mardi 3 décembre 2019

Contre… l’antisémitisme et l’antisionisme


Et contre la judéophobie, mais savons-nous en débattre ?

Il y a des Juifs antisionistes… Je ne comprends pas trop clairement pourquoi (bon, pour certaines sectes israélites, c’est plus compréhensible… quoique). Belle idée, le sionisme. Pas vraiment celle que s’en font les tenants de l’extrême-droite israélienne et « internationale » (guilles de distanciation signalées). Toujours est-il que la France, de par une résolution adoptée, peut sembler (trop) s’en accommoder.
Allons bon. 127 personnalités se réclamant d’une appartenance à une communauté juive (pas forcément judaïque, israélite au sens religieux), signent une tribune dans Le Monde. Ils écrivent : « nous (…) élevons notre voix contre cette proposition de résolution ». Celle d’un député LREM, Sylvain Maillard, qui a sans doute cru bien faire, en toute bonne foi (pour moi, le « vote juif » n’existe pas plus en Alsace qu’ailleurs, quoique, je crains de parler au passé ; c’était vrai en Alsace vers la fin des années 1970 et un éminent collaborateur d’Uss’m Follik, hebdo dit de la presse libre d’expression régionale, l’avait clairement exposé).
Je n’ai plus « d’amis juifs », ni de parents (par alliance) juifs — enfin, si, il m’en reste un, un séfarade, que j’allais oublier, vu que, qu’il soit Juif, issu de Kabyles, ou de je ne sais trop qui, je m’en balance — car la vie, les déménagements, le temps qui passe, font que…, on se perd de vue. Ah si, j’ai aussi une autre connaissance amicale, de famille juive berbère algérienne. J’étais le colocataire d’un Juif (et qui plus était, binational, franco-israélien). Farouchement laïque à l’époque. Depuis… Disparu des radars. Il aurait peut-être viré sa cuti, comme Benny Lévy. Bah, au grand âge, qui s’approche, allez savoir si je ne tomberai pas dans le panthéisme celte. Gâtisme. J’espère alors ne pas devenir prosélyte…
Je viens de finir de lire La Cuisinière d’Himmler, de F.O. Giesbert (Gallimard). Si cela se trouvait, Breton pur jus (crois-je), j’ai peut-être un ancêtre juif, une aïeule juive, comme Gabriel (l’un des personnages de Giesbert qui le découvre dans la presse collaborationniste). Saine lecture.
On causait de quoi, déjà ? Ah oui, de cette tribune des 127.
Alors, déjà, ne pas confondre antisémitisme et judéophobie. L’antisémitisme, au sens courant actuel, ce n’est pas ce qu’on entendait par là auparavant. Crouillats et Youpins, c’était tout un (comme les Bretons bretonnants et les Gallos étaient tous des têtes de cons).
Ensuite, je ne me souviens pas trop des textes fondateurs du sionisme, mais ce n’était pas mal. Plutôt sympa. Humaniste et tout et tout. Enfin, pour ce dont je me souviens confusément.
Sympa, le sionisme des kibboutz laïques ? Cela semblait. En reste-t-il ?
Enfin, tout cela reste vu de loin. Je n’ai pas vérifié sur place. Je me souviens juste d’un Juif, se revendiquant tel, qui avait rejoint les feddayins de Georges Habache. Car maoïste. Peut-être un baratineur qui se targuait d’être monté à l’assaut contre un kibboutz. C’était à Nantes, vers 1969, et il semblait crédible. Qu’importe. En tout cas, il ne lui serait pas venu à l’idée qu’un jour, on le qualifierait d’antisémite.
L’antisionisme actuel n’est pas forcément synonyme d’anti-israélien. D’accord, tout dépend de la locutrice, du locuteur. Qu’ils soient des Juifs (ou se fassent passer pour tels, ainsi d’ex-Soviétiques israéliens) ou non — on peut devenir un, une israélite, et une, un Israélien (nuance) sans avoir aucune ascendance palestinienne, et pour la plupart des ashkénazes, la filiation palestinienne est plus que diluée — leur appréciation du futur de l’État d’Israël est fortement diversifiée.
Normal, déjà être français, du pays des 500 (et plus, vu que les industriels en inventent toujours davantage) fromages, ce n’est pas facilement définissable. C’est plus une question d’adhésion que d’origines. En Israël, je me demande (aucune réponse induite, je n’en sais rien : et ce n’est pas une visite touristique qui peut me fournir le moindre élément) si le facteur de cohésion provient surtout de parler l’hébreu moderne. Ou de côtoyer fréquemment ou non des Palestiniens (de nationalité israélienne ou non). J’imagine qu’on doit aussi se sentir diversement du soleil et de la pluie de là-bas, ou plutôt davantage de Tel Aviv, Haïfa, Jérusalem, et autres localités, que d’un pays aux contours mouvants et dont les formations politiques et religieuses sont et nombreuses, et complexes.
Ce que je tente de comprendre, sans trop y parvenir, c’est que l’expansionnisme de l’État d’Israël actuel (comprenez, de sa classe dirigeante dominante) peut défriser, sans pour autant être antisioniste (réfutant l’existence d’une nation israélienne dotée d’un État, si j’ai bien vaguement compris quelque chose), ni évidemment judéophobe.
Si on y tient absolument, on doit pouvoir légiférer contre les appels à la destruction de l’État d’Israël sans utiliser des termes comme antisioniste. Palsembleu, et on disait autrefois que le français était la langue de la diplomatie ? Français, reprenez-vous (et ne mêlez pas les Bretons à tout cela, merci…).
Cela étant, l’opposition à l’extension des colonies israéliennes a souvent pris des tours plus que fâcheux.
Ce mardi, Jeremy Corbin a dû présenter des excuses publiques en raison de l’antisemitism (il n’a pas employé anti-judaism, terme à connotations religieuses) qui a profondément marqué une partie du Labour. Lequel s’est nourri des propos, voire d’actes, d’un courant aux contours flous se définissant antisioniste.
L’un des problèmes est que de nombreux pays européens ont adopté les termes d’antisémite, d’antisémitisme, au sens restreint de détestation des Juifs, à la suite du Parlement européen.
Mediapart a titré (article de Joseph Confavreux) : « Antisémistisme, antisionisme : comment sortir du piège » (sans point interrogatif). Franchement, le mode d’emploi est difficile à suivre.
D’autant qu’aujourd’hui comme hier, le sionisme est multiforme et que le seul point de cohésion est la légitimité de l’État d’Israël. Comme l’exprimait Henri Wajnblum : « Que veut encore dire être sioniste ? » (Regards, sept. 2016). On cerne à-peu près l’actuelle définition prédominante que des Juifs s’identifiant tels et antisionistes — pour des raisons protéiformes — semblent accepter grosso modo.
Tout discours officiel alimente et renforce sa critique ; toute absence de discours officiel de même. La tentation de se taire, voire de se boucher les yeux, dans ces conditions, peut finir par l’emporter. Du fait aussi de la peur du ridicule de finir par passer pour quelqu’un parlant longuement pour finalement ne rien dire (d’autre que c’est trop complexe, que l’on patauge, comme peut le démontrer ce qui précède).
Comme il faut bien trancher, je conclurai que légiférer davantage ne s’impose pas d’évidence, surtout qu’on ne voit pas trop comment interpréter précisément cette résolution. Ce qui me semble sûr, c’est que s’indigner de son adoption ou de son rejet, et hurler au loup, comme on le fait trop souvent (et parfois pour des sujets de bien moindre importance) en en faisant trop, serait disproportionné.
On peut en débattre… Mais savons-nous encore le faire ? De cela ou d’autres sujets (bon, « tu tires ou tu pointes ? », déjà, à la pétanque, hein ? Et le sexe des anges ?).
Figurez-vous que c’est la question-titre du dossier de la revue Projet (les jésuites, pour simplifier), revue de haute tenue. « Savons-nous encore débattre ? ».
Bruno Latour (sociologue, essayiste) s’interroge sur « cette compétence que l’État n’a pas » (à propos de l’identité et des territoires… occupés par les descendants des auteurs des Cahiers de doléances de 1789, dans le royaume de France). Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, évoque la nécessité de l’expression de chacun « pour un discernement collectif » (à propos de projets locaux, entre autres). Damien de Blic et Réda Didi s’inquiètent des « carences majeures dans la maîtrise des fondamentaux de la langue » et conversent avec Stéphane de Freitas (organisateur des concours d’éloquence Eloquentia). Pour lequel « le dialogue de société est [parfois] assimilé à un sport de combat ». Chantal Jouanno (que je ne présente plus, du moins, ici), évoque la Commission nationale du débat public. Bruno Saintôt, du département d’éthique biomédicale traite de son domaine. Brigitte Fouilland (Sc. Po) insiste sur « l’envie de comprendre ». Donc de ne pas rabâcher certitudes et convictions ? Daniel Berger (Secours catholique-Caritas) indique comment on peut écouter les exclus. Hélène Dulin (CCFD-Terre solidaire) envisage la question « de modes désobéissance civile » pour favoriser « le discernement collectif ». Alain Gugno (philosophe) place « l’aspiration à la reconnaissance » au-dessus de la défense d’intérêts (économiques). Dimitri Courant (Sc. Po) fait un point sur les assemblées citoyennes.
Rien sur le dialogue entre sionistes (de tous plumages) et antisionistes (idem). Quoi ? Des gens auraient d’autres chats à fouetter ? Eh oui. Pas de quoi s’en offusquer.
Un questionnement est rarement abordé : depuis d’où l’on parle, quand se taire ou quand briser le silence (sur le Brexit, le hirak, par exemple) ou se mêler à la cacophonie ou s’en extraire ?
Eh bien, quand la partie juive-israélite (rayez la mention inutile) du cimetière de Westhoffen vient d’être ravagée, non, semble-t-il, par des pochards, mais des suprématistes « blancs » (ils ne sont pas « blancs », ces Juifs de toutes provenances ?), et que ce n’est plus un cas isolé dans le Bas-Rhin, taire, négliger, serait cautionner. Mais dénoncer sans se préoccuper de « l’aspiration à la reconnaissance » de ces vandales que j’espère voir sanctionnés ne suffira pas. Aurais-je donc « tout faux » ? Ferais-je  ainsi preuve d’un laxisme et de complaisance judéophobe inavouée, ou inconsciente ? Tout le monde peut se tromper sur lui-même, mais, sincèrement, je n’ai pas trop de doute. Un soupçon de naïveté insoupçonné, alors ? Tant mieux, cela vaut mieux qu’un surcroît de cynisme.
Au fait, la résolution a été adoptée par 154 voix contre 72 (avec de nombreuses abstentions). Tant pis.
Un dernier mot sur ce visuel (supra). La ville de Schio, proche de Vérone, enfin, sa majorité municipale, s'est opposée récemment à ce que soient apposés des pavés commémoratifs, un pour chaque Juive ou Juif déporté·e originaire de la commune. Des stolpersteine. Au motif de raviver des souvenirs douloureux et clivants. Ce ne seraient pas des Sapiens, les gens de Schio ? Pas trop curieux de la disparition des Néandertaliens que leurs ancêtres auraient pu remplacer ? Par divers moyens pas trop catholiques, apostoliques, romains (et pour cause) ?
Au lieu de clamer que c'est abject, disons que c'est petit, miteux, peigne-zizi. Faute de Juives et Juives, on n'en est pas déjà, à Schio, à éliminer les homos des deux sexes, les Tziganes ou les débiles mentaux. Ni à imputer les conséquences néfastes du réchauffement climatique à des sorcières provoquant des inondations désastreuses. Mais on sait comment cela peut (re)commencer...

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