Avec La Loi, prix Goncourt 1957, Vailland a-t-il rompu avec Vailland ?
Vaste question, à laquelle de multiples réponses ont déjà
été apportées… Elle sera donc ci-dessous esquivée… Mais la critique d’Émile
Biollay dans Le Nouvelliste valaisan du 13 janvier 1958 me l’a remémorée et il
m’a semblé, par ce temps de canicule, judicieux de tenter de m’en entretenir.
Autant l’avouer : ce qui suit doit tout à ma paresse aggravée
par la température quasi sub-saharienne qui engloutit Paris. Je me devais
(ainsi qu’à d’autres…) de reprendre le document « Les lieux de Vailland »
– enfin, celui portant sur les principaux que fréquenta Roger Vailland – mais la
tâche m’a semblé trop fastidieuse. D'où cet énième écart qui fait qu’au lieu de
chercher à préciser où fut écrit La Loi (certainement près de Gargano,
dans les Pouilles, ce qu’Élisabeth Vailland indiqua à Daniel Rondeau), je
remonte à la relative fraîcheur de Sion et de son Nouvelliste (1903-1960,
depuis 1968 Le Nouvelliste & Feuille d’avis du Vailais).
Cela parce que je venais de redécouvrir un avis de Morvan
Lebesque portant sur Un jeune homme seul, dans Climats (« hebdomadaire
de la communauté française » ; « grand hebdomadaire
colonial », créé par Maurice Chevance, dit « Bertin » en 1945) :
« Quel écrivain pourrait être M. Roger Vailland si seulement il était
un écrivain libre… Je sais bien que ce livre est destiné à me convaincre, à me
démontrer la supériorité d’une idéologie sur les autres… Mais, enfin, je voudrais
bien qu’un jour M. Vailland écrivît selon son cœur, et rien de plus. ».
C’est l’époque à laquelle Vailland recommence à faire de l’entrisme pour
adhérer au PCF (ce qu’il obtient l’année suivante).
Survient le rapport Khrouchtchev puis l’écriture de La
Loi, roman qui fut dit formaté pour remporter un prix littéraire. Le vœu de
Lebesque est partiellement exaucé comme en témoigne cet article d’Émile Biollay :
Vailland « s’est refusé à l’engagement ». D’autres, qui ne s’y
étaient pas refusés, suivront, comme Lenù Greco, l’héroïne d’Helena Ferrante (la
saga napolitaine L’Amie prodigieuse). Or Vailland n’a jamais cessé d’être
engagé et l’année – 1964 – où Vailland publie son « Éloge de la politique »
dans Le Nouvel Observateur, il promet à Lucien Bodard son soutien alors
que ce dernier est vivement critiqué en raison de son livre La Chine du
cauchemar (1961) et des articles qu’il publie sur Mao et le maoïsme… Bodard
et lui se retrouvent au bar du Port-Royal et… Zut, encore un lieu revenant à la
surface.
Le lieu de La Loi, c’est Porto-Manacore… Proche du
golfe de Manfredonia… Et peut-être, mentalement, ce Gargano isolé, inspire
cette appellation qui évoque, à une voyelle près, le monachorum (des
moines et moniales) : exposant l’élaboration de La Loi avec
Madeleine Chapsal, de L’Express (12 juillet 1957), Vailland insiste sur
l’ascèse du temps de l’écriture ; pas d’alcool, juste du café, pas de
distractions, et retour à la fréquentation des autres « quand le roman
est fini ». En fait, j’extrapole car un lieu-dit Baia di Mancore se
situe à proximité de Peschici (et est devenu Manacore del Gargano).
Émile Biollay (qui signait parfois Paul Herbriggen) est un
ancien professeur d’université au Caire devenu enseignant au lycée cantonal de
Sion, historien et chroniqueur. C’est un écrivain « progressiste »,
proche d’Albert Béguin (des Cahiers du Rhône puis successeur d’Emmanuel Mounier
à la tête de la revue Esprit en 1950) et de son épouse, Raymonde Vincent.
La Loi (et sa traduction La Legge, sa transposition
à l’écran, qui irrita les censeurs italiens) a suscité d’innombrables
commentaires. Je tiens celui d’Émile Biollay pour l’un des meilleurs, en dépit d’une
conclusion sévère et que j’estime erronée. Peut-être parce que divers
personnages féminins me font penser à Lina Cerullo, l’alter ego de la Lenü
Greco de Ferrante : ces femmes se mobilisent dans leur village comme elle, Lila, pour
son quartier, pour les siennes et les siens.
Vailland ne cotisa plus au PCF
mais il resta proche des militantes et militants de son entourage. Et puis, j’en
viens à me demander si, sans La Legge, les Lenù-Lila de Ferrante
seraient devenues ce qu’elle en fit. Et quand je lis dans la presse italienne que
Vailland et ses œuvres seraient à présent “quasi dimenticati” (oubliés,
délaissés), je me dis que c’est fallacieux mais aussi que cette approximation
outrancière est toute provisoire. Le temps est propice à lire ou relire La
Loi dans la fraîcheur d’un trullo de l’Aia Piccolla d’Alberobello. En
attendant de vous y rendre, consultez peut-être l’article
d’Émile Biollay dans Le Nouvelliste valaisan…
Sur la réception de La Loi en Italie (à l'époque de sa parution)on peut lire ça :
RépondreSupprimerhttps://www.larevuedesressources.org/reel-et-metaphore-roger-vailland-et-l-italie,1164.html