Curieux Anglais : insulaires avant tout ?
Au revoir John Bercow. Voici
Lindsay Hoyle, Speaker des Commons pour un jour (car le Parlement sera suspendu
demain, mercredi). Deux lustres de John Bercow, conservateur remuant, et… Notez que c’est un
travailliste qui succède à un conservateur.
L’actu, c’est bien sûr que Lindsay
Hoyle, travailliste, succède à John Bercow, conservateur, en qualité de
président des Commons. Mais c’est moins important que la décision de Nigel
Farage de présenter 600 candidats d’en autant de circonscriptions. Soit,
marginalement, de limiter la prédominance des conservateurs. En fait, faute
d’accord ratifié entre le Brexit Party et les Tories, une sorte de compromis
tacite entrera en vigueur : le Brexit Party visera en priorité les circonscriptions
travaillistes à dominance Leavers (pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union
européenne), mais n’endommagera pas trop les conservateurs ailleurs. Ce fut un
peu la stratégie de Donald Trump lors des dernières élections
étasuniennes : mettre le paquet là où c’est le plus jouable.
Qu’en résultera-t-il ?
Peut
être un hung Parliament (sans majorité). Sauf que… En Irlande du Nord, les
républicains (le Sinn Fein) ont passé un contrat avec les Remainers (donc, le
DUP, les unionistes, peuvent craindre de perdre au moins un siège). Sauf que…
Je ne vais pas vous barber avec le SNP (indépendantistes écossais), troisième
formation aux Commons en nombre de sièges. Ni trop entrer dans les arcanes des
prévisions de résultat des prochaines élections.
Ce qu’il faut peut-être bien
intégrer, c’est ce que dit Donald Tusk de Tony Blair. Pour les Anglais
(j’exclus les Écossais et les Gallois), l’Union européenne (nouzôtres), ce
n’était qu’une opportunité commerciale. Du business, pas autre chose. En
d’autres termes : mieux se gaver. Inversement, d’autres intérêts ont
estimé que l’Union européenne était un carcan.
Hier soir, un ami, A. G. Leduc
pour ne pas le citer, me dit en substance « dessine-moi le Brexit ».
Simple : d’un des intérêts financiers à court ou moyen terme et des
ambitions politiques, de deux, divers Anglais (et, hélas, des Cornouaillans)
vaguement fêlés du bocal. Qu’en Breton (« tête de con »), je
comprends. Quoique, pour les Cornouailles, je me demande encore si les très
nombreux Anglais s’y étant établis ne l’ont pas emporté. Tout anglophile, dont
je suis, est un poil ou en plus velu encore anglophobe (modéré) ; les
francophiles anglais réciproquement.
Cela étant, je partage l’opinion
de Sébastien Lacroix, de L’Union (amicaux souvenirs au passage) : « Dites-vous
bien que, si vous avez compris le Brexit, c’est qu’on vous l’a mal expliqué. ».
Définition du Brexit : semi-oxymore, hémi-antilogie. Simplicius Simplicissimus
(le personnage de von Grimmelshausen) et le Hans im Scnokeloch auraient pu en
débattre longtemps pour arriver à cette conclusion : dans le Brexit, il y
a à boire (dru et de travers) et à manger (indigeste), un peu de tout et son
contraire.
Vu d’ici, il faudrait peut-être
comprendre que the times, they’re a-changin’, que certes la France fut
le meilleur soutient des États-Unis (des origines) ; mais que, depuis, la
vassalisation du Royaume-Uni… Auquel il n’est proposé d’autre choix que de
choisir son « joug ». Ce que je peux exposer sans risque me faire
casser le portrait dans le plus proche débit de boisson de John O’Groats mais
pas dans un pub du Yorkshire. C’est un peu ce qu’exprime autrement
Jeremy Corbin (faut-il mieux être à la merci clémente de Bruxelles qu’à celle léonine
de Washington ?).
Rien n’est simple, ni dans les
propos des uns ou des autres, ni dans les arrière-pensées. Exemple : Jeremy
Corbyn promet qu’en cas de victoire des travaillistes serait organisé un
nouveau référendum et « en même temps » assure que son parti se fixe
jusqu’au 20 juin pour obtenir de Bruxelles un meilleur accord que le protocole
de Boris Johnson. Le conservateur Michael Gove se dit à la fois assuré de
signer un accord de libre-échange avant la fin 2020 et néanmoins rappelle qu’il
faut se préparer à toute éventualité (dont celle d’un no-deal, et d’interminables
échanges sur les échanges commerciaux).
Dessine-moi le Brexit, ardu. Un,
des Brexit, envisageable.
Mais prévoir le résultat des
élections, même si les sondages conservent les conservateurs en tête, et ce qui
s’ensuivra, alors là…
Pratiquement tous les partis (hors
Lib-Dem et SNP, DUP peut-être) sont divisés. Une vingtaine de candidats potentiels
viennent de quitter le Brexit Party. Lequel présente dans le Sussex un
Australien-Américain qui n’a qu’un an de résidence au Royaume-Uni mais indique qu’il
obtiendra à temps la nationalité britannique. Ce qui n’est pas un requis (tout
citoyen d’un pays du Commonwealth peut voter et se présenter).
