Dialogue
citoyens/journalistes : c’était mieux avant ?
Voici
peu, je recevais un courriel des Assises internationales du journalisme
intitulé « Appel : journalistes et citoyens, et si on se parlait ? ».
Les « Gilets jaunes » en sont sans doute la plus récente raison. Mais
à la lumière de la presse de naguère, je me demande si cette supposée absence
de dialogue n’est pas – partiellement – due à l’évolution (salutaire par ailleurs)
des médias…
Allez,
soyons déontologiques : j’avoue que je prends prétexte de cet appel pour
vous entretenir principalement de ma redécouverte fortuite d’une tribune de
Claude Roy prenant fait et cause pour Roger Vailland dans La Défense (organe du Secours populaire, année 1952). Ce qui
dispensait Claude Roy d’un droit de réplique adressé à L’Aurore. Vieilles lunes ? Finalement, pas tant que cela…
Mais je relaie d’abord cet appel de l’association
Journalisme & Citoyenneté en toute confraternité. En bref, il invite à s’exprimer
sur la page Facebook « Journalistes et citoyens, et si l’on se parlait ? »,
et convie à dialoguer de vive voix, à Tours, les 13, 14, et 15 mars 2019 lors d’Assises
« largement consacrées aux questions
posées par la crise des “gilets jaunes” » (pardon, la juste irruption
dans l’espace public des damnés de la Terre ; crise ? non, les « Gilets
jaunes » ne sont pas plus des fauteurs de crise que les maîtres & compagnons
de la corporation métiers de bouche ne peuvent être assimilés au « Boucher
de Lyon », i.e. Klaus Barbie : se rapporter à la presse de
mai-juillet 1987 ; au passage, excusez cet écart d’avec l’orthographe
inclusive). Le texte se trouvant en ligne sur le site journalisme.com, vous
pouvez le consulter pour en savoir davantage, soit prendre connaissance de l’argumentation
de Jérôme Bouvier, président de l’association.
Cela étant, avant de vous enjoindre à survoler
le document PDF intitulé « Roger Vailland, espion soviétique en Égypte ?»,
quelques considérations générales. Qui lit ou relit la Monographie de la presse parisienne de Balzac se rend compte à quel
point les médias d’à présent diffèrent de ceux d’antan, et même de ceux de
naguère.
Le dialogue entre journalistes et
lecteurs n’est pas une nouveauté, et il s’est même, pourrait-on penser, amplifié :
les sites de nombreux médias sont ouverts aux commentaires, les journalistes se
font interpeller via leurs blogues, pages Facebook, « fils » Twitter.
Les chaînes, les stations de radio, composent des « panels » d’intervenants
divers, d’opinions contrastées, et tous ne sont pas des experts. Qui a fait
émerger, puis popularisé, Ingrid Levavasseur, tête de liste des « Gilets
jaunes » (plus largement du « Ralliement d’initiative citoyenne »)
aux prochaines élections européennes ? Principalement elle-même, mais
aussi BFMTV et d’autres médias…
Mais en consultant le texte de Claude
Roy (Claude Orland, dit…) croisant le fer avec Robert Bony (Robert Lazurick de
son patronyme), on mesure à quel point les journalistes s’invectivaient. Pour
le patron de L’Aurore, Roger Vailland,
auteur de Choses vues en Égypte, cachait
sous son feutre de journaliste un calot d’agent du Kominform (de l’Union
soviétique et du PCF). Claude Roy démentait ; « véhémentement »,
estimerait-on aujourd’hui, et invectivait : « Il n’arrivera jamais Robert Bony d’avoir du talent, comme il ne lui est
jamais arrivé d’être honnête. ». Imaginez de telles passes d’armes publiques
entre journalistes, ou même éditorialistes ? Les lecteurs d’un bord ou d’un
autre ne mettaient pas alors tous les membres de la profession dans le même sac,
et parfois jubilaient sans éprouver le besoin de se manifester, voire de vouer
le plumitif du camp adverse aux pires gémonies. Il est vrai que réclamer le
couperet ou le peloton d’exécution par voie de presse, comme au temps de l’Occupation
puis de l’épuration, semblerait déplacé, outrancier, et exposerait à des
poursuites. Il n’est plus à présent qu’en Suisse que le duel reste légal. Le
dernier duel notoire opposant un journaliste (Victor Noir) à un adversaire
(Pierre-Napoléon Bonaparte) remonte à 1848. Ce dernier s’était vertement
exprimé dans L’Avenir de la Corse, La Marseille fit monter le ton d’un
cran. La balle touchant Victor Noir fut mortelle…
Dans ces conditions, la voix « du
peuple » était incarnée par les confrères, ce qui dispensait les lecteurs,
non d’en venir aux mains à l’occasion, mais de dénoncer une nébuleuse « presse
pourrie » présumée monolithique (« les médias »). Chacun avait
ses porte-voix, soit aussi des journalistes aux opinions tranchées, au verbe-mégaphone.
