forte sympathie.
Je veux admettre, comme me le disait un ami fort autorisé à
le dire que de notre ancien temps « les pauvres savaient vivre comme
des pauvres ». Mes potes toujours dans les sous-sols de la dèche et dont
la « garde-robe » consiste en trois jeans à dix euros pièce n’ont pas
ressenti l’urgence d’acquérir ou de faucher un gilet jaune.
Autant dire que cette évocation de ce Journal et du livre Vers
la révolution (J.-C. Godefroy éd. ; larges extraits en ligne sur le
site de Fabrice Grimal) n’est pas tout à fait une spéciale copinage.
J’ai pourtant vaguement connu le jeune et charmant Fabrice
Grimal, batteur plus qu’amateur en garage et bosseur en prépas écoles de
commerce. J’étais loin d’imaginer qu’il pondrait un bouquin si soigneusement
documenté et argumenté.
Mon impression première : c’est du niveau d’un
Raymond Aron — pour ce dont je me souviens confusément ; pas relu de
longue date — et de nombreux crans au-dessus de ce qui se publie d’à-peu-près
similaire, rayons éco et scpo. Pour Grimal « une éventuelle nouvelle révolution
française » reste une hypothèse, non un postulat. Mon appréciation de
son travail est d’autant plus sincère que je suis en net désaccord avec l’auteur
sur l’Union européenne.
L’UE, comme pourrait l’écrire Yuval Harari, est une religion
comme tant d’autres. Faute de mieux, cela reste la mienne et ce livre vaut pierre
de touche. De quoi remettre quelques présupposés en question. Ce que, pour mon
compte, la presse anglaise (je ne parle pas des affabulations et rodomontades d’un
Boris Johnson, de la prose du Daily Express, mais de critiques sérieuses
et fondées, étayées) ne parvint pas à faire, Grimal y échoue de fort peu (l’apostasie
épouvante souvent, y compris les plus lucides, je laisse à l’UE le temps que
Roger Vailland laissa à Staline).
Ce Vers la révolution, sous-titré « Et si la France
se soulevait à nouveau ? » est un lourd pavé. (330 pages) structuré,
soigneusement argumenté.
Pour qui ne se sentirait pas la capacité de s’y plonger, les
larges extraits sur le site sont abordables. Et vous retrouverez aussi aisément
l’entretien
donné par l’auteur à David L’Épée de la revue Éléments.
Quant au Journal, il ne se résume pas à l’anecdotique
ou à une énième dénonciation des bavures (euphémisme) policières. S’y glisse par
exemple une référence à « l’imperium que Lordon [Frédéric] emprunte
à Spinoza ». Fabrice Grimal puise à de multiples références en
rappelant que « le camp d’en face possède toujours une partie de la vérité »
et revendique d’avoir mené « une quête d’honnête homme » s’étant
décantonné de ses présupposés. On ne pourra le lui disputer ou l’accuser de
restriction mentale. Pour qui se veut soucieux de ne pas proférer sans nuance ou
nécessaire correctif des jugements à l’emporte-pièce, ces deux ouvrages
confinent au nécessaire. Grimal fonde peu d’espoir en une insurrection qui
viendrait inéluctablement. La convergence des refus n’est sans doute pas pour
demain. Mais, comme il l’énonçait lors d’une conférence du Cercle Aristote :
« pourquoi s’interdire d’y penser ? ».
P.-S. — sur cette histoire de motard et de portière, Le Monde est beaucoup moins affirmatif que Le Figaro. Bref, on ne sait trop si l'ouverture de la portière, par un commissaire, fut intentionnelle (pour stopper le motard, non pour le blesser) ou accidentelle (soit une imprudence que signalent tous les moniteurs d'auto-école).
P.-S. — sur cette histoire de motard et de portière, Le Monde est beaucoup moins affirmatif que Le Figaro. Bref, on ne sait trop si l'ouverture de la portière, par un commissaire, fut intentionnelle (pour stopper le motard, non pour le blesser) ou accidentelle (soit une imprudence que signalent tous les moniteurs d'auto-école).
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