Eau chaude, eau froide, eau mitigée,
chantait Boby Lapointe (Le Tube de toilette). Brexit dur, mol, dièse ou
bémol, de toute façon, les prolongations seront sans doute aussi importantes que
le type de protocole adopté (quand ?) par le Parlement et aboutissant à un
accord. Comme l’a rappelé Michel Barnier, l’objectif de l’UE est aussi « zéro
dumping » (fiscal). Pas de taxes, pas de quotas réciproques, mais en
sus, pas de concurrence déloyale pour attirer des entreprises et des capitaux.
Il faudra près de deux ans, estime-t-il, pour parvenir — ou non — à un accord
de libre-échange.
En tout cas, la campagne s’annonce
plus qu’animée. Les échanges de noms de poissons-volants vont voler et plonger
plutôt bas. Le chanteur Stormzy vient de qualifier le conservateur Rees-Mog de « véritable
étron » (“actual piece of s***”). Cela donne le ton. C'est vrai qu'il est gluant, Rees-Mog, l'affalé des Commons. On va jouer Shitty
Shitty Bang Bang ; version gore.
C’en est à se demander si les
Anglais, qui brassent autant de bières que les Français affinent de fromages,
ne se sont pas francisés, devenant ingouvernables. Aucun des chefs des quatre
principales formations (hors SNP, 36 sièges à Westminster) n’est vraiment
populaire (voir le tableau du Daily Express).
Américanisés aussi quand on voit
une publicité de la Fair Tax Campaign sur Facebook affirmant que voter
travailliste condamnera à payer 214 livres de plus en impôts et taxes
(quoique… en 1981, on vit des Français assurer que Mitterrand interdirait le
PMU). Quand on sait que Moscou affûte l’infotox.
En fait, hier, c’était hier (qui se prolonge nonobstant),
aujourd’hui est incertain, encore moins que demain… Pour le moment, la libérale-démocrate
Jo Swinson assure qu’elle revendiquera le poste de Premier ministre et qu’elle exclut
se rallier aux travaillistes.
Mais, selon The Sun, qui
hurle au complot « remainiste », Jeremy Corbyn s’est refusé à dire qu’il
ne révoquerait pas l’article 50 pour obtenir l’appui de Jo Swinson afin d’accéder
à Downing Street… Pas de telle coalition, répètent les travaillistes… Mais dans
cinq-six semaines, entre 35 et 40 jours, voire auparavant ?
Dans ce cas, le Brexit resterait
le plus fort accès de fièvre que le Royaume-Uni aura connu en ces débuts de siècle…
Ce qui ne changera sans doute pas,
c’est l’attachement des Britanniques à leurs innombrables et cocasses
traditions… Le nouveau Speaker, Sir Lindsay, possède divers animaux
domestiques. Boris (Johnson) le perroquet ; Gordon (Brown) le rottweiler ;
Maggie (Thatcher) la tortue ; Betty une chienne terrier (du nom de sa
collègue Mrs Boothroyd). Il a été désigné après quatre votes successifs puis
« traîné » à son perchoir en faisant semblant de ne pas vouloir le
rejoindre. C’est ainsi. Us pérennes. Toutefois, on ne sait s’il se coiffera de
la perruque en crins chevalins de ses fonctions dont Betty Boothroyd puis Michael
Martin et John Bercow s’étaient dispensés (en 1992). Bercow était allé plus
loin en enfilant une sorte de blouse en lieu et place de la robe noire à parements
et poignets blancs… Croyez-le ou non, un candidat malheureux au poste avait
annoncé qu’il reviendrait à la tradition (remontant aux années 1680, wig
et gown d’époque). Commentant ces déplorables infractions, The
Telegraph avait condamné ces fâcheuses concessions à l’Eurostyle (comprenez :
continental).
Kate Hoey (travailliste), saluant
le nouveau Speaker, exprima sa défiance envers la « modernisation »
et en appela au respect des traditions. David Lidington a plaidé pour « la
restauration et le renouveau » de la culture et des mœurs multiséculaires des
Commons.
L’une des erreurs commises lors de
l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE fut peut-être de ne pas doter les
parlementaires européens d’une tenue solennelle, et de ne pas instaurer de
rituels. Pompe et décorum.
Récemment, à Strasbourg, je vis un
député européen (italien ? oublié son nom) prendre la parole, coiffé d’une
casquette de base-ball portée sur le côté, tel un marlou de naguère la sienne
de laine. Not cricket (incorrect) et même so shocking (indécent).
Le Brexit, c’est aussi cela : proud to be a Briton… Comme le
proclama George The Third accédant au trône (en 1760).
Je ne saurais dire si le sentiment
majoritairement pro-Européen des Écossais reste en partie lié à la nostalgie de
la Auld Alliance (avec la France).
Ce qui me semble sûr, c’est qu’au
cours de cette campagne électorale britannique, Bruxelles et les autres
capitales des 27 gagneront à s’abstenir de s’en mêler. C’est mal parti
avec des déclarations de diplomates critiquant les déclarations « irréalistes »
de Corbyn. Certes, Tusk a exprimé le regret de ne pas avoir répliqué aux mensonges
et exagérations de Boris Johnson et de Gove au cours de la campagne pour le
référendum. Mais il cède sa place au Belge Charles Michel, que l’on dit proche
des positions d’Emmanuel Macron. Mais moins impulsif, plus modeste, que ce
dernier.
Jusqu’au dénouement (fin 2020, fin 2021 ?) ne
dessinons pas le Brexit…