Trop policés, les médias actuels ?
Peut-être, mais faut-il vraiment s’en plaindre autant ? Les poursuites
pour diffusion de fausse nouvelle se font rares, ce en raison de la qualification
du chef de poursuite (l’une des deux considérations impératives est que la
nouvelle fausse eût suscité des troubles de l’ordre public), mais surtout parce
que les manquements à la déontologie sont peu fréquents et la plupart du temps véniels.
Le fameux « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » de Maurice Clavel (du
Nouvel Observateur — émission « À
armes égales »), remonte à… presque bientôt quarante ans (décembre 1971).
Depuis, rien n’a vraiment marqué durablement les mémoires (sauf peut-être
celles des intéressés directs).
Lors de ces assises, il sera demandé ce
que les citoyens attendent des médias. Du mieux, sans doute. Mais qu’attendent-ils
– « les gens », terminologie Mélenchon – qu’ils n’aient jamais pu
obtenir ? L’opinion serait à ce point muselée, jamais relayée, répercutée ?
Ce qui pose question, c’est la grégarité des médias, sans doute aussi les
modalités d’accession à la profession (le passage par l’université puis une
école de journalisme s’est beaucoup plus généralisé), et un renforcement de la
cohésion des usages conformes à ce qui fait consensus entre les professionnels.
Aussi sans doute, la raréfaction (faute de temps, moyens, etc.) des grands reportages
à la Kessel, Vailland, MacOrlan… Mais qui les lirait encore jusqu’au bout parmi
ceux qui conspuent « les médias » ? Quant aux documentaires,
leur faible audience découle certes de leur diffusion tardive mais il est fort
peu sûr qu’ils réuniraient de meilleures audiences en début de soirée (au cinéma,
ils font rarement salle comble).
Et
puis, les médias, ce sont aussi YouTube ou DailyMotion. Où certains, au mépris
des évidences, confortent le sentiment qu’eux seuls parlent vrai, sont crédibles :
la chose est donc entendue d’avance et leurs publics se dispensent de vérifier
leurs dires.
N’empêche, une pugnacité plus marquée de la part des consœurs et des
confrères – qui trop souvent laissent aux seuls animateurs le loisir de faire
appel à des ressorts émotionnels, parfois trop abusivement ; ou à leurs
seuls interlocuteurs, sans les recadrer fortement – serait peut-être bienvenue.
Au risque d’en faire trop de crainte de n’en faire pas assez en sacrifiant aux
diktats de l’audimat. Soit de faire du Robert Bony, pourrait-on penser en
lisant la mise au point de Claude Roy (c’est
là…). C’était au temps où un journaliste traitait certains de ses
« confrères » (entre guillemets de distanciation) de gangsters. Cette
période est révolue, et faut-il vraiment le déplorer ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire